Batman – Gotham by Gaslight

Composé de deux récits, l’éponyme Gotham by Gaslight (Appelez-moi Jack dans sa première édition française) et sa suite directe Le maître du futur, ce volume unique avait été publié sous le titre Gotham au XIXe siècle par Panini Comics en 2009 puisque son histoire se déroule durant cette période où le Chevalier Noir affronte… Jack l’Éventreur ! Une plongée alors inédite (le premier vrai elseworld du Chevalier Noir) signée par trois artistes dont l’emblématique Mike Mignola (Hellboy évidemment et un autre Batman : La Malédiction qui s’abattit sur Gotham) et rééditée par Urban Comics en juin 2018.

[Histoire]
Après cinq ans passés à Londres, Bruce Wayne rentre à Gotham City. Il reprend sa cape de justicier (au grand désarroi de son majordome Alfred) pour enquêter sur un meurtrier en série, Jack l’Éventreur, le même qui sévissait en Angleterre quand le milliardaire y séjournait.

Les victimes s’accumulent et le suspect principal est désigné et arrêté : Bruce Wayne ! Entre l’arme du crime retrouvée dans son manoir et les coïncidences étranges lors de son séjour à Londres au même moment que le célèbre tueur, tout porte à croire que Wayne est bien l’assassin.

[Critique]
La première histoire est assez « charmante » : outre la transposition dans le contexte victorien, l’enquête se lit parfaitement grâce à un rythme habilement dosé (pas de temps mort, dialogues ciselés et efficaces, réflexions internes des personnages intéressantes…). L’ensemble est donc palpitant mais un brin court et surtout, très pauvre en rebondissement. On devine aisément (et très rapidement) qui est le fameux Jack L’éventreur… C’est tout le problème du récit et donc de l’importance qu’on y accorde pour en juger sa qualité définitive. Tout dépend des éléments à prendre en compte dans son avis : les dessins, l’histoire, l’énigme, tout cela à fois ? C’est évidemment l’ensemble qui permet de dresser son jugement de valeur et force est de constater que la résolution de l’intrigue et l’identité du coupable forment une part importante dans Gotham by Gaslight.

Difficile d’arbitrer tant cette appréciation relève de la subjectivité ; pour l’auteur de ces lignes, on se trouve dans une curiosité à découvrir mais (très) loin d’être indispensable. Malgré tout, il faut contextualiser : en 1989, c’est la première fois que le concept d’un « elseworld » est à ce point poussé et ses héritiers peuvent l’en remercier. Redéfinir le Dark Knight dans un nouvel univers, sans se préoccuper de la continuité, imaginer une orientation novatrice et inédite pour avoir quasiment carte blanche à son imagination ! Une aubaine pour les artistes même si, dans le cas présent, ils se contenteront d’appliquer sagement le changement d’époque sans réellement s’aventurer dans une reconfiguration plus poussée des éléments iconiques du détective. Outre le fameux tueur en série, on croise dès le début Freud, sympathique mais bref (il aurait fallu d’autres apparitions de personnes historiques tout au long de l’ouvrage pour mieux l’apprécie). On aime néanmoins les traits de Magnola, son style anguleux si particulier et sa revisitation de quelques figures mythologieques Batmaniennes en passant du costume de l’homme chauve-souris au caméo du Joker par exemple. Résultat mitigé donc avec un concept fort, une ambiance plutôt sombre, un univers réussi (même s’il est peu exploité) et des dessins élégants mais une écriture (de Bryan Augustyn) certes soignée dans ses dialogues, hélas assez pauvre dans son intrigue globale…

La seconde histoire se déroule un an et demi après la seconde : Bruce est en couple avec une Julia (Madison) et n’agit plus vraiment sous son alias costumé. Une grande exposition va bientôt avoir lieu à Gotham et cristallise certains politiciens, peu adeptes de cet évènement organisé par le maire. Un nouvel antagoniste fait son apparition, le maître du futur, prêt à tout pour faire annuler la fête et travaillant dans l’ombre pour quelqu’un d’autre…

Ce deuxième récit (publié deux ans après le premier) est cette fois dessiné par Eduardo Barreto, aux traits plus précis et détaillés que Mignola, d’une superbe élégance, d’une tonalité plus vive aussi, tranchant radicalement avec son illustre prédécesseur — un des points forts de l’ouvrage pourtant. Malheureusement le scénario pêche à nouveau (toujours signé Augustyn), par son classicisme d’une part et son « méchant » un peu ridicule et inconnu d’autre part. Pourquoi ne pas avoir préféré une transposition tout en costume d’un Épouvantail, d’un Sphinx ou d’un Pingouin ? Cela aurait été nettement mieux ! De la même manière, l’idylle entre Bruce et Julia est sympathique mais pourquoi ne pas utiliser Selina (plus emblématique pour le fan et le néophyte) ? L’auteur a pioché dans des personnages beaucoup trop secondaires (entre autres Rupert Thorne et Julia Madison donc).

Gotham by Gaslight peine à convaincre dans son ensemble (1) : les planches sont plutôt belles (aussi bien celles de Mignola que de Barreto), la variation de l’univers agréable (avec une petite touche steampunk dans son second segment), l’originalité et le concept de départ stimulants mais, hélas, l’écriture des deux histoires souffrent de défauts majeurs. La première est prévisible au possible tout en étant très courte, la seconde met en avant trop de personnages différents et peu connus et/ou intéressants, pour une succession de scènes assez classiques. On le conseillerait plutôt en lecture d’un emprunt en médiathèque ou prêt entre amis plutôt qu’en achat.

La première édition contenait le DVD du film du même titre mais radicalement différent. Plusieurs figures classiques s’y mêlent : Strange, Poison Ivy, Leslie Thompkins, les enfants Dick, Jason et Tim et surtout Selina Kyle, au premier plan avec Bruce. Le coupable est complètement différent (à l’instar de l’adaptation vidéo de Batman Silence) mais n’est pas vraiment une alternative convaincante voire une hérésie… Techniquement moyen mais assez sombre et à l’ambiance atypique réussi. On le déconseille aussi.

(1) – Comme beaucoup d’œuvres (romans, films, bandes dessinées…), Gotham by Gaslight trouvait sans doute un meilleur écho à l’époque de sa publication initiale (il y a près de trente ans) et a « mal vieilli » (aparté subjectif : j’ai conscient d’être relativement « sévère » dans ma critique par rapport aux éloges multiples communs). Le lecteur actuel est habitué aux récits modernes, à certaines prises de risques et originalités qui ont succédé à ce titre. D’un point de vue quasiment sociologique voire « historique » il est indéniable que ce comic-book a apporté une certaine révolution et mérite, à ce titre, un coup d’œil. Malheureusement, il passe moyennement l’épreuve — extrêmement difficile — de la postérité. La transposition au XIXème siècle permet de conserver un récit « intemporel » dans sa lecture (on ne situe pas dans une période où la technologie pourrait être risible voire obsolète en étant lue de nos jours). Malgré ça, la pauvreté de l’intrigue et sa résolution abrupte peinent à obtenir un livre « culte ». Passé son concept sympa et ses dessins plutôt chouettes, il ne reste finalement pas grand chose à sauver de Gotham by Gaslight

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 22 juin 2018, avec le DVD de son adaptation animée pour le premier tirage.

Précédemment publié en 2009 par Panini Comics sous le titre Gotham au XIXe siècle.

Scénariste : Brian Augustyn
Dessin : Mike Mignola et Eduardo Barreto
Encrage : P. Craig Russell et Eduardo Barreto
Couleur : David Hornung et Steve Oliff
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Laurence Hingray & Christophe Semal

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