Batman – The World

Annoncé en mai dernier afin de sortir simultanément dans le monde entier autour du 18 septembre 2021 (jour du fameux Batman Day – même si cette date ne correspond historiquement à rien de précis lié au Chevalier Noir), l’ambitieux Batman – The World est disponible en France. Dans ce comic, quatorze équipes créatives différentes provenant de quatorze pays différents œuvrent pour livrer une anthologie autour du célèbre Caped Crusader. Chaque équipe s’étale sur une dizaine de planches pour livrer sa version du détective.

Côté US, c’est le tandem Brian Azzarello/Lee Bermejo (Joker, Damned…) qui ouvre le bal et signe la couverture « classique » de l’œuvre. La France est représentée par Mathieu Gabella et Thierry Martin pour une histoire se déroulant au Louvre. Chaque pays bénéficie d’une couverture variante limitée, dessinée bien sûr par l’illustrateur qui s’occupe de son segment national. Projet atypique réussi ou pétard mouillé ? Décryptage.

Couverture classique (g.) et variante (dr.) signée par le français Thierry Martin, rendant bien sûr hommage à Année Un.

[Résumé de l’éditeur]
Le champ d’action de Batman ne se limite pas à Gotham City ! Le Chevalier Noir a juré de rendre la justice partout où l’on a besoin de lui, et ses enquêtes l’ont conduit plus d’une fois aux quatre coins de la planète. Retrouvez dans cet album des aventures du plus grand des super-héros sur tous les continents !

[Histoire — le nom du pays est en gras suivi du titre de chaque épisode en italique]
Aux États-Unis (Ville globale), Batman se rappelle ses nombreux combats. Il livre un message sur le Dark Web pour démotiver les criminels voulant venir à Gotham. En France (Paris), il poursuit Catwoman au Musée du Louvre. La féline veut-elle voler une œuvre d’art ? En vacances en Espagne (Fermé pour les vacances) sur les conseils d’Alfred, Bruce Wayne doit déconnecter et profiter des plaisirs simples de la vie, sans son costume. A Rome, en Italie (Ianus),  Batman affronte Cesare/Ianus, être tourné vers le passé et le futur, façon Janus, le Dieu romain aux deux visages. Bruce, de son côté, est en vacances avec Julie.

Espagne

Dans les Alpes Bavaroises, en Allemagne (Des lendemains qui chantent), le Joker convoque des activistes radicaux écolos pour tenter de le rejoindre. En République Tchèque (La messe rouge), Batman enquête sur plusieurs suicides. La piste le mène à Praque où un certain Koval semble pratiquer d’étranges expériences. A Moscou, en Russie (Mon Bat-Man) un dessinateur s’interroge tout au long de sa vie sur l’existence réelle de Batman, super-héros qu’il croque régulièrement… Le Chevalier Noir se rend à Ankara, en Turquie (Le Berceau), après des indices trouvés à Gotham suite à plusieurs meurtres commis par une mystérieuse organisation. Bruce cherche le fameux « Berceau de l’humanité » pour trouver des réponses… Le taux de criminalité est anormalement bas à Varsovie. Une personne semble indiquer à la police en temps réel ou en avance des crimes. Bruce se rend donc en Pologne (Défenseur de la ville) afin d’élucider ce mystère qui pourrait être utile à Gotham.

France

En voyage d’affaires au Mexique (Funérailles), Bruce pense apercevoir un appel à l’aide d’une jeune femme ; à moins qu’il ne s’agisse d’une légende locale ? Au Brésil (Où sont passés les héros ?), Batman enquête sur l’argent de la filiale de Wayne Enterprises qui disparaît sur place comme par magie. Il est accompagné de Lucius Fox. A WayneTech à Séoul, en Corée du Sud (Muninn), Batman endosse une nouvelle armure pour aider une employée à prouver l’innocence de quelqu’un de sa famille. En Chine (Batman et Panda Girl), Bruce déjeune dans un restaurant dont la serveur est fan de Batman. Enfin, au Japon (La valeur d’un héros), à l’ère Edo, la police poursuit un dessinateur qui croque un certain Batman et influe sur la population…

Chine

[Critique]
Sacré morceau que cette anthologie à la fois déroutante et passionnante. Comme souvent dans cet exercice de style, les points forts deviennent les points faibles de l’œuvre, forcément inégale et décousue. Explications.

Reprenons dans l’ordre chaque épisode pour en dresser une courte critique. Dans le premier chapitre, Lee Bermejo est en très grande forme et montre des Batman imposants/impuissants face au Pingouin, à Man-Bat, Bane, Poison Ivy, le Joker, etc. cet aspect graphique est le seul réel intérêt du titre qui introduit l’ensemble. L’épisode au Louvre est plutôt malin, inattendu et agréable, servi par une colorimétrie presque en niveaux de gris d’où s’échappent quelques couleurs de façon intelligente. L’histoire en Espagne est assez jolie, presque muette et « triste », on est proche d’une BD indé. Malheureusement, son dénouement (prévisible) montre une énième parenthèse sympathique mais bien trop courte. Le segment italien est oubliable et sans réel intérêt.

Brésil

La proposition germanique est très réussie, sur le fond et sur la forme. Le style léché et numérique est original et la thématique écologique un point de départ intéressant – incompréhensible d’avoir pris le Joker et non Poison Ivy pour cela, on attend toujours LE récit phare sur ce sujet d’actualité brulant avec la célèbre empoisonneuse. Une pique sur Trump et quelques dialogues savoureux servent l’ensemble, malgré une protagoniste dont on devine trop facilement l’évolution à cause d’un détail graphique évident. La parenthèse en République Tchèque est inintéressante au possible et très convenue. Heureusement, celle en Russie relève le niveau, faisant intervenir tout une longue vie d’un personnage croisant de multiples Batman et (un peu) de politique (mur soviétique, etc.). Assez touchant et bien fichu. Le segment en Turquie est lui aussi réjouissant, faisant enfin intervenir la Bat-Famille (même si uniquement « vocalement »), la Batmobile des films de Burton et des dessins plus proches des comics du haut du panier (allez, osons : le style est élégant mix de Sean Murphy et Jock). On peine d’ailleurs à trouver l’épisode « indépendant » tant il semble s’inscrire dans le run moderne du Chevalier Noir (!) et gagnerait à être enrichi – fort d’une connexion habile et intrigante avec un élément phare de la mythologie de Batman introduit ces dernières années. Le séjour en Pologne démarre bien mais se conclut abruptement pour être, in fine, anecdotique.

L’histoire au Mexique est, elle aussi, assez banale mais graphiquement superbe dans sa seconde partie. Quant à l’excursion brésilienne, c’est peut-être celle qui sort le plus le lecteur de sa « zone de confort » tant elle évoque les inégalités sociétales du pays sans qu’aucune solution, même super-héroïque, ne puisse résoudre quoique ce soit. Le détour à Séoul n’est pas très palpitant malgré sa proposition graphique sympathique. Idem pour la Chine, probablement l’écriture la plus pauvre de toute l’anthologie (le scénario est pourtant signé par deux personnes !), du niveau collège… Dommage car les dessins étaient plutôt originaux. La police d’écriture est modifiée pour ce chapitre, donnant l’aspect d’un scan-trad amateur mal travaillé… Bizarre. Enfin, le voyage au Pays du Soleil Levant qui achève ce fameux tour du monde est entièrement en noir et blanc, découpé comme un manga (mais se lit bien de gauche à droite) ; il rappelle clairement Batman Ninja pour une séquence courte et pas très originale…

Allemagne

Si l’intention de l’ensemble est tout à fait louable (mais aussi mercantile, inutile de se voiler la face), elle manque d’un fil rouge narratif solide qui lierait toutes ces petites histoires entre elles… Réduit à une dizaine de planches, l’exercice aurait été plus solide si chaque épisode s’était étalé sur une vingtaine de pages, le nombre « classiques » d’un chapitre de comic-book. Injecter une partie culturelle de chaque nation représentée est là aussi une idée plaisante mais qu’on survole, cadenassé par ces bribes narratives trop courtes pour s’en imprégner pleinement. Reste tout de même quelques jolies choses, les segments français, espagnols, allemands et turques, éventuellement brésiliens et russes et celui de l’introduction pour le plaisir des yeux (Lee Bermejo). Résultat : sept sur quatorze, soit la moitié de bons. Et donc la moitié de moins bons… Même si cela relève bien sûr de la subjectivité. Difficile donc de conseiller ou non l’achat de Batman – The World

Si l’ouvrage permet aux lecteurs de découvrir de nouveaux artistes et les suivre, ou bien de s’ouvrir à la culture (sommairement étalée) d’autres pays, alors le pari est gagné, car c’est aussi ça l’enjeu d’une certaine façon. Étonnamment pour la France, les biographies et bibliographies des deux artistes sont peu fournies (chaque épisode est introduit par une présentation de l’équipe créative derrière). On y apprend le parcours du scénariste Mathieu Gabella sans réellement évoquer ses œuvres phares, seule La Chute est mentionnée ! En quatrième de couverture, La Licorne était citée. On ajoute volontiers 3 souhaits, La Guerre des boutons et surtout Idoles. Idem pour le dessinateur Thierry Martin où l’on évoque principalement Dernier Souffle (déjà nommé au verso du livre) et un album à venir sur Mickey chez Glénat (il a déjà produit Mickey All Stars en 2019)… Un peu maigre alors qu’on pouvait ajouter, entre autres, son adaptation de Roman de Renart, sa série Myrmidon ou encore son travail sur l’actualité ou l’histoire. Il est aussi étonnant que DC Comics fit appel à ce duo relativement « peu connu » en France. Attention, cela n’est pas une critique négative – d’autant que leur chapitre fait partie du haut du panier de l’anthologie – mais quelques noms plus prestigieux auraient peut-être été un argument marketing plus solide. Peu importe, tant mieux pour ces deux artistes français d’avoir contribué à leur manière à enjoliver Batman et marquer l’histoire !

Italie

Voici les équipes artistiques complètes classées par pays puis scénariste, dessinateur et coloriste s’il y a (s’il n’y a pas c’est le dessinateur qui s’en est occupé) :
– États-Unis : Brian Azzarello, Lee Bermejo
– France : Mathieu Gabella, Thierry Martin
– Espagne : Paco Roca
– Italie : Alessandro Bilotta, Nicola Mari, Giovanna Niro
– Allemagne : Benjamin von Eckartsberg, Thomas von Kummant
– République Tchèque : Stepan Kopriva, Michael Suchanek
– Russie : Kirill Kutuzov & Egor Prutov, Natalia Zaidoya
– Turquie : Ertan Ergil, Ethem Onur Bilgiç
– Pologne : Tomasz Kolodziejczak, Piotr Kowalski, Brad Simpson
– Mexique : Alberto Chimal, Rulo Valdes
– Brésil : Carlos Estefan, Pedro Mauro, Fabi Marques
– Corée du Sud : Inpyo Jeon, Park Jaekwang & Junggi Kim, Park Jaekwang
– Chine : Xiaodong Xu & Xiaotong Lu, Kun Qiu, Nan Yi
– Japon : Okadaya Yuichi

France

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 17 septembre 2021.

Scénario : collectif
Dessin : collectif

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Sabine Maddin, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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