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Batman – One Bad Day : Mr. Freeze

Après deux tomes très moyens (Double-Face et Le Pingouin), la collection One Bad Day (cf. index) revient enfin en force avec le volume consacré à Mr. Freeze qui rejoint Le Sphinx parmi les meilleurs (sans atteindre la certaine « originalité » de ce dernier). Explications.

[Résumé de l’éditeur]
Un manteau de givre et de glace s’abat sur Gotham City et fait entrer la cité dans son hiver le plus rude. Le froid est tel que Mr. Freeze peut désormais sortir à l’air libre, libéré de son armure réfrigérée. Et le Chevalier Noir sait qu’il n’en est que plus dangereux, d’autant qu’en apparence les intentions de Victor Fries paraissent on ne peut plus honorables : après tout, son seul désir est de sauver sa femme, Nora. C’est en tout cas ce qu’il confesse à Robin, ralliant le jeune équipier à sa cause. Mais Batman n’est pas dupe, et les rigueurs de l’hiver ne tarderont pas à lui donner raison.

[Critique]
Enfin un récit complet intéressant et plutôt réussi dans cette collection ! L’histoire de Fries/Freeze est très connue, sublimée dans la série d’animation Batman des années 1990, reprise dans l’affreux film de 1997, régulièrement mise en image dans les comics avec plus ou moins d’intérêt et même transposée en jeux vidéo (surtout dans le DLC d’Arkham Origins, moins dans Gotham Knights).

Qu’apporte cet One Bad Day en plus ? Il met en avant un jeune… Robin ! Et c’est la bonne surprise du titre. Si Batman est bien présent, l’habituelle touche de légèreté apportée par Robin revient avec brio ici.

Il faut dire que l’auteur Gerry Duggan maîtrise complètement sa narration, qu’il alterne entre passé et présent (à la manière habile du titre sur le Sphinx), entre Nora vivante puis cryogénisée, entre Fries apeuré puis surpuissant, et ainsi de suite. Le scientifique perd de son aura « romantique » pour sortir quelques invectives égoïstes (voire sexistes). L’ensemble reste passionnant et l’ajout de Robin au premier plan contribue grandement au plaisir de lecture, de même que le concept du « jour où tout a basculé », respecté ici.

Duggan est un auteur prolifique chez Marvel, notamment connu pour ses nombreux travaux sur Deadpool. Citons aussi quelques segments sur Nova, Les Gardiens de la Galaxie et Uncanny Avengers. Chez DC on lui doit surtout la série Arkham Manor, inédite en France. Duggan délaisse ses habituels grands espaces cosmiques ou ton sarcastique (Deadpool) pour livrer un drame touchant, avec une certaine sensibilité et une pointe d’humanité très « juste ».

Il y a donc une certaine relecture du mythe plutôt pertinente (sans non plus se démarquer de la tragédie déjà vu et revue) mais qui est servie par des dessins hyper soignées et agréables de Matteo Scalera (Deadpool – comme par hasard – et surtout la série Black Science, qu’on conseille fortement), brillamment mis en couleurs par Dave Stewart (habitué à l’exercice sur Un Long Halloween et Catwoman à Rome par exemple, aussi présent sur La malédiction qui s’abattit sur Gotham). En résulte de savoureuses pleine planches où se confondent l’obscurité et les corps humains ou costumés des protagonistes, avec des tonalités chromatiques évidemment froides mais bien équilibrées pour ne pas tomber dans un cliché continue (cf. les différentes illustrations de cette critique). À noter que le binôme Scalera/Stewart œuvrait déjà brillamment sur Batman White Knight • Harley Quinn !

En somme, One Bad Day : Mr. Freeze ne réinvente par le personnage titre mais reste une jolie proposition graphique avec un scénario efficace et, certes, « convenu » mais qui happe le lecteur, même familier avec l’univers et le célèbre antagoniste. Sur les quatre One Bad Day, ce Freeze rejoint donc les deux meilleurs (avec le Sphinx), en attendant celui sur Bane en juillet prochain, puis Catwoman en août et Ra’s al Ghul en septembre. Celui sur Gueule d’Argile devrait sortir en octobre si Urban poursuit son rythme d’un volume par mois.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 9 juin 2023.
Contient : Batman – One Bad Day : Mr Freeze

Scénario : Gerry Duggan
Dessin : Matteo Scalera
Couleur : Dave Stewart

Traduction : Thomas Davier.
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

Acheter sur amazon.frBatman – One Bad Day : Mr. Freeze (15 €)

       

Batman – One Bad Day : Le Pingouin

La collection One Bad Day se poursuit (cf. index). Après le très bon Le Sphinx, le très moyen Double-Face, place au célèbre Pingouin.

[Résumé de l’éditeur]
Autrefois, le Pingouin avait un empire. Alors au sommet de la pègre de Gotham, il avait institué des règles strictes, s’était imposé des limites. Mais pour certains, les limites sont faites pour être franchies. C’est en tout cas ainsi que résonnait Umbrella Man, avant de prendre à son maître tout ce qu’il avait et de répandre le chaos dans la ville. Cobblepot est aujourd’hui un homme brisé, frayant à travers les rues poisseuses de Gotham, un revolver à la main. Muni d’une unique balle, il a bien l’intention de réagir, car l’heure de la vengeance a sonné.

[Critique]
Comme souvent pour les récits courts (64 pages), pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, proche du point de départ annoncé par l’éditeur. On retrouve donc Oswald Cobblepot ruiné et démuni, seul, à l’extérieur de Gotham. Pour renouer avec son ancien empire, le célèbre Pingouin a peu de ressources mais va petit à petit tenter de se venger du mystérieux Umbrella Man. Un parcours sans réelles surprises, un nouvel antagoniste oubliable (Umbrella Man), des seconds couteaux convenus voire improbables (un type un peu énervé fait peur et met en déroute plusieurs hommes armés qui le tenaient en joue)… cet One Bad Day est assez moyen voire décevant.

Bien sûr, les fans du Pingouin seront contents d’avoir un récit (plus ou moins) inédit centré sur ce célèbre ennemi mais – encore une fois – pour 15 € on s’attend à quelque chose de plus consistant… Il faut dire que le concept même de la « mauvaise journée » durant laquelle un ennemi a « basculé » est effleuré ici. Entre deux bulles d’explications d’Oswald et une case de lui enfant, le sujet est cohérent mais expédié. Victime de moqueries et de harcèlement quand il était jeune, Oswald a vécu une fête d’anniversaire pour ses sept ans étonnamment calme et bienveillante ; pour cause, sa mère avait donné cent dollars à chaque participant pour bien se comporter. Un déclic pour le futur criminel qui savait alors qu’il pourrait se faire craindre au lieu d’être respecté et aimé et que l’argent lui serait utile.

Au lieu d’étayer cette double thématique, l’auteur John Ridley (The Authority, Future State – sur Katana et Black Lightning…) poursuit « banalement » le cheminement de la vengeance du Pingouin, croisant éphémèrement Batman. Ridley est surtout connu pour avoir écrit le scénario de Twelve Years a Slave et créé la série American Crime. S’il semble plus à l’aise sur ces médiums, le scénariste propose néanmoins un Pingouin attachant et très courtois, habile stratège. Tout cela donne (à l’instar du OBD sur Double-Face) l’impression de lire un gros chapitre annual luxueux plutôt qu’un récit fondateur puissant…

Pour ne rien arranger, les dessinateurs Giuseppe Camuncoli et Cam Smith (également coloriste) sont peu inspirés, jonglant entre visages caricaturés et mauvaise gestion de l’espace. Comme souvent dans ces cas-là, avec un scénario qui ne décolle pas vraiment et des dessins qui ne tirent pas le titre vers le haut, il est difficile de conseiller ce comic book (surtout pour le prix). À réserver uniquement aux ultra complétistes fanatiques du Pingouin donc…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 mai 2023.
Contient : Batman – One Bad Day : The Penguin #1

Scénario : John Ridley
Dessin : Cam Smith et Giuseppe Camuncoli
Couleur : Cam Smith

Traduction : Hélène Dauniol Remaud
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

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Jurassic League

Et si la Justice League avait vécu au temps de la préhistoire ? Et si les super-héros étaient des… dinosaures ? C’est le concept original et amusant du récit complet Jurassice League ! Malgré cette idée singulière, on reste un peu sur notre faim… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
L’histoire est connue : un nourrisson échappe à la destruction de sa planète natale et atterri sur Terre pour être élevé par des parents humains. Une déesse d’une cité perdue défend la vérité. Un théropode revêt un costume de chauve-souris pour semer la terreur dans le cœur des méchants. Cette trinité héroïque, ainsi qu’une Ligue d’autres dinosaures surpuissants, unissent leurs forces pour sauver une Terre préhistorique des sinistres machinations de Darkyloseid… Attends… quoi ? Ok, peut-être que vous ne connaissez pas l’histoire. Alors soyez témoin d’une toute nouvelle aventure plus ancienne que le temps, et découvrez la Ligue de Justice comme vous ne l’avez jamais vue auparavant !

[Début de l’histoire]
À Grognetham City, Batsaure poursuit un redoutable prédateur, Jokerzard. Ailleurs, Aquanyx affronte Blackmantasaurus.

À Metrrrrrrrahpolis, Supersaure aide les humains dont ses parent adoptifs. Dans l’ombre, Giganta et Brontozarro s’apprête à déchainer leur rage pour servir leur mystérieux maître…

Sur l’île de Trimyscira, Wonderdon s’apprête à rejoindre ces atypiques acolytes…

[Critique]
Le ton est donné avec le titre, la couverture, le résumé : Jurassic League est un bon gros délire qui imagine une Justice League composée de… dinosaures ! Si l’idée est séduisante, le développement laisse un peu à désirer. En effet, les deux auteurs Juan Gedeon (également aux dessins – on y reviendra) et Daniel Warren Johnson ne se foulent pas et reprennent une structure très convenue en interchangeant banalement l’époque et les protagonistes. On a du mal à croire que l’écriture résulte de deux personnes tant une seule suffisait pour pondre quelque chose d’aussi « simpliste » mais pourquoi pas…

Ainsi, l’on assiste prosaïquement à la rencontre entre les membres de l’équipe (Batsaure/Batman, Supersaure/Superman, etc.) et quelques ennemis (le bestiaire iconique de différents antagonistes est bien là) puis une confrontation contre un célèbre vilain de DC Comics (à découvrir tout en bas de cette critique pour ceux qui souhaitent savoir). Un parcours sommaire qui va droit au but et qu’on aurait aimé plus détaillé ou subtil mais ça passe quand même.

En six épisodes, Gedeon et Warren Johnson ne s’encombrent donc guère d’une complexité d’écriture ou d’un traitement très fouillé sur leurs créatures, ce qui est fort dommage mais peut-être volontaire pour tenter de drainer un nouveau lectorat curieux de la chose. S’il y a d’autres opus dans cet univers, on sera moins indulgent sur ce point, accordons une sorte de bénéfice du doute pour ce premier jet. Il y a heureusement quelques moments drôles, on songe par exemple au Batsaure affublé d’un jeune humain qu’il ne comprend pas et lui hurle – littérallement – dessus, à plusieurs reprises ! Mais le côté bourrin sans réflexion a du mal à fonctionner sur toute la durée (120 pages environ).

Dans l’ensemble, il faut donc s’attendre à des dialogues plutôt communs et de nombreux combats plus ou moins épiques, c’est là aussi une semi-déception. Les décors sont assez pauvres, les dinosaures parfois peu détaillés mais (encore une fois), ça reste une Jurassic League, il y a un côté cool dans tous les cas ! Flashraptor et Green Torch sont aussi de la partie mais nettement plus en retrait (et parlent entre eux comme des « bro », aussi bien VO qu’en VF – la traduction est d’ailleurs assurée par l’ami Cédric Calas, alias el famoso Commis des Comics – si vous avez vécu dans une grotte et ne le connaissez pas, on vous conseille évidemment de le suivre !), tout comme Aquanyx. La narration se concentre essentiellement sur Supersaure puis Batsaure, l’esprit d’équipe est vaguement présent mais met du temps à se mettre en place.

Juan Gedeon illustre cinq chapitres sur six. Cet artiste argentin est passé par les deux célèbres écuries US des comics ; en vrac Venom, Spider-Man, Miss Marvel côté Marvel, Teen Titans, Doom Patrol et quelques segments de la saga Batman Metal (sur le Multivers Noir notamment) côté DC. Ses traits sont efficaces et aérés, permettant une bonne fluidité dans les séquences d’action qu’il parvient à rendre assez dynamiques (malgré les fonds de case parfois un peu vides comme évoqué plus haut).

Hélas, son remplaçant Rafa Garrés sur un épisode livre un rendu nettement différent, ultra saturé de traits gras et épais, au style « arty » décousu, presque indépendant – et parfois franchement très « laid » (malgré toute la subjectivité que cela implique), cf. image ci-dessous. Un manque d’homogénéité graphique flagrant qui gâche un peu l’ensemble de l’ouvrage mais, heureusement, ça ne dure que le temps de quelques planches. Cette cassure radicale est clairement moins lisible et appréciable que le reste du livre.

On aurait aimé que Daniel Warren Johnson passe lui aussi aux pinceaux mais il se contente de co-écrire l’histoire avec Juan Gedeon. Warren Johnson avait dessiné de remarquables titres comme Wonder Woman – Dead Earth, Beta Ray Bill (tous deux écrit par lui) ou The Ghost Fleet (avec Donny Cates).  Sa dernière création, Do a powerbomb, sera disponible le 23 juin chez nous. À noter que c’est son collaborateur de longue date Mike Spicer qui affaire à la colorisation, richement variée et plaisante pour une aventure de ce genre, collant aussi bien aux stéréotypes des justiciers habituels sans trop dénaturer la condition préhistorique de l’ensemble.

En synthèse, Jurassic League est sympathique sans être transcendant. Une lecture « divertissante » sans prise de tête. Vu le concept, il y a/avait probablement mieux à produire (tant dans l’écriture que les dessins), espérons un autre volume plus abouti sur ces points après ce départ mi-figue mi-raison mais qui reste un fantasme WTF amusant sur le moment. Pour 10 € on aurait fermé les yeux et foncé, pour 17 € c’est plus délicat… À feuilleter impérativement avant l’achat en toute connaissance de cause : ce n’est pas l’écriture qui prime ici mais plutôt le concept général et son interprétation visuel (et, évidemment, faut aimer les dinos) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 mai 2023.
Contient : Jurassic League #1-6

Scénario : Juan Gedeon et Daniel Warren Johnson
Dessin : Juan Gedeon, Rafa Garrés et Jon Mikel
Couleur : Mike Spicer

Traduction : Cédric Calas
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Coralline Charrier et Sephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Jurassic League (17 €)