Infinite Crisis – Tome 01 : Le projet O.M.A.C.

Après Crisis on Infinite Earths (1985-86) puis Crise d’identité (2004), la nouvelle « crise DC Comics » (cf. index) a été publiée en 2005-2006. En France, après une distribution un peu complexe par Panini Comics dès 2006, alternant kiosque et librairie, Urban Comics a proposé la série et ses nombreux titres annexes à partir de 2014 dans une saga en cinq volumes (Infinite Crisis donc) et une seconde en quatre tomes (52, constituée de la longue série éponyme qui se déroule après). Geoff Johns fut l’un des architectes de ce nouveau chamboulement avec en particulier Greg Rucka sur ce premier tome. Découverte d’un récit majeur et d’un crossover ambitieux ; incontournable ?

[Résumé de l’éditeur]
Quand Blue Beetle, justicier peu considéré par ses pairs de la Justice League, enquête sur la mise en faillite de sa compagnie, celui-ci découvre un complot visant à annihiler toute la population métahumaine de la planète. Pire, ce projet OMAC risque de porter un coup fatal aux liens unissant Superman, Wonder Woman et Batman, et de se répercuter sur l’ensemble des justiciers.

[Introduction d’Urban Comics]
Pour une meilleure compréhension, il convient de copier/coller l’introduction du premier tome proposée par Urban Comics (le résumé de l’éditeur est suffisant au demeurant car il revient déjà sur le début de l’histoire, c’est-à-dire l’épisode spécial Countdown to Infinite Crisis #1, renommé Compte à rebours en français. Le reste du volume est constitué de deux autres récits qui y font directement suite : la mini-série Le projet O.M.A.C. (OMAC Project #1-6) entrecoupée par Sacrifice, (compilant quatre chapitres principalement issus des séries sur Superman (Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642) et Wonder Woman #219).

Aux quatre coins de l’univers…

Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern… les nombreux super-héros de l’univers DC ont, depuis leur création, partagé des aventures communes, tout d’abord dans les pages d’All-Star Comics, au sein de la Société de Justicie, puis dans celles des séries World’s Finest (qui associait Superman et Batman), Justice League of America (la célèbre Ligue de Justice) ou The Brave and the Bold (où se succédaient différents tandems de héros). Au fil du temps et des évolutions éditoriales, ces récits d’alliances entre héros et vilains se sont faits plus riches et plus complexes, aboutissant à la création d’un véritable « univers DC » avec ses cités imaginaires, ses planètes extraterrestres et, surtout, son histoire, rythmée par les Crises (cf. index du site) que surmontèrent de concert l’ensemble de ces personnages.

En 2005, les scénaristes Geoff Johns, Judd Winick, Greg Rucka, Gail Simone, Dave Gibbons et Bill Willingham sont réunis sous la supervision éditoriale de Dan DiDio pour élaborer une vaste saga qui durera un an, se déroulera en plusieurs mini-séries et récits complets, et touchera l’ensemble des titres de la maison d’édition. Le récit, foisonnant, démarre le plus simplement du monde, par l’enquête d’un super-héros de second plan, Ted Kord dit Blue Beetle, qui découvre une machination visant la population surhumaine de la planète. Dans ce premier chapitre, narré en « compte à rebours », le lecteur explore, via l’enquête de Beetle, les méandres de l’univers DC : des bas-fonds des villes où se terrent les mystiques ou autres super-vilains, aux planètes lointaines où des armées de différents mondes se livrent une guerre sans merci.

Le fond de l’intrigue reste néanmoins résolument humain, et une  révélation dramatique va déclencher une prise de conscience au sein  de la trinité héroïque de Superman, Batman et Wonder Woman. Ces trois héros vont se retrouver face à leurs contradictions : la puissance de Superman, le code d’honneur de Wonder Woman  et l’esprit stratégique de Batman se retournant contre eux pour  devenir des armes aux mains d’ennemis mystérieux.

Les auteurs vont ainsi puiser dans l’histoire « post-Crisis » de DC Comics (après 1986 et la refonte de leur univers) les bases du confit qui va les animer. Les visions de Superman évoquent ainsi ses ennemis passés mais également son plus grand échec : quand il dut se résoudre à tuer trois Kryptoniens renégats d’une dimension parallèle. Wonder Woman, elle, garde tout son calme quand elle s’oppose à l’Homme d’Acier, mais cette confiance en soi inébranlable, héritage de son éducation amazone, la fera franchir une limite de façon irréversible. Quant à Batman, sa méfiance persistante envers ses équipiers va le conduire à l’irréparable, mettant en danger la vie même de ceux qu’il aime.
Enfin, la Ligue de Justice elle-même va devoir assumer ses exactions  passées : le lavage de cerveau du Dr Light et d’autres super-vilains,  suite à l’agression de leurs amie, Sue Dibny (voir Justice League – Crise d’identité).
Ce sont les doutes et les faiblesses de ces surhommes trop humains qui vont constituer le principal moteur de ces cinq tomes. Au terme de ceux-ci, les héros et leur univers se verront modifiés à jamais…

[Critique]
Ce premier tome d’Infinite Crisis réussit un sacré tour de force en brassant tous les genres (aventure, thriller, drame, science-fiction…) avec un rythme sans faille (on ne s’ennuie jamais) et de nombreux rebondissements (peu prévisibles) tout en mettant en avant une galerie de protagonistes assez vaste mais sans jamais perdre le lecteur – aussi bien fan de longue date que le nouveau venu. Bref, c’est une excellente bande dessinée qui inaugure une saga (et une crise) de façon alléchante !

L’introduction captive d’emblée en usitant des techniques simples mais efficaces. D’abord l’empathie envers Ted Kord (second Blue Beetle) – à l’instar de Ralph Dibny (Extensiman) dans Crise d’identité, qu’on conseille de lire de base mais qui permet de comprendre pourquoi les relations sont tendus entre certaines personnes ici – qu’une majorité de lecteurs va probablement découvrir dans ce titre. On s’attache aisément à ce justicier de seconde zone (délaissé voire méprisé par les demi-dieux qui l’entoure) qui plonge au cœur d’une énigme. C’est justement le second point passionnant : les mystères, les meurtres… Qui se cache derrière tout cela ? On le sait assez rapidement : Max Lord à la tête de l’organisation Checkmate (qu’il a détourné de ses buts initiaux). Mais les apparences sont trompeuses et tout n’est pas aussi simple que cela.

Brillant homme d’affaires, Maxwell Lord cache un pouvoir surpuissant : il peut manipuler mentalement n’importe qui (ce qui lui cause des saignements de nez). Pourtant, le leader de Checkmate voue une haine envers les méta-humains et prévoit leur mort multiple grâce au fameux projet O.M.A.C. Derrière cet acronyme (Organisme Métamorphosé en Armée Condensée) se cache en réalité « l’Œil », un puissant satellite d’espionnage conçu par… Batman (et bien sûr l’inspiration du titre éponyme de Jack Kirby) ! Tout ceci est assez vite révélé dans le comic book. Fruit d’une réflexion (notamment car Bruce Wayne a découvert ce qu’il s’était passé durant Crise d’identité – on y revient toujours – et sait qu’une partie des justiciers a franchi une limite) et d’une conception technologique extraordinaire, « l’Œil » est détourné par Max Lord qui avance avec ses soldats (les fameux « pions » de l’échiquier / Checkmate) et son pouvoir en complément !

Une triple menace extrêmement dangereuse qui cause donc du tort aux super-héros. Si Blue Beetle est assassiné (ce qui est dévoilé sur la couverture du livre (illustrée par Jim Lee et Alex Ross) et dans les résumés [1] – c’est un peu dommage mais on le sent venir assez vite), c’est qu’il commençait à découvrir la vérité… De quoi rendre fous les meilleurs détectives qui ne comprennent pas ce qu’il se passe réellement. Incluant Batman lui-même qui peut peut compter sur la complicité de Sasha Bordeaux, son ancienne garde du corps et amante. Une femme créée et découverte dans New Gotham (rapidement dans le moyen premier tome et davantage dans le troisième et au cœur de la chouette saga Meurtrier et Fugitif – pas encore chroniquée sur ce site). Il n’est absolument pas important de ne pas connaître Sasha en amont.

Cette longue histoire (et investigation) est donc au cœur de ce premier tome où les personnages principaux sont surtout Blue Beetle puis Batman, Sasha et Max Lord, complémentés par Superman et Wonder Woman (Booster Gold et quelques Green Lantern sont de la partie aussi – l’héritage de la Justice League International en somme avec Guy Gardner, Fire…). L’homme d’acier est d’ailleurs au centre d’un récit intercalé, Sacrifice, qui le suit quelques jours durant lesquels il semble ne plus être lui-même. Pire : Superman a combattu Batman et l’a gravement blessé ! Clark Kent ne se souvient de rien…

Le puzzle (cérébral notamment, vaguement émotionnel) s’assemble au fil des chapitres, étalés sur près de trois cent pages. Entre une certaine audace (et prise de risque), le titre peut décontenancer par ce qu’il ose mais aussi par son absence de moments plus légers – même Crise d’identité avec quelques remarques humoristiques pour désamorcer un peu les situations, ce n’est pas le cas ici où la tonalité globale est sombre. Les menaces sont multiples et dangereuses, imprévisibles ; la fiction est jonchée de plusieurs cadavres et de tournures dramatiques inéluctables, des choix extrémistes, qui mettent à mal l’ADN de la figure héroïque.

Seule une partie de la conclusion semble un peu trop rapidement exécutée, un brin soudaine et manquant d’une dimension épique mais ce n’est pas très grave. Le récit arrive à emporter le lecteur aisément qui n’a qu’une envie : lire la suite une fois la dernière page tournée (même si la BD trouve une certaine « extension » à la fin grâce à des fiches de personnages fournies, sur Blue Beetle, Booster Gold, Green Lantern III, Fire, Sasha Bordeaux et Max Lord – sans compter les habituels bonus comme les couvertures alternatives, etc.).

À ce stade, Infinite Crisis n’a pas (encore) de réels enjeux cosmiques ou liés au multivers, on sent la ramification mais ce n’est pas dérangeant. On est davantage dans un polar de science-fiction voire un « techno thriller » (intelligence artificielle, nanotechnologies, satellite d’espionnage, conspiration…) enrobé par les traditionnels figures de DC Comics, à commencer par la Trinité, de plus en plus déshumanisée (ou désenchantée, c’est selon) – là aussi un aspect peut-être clivant pour certains.

Même si le titre remonte à 2005 il n’a pas pris une ride (à deux ou trois rares exceptions près) et demeure intemporel, résolument moderne (voire toujours tristement d’actualité) ! Il faut bien sûr savoir suspendre sa crédulité pour apprécier pleinement tous ces enjeux et des séquences un peu « faciles » (la manipulation mentale, une solution toujours un peu aisée pour justifier ce que l’on veut, l’avancée technologique parfois improbable, etc.). Il ne s’agit pas vraiment de défauts tant l’écriture est maîtrisée – haletante – avec une (petite) réflexion sur les limites héroïques (une introspection plus ou moins prononcée – à nouveau la morale mais aussi les erreurs d’icônes déifiés). Les seuls réels « points faibles » (on insiste sur les guillemets) seraient plutôt à trouver du côté des graphismes (on en parle plus loin).

Au niveau des crédit, c’est un sacré festival. Sur Compte à rebours on retrouve au scénario Geoff Johns, Greg Rucka et Judd Winick. Un trio de valeurs sûrs. Johns est devenu incontournable en parallèle de cette saga et également par la suite sur ses nombreux travaux : Geoff Johns présente Green Lantern / Superman / Flash, Batman – Terre Un, Flashpoint, DC Universe Rebirth, Doomsday Clock, Trois Jokers, Justice League… Rucka avait notamment magnifié l’univers du Chevalier Noir dans Gotham Central (on lui doit aussi plusieurs chapitres de No Man’s Land et ses suites dont New Gotham et Meurtrier et Fugitif, déjà évoqué plus haut, cf. cet index, mais aussi Joker – L’homme qui rit par exemple). Winick a signé, entre autres, L’Énigme de Red Hood et les premiers tomes de Catwoman. Trois auteurs habitué à Batman donc, et ça se ressent tant il occupe une place importante.

Comme annoncé plus haut, les dessins sont inégaux mais globalement de bonne facture, malgré un manque flagrant d’homogénéité graphique et des visages parfois peu élégants. Rags Morales, Ed Benes, Jesus Saiz, Ivan Reis et Phil Jimenez en sont les responsables pour cette introduction d’environ soixante-dix pages ! Heureusement, la mini-série Le projet O.M.A.C. conserve une cohérence visuelle. Greg Rucka signe l’intégralité des textes et Jesus Saiz les dessins, épaulé par Cliff Richards pour les trois derniers chapitres (tous colorisés par Hi-Fi). En revanche, les quatre épisodes de Sacrifice provenant de quatre séries différentes, on enchaîne sur (presque) quatre équipes artistiques différentes… Dans l’ordre (avec chaque fois le scénariste puis le dessinateur) : Mark Verheiden et Ed Benes (Superman #219), Gail Simone et John Byrne (Action Comics #829), Greg Rucka et Karl Kerschl ainsi que Derec Aucoin (Adventures of Superman #642), Greg Rucka et Rags Morales, Davis Lopez, Tom Derenick, Georges Jeanty et Karl Kerchl (cinq au total pour un seul chapitre !). Total de l’ensemble : douze dessinateurs, quinze encreurs additionnels et huit coloristes…

Cela n’empêche pas de reconnaître « qui est qui » (merci les costumes côté super-héros et le peu de têtes différentes côté humain) ni d’avoir quelques segments graphiques enlevées (souvent éclatées sur une double page) mais ça reste un brin dommage. Néanmoins, ce solide premier tome remplit toutes ses promesses (tout en en annonçant de nouvelles) et se relève donc incontournable dans la mythologie de DC (donc dans notre rubrique coups de cœur). Attention tout de même, à voir ce que donneront les quatre prochains volumes qui formeront donc l’entièreté d’Infinite Crisis. En attendant, cette salve d’ouverture est prometteuse et on en redemande !

[1] Le premier tirage de la couverture de Countdown to Infinite Crisis (vendu 1 $ les 80 pages) masquait l’identité du corps défunt que porte Batman. Dès le second tirage (passé à 1,99 $) la victime est révélée (Blue Beetle donc), cf. images ci-dessous. C’est la seconde qu’a choisi Urban pour son édition.

Le récit ouvrait sur quatre autres mini-séries : The OMAC Project (présent dans le même tome), Rann-Thanagar War et Villains United (inclus dans le second volume) et Day of Vengeance (dans le troisième). La « vraie » série Infinite Crisis (Crise infinie) est dispatchée dans les deux derniers opus.

   

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 12 septembre 2014.
Contient : Countdown to Infinite Crisis #1, OMAC Project #1-6, Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642 et Wonder Woman #219.

Scénario : Greg Rucka, Geoff Johns, Judd winick, Gail Simone…
Dessin : Jesus Saiz + collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Hi-Fi + collectif

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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