Joker

Publié pour la première fois début 2009 chez Panini Comics, le récit immédiatement culte Joker a été réédité par Urban Comics une première fois fin 2013 puis six ans plus tard dans la collection Black Label. En octobre 2020 l’éditeur offrait la version noir et blanc de Joker pour l’achat de deux comics issus du Black Label ! Retour sur un comic-book percutant, rappelant la version Joker incarnée par Heath Ledger dans le film The Dark Knight.

[Résumé de l’éditeur]
Le Joker rit. Il vient tout juste d’être libéré de l’asile d’Arkham. Pourtant, le célèbre baron du crime est loin d’être euphorique. En son absence, les fripouilles de son petit gang se sont partagé son territoire avant de revendre leur part pour une bouchée de pain. Mais aujourd’hui, le patron est de retour en ville, bien décidé à récupérer ce qui lui appartient. Entraînant dans son sillage le loyal Johnny Frost, la sanglante parade du clown farceur pour la reconquête se met en marche.

[Histoire]
Quand le Joker sort d’Arkham, seul Johnny Frost se porte volontaire pour aller le chercher. Cette « petite frappe » rêve de gloire et d’être craint, voilà l’occasion parfaite. Fasciné par le Clown Prince du Crime mais aussi effrayé, Frost l’accompagne dans son retour à Gotham et ses vengeances contre d’autres rivaux. Le Joker et ses sbires, incluant Killer Croc, doivent en effet reprendre le contrôle de la ville en affrontant ou s’associant avec Double-Face, le Pingouin, le Sphinx

[Critique]
Joker
est une grande réussite à tous points de vue mais peut être particulièrement clivant à cause de son double, voire triple prisme artistique et narratif choisi. Le narrateur principal est un parfait inconnu (Johnny Frost), on le suit tout au fil de la fiction d’environ 120 pages. Un parti pris qui aide à se mettre à hauteur « humaine » pour mieux comprendre l’aura qui entoure le Joker (et Batman). C’est une approche risquée car on perd en éventuelle empathie (difficile de s’attacher à Frost). De la même manière, c’est bien le célèbre Joker qui est aussi au cœur du livre (le titre ne ment pas) : il n’y a pas de place pour Batman (quelques courtes apparitions, notamment vers la fin). Cela semble une évidence mais les férus du Chevalier Noir pourraient être déçus s’ils s’attendaient à voir le justicier et sa némesis uniquement.

Enfin et surtout, le style graphique de Lee Bermejo peut rebuter certains. L’artiste nous propose un ensemble particulièrement « réaliste » : pas de fantaisie ou d’éléments qui ne pourraient pas exister dans notre propre monde (même Killer Croc a davantage son apparence humaine qu’animale — initialement une maladie lui confère son côté reptilien). Appuyée par une colorisation peu criarde (magnifique travail de Patricia Mulvihil) et, là aussi, relativement proche de notre réalité, la bande dessinée tranche radicalement avec bon nombre de productions « classiques ». Ambiance oppressante, univers lugubre, urbanisme sale… c’est une véritable plongée macabre qui attend le lecteur !

Si ces points ne dérangent pas (ils sont au contraire très séduisants), aucun doute que Joker est un incontournable. Brian Azzarello donne vie au célèbre criminel insaisissable : on ne sait toujours pas s’il est réellement fou ou intelligent (c’est parce qu’il a été déclaré « sain d’esprit » qu’il aurait été libéré !). Cela rappelle bien sûr le long-métrage The Dark Knight, qui mettait en scène un Joker davantage « sérieux », interprété par feu Heath Ledger. Un modèle d’écriture donc, mais aussi visuel car Bermejo semble emprunter ce qui caractérisait le Clown à l’écran. Le premier texte en quatrième de couverture de l’édition d’Urban Comics stipulait même « […] Une vision du Joker très proche du personnage interprété par Heath LEDGER dans The Dark Knight. »

De l’importance du choix des mots car aux États-Unis le film est sorti en juillet 2008 et le comic-book en octobre 2008. Une affiche promotionnelle du Joker avait même été dévoilée lors d’une avant-première de The Dark Knight. Difficile donc de savoir si le binôme d’artiste s’est inspiré de la version cinéma mais à priori pas plus que ça vu les dates de sorties trop proche (la réalisation des deux a probablement eu lieu en même temps) ! Le projet initial devait d’ailleurs être une mini-série, intitulée Joker : Dark Night (Joker : nuit noire), un titre qui ne se démarquait peut-être pas assez du film et aurait compliqué la promotion ? Peu importe, factuellement il est vrai que le Joker de la bande dessinée rappelle celui du long-métrage mais que ce n’est en aucun cas un défaut (ni un plagiat).

Récit hors-continuité, donc particulièrement accessible, Joker laisse peu de place à des moments de pause, tout s’enchaîne brillamment et on ne peut que déplorer l’incursion trop brève dans ce « nouvel univers » Gothamien. Il faudra attendre 2019 avant de s’y replonger, du point de vue de Batman et Constantine cette fois, dans Batman – Damned , une suite indépendante à ce Joker mais tournée vers le mysticisme, donc (malheureusement) éloignée du côté thriller crasseux réaliste.

Dans Joker, le lecteur s’attend à tout moment à ce que Johnny Frost [1] trépasse, on guette avec autant d’excitation que d’appréhension les moments où le Clown basculera dans un énième moment de folie destructrice. Frôler la quasi-intimité du Joker par l’intermédiaire d’un homme de main est une idée simple mais brillamment exécutée. Parfois dérangeant, parfois alléchant (les fans de Harley Quinn devraient aussi y trouver leur compte le temps de quelques cases — un peu « gratuites certes »), le livre est clairement un coup de cœur. L’intrigue reste basique mais efficace, l’ambiance poisseuse y joue beaucoup avec son concept de suivre « au plus près » un génie du Mal déjà bien connu. Imprévisible, le criminel n’a pas de limites, si bien que certaines scènes peuvent être insoutenables et l’ensemble malsain (que ce soit par des meurtres hyper violents, des représentations gore ou… un viol suggéré, à défaut d’une relation sexuelle payée par le Joker — l’ambiguïté demeure).

Nul doute que Joker a contribué à façonner le mythe au cours de la décennie suivant sa parution et s’avère indispensable pour les fans du criminel. Les lecteurs ont probablement en mémoire quelques cases ou planches marquantes (le Joker sortant de l’asile, le Joker avec son propre pistolet dans la bouche, Harley Quinn strip-teaseuse, le Joker remontant sa braguette en sortant de la voiture, un couple tué dans leur lit où le Joker prend place ensuite, un macchabée pendu par les pieds avec un trou au milieu du visage, Harvey Dent agenouillé suppliant Batman de l’aider, le visage apeuré de Frost à de multiples reprises, la peau enlevée sur un homme encore en vie, la scène finale, etc.). Outch !

La version Black Label contient un texte introductif rappelant le parcours éditorial du Joker et le pitch du projet initial en fin d’ouvrage, ainsi qu’une BD parodique de deux planches, Joker et Lex, réalisée durant l’été 2010 en hommage au célèbre titre Calvin et Hobbes de Bill Waterson. Chacun expliquant sa définition de génie du mal. De nombreuses illustrations en noir et blanc, soit pour la recherche, soit dans leur version encrée (par Bermejo lui-même, continuant l’aspect proche d’Alex Ross voire d’un « photoréalisme », ou Mick Gray, lorgnant davantage vers les comics — ce qu’on constate aussi en couleur) régalent les rétines. On conseille d’ailleurs aussi la version noir et blanc pour les chanceux qui ont réussi à se la procurer tant elle propose une immersion nouvelle. Dans une ambiance singulière, moins « glauque » que la couleur mais tout autant voire davantage « effrayante ». L’impression de découvrir un vieux polar…

Pour les amoureux du style inimitable de Lee Bermejo on conseille ses autres œuvres, parfois co-signée avec Brian Azzarello d’ailleurs. Toujours dans l’univers DC Comics, la « suite » de Joker, nommée Batman – Damned est moins convaincante à cause de son incursion dans l’ésotérisme, perdant la brutale radicalité crasse de l’opus précédent, mais somptueuse au niveau des dessins bien sûr.

Batman – Noël vaut lui aussi le détour, réinventant un conte de Charles Dickens sous un filtre « Gothamien ». L’excellent récit complet Lex Luthor est également recommandé, deuxième production collective avec Azzarello après Batman/Deathblow – Après l’incendie (dont on attend toujours une réédition chez Urban Comics à prix décent). Hors super-héros, la série Suiciders (en deux tomes) est aussi appréciable et de qualité selon les critiques.

Bermejo s’est emparé du célèbre Rorschach pour le segment Before Watchmen consacré à ce dernier (disponible en tome simple ou en intégrale), ses dessins sauvent un scénario plutôt convenu. La critique est disponible sur ce site, créé par l’auteur de ces lignes et spécialement conçu pour ces comics se déroulant avant Watchmen.

Enfin, pour se plonger dans le travail de l’artiste, rien de mieux que le beau livre Lee Bermejo Inside – En terrain obscur, toujours chez Urban Comics et arborant, justement, le célèbre Clown du Crime en couverture. C’est aussi un de ses dessins du criminel qui trône fièrement sur celle de Tout l’art du Joker, magnifique compilation graphique sur la némésis de Batman.

Bermejo a croqué quelques chapitres ici et là pour DC Comics (diverses séries sur Batman et quelques unes sur Superman…), Vertigo (100 Bullets, Hellblazer…), Wildstorm (Gen¹³, Wildcats…) et un peu de Marvel (Daredevil, X-Men…) mais il signe généralement de nombreuses couvertures, variantes ou non, de multiples séries (outre celles déjà évoquées, ajoutons Checkmate et Fight Club 2 entre autres).

[1] Pour l’anecdote, Johnny Frost a été aperçu dans un rôle très secondaire dans le film Suicide Squad.

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[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 29 novembre 2013 puis réédité dans la collection Black Label le 27 septembre 2019.
Précédemment publié chez Panini Comics le 18 février 2009.

Scénario : Brian Azzarello
Dessins : Lee Bermejo
Encrage : Lee Bermejo et Mick Gray
Couleurs : Patricia Mulvihil

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Studio MAKMA

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