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Batman – One Dark Knight

Un récit complet en trois chapitres, un dessinateur talentueux (Jock) qui s’essaie pour la première fois à l’écriture, une fiction dense et rythmée… One Dark Knight est proposé dans le DC Black Label, permettant aux non initiés de s’emparer de cette nouvelle œuvre sur Batman tout en ne l’inscrivant pas forcément dans la chronologie officielle du Chevalier Noir. Mais ce one-shot (prévu le 28 octobre prochain) vaut-il le coup ? Le voyage graphique assurément, le scénario nettement moins. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
C’était le genre de mission que Batman avait mené des centaines de fois : escorter la police de Gotham tandis qu’elle transférait le criminel connu sous le nom d’E.M.P. dans la prison de Blackgate. Les pouvoirs électriques du méta-humain représentaient une menace certaine, mais la situation semblait sous contrôle. Jusqu’à ce que tout dérape. À présent les rues chaudes de la ville ont sombré dans l’obscurité la plus totale, toutes les lumières se sont éteintes, la police est aux abois et le Chevalier Noir doit se frayer un chemin au cœur du pénitencier le plus dangereux au monde. Sans compter qu’à Blackgate, chaque recoin cache une nouvelle surprise, et l’aube ne semble pas près de poindre…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, le résumé de l’éditeur suffit.

[Critique]
Une nuit. C’est la durée qui s’écoule pour cette aventure de Batman, habilement rythmée grâce à ce resserrage temporel relativement court. Au cours des trois épisodes s’étalant sur cent cinquante pages environ (Un été en ville, Choisir les pistes, On ne peut pas fuir éternellement), le Chevalier Noir doit assurer la protection d’un ennemi inédit : Edward M. Pressler. Initiales : E.M.P., comme pour EletroMagnetic Pulse, soit une Impulsion Électromagnétique en français (IEM) – les fans de Matrix connaissent probablement bien. Un criminel conçu spécialement pour la BD au nom sans grande subtilité puisque ce cher Edward a le même « pouvoir » que ce que son acronyme laisse penser. Ainsi, l’homme méta-humain peut absorber l’électricité autour de lui et donc en priver les citoyens (et par extension les bâtiments, la logistique routière…).

Cela permet à l’auteur-dessinateur de proposer son road trip Gothamien dans un noir quasi-total (rappelant brièvement aussi bien le fameux black-out de L’An Zéro fomenté par le Sphinx que le transfert du Joker dans le film The Dark Knight – dont le titre du comic ici rend peut-être hommage, jouant sur le terme Night (nuit) / Knight (chevalier), à nouveau sans grande subtilité mais ce n’est pas très important). Durant cette course effrénée, le justicier escorte son prisonnier sans artifice, sans véhicule, à mains nues (en le portant !), nouant une semi-complicité avec lui. On y retrouve l’ADN du Batman moderne de ces dernières décennies : un justicier seul aux commandes (vaguement épaulé par Gordon et Alfred – ce dernier vite en retrait faute d’électricité et donc de communication), une approche violente mais toujours une empathie pour la personne qu’il protège, en l’occurrence ici un criminel qui peut difficilement contrôler ses pouvoirs.

Jock rend un puissant hommage à la métropole du Chevalier Noir. Rarement Gotham City n’aurait été aussi magnifiée pour être le terrain de jeu – le temps d’une nuit donc – pour la mission de Batman. Ruelles, ponts, immeubles, égouts… la dimension urbaine est au premier plan tout du long, sans pour autant y apporter une touche de fantaisie, du registre merveilleux ou gothique ; c’est-à-dire qu’il pourrait s’agir de New-York ou n’importe quelle autre ville des États-Unis que ça n’aurait pas changé grand chose, in fine, graphiquement parlant – mais ce n’est clairement pas grave.

Si le récit tient la route, on ne peut s’empêcher d’y trouver quelques facilités narratives et des segments qui empêchent One Dark Knight de devenir au mieux incontournable (comme ce fut le cas récemment pour Imposter par exemple), au pire un coup de cœur. En effet, l’auteur dessinateur se défend de piocher dans la grande galerie des prestigieux ennemis de l’homme chauve-souris en proposant donc ce fameux Edward/EMP à qui on ne s’attache pas vraiment malgré la tragédie vécue par ce dernier et les conséquences qui connecteront d’autres personnages secondaires à son histoire.

Jock fait juste apparaître Killer Croc quelques temps et on se dit qu’avec son style graphique (on y reviendra), on aurait tellement aimé le voir animer des figures emblématiques qui se seraient complètement prêtés aussi au jeu de cette histoire (Edward n’est pas forcément interchangeable avec son pouvoir mais n’importe quel vilain aurait pu faire sauter des générateurs et plonger Gotham dans le noir et le chaos). Jock (Mark Wilson de son vrai nom) s’essaie pour la première fois au rôle de scénariste et si globalement tout fonctionne (le rythme comme déjà dit, les dialogues, la compréhension générale de l’œuvre…), on est quand même un peu déçu de ne pas y trouver un élément qui aurait propulsé le titre comme une lecture indispensable.

On est donc mitigé par le scénario, assez convenu (un évènement dans la conclusion relance un peu l’intrigue même si on pouvait le prévoir aisément) et pas très marquant… Heureusement, il y a l’alléchante patte visuelle qui est un régal pour les amateurs de Jock ! Il avait illustré Sombre Reflet, Le Batman Qui Rit et de nombreuses couvertures (notamment pour la série All Star Batman, où il signait aussi quelques planches pour le deuxième tome), le hissant parmi les artistes se démarquant des productions habituelles des comics grâce à son travail si particulier – le plus abouti ici (cf. les nombreuses images de cette critiques). Parmi ses réussites, citons le superbe Green Arrow – Année Un et la série The Losers.

Son style singulier enchaîne les traits anguleux (rappelant un peu ceux de Sean Murphy, cf. White Knight), un découpage fluide et une brutalité graphique jouant sur le sombre avec quelques tonalités chromatiques détonantes (évoquant cette fois Andrea Sorrentino, cf. Imposter cité plus haut). Les deux tiers du titre se déroulent quasiment « dans le noir », chaque brève source lumineuse ou effusion de sang fait mouche ! On perçoit quelques hommages à Frank Miller également. Les dessins (encrage et colorisation inclus – tous assurés par Jock) sont donc sans surprise LE point fort de l’ouvrage. Et clairement pour dix sept euros il serait dommage de se priver !

One Dark Knight ne parvient donc pas à se hisser comme un récit complet incontournable mais reste une balade visuelle irréprochable, emmenée par des planches atypiques, où se mêlent ombres et noirceur nocturne avec de fulgurances éphémères écarlates ou solaires. De ce contraste de l’ambiance froide globale, légèrement bleutée, résulte une élégante bande dessinée à la trame (narrative) agréable mais oubliable. Le livre se referme sur les traditionnelles couvertures alternatives, on aurait aimé quelques mots de l’auteur ou des travaux de recherche et étapes de travail, pourtant présents dans l’édition VO. En somme, si vous êtes fan de l’univers de Jock ou si les illustrations présentes dans cette chronique vous séduisent, aucun doute que vous allez apprécier, si vous êtes plus exigeants sur l’écriture ou espériez un titre qui fera date, vous risquez d’être déçus…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 28 octobre 2022.
Contient : Batman : One Dark Knight #1-3

Scénario et dessin (et encrage/couleur) : Jock

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Éric Montésinos

Acheter sur amazon.fr : Batman – One Dark Knight (17 €)

 




All Star Batman – Tome 2 : Les fins du monde

Après un premier tome en demi-teinte, la série All Star Batman se poursuit dans un second volume (sur trois) plus que passable… Explications.

[Résumé de l’éditeur]
Un fléau menace la planète : le résultat d’un plan méticuleusement pensé par un redoutable adversaire du Chevalier Noir. Affrontant tour à tour Mister Freeze, Poison Ivy et le Chapelier Fou, Batman tente de remonter la piste de ce criminel de grande envergure. De son côté, Duke Thomas perfectionne ses talents de détective face au terrible Sphinx !

[Critique]
À l’instar du tome précédent, le résumé d’Urban Comics relate parfaitement ce court volume puisque les quatre chapitres se composent tous d’une histoire mettant en scène le Chevalier Noir et un de ses ennemis. C’est Mister Freeze qui ouvre le bal, solidement croqué par un Jock en bonne forme qui cristallise avec brio le célèbre antagoniste de glace. Le style graphique si singulier de Jock (Sombre Reflet, Le Batman Qui Rit…) fait mouche, sublimé par des teintes bleutées épousant la blancheur du lieu et des personnages avec de rares touches d’autres couleurs. Et heureusement que les planches sont un régal car le scénario de Scott Snyder est verbeux, dense, confus, etc. in fine peu intéressant. Seule sa conclusion permet d’avancer un peu…

… et de rebondir dans un tout autre univers, celui de Poison Ivy, cette fois dessiné par Tula Lotay avec une approche radicalement différente de son prédécesseur mais toujours avec une patte atypique et inédite parmi les productions de comics. À l’ambiance plus chaude (forcément), on ne retient à nouveau pas grand chose du rapide affrontement entre Pamela Isley et Batman.

Suit un troisième épisode, cette fois croqué par Giuseppe Camuncoli et érigeant le Chapelier Fou en vilain à combattre ; comme d’habitude, dans une séquence onirique singeant Alice au pays des merveilles… Graphiquement, Camuncoli se démarque moins et reste plus convenu dans son style mais toujours au-dessus de la masse de l’industrie.

La conclusion de ces trois récits se déroule dans un quatrième chapitre à nouveau signé Jock et à l’ambiance plus sombre. Tout converge vers un quatrième ennemi célèbre (que nous ne dévoilerons pas) avec plus ou moins de cohérence mais, hélas, peu d’enthousiasme. Depuis le début on ne croit pas à grand chose et on ne se passionne guère pour cette aventure « exotique ». Faute à une succession de dialogues ou textes narratifs pompeux voire inutiles (alors qu’il n’y avait pas besoin pour faire simple et aller à l’essentiel), surtout, pas très excitant avec un sentiment de déjà-vu. On s’ennuie et on décroche plus qu’autre chose dans cette évolution un brin convenu, la dernière ligne droite rehausse un peu l’ensemble, malgré ses improbabilités, mais c’est loin d’être suffisant !

En marge de cette histoire principale, les back-ups de la série montrent l’évolution de Duke Thomas, face au Sphinx cette fois (après Zsasz dans le premier opus). Dessiné par Francesco Francavilla (complice de Jock sur Sombre Reflet), c’est un complément appréciable et bien plus passionnant que la série mère. L’occasion de croiser Daryl/M. Bloom aussi (issu de La Relève). Dommage que la finalité de l’intrigue soit décevante et appelle à une suite (qui… ne sera dans le troisième opus, un comble !).

Les fins du monde est donc un volume (nommé « cycle » dans sa version magazine) qui séduit par ses illustrations sortant des sentiers battus mais qui peine à convaincre par son scénario, notamment ses multiples dialogues, inutilement denses et un peu confus, comme souvent chez Scott Snyder (en particulier dans sa saga Batman Metal). Si le premier tome n’était pas parfait, il avait le mérite d’offrir un divertissement honorable et sympathique ; ce n’est pas le cas ici du second volume, davantage pénible et bavard malgré son élégante proposition graphique…

[À propos]
Publié par Urban Comics le 2 mars 2018. Précédemment publié dans Batman Rebirth #8 à #11 (janvier à avril 2018).

Contient All-Star Batman #6-9

Scénario : Scott Snyder
Dessin : Jock, Tula Lotay, Giuseppe Camuncoli, Francesco Francavilla
Encrage additionnel : Mark Morales
Couleur : Matt Hollingsworth, Tula Lotay, Dean White, Lee Loughridge, Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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Le Batman Qui Rit

Article récapitulatif sur l’univers de la série et ses conséquences.

Apparu dans Batman Metal, le personnage charismatique du Batman Qui Rit poursuit sa croisade contre Batman/Bruce Wayne dans un volume indépendant qui se déroule après la fin de la série mère (le volume trois de Metal donc). Toujours écrit par Scott Snyder, que vaut cette incursion ?

 

(À gauche, la couverture classique, dessinée par Ben Oliver,
à droite la version croquée par Jock pour l’édition limitée en vente au Comic Con 2019 de Paris.)

[Histoire]
Le Batman Qui Rit a survécu à son combat contre Batman et le Joker. Il débarque à Gotham City avec un nouveau Bruce Wayne maléfique : le Grim Knight. Dans le monde initial de ce Chevalier Noir, ce Bruce/Batman utilise des armes à feu et tue de sang-froid tous les criminels (il avait abattu Joe Chill avec sa propre arme juste après le meurtre de ses parents).

Le Batman Qui Rit et Grim Knight ont un double plan. D’un côté faire de Bruce Wayne un nouveau Batman Qui Rit en le fusionnant avec une toxine du Joker qui se libère une fois qu’il meurt. D’un autre évidemment détruire la ville…

Plusieurs cadavres sont retrouvés par Batman : tous ont son ADN et sont donc des Bruce Wayne provenant d’autres mondes. Qui sont-ils exactement et pourquoi sont-ils arrivés ici ?

[Critique]
Un des rares éléments les plus réussis de Batman Metal était le fameux Batman Qui Rit (et ses fameux Chevaliers Noirs). On se plaît donc à le revoir ici au premier plan, face à « notre » Batman. Les huit chapitres qui forment ce volume unique (qui appelle à une suite mais peut effectivement être lu de façon indépendante) sont une plongée violente et passionnante dans une course contre-la-montre, certes tirée par les cheveux (comme souvent chez le même auteur, Scott Snyder), mais dotée de bons ingrédients.

On retrouve en premier lieu un triptyque efficace contre le Mal : Batman, Alfred et Gordon. Ce côté « à l’ancienne » est accentué par la présence quasi mystique du Joker et du Grim Knight. Cela forme une approche très terre-à-terre et brutal, très efficace puis paradoxalement rejointe par l’aspect horrifique, fantastique et presque science-fiction du Batman Qui Rit. Un mélange des genres plutôt bien géré.

Malgré certaines qualités narratives (l’originalité du début — sincèrement réussi —, l’empathie envers les personnages…), d’autres séquences d’écrituer viennent plomber un peu le récit. Le dernier tiers du livre est interminable et confus. Snyder retombe dans ses explications alambiquées et vers un statu quo somme toute classique (comme trop souvent avec lui, hélas). Le scénariste continue aussi d’explorer son propre BatVerse avec cette « incompréhensible » Cour des Hiboux (vite mise hors-jeu pourtant, donc presque figurante) et Gotham elle-même dans un rôle majeur.

On trouve (avec malice) dans cette histoire une suite plus ou moins officielle à l’excellent Sombre Reflet, première histoire du Chevalier Noir écrite par Snyder et dessinée également par Jock. En effet, James Gordon Jr. tient un rôle important ici, permettant de voir ce qu’il était devenu. Bouclant ainsi la boucle, comme le laisse entendre l’auteur en avant-propos. Il explique aussi que Le Batman Qui Rit se déroule en parrallèle de son autre série qu’il scénarise : New Justice. Nul besoin de la connaître pour comprendre les éventuelles connexions (à chaud on en voit même aucune si on est vierge d’informations sur New Justice).

Le dessinateur Jock livre des dessins de bonnes factures avec son style inimitable : ses traits anguleux, droits et sa violence graphique. Malheureusement, il n’est pas au sommet de son art (cf. certaines illustrations de cet article, avec une petite galerie à la fin — même si les plus « belles» ont été sélectionnées —, et à l’exception de l’image ci-après et d’une autre, facilement identifiables, signées Eduardo Risso). La faute aussi à des décors parfois pauvres ou des fonds vides et à peine colorisés. Il manque quelques dessins en pleine planche ou double-pages où Jock aurait laissé son talent casser les rétines des lecteurs. Attention, ce n’est pas raté, loin de là (à nouveau se référer aux images de ce papier), mais quand on connaît le travail de l’artiste, on est un petit peu déçu de ne pas le voir déployer plus grandement son art.

Néanmoins l’ambiance sombre de l’ensemble est un des points forts du comic-book. Par contre le lettrage et la colorisation de celle-ci sont un point faible, car cela donne parfois du texte rouge sur fond noir ou gris plutôt illisible. À l’image de l’antagoniste croqué de façon brouillonne en fin de volume (un effet volontaire mais qui tombe à plat). Eduardo Risso (Cité Brisée, Dark Night…) assure le chapitre consacré au Grim Knight, dans deux styles nettement différents et bienvenus.

Le Batman Qui Rit mérite le détour pour ceux qui veulent connaître ce personnage en évitant la lecture indigeste (et coûteuse d’une certaine façon) des trois volets de Batman Metal — on peut tout de même en lire le second tome puis celui-ci. Étonnamment accessible, sa première partie est franchement plaisante, rappelant et offrant une suite à Sombre Reflet, comme un polar efficace. Sa seconde partie, hélas, est interminable, inutilement compliquée et parfois bâclée. L’ensemble reste prenant tout de même avec beaucoup d’action, un rythme en demi-teinte et une certaine approche de l’horreur, tranchant radicalement avec les aventures « classiques » du Chevalier Noir.

Le Batman Qui Rit reviendra en 2020 nous informe la dernière page, il s’agit du « tome 2 » : Les Infectés, prévu en avril prochain (même si aucun numéro n’est écrit sur le livre, de même que sur celui-ci).

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 15 novembre 2019.

Scénario : Scott Snyder (avec James Tynion IV pour The Grim Knight)
Dessin : Jock (Eduardo Rysso pour The Grim Knight)
Couleurs : David Baron et Dave Stewart

Traduction : Edmond Tourriol
Lettrage : MAKMA (Stephan Boschat, Sabine Maddin)

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Le Batman Qui Rit