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Batman : Detective – Tome 4 : Un cœur hideux

Après deux tomes très moyens (Mythologie et Médiéval) et un troisième plus réussi mais inégal (De sang-froid), Urban Comics nous propose un opus en demi-teinte : une couverture un brin mensongère (c’est Double-Face qui au cœur de l’ouvrage et non le Joker), plusieurs histoires indépendantes (dont une non publiée dans Batman Bimestriel et donc inédite jusqu’à présent) et une composition étrange… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Alors que Mister Freeze déchainait des vagues de froid sur Gotham pour récupérer sa femme, Nora, Batman finit par réussir à le neutraliser et le remettre à sa place : l’Asile d’Arkham. Mais dans l’ombre, une nouvelle menace grandit. Harvey Dent joue à Pile ou Face avec le destin des citoyens de Gotham, et créé une secte pour mener la ville à sa perte…

[Début de l’histoire]
Pas besoin de décrire davantage, mieux vaut se tourner vers la critique ci-après pour découvrir chaque segment narratif proposé…

[Critique]
Difficile de comprendre la logique de composition de cet avant-dernier tome de la série Batman : Detective. Un cœur hideux se divise de la façon suivante : Prologue (Detective Comics Annual #2), Survivor – très proche du titre d’un arc du tome précédent – en deux chapitres (Detective Comics #1018-1019), Un cœur hideux en trois épisodes (Detective Comics #1020-1022), interrompu après seulement un épisode par un interlude (le Detective Comics Annual #3 – qui n’a strictement rien à voir avec le reste de l’histoire) et, enfin, Prélude à Joker War découpé sobrement en quatre parties (Detective Comics #1023-1026) dont la première moitié fait suite à Un cœur hideux. Quel bazar !

Il convient donc de décrire chacune de ces quatre histoires – dont la dernière se déroule quasiment sur trois axes distincts – afin de mieux cerner l’ouvrage et comprendre de quoi il en retourne. Tout est à nouveau écrit par le scénariste Peter Tomasi, à moitié coincé entre les obligations éditoriales (de Joker War) et son run qu’il tente tant bien que mal de rendre indépendant entre chaque volume, cassant à la fois un rythme déjà décousu mais permettant de ne pas « tout lire » et ne garder que le meilleur. Problème : à part l’histoire avec Freeze dans le volet précédent, il n’y a pas grand chose à sauver au global. C’est un peu pareil ici, les complétistes apprécieront les connexions à Joker War mais regretteront le passage à la caisse onéreux pour lire uniquement cela – on en reparlera.

Dans Prologue, l’auteur nous emmène en Grèce où Bruce Wayne/Batman retrouve… le Faucheur ! Le charismatique ennemi instauré dans Year Two / Année Deux semble en effet de retour. Travis Moore et Max Raynor croquent cette enquête pleine d’action avec une certaine élégance et une production relativement mainstream. Visuellement, c’est donc agréable. Scénaristiquement c’est plus délicat : l’identité de ce nouveau faucheur est connecté au précédent mais avec une création propre à la fiction donc un élément sorti de nulle part… De quoi user d’un élément retcon (continuité rétroactive – insérer un personnage ou autre dans une suite d’histoire en faisant croire qu’il était là depuis le début).

Ce n’est pas forcément gênant en soi mais ici c’est très frustrant car Prologue ne débouche sur rien d’autre que l’introduction de ce « nouvel » antagoniste. Batman ne l’arrête pas et on ne le revoie plus du tout ensuite (dans le tome) alors qu’il a été présenté en ouverture du livre. De même que Sophia Zervas, visiblement ancienne relation de Bruce Wayne, qui apparaît comme si le lecteur la connaissait de longue date (alors qu’elle a été créée pour cet épisode) puis est mise en retrait… Là aussi c’est dommage, à moins que tous deux (Sophia et le Faucheur) reviennent ultérieurement ? Seul le fameux « dossier noir » – carnet où Batman consignes ses aventures non résolues, relevant d’intrigues surnaturelles ou étranges, conçu par Grant Morrison dans sa saga – reviendra dans le tome suivant. Dans tous les cas, cet épisode n’a pas vraiment sa place ici, complètement indépendant du reste et n’apportant rien à l’opus en lui-même…

Survivor (plus justement nommé Hiver mortel dans Batman Bimestriel) est probablement le pire segment du livre voire de la série. On y suit un viking (!) puis une secte parlant islandais et adorant une sorte de Dieu démoniaque, qui se matérialisera à Gotham sous une forme de créature géante. Les dessins de Scott Godlewski ne sauvent pas la bande dessinée, assez plate et improbable. Batman affronte l’ensemble et on enchaîne sans rien retenir de ce court récit si ce n’est la solitude du milliardaire devant compenser avec l’absence d’Alfred – tué en parallèle dans l’autre série Batman, dans le douzième et dernier tome de Batman Rebirth. Là aussi, on est surpris du manque de contextualisation d’Urban Comics car dans l’histoire précédente (Prologue), Alfred était bien présent (normal, elle a été publiée avant… mais il faut le savoir !). Il est nécessaire d’attendre l’interlude quelques pages plus tard, consacrés à Alfred, pour comprendre ce qu’il s’est passé.

C’est en effet le chapitre Detective Comics Annual #3, jamais publié auparavant, qui donne la part belle au célèbre majordome. Pas de sanglots ou tristesse aisément mise en scène mais un épisode hommage pas trop mal où Bruce Wayne rencontre l’agent Marigold Sinclair, ancienne co-équipière d’Alfred. On navigue dans le passé avec un Pennyworth en action et dans le présent avec une mission s’y connectant où le Chevalier Noir en costume prend le relai. Si le chapitre ne révolutionne pas la mythologie de Batman (ou d’Alfred), il propose une parenthèse sympathique – agréablement croquée par Sumit Kumar puis une courte seconde par Eduardo Risso (Cité Brisée…), étonnamment pas crédité – et délicatement émouvante sans tomber dans le pathos. En revanche, on s’étonne de la voir proposée au beau milieu des trois chapitres d’Un cœur hideux centrés sur… Double-Face !

En effet, Tomasi reprend Harvey Dent pour une aventure en demi-teinte. On retrouve Double-Face toujours tiraillé entre sa personnalité maléfique et bienveillante, cette fois accompagné… d’une secte. L’ancien procureur semble être un gourou criminel avec plusieurs sbires à ses ordres. Au lieu d’avoir des hommes de main « classiques », Double-Face a réellement des malfrats adeptes d’une croyance « au nom de nous deux » (forcément), formant un tout unique. Un délire assez ridicule (même après les vikings chamaniques) qui n’a pas vraiment sa place dans l’aventure…

Le scénario gagne en intérêt essentiellement dans sa conclusion, quand il est connecté à un autre titre du même scénariste (Batman & Robin – Tome 5 avec la tentative de suicide de Dent) et, surtout, quand on comprend que le Joker a mis une puce dans le cerveau de Dent grâce à Strange, ouvrant l’ensemble sur les prémices de Joker War. Graphiquement, c’est Brad Walker qui officie sur Un cœur hideux, livrant de belles propositions avec, entre autres, un visage de Double-Face proprement… hideux. C’est ce qu’on retient surtout du titre : les dessins et sa fin…

Dans la première partie de Prélude à Joker War, on suit le Clown Prince du Crime ouvrir la tombe de Lincoln March, célèbre ergot de la Cour des Hiboux. En même temps, Batman poursuit son enquête sur L’Église des Deux (initiée par Double-Face) et, après avoir croisé Hugo Strange et le Chapelier Fou, il renoue avec Harvey Dent, porteur de l’armure robotique de Batman, à l’époque où c’était Gordon qui l’endossait (cf. La Relève et ce costume high-tech surnommé Chappie).

La deuxième partie – intitulé Terrible symétrie dans la version kiosque mais pas dans la version librairie – montre tout ce beau monde s’affronter (les ergots, Batman, Double-Face en armure, etc.). Le Joker observe au loin, fier d’avoir utilisé plusieurs sérums (le sien, celui de la Cour des Hiboux…) pour concevoir ce « début de chaos ». Mais le plus intéressant reste la conclusion de l’arc sur Dent qui arrive à terme après cinq épisodes donc, lui rendant une humanité intéressante. C’est à nouveau Brad Walker qui dessine ces deux épisodes, offrant une homogénéité graphique à tout l’arc sur Dent, mais très inégal côté écriture…

Vient ensuite la troisième partie de Prélude à Joker War (nommée L’attaque des entreprises Wayne dans Batman Bimestriel) où Batwoman est propulsée au cœur du récit dans « la zone de guerre » de Gotham créée par le Joker. Comment ? Pourquoi ? On ne le saura pas vraiment… Il semble y avoir une ellipse temporelle avec plusieurs éléments qui échappent au lecteur. Ce qui n’est malheureusement pas anormal car l’entièreté de la saga Joker War a été éparpillée dans plusieurs titres (magazines et librairies). Une mise à jour d’un article récapitulatif sera proposé prochainement sur ce site afin de ne pas s’y perdre… Sans surprise, le titre renvoie aussi au dernier volume de Batman Detective Comics qui avait montré la séparation de Batwoman et du Chevalier Noir.

Enfin, dans la quatrième et dernière partie de Prélude à Joker War, le Chevalier Noir affronte Killer Croc et plusieurs de ses complices : des anciens humains transformés en animaux. L’ensemble est censé se conclure dans le cinquième et dernier tome de Batman : Detective. On ne voit pas non plus trop le rapport avec Joker War (pour cause, le titre de cet épisode était simplement Monstres humains dans le magazine et n’avait pas de mention à ladite guerre du Joker). Kenneth Rocafort impose un style différent de ses prédécesseurs pour ces deux derniers chapitres. Des traits plus aérés, davantage de détails dans les décors, visages et costumes, conférant à l’ensemble un style riche et agréable, bénéficiant d’une parfaite colorisation (de Dan Brown – succédant au célèbre Brad Anderson, habitué de l’industrie pour des titres blockbusters), équilibrant suffisamment de tonalités austères et « réalistes » mais avec assez d’envolées chromatiques propres à l’ADN « comic book ». Une réussite visuelle appréciable.

Un cœur hideux est donc fortement inégal ! En lisant à la suite le tome précédent et celui-ci, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de les diviser autrement. D’abord l’histoire de Mr Freeze/Nora dans un tome à part (le troisième par exemple), ensuite un tome un peu « fourre-tout » contenant les épisodes indépendants (et passables) de De sang-froid et du présent quatrième volet (à l’instar du sixième opus de la série Batman), enfin un tome centré sur Double-Face et ouvrant sur Joker War aurait mieux découper la narration (pourquoi pas proposer un tome zéro à cette série d’ailleurs).

Bref à ce stade, un lecteur qui ne suivrait « que » Batman : Detective doit être complètement désarçonné devant tous ces récits qui partent dans tous les sens, introduisent des personnages avant de les faire disparaître, mêlent plusieurs intrigues qui n’ont rien à voir entre elles, montrent de « vieux » récits indépendants, etc. Heureusement, il ne reste plus qu’un ultime volume pour clore ce run de Tomasi, peu intéressant jusqu’à présent… Il est assez décevant de voir le prestigieux titre Detective Comics et son millième numéro dans tout ça, c’était l’occasion en or de proposer un titre culte et mémorable, c’est tout l’inverse qui s’est produit… Lot de consolation avec les couvertures alternatives en fin d’ouvrage et notamment celles de Lee Bermejo.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 22 janvier 2021.
Contient : Detective Comics #1018-1026 + Detective Comics Annual #2-3

Scénario : Peter Tomasi (Brad Walker est mentionné dans la version librairie mais c’est une erreur)
Dessin : Brad Walker, Travis Moore, Max Raynor, Scott Godlewski, Sumit Kumar, Kenneth Rocafort (non mentionné dans la version librairie, là aussi une erreur), Eduardo Risso (idem)
Encrage : Andrew Hennessy, Scott Godlewski, Travis Moore, Max Raynor, Sumit Kumar
Couleur : Brad Anderson, David Baron, Tamra Bonvillain, Nick Filardi, Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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