The Dark Knight Rises (2012)

[Histoire]
Huit ans se sont écoulés depuis la triste fin de The Dark Knight. La population de Gotham City croit toujours que Batman a tué cinq personnes, dont Harvey Dent, le procureur qui avait fait baisser la criminalité dans la ville et incarnait l’espoir pour les citoyens. L’homme chauve-souris a décroché à ce moment-là, devenant officiellement un meurtrier fugitif. Une nouvelle loi a été adoptée, la loi Dent, supprimant les libertés conditionnelles accordées aux délinquants, ce qui a réduit le taux d’agressions et rendu Gotham City plus sûre par des moyens légaux.

Bruce Wayne ne se montre plus en public et vit reclus dans son manoir. Il croise néanmoins Selina Kyle, habile voleuse qui dérobe un collier de perles mais récupérait en secret les empreintes digitales du milliardaire pour les échanger contre un effacement complet des informations (sur elle-même) en ligne.

Parallèlement, des rumeurs circulent dans la ville : un étrange personnage masqué doté d’une force exceptionnelle préparerait la révolution depuis les égouts de Gotham. Prônant l’anarchie, Bane a un plan pour redonner le pouvoir aux citoyens de Gotham.

Pour le combattre, Bruce Wayne doit à nouveau endosser sa cape et son costume…

[Critique — rédigée initialement en 2012, actualisée en 2020]

Difficile de passer après le chef-d’œuvre que fut The Dark Knight. La mort de l’acteur Heath Ledger a changé les plans initialement conçus par Christopher Nolan. Ce troisième opus devait notamment s’ouvrir sur le procès du Joker et Double-Face était censé être vivant. Si la mort de ce dernier est plusieurs fois évoquée dans The Dark Knight Rises (TDKR), on ne sait en revanche pas ce qu’il est advenu du Clown du Crime, jamais mentionné malgré quelques pistes simples et efficaces qui auraient pu être mises en place (un plan de dos dans une prison, un dialogue qui parle de lui…) – une analyse pertinente d’Écran Large nous informe que le statut du Joker est vaguement explicité dans la novélisation de Greg Cox. On y apprend que suite à la loi Dent, la prison de Blackgate a remplacé l’asile d’Arkham : « On y envoyait le pire du pire, à l’exception du Joker : la rumeur voulait qu’il soit devenu le seul locataire de l’asile, enfermé loin de tout. Ou peut-être s’était-il échappé. Personne n’était sûr de rien. Même pas Selina. » Cela reste brumeux néanmoins. Nolan, réalisateur/scénariste, n’avait jamais prévu une trilogie dès le début mais à chaque fin d’un métrage, il envisageait de revenir sur un suivant avec quelques idées mais n’a jamais tout eu en tête depuis la création de Batman Begins (à l’inverse de son co-scénariste Goyer qui avait imaginé les deux derniers opus en amont pour finalement se retrouver condensés dans TDR).

Pour TDKR, Nolan s’inspire (en partie) de deux grandes sagas incontournables bien connus des fans de comics : No Man’s Land et Knightfall. La première pour le statu quo de Gotham City dans la deuxième moitié du film et la seconde pour introduire le nouvel antagoniste charismatique Bane, incarné par Tom Hardy. Extrêmement intelligente et mystérieuse, cette brute masquée met en place un plan dont on ignore concrètement le but au début du long-métrage, si ce n’est qu’il inclut la destruction de Batman et le chaos dans la ville. On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle avec The Dark Knight puisque le Joker concevait lui aussi un plan machiavélique avec des objectifs similaires… Tom Hardy est très impressionnant, sa voix stridente et sa force glacent le sang. A l’inverse du film précédent, la prestation (excellente au demeurant) et la présence monstre de cet ennemi ne volent pas la vedette aux autres protagonistes. À commencer par Selina Kyle (Anne Hathaway), alias Catwoman même si ce nom n’est jamais prononcé dans The Dark Knight Rises. À l’annonce du casting, on se demandait comment faire mieux que Michelle Pfeiffer dans Batman Le Défi, de Tim Burton. L’approche du personnage est ici très différente — moins féline, davantage manipulatrice et « plausible », presque théâtrale —, tout comme le personnage du Joker version Nolan l’était. Tout le monde huait Heath Ledger avant de voir The Dark Knight, jugeant qu’on ne pouvait faire mieux que Jack Nicholson (Batman, toujours de Tim Burton). Les critiques avaient par la suite reconnu le talent du défunt acteur qui les avait bluffés par son jeu (et avait remporté un Oscar à titre posthume). C’est pareil pour Anne Hathaway qui s’en sort très bien ici.

Fort de vouloir ancrer toujours plus sa trilogie dans un cadre très réaliste, Nolan ajoute, en plus de la  politique déjà très présente dans le précédent volet, l’économie moderne via, entre autres, une attaque d’institution financière visant à faire chuter certains marchés… Une approche semi complexe et parfois primaire (« le capitalisme c’est mal, les gentils pauvres contre les méchants bourgeois » il est amusant de constater que des pro-démocrates ont jugé le film pro-républicain et que ces derniers ont trouvé l’œuvre pro-démocrate !). Les deux premiers tiers de TDRK, malgré quelques longueurs, notamment dans la mise en place du plan de Bane, sont brillants : une scène d’ouverture d’anthologie (le kidnapping dans l’avion), de nouveaux personnages passionnants (Bane et Selina notamment, mais aussi Blake — on reviendra dessus), une tension permanente (on ressent la menace grandissante de l’indestructible Bane), le retour du Chevalier Noir, etc. Malheureusement, le dernier tiers, riche en action et scènes épiques, cumule maladresses et incohérences pénibles (on les détaille plus loin).

Paradoxalement, il faut attendre cette dernière heure pour profiter pleinement du talent d’écriture de Nolan (mais aussi de sa mise en scène comme on le verra après aussi) qui regroupe alors toutes les pièces de l’échiquier Gothamien qu’il avait mises en place dès Batman Begins (sans forcément l’anticiper à l’époque). À ce titre, on pourrait croire que les trois films ont été écrit en une seule fois tant la boucle se ferme d’une belle façon : héritage, retraite et passation du flambeau d’un côté pour Batman, conclusion de l’arc sur la Ligue des Ombres d’un autre côté (celui des ennemis) avec la politique de Dent appuyée et le tout orchestré sur un questionnement identitaire incessant de Bruce Wayne/Batman. Sur ce point, Christian Bale, plus froid que jamais, excelle à nouveau dans son rôle. C’est d’ailleurs un point positif du film, on le voit presque autant en Bruce Wayne qu’en Batman (la figure du justicier n’apparaît qu’au bout de 45 minutes), s’interroger sans cesse sur son avenir, son utilité. Conseillé par son fidèle Alfred (Michael Caine) et Lucius Fox (Morgan Freeman), les deux vétérans du septième d’art apportent, comme dans les précédents longs-métrages, une note un peu plus légère d’un film très sérieux, voire glacial. La notion de terrorisme est justement encore plus prégnante que dans TDK avec un Bane dont les complices (et lui-même) sont prêts à se sacrifier pour sa cause (mais laquelle ?).

L’autre bonne surprise réside dans le personnage de John Blake (Joseph Gordon-Levitt), sorte de nouveau James Gordon (Gary Oldman) et rare flic assoiffé de justice non corrompu. Tout en suivant les différents récits de personnages que tisse Nolan, Blake se trouve un peu au milieu de chacun d’entre eux, un coup avec Gordon, puis avec Wayne, puis Batman, etc. Si The Dark Knight fonctionnait par relations triangulaires — Wayne, Dent, Dawes ; Joker, Batman, Double-Face ; Gordon, Dent, Wayne —, ce sont ici plutôt des duos qui se succèdent : Wayne et Kyle, Batman et Catwoman, Gordon et Wayne, Gordon et Blake, Wayne et Blake, Batman et Bane et ainsi de suite. Autre actrice déjà dirigée par Nolan (sur Inception) : Marion Cotillard, alias Miranda Tate, femme d’affaire qui souhaite proposer un projet d’énergie écologique aux entreprises Wayne. Malgré un casting cinq étoiles composé de rôles forts et charismatiques, la française s’en sort très bien sauf dans une scène (que tout le monde connaît désormais et dont on va (re)parler ensuite).

Dans sa dernière heure (attention aux révélations donc), TDKR empile les incohérences et improbabilités qui peinent à réellement rentrer en immersion totale, en contradiction avec son brillant sens de la démesure. Dommage. Ainsi, Bruce Wayne sort de sa prison souterraine et retourne dans Gotham pourtant inaccessible visiblement rapidement et facilement (on ne sait pas comment il a fait, mais ce n’est pas forcément grave, ça reste Bruce/Batman). On est plus sceptique à propos des policiers qui sortent des égouts après plusieurs jours (semaines même, voire mois tant l’écoulement du temps est un peu flou à ce moment) sans être sales ou fatigués, prêts à se battre contre les troupes de Bane… De même, quand le Chevalier Noir revient dans la ville, il marche sur l’eau gelé et… ne tombe pas dedans ! Plus tôt dans le film, on nous montrait qu’une personne ne pouvait pas vraiment tenir dessus car la glace craquait sous son poids (et la victime finissait gelée et noyée)… Difficile d’imaginer que l’armure du justicier et son corps soient plus légers que n’importe qui d’autre. On constate à peu près au même moment que le justicier a eu le temps de concevoir son logo en haut d’un building puis de l’allumer à distance (en brulant les parties du bâtiment laissant entrevoir son symbole d’espoir). Surréaliste… Tous ces évènements successifs gâchent clairement cette partie plus ou moins conclusive, à laquelle on ajoute (évidemment) la mort d’un protagoniste. Un vrai mystère existe autour de cette « performance » : impossible d’imaginer que Nolan ait choisi cette prise et pas une autre… La fiction aurait gagné en intensité en conservant son dernier plan final sur Alfred, regardant curieusement quelqu’un dans un restaurant (et non en souriant/le saluant) pour entretenir un certain mystère plutôt que de dévoiler de qui il s’agissait.

Malgré tout, le savoir-faire indéniable du metteur en scène britannique s’affiche avec brio lors de séquences d’action spectaculaire : le kidnapping dans l’avion en ouverture comme déjà évoqué, la course-poursuite à moto qui signe le retour du Chevalier Noir en même temps, le combat brutale et sans musique de Batman contre Bane, l’explosion d’un stade de football américain puis des ponts de la ville, le nouveau véhicule volant de l’homme chauve-souris et ainsi de suite. Le score de Hans Zimmer reprend ses célèbres partitions associées au justicier avec de nouvelles, moins mélodiques, plus sauvages, anxiogènes… qui épousent plutôt bien le propos et les enjeux de la fiction, contribuant à la déstabilisation et malaise voulu envers le public.

TDKR souffre, forcément, de la comparaison avec son volet précédent et il n’en atteint pas la même maestria suite à de multiples défauts (d’écriture notamment). Toutefois, le long-métrage n’a pas à rougir et possède de nombreuses qualités qui le classe au sommet des films du genre. L’aspect un brin plus fantastique et gothique de Batman Begins a laissé place à deux opus se voulant très « réaliste » et à ce titre c’est réussi. L’avis du spectateur sera donc à l’appréciation de cette approche un peu plus « comic-book » au début, davantage « thriller d’action » sur la fin. Dans tous les cas, Christopher Nolan a signé une trilogie qui fera (a fait) date dans l’histoire des adaptations de super-héros (à l’instar de celle de Spider-Man de Sam Raimi et (depuis) des Avengers du MCU) mais aussi du… cinéma au sens large. Entre récompenses, box-office, mélange de grand spectacle et de fiction d’auteur, les trois films ont révolutionné l’industrie et changé la façon de voir la (pop) culture comics.

Également en ligne, une tribune sur le site de L’Express : The Dark Knight Rises : que reste-t-il des comics dans le film de Nolan ?