Cité Brisée et autres histoires… reprend l’intégralité des récits consacrés à Batman réalisés par Brian Azzarello (scénario) et Eduardo Risso (dessin et encrage) — le tandem de l’excellente série 100 Bullets — de 2000 à 2011 (il n’y en a pas eu d’autres depuis). Ce volume unique est constitué (dans l’ordre) de Cicatrices, Cité Brisée, Haute Pègre et Flashpoint : Batman, Chevalier Vengeur.
Cicatrices est une histoire courte en noir et blanc déjà parue dans Batman Black & White vol. 1. Cité Brisée avait été publiée il y a plusieurs années dans des magazines Batman de Semic et avait fait l’objet d’un article (celui-ci, qui est donc actualisée). Haute Pègre est une histoire courte inédite. Enfin, la mini-série Flashpoint : Batman, Chevalier Vengeur pouvait être lue dans le deuxième numéro kiosque (sur trois) de Flashpoint en mars 2012, édité par Urban Comics. Ces quatre histoires (sans lien entre elles) sont chroniquées séparément ci-dessous.
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Cicatrices
(Batman : Gotham Knights #8 — 1 chapitre)
[Histoire]
Sur une scène de crime aux multiples cadavres, Batman demande à Zsasz pourquoi il a tué des inconnus. Ce dernier lui explique la jouissance procurée par « l’intimité », ce dernier moment où la vérité éclate dans le regard d’une victime, à l’instant où elle comprend qu’elle va mourir…
[Critique]
Huit pages en noir et blanc simples et efficaces. Proche d’un mini-épisode de Sin City de Frank Miller, tant par le fond (l’approche sombre et violente), que par la forme (les jeux de lumière, le découpage et le côté noir et blanc évidemment). Bonne entrée en matière de l’ouvrage
Citée Brisée
(Batman #620 à #625 — 6 chapitres)
Citée Brisée (Broken City) est un arc narratif en six chapitres (les Batman #620 à #625, situés juste après Silence — sans être une suite directe ou en lien avec). Il a été publié en France par Semic dans leurs magazines Batman #9 à #12, de juin 2004 à janvier 2005, sous le titre La Citée Brisée. Urban Comics le republie le 5 mai 2017.
(Les couvertures des quatre magazines français qui ont publié Broken City à l’époque.
Aucune ne correspond ou reprend un visuel de la série…)
[Histoire]
Batman interroge Killer Croc : il le suspecte d’avoir sauvagement tué une femme, qui a été dévorée. L’homme-crocodile nie farouchement et c’est le frère de la victime, Angel Lupo, qui est alors désigné comme coupable et activement recherché. Mais cet homme mystérieux a disparu et il semblerait qu’il ait de nombreux liens avec la pègre de Gotham City…
Après une course-poursuite dans une ruelle, le Dark Knight découvre un couple tué devant son enfant, unique survivant. Cette scène lui rappelle évidemment son propre traumatisme et le perturbe.
Son enquête le conduit aussi sur les chemins du Pingouin et du Ventriloque…
[Critique]
Totalement accessible, Cité Brisée offre une vision extrêmement noire de l’homme chauve-souris. Toute l’histoire se déroule de nuit, accentuant cette approche sombre visuellement, en plus de celle, psychologique, du « héros ». En effet, les deux auteurs dressent le portrait d’un Batman violent, presque sadique. Ce parti pris ressemble étrangement à la vision de Frank Miller, notamment dans le culte The Dark Knight Returns. On peut même y déceler les premiers membres du Gang des Mutants. Hommage ou continuité ? Peu importe, l’ensemble est tout bonnement excellent.
Graphiquement, en plus des ambiances sombres, les traits ressemblent justement à ceux de Miller, principalement ceux de Sin City (à l’instar de Cicatrices) ; certains découpages sont aussi dans la veine de The Dark Knight Returns (l’aspect gaufrier le temps d’une planche par exemple, ainsi que les nombreux jeux de lumière et les contrastes récurrents). Si ce style visuel atypique séduit d’emblée, la pauvreté des décors (souvent un fond uni ou un dégradé de couleurs) jure malheureusement avec le reste. C’est clairement le seul point négatif de l’œuvre. La version très gangster de Killer Croc change par rapport à celle qu’on a l’habitude de voir, c’est d’ailleurs étonnant que celle-ci ne soit pas davantage reprise dans d’autres histoires pour coller à un cadre plus réaliste.
Côté scénario, il s’agit d’un polar baladant le lecteur sur des fausses pistes, tout en préservant plusieurs surprises. La psyché de Batman est omniprésente, sous forme de narration par le Chevalier Noir lui-même, ressassant ses souvenirs, ses doutes, ses peurs, ses craintes, son éternel croisade. Déjà-vu ? Oui et non, la version violente et noire de ce Batman détonne alors qu’on pensait y être habitué. C’est très bien écrit, avec une certaine poésie nihiliste, plutôt hors-norme.
« Hé… Tu te bats selon tes règles… mais tu pourrais nous les expliquer, merde ! »
[Killer Croc à Batman après que ce dernier l’ait tabassé de façon « non loyale ».]
Brian Azzarello manie avec brio sa plume pour cette aventure de l’homme chauve-souris. On y décèle parfois quelques pointes d’humour — noir, évidemment — et même plusieurs sous-entendus sexuels (très rare dans le milieu et vraiment bienvenu). Le parrallèle entre l’enfance de Bruce Wayne, l’assassinat de ses parents et la scène similaire qui s’est produite sous ses yeux (il est arrivé trop tard et était donc impuissant), rend l’histoire encore plus poignante. On pourrait déplorer l’absence, curieuse, d’Alfred et éventuellement d’autres alliés mais c’est une excellente chose, car cela met en avant la solitude extrême d’un « simple » homme.
Haute Pègre
(Wednesday Comics #1-12 — 12 mini-chapitres)
[Histoire]
Franklin Glass, un vieil homme riche, a été kidnappé et tué, aucune rançon n’avait été réclamée. Durant son enterrement, sa veuve, la très jeune et jolie Luna, est victime d’un attentat. Bruce Wayne la sauve et découvre une rivalité entre elle et le fils de Franklin : Carlton.
[Critique]
Courte histoire assez prévisible mais dont le format de publication et la conclusion apportent une certaine originalité. Chaque planche avait été publiée de façon hebdomadaire entre juillet et septembre 2009 en fin d’un magazine. (Clem) Robins & (Patricia Trish) Mulvihill sont crédités, pour l’encrage et la couleur (ce n’est pas précisé distinctement mais c’est la même équipe que pour Cité Brisée), ce qui change drastiquement le style de Risso par rapport aux deux récits précédents. La moins bonne histoire jusqu’ici mais l’occasion de voir enfin Alfred et de retrouver un Bruce Wayne en proie à la séduction du cliché de la femme fatale.
Flashpoint : Batman, Chevalier Vengeur (Flashpoint : Batman Knight of Vengeance #1-3 — 3 chapitres)
Cette histoire se déroule dans un univers alternatif, durant la saga Flashpoint (un excellent one-shot disponible en librairie et l’évènement qui a donné lieu au Relaunch New 52). Batman n’est pas Bruce Wayne mais… Thomas Wayne !
(Couverture du deuxième magazine Flashpoint publié en mars 2012 qui comprenait ce récit.)
[Histoire]
À la tête des Wayne Casino, Thomas Wayne, patibulaire et guère sympathique, traite avec Le Pingouin pour mieux contrôler la finance du crime. Accompagné de Jim Gordon, il rend visite au juge Harvey Dent, dont les enfants jumeaux ont été kidnappés par le Joker. Dent ne comprend pas pourquoi Le Joker est inlassablement enfermé à Arkham puisque l’asile est une passoire. Il mentionne les cas de Silence, l’Épouvantail et Poison Ivy, des menaces qui sont mortes.
Thomas Wayne endosse sa cape de Batman et suit une piste le menant face à Killer Croc. Gordon rend visite à Oracle, alias Selina Kyle, tétraplégique…
[Critique]
L’avantage des univers alternatifs est qu’on peut proposer plein de nouveaux concepts ou des changements drastiquement différents de la mythologie déjà établie d’un super-héros, en l’occurrence ici Batman. Pourquoi Thomas Wayne est le Chevalier Noir ? Qui est le Joker ? Il serait dommage de répondre à ces interrogations et gâcher le plaisir de lecture et donc de découverte. On notera un look du Clown du Crime assez proche de celui du film The Dark Knight.
L’idée extrêmement originale d’Azzarello mériterait d’être poursuivi sur plusieurs chapitres. La fin, peut-être trop abrupte, intervient trop rapidement. Les solides bases narratives (re)créées spécialement pour l’occasion de Flashpoint séduisent à nouveau par leur noirceur, le sort funeste de certains protagonistes et le bousculement de ce qu’on pensait connaître. Trois chapitres, c’est court et on espère sincèrement que l’idée de cet elseworld sera reprise une prochaine fois. Quoiqu’il en soit, les dessins de Risso reprennent ce qui faisait sa force dans Citée Brisée : un style proche de celui de Miller mais cette fois plus détaillé. Le troisième chapitre est d’une rare fluidité dramatique tout en révélant les pans du passé des personnages, le tout dans un esthétisme particulièrement soigné. Une mini-série parfaite pour clore un ouvrage quasiment indispensable.
Conclusion
Quatre histoires à l’ambiance particulièrement sombre, dont deux qui sont quasiment cultes. L’équipe artistique revisite le mythe de Batman tout en rendant hommage à Frank Miller. Ce recueil est idéal pour les néophytes comme pour les fans les plus fidèles. Les quelques faiblesses de dessins (les fonds vides) et parfois d’écriture (un côté un peu prévisible pour de rares passages) n’entachent absolument pas la qualité globale de l’œuvre.
En bonus, une introduction de Bob Schreck (scénariste et responsable éditorial de DC Comics, entre autres) écrite en 2004, ouvre le tome et une galerie des couvertures de Dave Johnson le conclut, dont celles de Citée Brisée visibles à la fin de cet article.
[À propos]
Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Eduardo Risso
Couleur : Patricia Trish Mulvihill
Traduction : Jérôme Wicky, Edmond Tourriol, Thomas Davier et Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray (studio Myrtille) et Stephan Boschat (Studio Makma)
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Bonjour Thomas,
Si vous le pouvez, n’éditez pas ce qui suit.
A nouveau un grand merci pour votre site et votre travail. Des critiques argumentées avec un vrai point de vue, bravo.
Concernant Citée Brisée c’est tout simplement mon Comics Batman préféré (vrai enquête, beaux dessins, pas de Robin et pas de Fantastique-
Batman n’a pas de pouvoirs – ce qui le rend identifiable c’est pourquoi j’ai du mal quand l’histoire ne colle pas à une certaine réalité)
J’achète et revend tous les 10 ans tous les Comics Batman (j’aime les collections complètes), c’est des Long Halloween, des Terre 1 et des Citée Brisée qui vous donne l’envie de collectionner, malheureusement il y a aussi une bonne partie de la production moyennasse.
En vous souhaitant bonne continuation, il vous reste encore pas mal de Comics à chroniquer.
Bien cordialement.
Hello, je n’édite jamais les commentaires (sauf s’ils « spoilent » qqchose à la rigueur) 🙂
Merci pour votre message, c’est encourageant !
Je vous rejoins, je préfère aussi la patte réaliste/polar/urbain chez Batman plutôt que la fantastique/surréalite.
J’ai conscience qu’il reste beaucoup de comics à chroniquer (principalement sur les alliés, ennemis et Justice League, sur Batman « seul », en solo ou série je trouve que j’ai pas mal avancé !). Je manque cruellement de temps entre mes diverses occupations et je suis aussi exigeant dans ma façon de travailler (un article prend beaucoup plus de temps que ce qu’on peut penser). Néanmoins je bénéficie du télétravail depuis quelques temps ce qui me permet d’être plus actif sur le site 🙂