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Justice League – Faute d’un clou…

Justice League – Faute d’un clou… rassemble deux récits d’Alan Davis (qu’il a écrit et dessiné intégralement) : Un clou puis Un autre clou. Le premier a été publié fin 1998 et le second en 2004. En France, les deux titres avaient été proposés séparément chez Panini Comics en 2006 (voir couvertures en bas de la critique). Découverte de cet elseworld paradoxalement original mais pas assez.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a de longues années, dans le Kansas : Martha et Jonathan Kent, qui ont projeté de faire quelques courses dans la bourgade de Smallville, découvrent qu’un pneu de leur voiture est crevé. Ils choisissent de reporter leur balade à plus tard et restent chez eux, sans se rendre compte que le ciel est traversé par une météorite étrange. Celle-ci abrite un enfant extraterrestre envoyé sur Terre depuis une lointaine planète. L’engin s’écrase un peu plus loin, et les Kent ne seront jamais là pour adopter l’enfant tombé des étoiles. Au fil des ans, les premiers super-héros apparaissent, mais dans ce monde légèrement différent du nôtre, jamais Superman ne se fera connaître, et l’histoire en sera à jamais bouleversée.

[Critique]
Une proposition intéressante mais probablement mal développée. C’est le sentiment qui ressort à la double lecture d’Un Clou puis d’Un autre clou. Le premier est sans aucun doute le récit le plus passionnant de cette compilation (un peu plus de 300 pages au total). L’idée est séduisante : les Kent ne recueillent pas Clark/Superman à cause d’un clou qui a crevé le pneu de leur voiture. Qu’en résulte-t-il ? Et bien un monde pas si éloigné de l’habituel de DC Comics. Une ligue de Justice existe bien, comprenant les membres habituels (Batman, Wonder Woman, Aquaman, Flash, Green Lantern) et d’autres parfois dans l’équipe (Le Limier Martien, Atom, Hawkgirl).

Sans Superman, les super-héros travaillent à peu près de la même manière si ce n’est que Lex Luthor est maire et a pu déployer une milice robotique à Metropolis. Il faut dire qu’avec l’absence du célèbre protecteur de la Terre, la population a peu confiance envers les justiciers, manquant d’une porte-parole qui inspirerait la bonté. De quoi profiter pour manipuler les foules… ?

Ce qui passionne dans le titre n’est pas spécialement l’absence de l’homme d’acier (bien sûr qu’il apparaîtra un moment) mais plutôt l’orchestration maléfique qui fait rage : quelqu’un arrive à retourner l’opinion publique en faisant passer les justiciers pour des êtres « mauvais ». C’est donc une enquête générale que l’on suit à travers de multiples personnages de l’univers DC (on y croise la Doom Patrol, les Metal Men…). Si cette investigation et sa résolution tiennent la route, Un clou déçoit plus ou moins par deux aspects (qui vont être révélés dans le prochain paragraphe, passez au suivant si jamais).

En effet, les trois épisodes d’Un clou font intervenir bien trop tardivement Superman (banalement élevé par… une communauté Amish). Ainsi, tout au long de la fiction, on « attend » impatiemment l’arrivée du kryptonien mais cela ne se produit pas vraiment. Ce n’est pas forcément un mauvais choix (après tout, l’idée est de montrer un monde sans Superman) mais une fois qu’il débarque, l’histoire se termine dans la foulée. Il faut attendre le second récit pour le voir davantage mais ce ne sera pas très réussi (on y vient ensuite). L’autre aspect dommage est que la narration n’use pas assez de son concept inédit. Le monde que l’on suit est beaucoup trop commun à celui dont est familier le lecteur… Une fois encore, c’est peut-être volontaire (sans Superman, les autres super-héros existent bien et ne s’en sortent pas trop mal) mais ça loupe une certaine originalité possible.

Dans Un autre clou, l’histoire s’éparpille en menaces multiples cosmiques (Darkseid, Green Lanterne Corps…) et univers alternatifs, on ressent des emprunts à Crisis on Infinite Earths par exemple. L’ensemble est assez confus, un peu indigeste malgré de belles expositions visuelles (on y reviendra) mais échoue (à nouveau) à montrer la « nouvelle figure » de Superman. Si le surhomme est un peu présent au début, il est vite éclipsé par les (trop nombreux) personnages secondaires et différentes intrigues plus ou moins palpitantes. D’ailleurs, il n’y a pas « d’autre clou » qui justifierait un autre point de départ de ce monde alternatif.

L’auteur Alan Davis signe également les dessins, l’un des points forts du livre, garni de pleine planches (une ou deux pages), richement colorées et montrant souvent les super-héros en posture de combat, de détresse ou de bravoure ; en somme des moments iconiques et épiques (cf. les illustrations sous la critique notamment) ! Saluons le travail de l’encreur Mark Farmer et la coloriste Patricia Mulvihill. S’il n’y a pas spécialement « d’identité graphique » propre à Alan Davis, le résultat visuel est à la hauteur et propose un joli voyage chromatique. L’artiste (prolifique chez Marvel) est d’ailleurs probablement plus à l’aise dans sa maîtrise de l’action et son envie de croquer tous les protagonistes DC existants que dans sa narration, parfois chaotique, un peu lourde et guère stimulante.

Et Batman dans tout ça ? Son traitement est plutôt intéressant : il affronte à nouveau le Joker qui sera responsable de pertes tragiques pour l’homme chauve-souris. Difficile d’en dire davantage sans trop dévoiler des éléments majeurs mais notons que le Chevalier Noir fait équipe avec Catwoman et a droit à plusieurs scènes soignées (encore une fois : principalement dans le premier titre). L’équilibre entre les différentes membres de la ligue est par ailleurs plutôt bien respectée, avec Wonder Woman et Batman un brin plus en avant que les autres mais tout se tient au global.

On retient donc le premier récit, Un clou, proposition singulière semi-réussite (ou semi-échouée, c’est selon) et moins le second. Il est étonnant qu’Urban Comics « vende » Faute d’un clou… comme un point d’entrée (en quatrième de couverture) tant la fiction fait appel à une multitude de personnages et pour un titre plus ou moins auto-contenu. Comme dit, une fois le premier terminé, on a envie d’une suite mais celle-ci n’est pas terrible… Davis a toujours regretté de ne pas avoir ajouté une troisième et dernière pierre à sa création – il en parle dans ses longs textes intermédiaires qui parsèment l’ouvrage – il peut peut-être encore le faire (au moins l’écrire) car il n’a « que » 67 ans en 2023.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 9 juin 2023.
Contient : JLA : The Nail #1-3, JLA : Another Nail #1-3

Scénario & dessin : Alan Davis
Encrage : Mark Farmer
Couleur : Patricia Mulvihill, Heroic Age, John Kalisz

Traduction : Jérémy Manesse
Lettrage : Gaël Legeard, Maurine Denoual et Stephan Boschat (Studio Makma)

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Ci-dessous les deux couvertures de la précédente édition française chez Panini Comics (2006).
À noter qu’Urban Comics a conservé la traduction de Jérémy Manesse de l’époque.
L’équipe de super-héros était Justice League of America et Un autre clou avait été renommé Le Clou 2.
(Les illustrations de cette critique proviennent de ces éditions.)





       
  

Red Hood – Souriez !

[Résumé de l’éditeur]
Jason Todd est de retour à Gotham City et les problèmes de la ville le poussent à porter le masque à nouveau. La menace numéro un : une nouvelle drogue envahit la ville et son influence grandissante devient extrêmement problématique. Alors qu’il enquête sur l’origine de ce nouveau fléau, l’ancien Robin croisera inévitablement la route du Chevaler Noir. Red Hood et Batman arriveront-ils à unir leurs forces pour arrêter ce nouveau fléau ?

[Critique]
Voilà un excellent récit complet à mettre entre toutes les mains des passionnés de Jason Todd ou Red Hood ! Il aura fallu attendre autant d’années avant d’avoir un titre qui couvre très « justement » la relation conflictuelle entre Bruce/Jason (et mécaniquement Batman/Red Hood). C’est clairement la force de ce Souriez !, traduction de Cheer, le segment de la série Batman : Urban Legends dont est tiré le comic, probablement en « hommage » à l’un des premiers titres français de Killing Joke qui était également Souriez. Il faut dire que le Joker hante évidemment la fiction mais de façon sporadique ; on revoit des évènements d’Un Deuil dans la Famille, dessinés plus ou moins à l’identique ou sous un nouveau jour.

La bande dessinée alterne l’enquête du présent (qui est responsable de la circulation de la nouvelle drogue ?), les conflits intérieurs de Jason (a-t-il bien fait de tuer le père criminel d’un gosse qu’il va probablement rendre orphelin ?), ceux de Batman (son poids de la culpabilité et son échec avec le second Robin) et multiplie les flash-backs. On retrouve donc des scènes « déjà connues » (celles d’Un Deuil dans la Famille comme déjà évoqué) et d’autres inédites (les premiers pas de Jason, un conflit avec le Sphinx, etc.). Tout s’enchaîne remarquablement avec un rythme très prenant.

Red Hood – Souriez ! ne montre pas non plus un Jason Todd assagi et trop « gentil », il n’hésite pas à tuer, il se remet en question, il a toujours un côté impulsif, etc. Chip Zdarsky livre un travail de haute qualité qui manquait étonnamment depuis longtemps sur le célèbre antagoniste. Zdarsky (après son excellent run sur Daredevil) s’est emparé de Batman avec trois séries distincts. Batman : Urban Legends (cette critique donc), The Knight, contant les premières années de Batman (une semi réussite) et la nouvelle série Batman, intitulée Dark City en France (cf. le premier tome, Failsafe). En soignant l’écriture des personnages torturés mais aussi d’une intrigue globale plutôt satisfaisante, il hisse ce one-shot dans la catégorie coup de cœur du site !

L’aventure déçoit peut-être dans le choix de son ennemi principal, inconnu au bataillon se cachant derrière Mr. Freeze – il aurait été plus efficace de reprendre quelqu’un de la célèbre galerie de vilains ou alors de créer un « nouveau » méchant plus charismatique, dommage. Côté dessins, on retrouve Eddy Barrows qui avait signé les aventures de Nightwing (période Renaissance / New 52, cf. les critiques des volumes un à cinq). L’artiste a toujours du mal avec les visages non masqués en gros plan, souvent disgracieux… (cf. ci-dessous) mais le reste fonctionne du tonnerre ! Il y a des postures iconiques, un sentiment de vitesse lors des scènes de poursuite ou d’action, particulièrement dynamiques, une lisibilité générale dans la gestion de l’espace et ainsi de suite.

Quatre autres dessinateurs officient sur le titre (Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves et Scott Eaton) mais la plupart se contentent des flash-backs, gardant ainsi une certaine homogénéité visuelle globale durant les six épisodes. Par ailleurs, un seul coloriste (Adriano Lucas) s’affaire à l’entièreté du titre, conservant là aussi une empreinte graphique et chromatique efficace donnant l’impression d’un « tout » commun et réussi. Attention, la couverture est une variante de la série Red Hood & the Outlaws (#27), de Yasmine Putri et ne reflète donc pas vraiment l’ouvrage (encore que…) mais attire évidemment l’œil. Ce n’est pas très important mais toujours bon à préciser.

En synthèse, Red Hood – Souriez ! est une proposition scénaristique (et graphique) intéressante, qui change un peu des histoires de l’univers de Batman tout en soulignant la relation conflictuelle mais passionnante entre Bruce/Batman et Jason/Red Hood. La promesse est tenue et l’ensemble tient bien la route à de micro-détails près. Même un lecteur non familier de Todd peut apprécier la fiction, probablement s’ouvrir aux autres récits sur lui ou, à minima, suivre une aventure auto-contenue et assez mature. On recommande donc chaudement !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 23 juin 2023.
Contient : Batman : Urban Legends #01-06 – Red Hood & Batman : Cheer

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Eddy Barrows et Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves, Scott Eaton
Encrage : Eber Ferreira, Marcus To, Jesus Merino, Diogenes Neves, Scot Eaton, Julio Ferreira, Oclair Albert
Couleur : Adriano Lucas

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Cyril Bouquet

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Batman – One Bad Day : Bane

Cinquième opus (sur huit) de la gamme One Bad Day, on s’attarde aujourd’hui sur Bane, créé en 1993 par Chuck Dixon, Doug Moench et Graham Nolan dans La Revanche de Bane, prélude à la grande saga Knightfall. Le célèbre ennemi a bénéficié de plusieurs adaptations (films, dessins animés, jeux vidéo…) mais a surtout été popularisé auprès du « grand public » dans The Dark Knight Rises en 2012, incarné par Tom Hardy. Côté comics, il est apparu après Knightfall dans des rôles « secondaires » à droite à gauche mais occupait une place de premier choix dans le run Batman Rebirth. Découverte en avant-première de ce récit qui sortira début juillet.

Couverture US – la française sera la même.
L’image sera actualisée dès que la couverture sera officialisée par Urban Comics.

[Résumé de l’éditeur]
Si Eduardo Dorrance doit sa stature colossale au venom, c’est également à ce stéroïde qu’il doit ses plus gros ennuis. Sevré depuis longtemps maintenant, Bane a définitivement raccroché son masque de criminel pour se parer de celui d’un catcheur sur le déclin. Aussi, quand il apprend qu’une nouvelle source de venom existe, il va tout faire pour la détruire, afin que personne ne soit victime du poison qui a ruiné sa vie.

[Critique]
Un One Bad Day très intéressant et dans le haut du panier qui sort un peu du lot grâce à sa structure assez singulière (qu’on sera obligé de révéler dans le paragraphe suivant, passez à celui d’après si jamais) ! Dans ce récit complet sur Bane, l’auteur Joshua Williamson propose un « futur proche » à priori alternatif. Comprendre que Bane est de nouveau lutteur/catcheur sans que son passif soit renié. Il est même reconnu comme celui « qui a tué Batman » (en plus de lui avoir brisé le dos des années plus tôt, cf. Knightfall) et vit comme dans un manoir (celui de Wayne ?). L’antagoniste est dépeint avec une certaine mélancolie qui colle étonnamment bien au personnage.

Divisée en trois chapitres, l’histoire use d’une introduction un peu déroutante avant d’enchaîner sur une aventure plus convenue en flash-back (plusieurs parsèment l’ouvrage) en binôme entre Bane et le Chevalier Noir face à un nouvel ennemi. Surtout (attention à la révélation), le titre illustre davantage un « One Good Day » plutôt qu’un « Bad Day ». C’est-à-dire que la fiction ne revient pas sur le jour où tout a basculé pour Bane (malgré des souvenirs récurrents de sa mère et son enfance) et qu’il a choisi « le mal » (la « promesse » non tenue de cette collection de toute façon) mais celui où il peut opter pour l’inverse : le moment où l’on décide de faire le bien. C’est un choix audacieux et qui se marie bien à l’évolution de Bane (même si on peut « déplorer » que, d’une manière générale, les méchants d’anthologie de DC Comics – voire de la culture populaire globale – ne restent jamais réellement « mauvais » et s’adoucissent avec le temps voire deviennent des alliés).

En résulte un parcours plutôt singulier, passionnant dans son introspection de la figure mythique de Bane, moins dans sa quête de recherche du venin (et non venom – le terme en VO – comme l’indique l’éditeur en quatrième de couverture). Les affrontements sont tantôt spectaculaires, tantôt expéditifs (avec deux nouveaux ennemis oubliables). Il y a donc une partie du livre assez convenue et moins originale qui contrebalance bonnes idées et l’écriture assez solide du protagoniste.

Heureusement, les dessins et l’encrage d’Howard Porter couplés à la colorisation de Tomeu Morey apportent une véritable identité visuelle alléchante à l’ensemble. Porter est pourtant capable du pire (Justice League – La Tour de Babel) comme du meilleur (DC Univers Rebirth – Le Badge) ; ce sont probablement les gammes chromatiques peu criardes et contrastées qui apportent la patte graphique efficace (Morey excelle dans le domaine, cf. ses nombreux travaux : les séries Dark City, Batman Infinite, Joker War ou encore Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…).

Côté écriture, Williamson est un habitué de DC Comics. Il a signé toute la longue série Flash Rebirth (onze tomes !), incluant les segments que le bolide écarlate partage avec Batman, comme dans Le Badge et Le Prix par exemple. Il a aussi œuvré sur Batman (Batman Infinite – Tome 4 : Abyss, la série Robin Infinite, Shadow War, Le Batman Qui Rit – Les Infectés…) et divers titres qui regroupent plusieurs héros et antagonistes (Justice League vs. Suicide Squad, DC Infinite Frontier, Dark Crisis, Justice League – No Justice…). En somme, c’est un auteur accompli qui maîtrise très bien son univers et réussit habilement cet exercice sur Bane – ce qui le sort un peu de sa zone de confort.

On conseille donc cet One Bad Day – avec celui du Sphinx et de Freeze (et on met de côté ceux sur Double-Face et Le Pingouin). Reste l’éternelle équation subjective : est-ce qu’un récit de ce genre et d’une soixantaine de pages vaut 15 € ? C’est toujours difficile d’arbitrer, d’autant qu’une éventuelle compilation des trois One Bad Day recommandés (à ce stade) coûterait à peine quelques euros de plus (contre 45 € à date)… Rendez-vous cet été pour les trois derniers : Catwoman, Ra’s al Ghul puis Gueule d’Argile.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 7 juillet 2023.
Contient : Batman : One Bad Day – Bane #1

Scénario : Joshua Williamson
Dessin : Howard Porter
Couleur : Tomeu Morey

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

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