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Batman – Killing Time

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City, 4 mars, 16h46. Banque centrale. Un étrange client fait son apparition. Personne ne le sait, mais le braquage du siècle est sur le point d’avoir lieu, dans cette banque précisément. Trois malfrats – Catwoman, le Pingouin et le Riddler – s’associent pour mener à bien leur mission, juste histoire de tuer le temps…

[Début de l’histoire]
4 mars, 16h33. Killer Croc se rend à la First National Bank de Gotham.

Une heure plus tôt, Selina Kyle joue au tennis dans la résidence privé des Barrington où elle est devenue une amie de Cookie, l’hôtesse des lieux.

17h03, Gordon allume le Bat-signal et Batman apparaît…

À 17h13, Edward Nygma, alias le Sphinx entre dans le bureau Ronald Barrington (mari de Cookie), à l’United Gotham Bank.

24 heures plus tôt, le Pingouin soudoie un homme de main de la First National Bank de Gotham.

Le braquage parfait. Mais pour qui ? Et… pour quoi ?

[Critique]
C’est très beau, ça démarre bien, le concept est plutôt original et… tout s’enlise et devient pénible en cours de route, quel dommage ! L’auteur Tom King est très clivant chez DC Comics, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, ce scénariste tente ici un comic book « de casse ». Un braquage millimétré alléchant mais qui se perd ensuite dans une narration verbeuse, vulgaire et vaine. On explique.

Contrairement à ce que nous fait croire l’éditeur ou le début de la bande dessinée, seulement deux antagonistes emblématiques de l’univers de Batman sont très présents tout au long de la fiction : Catwoman et le Sphinx (Riddler en VO). Un tandem souvent vu en duo (Catwoman à Rome par exemple ou plus récemment de façon plus modeste dans Joker War). Le binôme fonctionne plutôt bien, ces deux célèbres vilains étant moins « fous » que leurs camarades d’Arkham. Bien sûr, il gravite autour d’eux d’autres figures connues : le Pingouin mais aussi Killer Croc, Ra’s al Ghul et quelques autres qu’on ne dévoilera pas.

Le bestiaire est donc assez riche et magnifiquement illustré (on y reviendra). La véritable menace est plutôt un nouveau personnage, nommé « l’aide ». Un étrange gentleman âgé d’environ quatre vingt ans, d’une force inouïe capable de mettre le Chevalier Noir sur la touche. En soi, pourquoi pas mais on n’y croit absolument pas… Ce n’est pas forcément grave dans le cadre de l’intrigue, ce qui lui fait défaut est tout autre : l’écriture générale.

Tom King ne peut s’empêcher de TOUT raconter. Il n’y a quasiment pas une planche sans qu’un narrateur omniscient (on apprendra dans la dernière ligne droite de qui il s’agit) détaille de la même façon ce qui se déroule : à telle heure, à tel endroit, telles personnes font ceci ou cela. Et Tom King s’amuse avec cette forme d’écriture en bousculant la linéarité de son texte, enchaînant des petits ou grands sauts dans le passé ou dans le futur. Même ritournelle donc : à tel endroit, tant de minutes/heures/jours plus tard, telles personnes font ceci ou cela. Efficace et amusant dans un premier temps mais vite gonflant à la longue.

Le scénariste croise même son récit avec un second, fortement encré dans une dimension antique, qui viendra expliciter l’objet du braquage. Là aussi, Tom King se loupe à moitié, conférant un macguffin inintéressant (tout le monde court après ce mystérieux butin) et une évolution peu crédible au titre. Même Batman, se revendiquant propriétaire de ce qui a été volé, n’explique pas pourquoi il l’avait caché dans une banque et non dans sa Batcave quand on lui demande… In fine, le lecteur ne s’implique pas spécialement dans la course contre la montre pour récupérer ce fameux trésor…

Pire encore : entre les bulles de narration omniprésentes et lassantes, le scénariste abonde de mots grossiers dans la bouche de ses protagonistes. Ce n’est nullement un défaut à la base (cela peut même être marrant comme Negan dans The Walking Dead ou cohérent avec l’ambiance d’un titre, comme Marv dans Sin City – jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn) mais l’éditeur états-uniens et français ont fait le choix de ne traduire aucun juron. Comme souvent en bandes dessinées, on se retrouve donc avec une suite de symboles pour ne pas écrire un gros mot. On retrouve donc des « %#$@#$ » au lieu d’écrire « putain / merde / enculé / fils de pute » ou autres termes folklorique…

Encore une fois, ce n’est pas forcément un défaut en temps normal quand ça arrive de temps en temps mais dans Killing Time c’est littéralement à chaque bulle quand deux voire trois anti-héros (incluant Catwoman et le Sphinx) s’y prêtent. De quoi alourdir davantage une écriture déjà bien plombée par de multiples défauts. Un exemple ci-dessus : une seule case, trois bulles de dialogue, six phrases, sept mots écrits de cette façon usante à décrypter/lire (oui : c’est pareil dans la version française que propose Urban Comics – images à venir à l’occasion).

Si l’on pouvait fermer les yeux sur les nombreux improbabilités propres au médium (Batman qui terrasse plusieurs tigres à mains nues, Catwoman qui vient à bout d’un groupe d’hommes de main armées en quelques secondes, la surpuissance d’Aide, etc.) on a quand même du mal à trouver l’ensemble de Killing Time pertinent. Entre le « tout ça pour ça » de soupir en fin de lecture et le « divertissement sympathique » pour les moins exigeants, l’œuvre se cherche un peu, parfois prétentieuse, pourtant prometteuse à défaut d’être révolutionnaire ou trop ambitieuse MAIS très jolie visuellement (cf. les nombreuses illustrations de cette chronique). Quel dommage (bis)…

Heureusement, les six chapitres bénéficient d’un sans faute graphique, orchestré d’une main de maître par David Marquez. L’artiste signe l’intégralité des dessins (et probablement l’encrage car ce n’est pas précisé), conférant non seulement une homogénéité visuelle mais aussi son style épuré, dynamique et efficace dans les nombreuses scènes d’action qui parsèment la fiction. Alejandro Sanchez colorise et apporte une variation chromatique propre aux comics (comprendre que chaque figure est richement mise en couleur grâce à ses costumes et looks habituels) tout en ajoutant cette ambiance parfois austère nécessaire à l’ambiance, parfois plus cosy avec de subtiles jeux de lumière. On apprécie aussi les looks du Pingouin et Catwoman, presque calqués sur ceux du film Batman – Le Défi (là où Nygma est davantage modernisé).

En cela, il est vrai que toutes ces belles planches sont peut-être le point fort de Killing Time, avec son concept initial, ses segments parfois originaux et son (modeste) puzzle narratif. Difficile de déconseiller la lecture mais difficile aussi de la conseiller pleinement – les éléments relevés dans cette chronique devrait arriver à vous aider à choisir. On ne retrouve pas forcément la « patte » de Tom King (qui aime bien déconstruire ses héros et leur insuffler une certaine humanité) donc ses habituels détracteurs pourraient apprécier, toutes proportions gardées tant l’écriture regorge de certains défauts. Pour un braquage de qualité avec Catwoman, on favorise plutôt, ben… Catwoman – Le dernier braquage.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Batman Killing Time #1-6
Nombre de pages : 192

Scénario : Tom King
Dessin : David Marquez
Couleur : Alejandro Sanchez

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Makma (Gaël Legeard)

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