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Batman & Joker – Deadly Duo

C’est LA grosse sortie de fin d’année 2023 chez Urban Comics : Batman & Joker – Deadly Duo, entièrement écrit et dessiné par Marc Silvestri. Un récit issu du Black Label, permettant d’être accessible et indépendant, sans s’encombrer de la continuité habituelle liée au Chevalier Noir. Pour l’occasion, le titre sort dans trois versions : une normale (21 €), une en noir et blanc limitée à 1.500 exemplaires (29 €) et une spéciale pour l’enseigne Pulp’s Comics avec une variante en couverture et sept lithographiques exclusives (25 €), éditée à 800 exemplaires. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
De mystérieuses goules à l’apparence du Joker sillonnent les rues de Gotham, semant têtes coupées et cadavres sur leur passage. Dans ce chaos funeste, Harley Quinn et le Commissaire Gordon manquent à l’appel. Le Chevalier Noir se met aussitôt à leur recherche, et ne tarde pas à comprendre que quelqu’un d’autre suit leur piste : le Prince Clown du Crime. Les ennemis jurés vont devoir se résoudre à l’impensable pour arriver à leurs fins : enterrer la hache de guerre.

[Début de l’histoire]
Harley Quinn semble prisonnière d’un puits ancien. Son mystérieux geôlier a un œil rouge…

Harvey Bullock et Batman enquêtent sur une scène de crime sordide qui paraît signée le Joker.

Gordon a disparu et, dans Gotham, le Chevalier Noir affronte des goules ressemblant, à nouveau, au Joker.

Quand Batman retrouve enfin ce dernier, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux ennemis jurés ont pourtant un but commun : retrouver leur allié respectif (Gordon et Quinn). Une alliance se créée…

[Critique]
Une sacrée épopée graphique horrifique ! Voilà ce qui attend le lecteur de Batman & Joker – Deadly Duo. Ce qui frappe d’entrée de jeu est la virtuosité des dessins de Marc Silvestri. Un style nerveux et dynamique, à peine encré et sublimement mis en couleur par Arif Prianto – on y reviendra – qui sert une histoire plus ou moins inédite. Le scénario (également signé Silvestri) est assez inégal et c’est principalement à cause de cela que le titre pêche par moment (et qu’on lui préfère donc sa beauté visuelle en premier lieu).

Dans Deadly Duo, on est directement plongé dans un registre d’horreur et de fantastique, il ne faut donc pas s’attendre (contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture) à un « Thriller / Action » mais plutôt à de l’action sanglante incluant créatures (les fameuses goules) et même des sortes de zombies (on en parle plus loin). De quoi déstabiliser (ou décontenancer, ou séduire) le lectorat davantage fan du côté urbain et policier, plus « terre-à-terre » en somme, des aventures du Chevalier Noir.

Le récit est palpitant, extrêmement bien rythmé malgré des textes (ou une traduction ?) manquant d’une certaine « fluidité », c’est un aparté très subjectif mais certaines bulles sonnent bizarrement, par exemple quand le Joker rabâche qu’il a bu trop de thé glacé (!?) sans que cela débouche sur un élément narratif corrélé. Il y a d’autres petits « tics » de langage comme cela qui parsèment la fiction de façon un peu abrupt. De même, on est parfois perdu par rapport aux nouveaux personnages (pourtant peu nombreux, on songe à Donald Simms en priorité) pour comprendre leur lien exact avec Bruce Wayne, Batman, Gotham City, Gordon… Rien de bien méchant au demeurant mais on se surprend à relire quelques cases de temps à autre pour bien assimiler les informations (cela ne veut pas dire que c’est compliqué, ce sont juste les propos qui sont moins intelligibles, donc faute d’écriture de temps en temps (ou de traduction ?)).

Passé ces micro reproches, que nous offre Deadly Duo ? Une course épique et effrénée où Batman doit collaborer avec le Joker. Ce concept improbable et rarement exploité (récemment, on pense juste à Last Knight on Earth qui s’en rapproche, et encore) est habilement mis en scène dans le début du titre. Le Joker est solidement attaché et retenu prisonnier dans la Batcave, une cagoule sur le visage (qui s’ouvre au niveau des yeux et de la bouche- et un casque de musique sur les oreilles). Deux protagonistes contraints et forcés de s’entraider ensuite (le Joker reste menotté pour que Batman puisse le surveiller). Leur binôme obligatoire résulte d’un objectif commun : retrouver et sauver Gordon pour Batman, Harley Quinn pour le Joker.

Attention, il ne faut pas s’attendre non plus à de longues péripéties pour les deux, leur association arrive presque au milieu du livre avant d’être interrompue par plusieurs flash-backs (très pertinents). Cette alliance inattendue se résume, in fine, à uniquement se rendre dans un endroit où était convié initialement le Prince Clown du Crime pour résoudre des énigmes et… sauver des gens (!). Autant dire que le Joker s’en moque. Arrive alors, littéralement, une descente (aux enfers) dans les limbes de Gotham City, la partie souterraine devient le terrain de jeu du nouvel ennemi créé pour l’occasion où se retrouvent Batman et le Joker pour (déjà) la suite et fin de leur coalition. Attention aux révélations dans le paragraphe suivant si vous ne voulez pas trop en savoir, passez à celui d’après (idem, ne descendez pas tout en bas voir la dernière illustration – celle sous les squelettes en costumes – même si en soi elle ne dévoile rien mais au cas où…).

C’est tout le propos de Deadly Duo (et sa maladresse). Silvestri le reconnaît bien volontiers dans sa postface, sa fiction est avant tout la création d’un antagoniste qui devrait « revenir » ensuite (pas forcément dans une suite directe mais plutôt intégrer simplement la galerie de vilains dans la mythologie de Batman). On parle bien sûr d’Amanda Simms (fille de Donald), alias « Gothrillon » ou « La Comtesse de la Crypte » comme la surnomme le Joker. Une femme tuée par le Joker le jour de son mariage (en tout cas, en apparence), qui arrive à convoquer des morts-vivants dans sa croisade : briser Bruce Wayne, dont elle connaît l’identité, qu’elle juge responsable indirectement de nombreux morts à Gotham.

Certes, ce nouvel ennemi a des intentions « qui se comprennent » et replongent Batman dans une énième réflexion sur sa part de responsabilité (et culpabilité) quant au sort funeste des victimes collatérales (des attentats qu’il n’arrive pas à déjouer ou simplement car il laisse en vie les criminels). Un aspect déjà vu et abordé maintes fois mais qui reste cohérent et plutôt bien écrit dans Deadly Duo. Ce qui fonctionne moins en revanche est toute la couche textuelle verbeuse sur des explications alambiquées autour de « cellules souches, nerfs, chair, os, racines, nutriments, décompositions, renaissance, etc. ». Le titre est bavard et se perd en complications inutiles sur cet aspect.

En synthèse, l’approche « zombie/créature » est bizarrement pensée et gérée, le mystérieux ennemi est charismatique mais peine un peu à convaincre a posteriori dans sa grande organisation d’épreuves (rappelant un peu la saga Saw), son armée « d’enfants » et d’un macGuffin avec le Joker un peu surprenant. Le titre est à son meilleur quand il se concentre (sans surprise) sur les échanges entre le Joker et Batman où les connexions liées à ce duo imprévu : Barbara/Batgirl qui en veut à Batman alors que son père est porté disparu.

Quelques personnages secondaires familiers apparaissent dans l’aventure : Barbara/Batgirl donc, mais aussi Dick/Nightwing et Selina/Catwoman (en plus de ce bon Alfred, évidemment). S’il est agréable de les voir croquer par Silvestri, on peut déplorer leur passage furtif durant les sept épisodes qui composent Deadly Duo. Un chapitrage soigné au demeurant, divisé systématiquement en deux parties avec un intertitre, agrémentant une dimension assez cinématographique et contribuant à l’efficacité rythmique déjà abordée plus haut.

Comme évoqué au début de la critique, c’est donc davantage la patte graphique qui séduit dans Deadly Duo que l’entièreté de son scénario, qui comporte malgré tout de très beaux moments, des séquences originales et des échanges ciselés. Marc Silvestri, soixante cinq ans en 2023 a tenu à dessiner entièrement cette histoire qui lui tenait à cœur. L’artiste a davantage travaillé chez Marvel (X-Men, Wolverine…) mais est surtout connu pour avoir créé (et dessiné au début) la série Cyberforce (scénarisée par son frère Eric), quand il a fondé Image Comics en 1992 avec d’autres collègues dont Jim Lee et Todd McFarlane (cf. le bloc de contextualisation de cet éditeur dans la critique Batman / Spawn (1994)).

Silvestri est au sommet de son art sur Deadly Duo, lui-même arborant une nouvelle manière de travailler, « se nourrissant de la plume de Franklin Booth et Bernie Wrighston (notamment dans sa période Frankenstein) ». Les traits sont fins, détaillés, très vifs et aérés, les corps sculptés et les costumes magnifiés. L’encrage minimaliste contribue à ce style singulier et élégant. Beaucoup de scènes d’action sont épiques et Silvestri icônise au maximum ses héros et anti-héros. Gotham City, la Batcave, le repaire de l’ennemi… toute la géographie, urbaine ou naturelle, ajoute une immersion bienvenue en complément des passages sanglants et d’épouvante, dans lesquels excelle l’artiste. Rien que pour cette plongée graphique ultra séduisante, il est dommage de passer à côté du titre !

La colorisation est assurée par Arif Prianto qui entremêle (sur conseil de Silvestri) autant de teintes chaudes que froides mais sans jamais dénaturer l’ambiance globale et le ton morbide propre à l’aventure. Comprendre que s’il y a bien des gammes chromatiques « excentriques » (le rouge du costume d’Harley Quinn, le violet de celui du Joker, etc.), cela ne verse dans un registre plus « pop et flashy », tranchant avec un côté plus mainstream des productions du genre. De quoi rappeler que Deadly Duo est réservé à « un public averti » (ce qui se comprend amplement quand on voit des décapitations, meurtres ultra violents, têtes coupées, yeux crevés, etc.).

Une sacrée épopée graphique horrifique ! C’est ce qui ouvrait cet article et le ferme car c’est ce qui caractérise donc le mieux ce Batman & Joker – Deadly Duo qu’on a tendance à conseiller, principalement pour cette plongée sanglante visuellement irréprochable. Si on ferme les yeux sur les défauts d’écriture et la création un peu « forcée » d’un ennemi pas forcément convaincant (dans l’immédiat), aucun doute que le lecteur passera un bon moment en découvrant une alliance improbable entre le justicier et son pire ennemi. Alliance un peu rapide et expéditive certes, mais qui offre de belles séquences d’anthologie et iconiques.

On le soulignait en avant-propos, Deadly Duo bénéficie de deux autres tirages limités. Un entièrement en noir et blanc à 1.500 exemplaires dont l’intégralité de la couverture (incluant le verso) avait été dévoilée début juin 2023 dans la dixième newsletter de François Hercouët (consacrée aux travaux de recherche sur les choix de couverture justement). Cette version coûte 29 € et se trouve aisément dans les librairies spécialisées et sur amazon.fr au début de sa mise en vente (attention au stock) – même s’il y a des liens amazon sur ce site (le seul moyen de tirer un micro revenu variant de dix à trente euros par mois pour tout le travail effectué), on conseillera toujours de privilégier les petites enseignes et librairies indépendantes si vous le pouvez.

Le second tirage limité arbore une couverture différente, un pack de sept lithographies exclusives et est réservé à l’enseigne parisienne Pulp’s Comics qui le vend à 25 € (disponible dans leur magasin ou par commande en ligne sur leur site). Cliquez sur les images ci-dessus pour agrandir.

L’ouvrage se terminer d’abord par une postface de quatre pages de Silvestri revenant sur la genèse du projet et son travail dessus ainsi que les personnes qui l’ont accompagnées pour mener à bien son « buddy comic horrifique ». Ensuite, vingt couvertures alternatives concluent ces bonus (il en existe près du double en VO !). Sélection ci-après de quelques-unes marquantes : Jason Shawn Alexander pour les deux premières (#3) puis Gary Frank & Brad Anderson (#5) et enfin John McRea & Mike Spicer (#6).

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 novembre 2023.
Contient : Batman & Joker Deadly Duo #1-7
Nombre de pages : 208

Scénario & Dessin : Marc Silvestri
Couleur : Arif Prianto

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Scribgit

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Batman & Joker : Deadly Duo (21 €)
Batman & Joker : Deadly Duo [édition limitée | version noir & blanc] (29 €)
Batman & Joker : Deadly Duo [édition limitée | variante Pulp’s Comics] (25 €)





Batman – Killing Time

[Résumé de l’éditeur]
Gotham City, 4 mars, 16h46. Banque centrale. Un étrange client fait son apparition. Personne ne le sait, mais le braquage du siècle est sur le point d’avoir lieu, dans cette banque précisément. Trois malfrats – Catwoman, le Pingouin et le Riddler – s’associent pour mener à bien leur mission, juste histoire de tuer le temps…

[Début de l’histoire]
4 mars, 16h33. Killer Croc se rend à la First National Bank de Gotham.

Une heure plus tôt, Selina Kyle joue au tennis dans la résidence privé des Barrington où elle est devenue une amie de Cookie, l’hôtesse des lieux.

17h03, Gordon allume le Bat-signal et Batman apparaît…

À 17h13, Edward Nygma, alias le Sphinx entre dans le bureau Ronald Barrington (mari de Cookie), à l’United Gotham Bank.

24 heures plus tôt, le Pingouin soudoie un homme de main de la First National Bank de Gotham.

Le braquage parfait. Mais pour qui ? Et… pour quoi ?

[Critique]
C’est très beau, ça démarre bien, le concept est plutôt original et… tout s’enlise et devient pénible en cours de route, quel dommage ! L’auteur Tom King est très clivant chez DC Comics, que ce soit sur son run Batman Rebirthinégal mais comportant de très bonnes choses – et son épilogue Batman/Catwoman ou bien son travail en marge, parfois étrange comme dans Heroes in Crisis, parfois excellent comme dans One Bad Day – Le Sphinx, ce scénariste tente ici un comic book « de casse ». Un braquage millimétré alléchant mais qui se perd ensuite dans une narration verbeuse, vulgaire et vaine. On explique.

Contrairement à ce que nous fait croire l’éditeur ou le début de la bande dessinée, seulement deux antagonistes emblématiques de l’univers de Batman sont très présents tout au long de la fiction : Catwoman et le Sphinx (Riddler en VO). Un tandem souvent vu en duo (Catwoman à Rome par exemple ou plus récemment de façon plus modeste dans Joker War). Le binôme fonctionne plutôt bien, ces deux célèbres vilains étant moins « fous » que leurs camarades d’Arkham. Bien sûr, il gravite autour d’eux d’autres figures connues : le Pingouin mais aussi Killer Croc, Ra’s al Ghul et quelques autres qu’on ne dévoilera pas.

Le bestiaire est donc assez riche et magnifiquement illustré (on y reviendra). La véritable menace est plutôt un nouveau personnage, nommé « l’aide ». Un étrange gentleman âgé d’environ quatre vingt ans, d’une force inouïe capable de mettre le Chevalier Noir sur la touche. En soi, pourquoi pas mais on n’y croit absolument pas… Ce n’est pas forcément grave dans le cadre de l’intrigue, ce qui lui fait défaut est tout autre : l’écriture générale.

Tom King ne peut s’empêcher de TOUT raconter. Il n’y a quasiment pas une planche sans qu’un narrateur omniscient (on apprendra dans la dernière ligne droite de qui il s’agit) détaille de la même façon ce qui se déroule : à telle heure, à tel endroit, telles personnes font ceci ou cela. Et Tom King s’amuse avec cette forme d’écriture en bousculant la linéarité de son texte, enchaînant des petits ou grands sauts dans le passé ou dans le futur. Même ritournelle donc : à tel endroit, tant de minutes/heures/jours plus tard, telles personnes font ceci ou cela. Efficace et amusant dans un premier temps mais vite gonflant à la longue.

Le scénariste croise même son récit avec un second, fortement encré dans une dimension antique, qui viendra expliciter l’objet du braquage. Là aussi, Tom King se loupe à moitié, conférant un macguffin inintéressant (tout le monde court après ce mystérieux butin) et une évolution peu crédible au titre. Même Batman, se revendiquant propriétaire de ce qui a été volé, n’explique pas pourquoi il l’avait caché dans une banque et non dans sa Batcave quand on lui demande… In fine, le lecteur ne s’implique pas spécialement dans la course contre la montre pour récupérer ce fameux trésor…

Pire encore : entre les bulles de narration omniprésentes et lassantes, le scénariste abonde de mots grossiers dans la bouche de ses protagonistes. Ce n’est nullement un défaut à la base (cela peut même être marrant comme Negan dans The Walking Dead ou cohérent avec l’ambiance d’un titre, comme Marv dans Sin City – jetez un œil aux belles rééditions simples et collector de septembre 2023 chez Huginn & Muninn) mais l’éditeur états-uniens et français ont fait le choix de ne traduire aucun juron. Comme souvent en bandes dessinées, on se retrouve donc avec une suite de symboles pour ne pas écrire un gros mot. On retrouve donc des « %#$@#$ » au lieu d’écrire « putain / merde / enculé / fils de pute » ou autres termes folklorique…

Encore une fois, ce n’est pas forcément un défaut en temps normal quand ça arrive de temps en temps mais dans Killing Time c’est littéralement à chaque bulle quand deux voire trois anti-héros (incluant Catwoman et le Sphinx) s’y prêtent. De quoi alourdir davantage une écriture déjà bien plombée par de multiples défauts. Un exemple ci-dessus : une seule case, trois bulles de dialogue, six phrases, sept mots écrits de cette façon usante à décrypter/lire (oui : c’est pareil dans la version française que propose Urban Comics – images à venir à l’occasion).

Si l’on pouvait fermer les yeux sur les nombreux improbabilités propres au médium (Batman qui terrasse plusieurs tigres à mains nues, Catwoman qui vient à bout d’un groupe d’hommes de main armées en quelques secondes, la surpuissance d’Aide, etc.) on a quand même du mal à trouver l’ensemble de Killing Time pertinent. Entre le « tout ça pour ça » de soupir en fin de lecture et le « divertissement sympathique » pour les moins exigeants, l’œuvre se cherche un peu, parfois prétentieuse, pourtant prometteuse à défaut d’être révolutionnaire ou trop ambitieuse MAIS très jolie visuellement (cf. les nombreuses illustrations de cette chronique). Quel dommage (bis)…

Heureusement, les six chapitres bénéficient d’un sans faute graphique, orchestré d’une main de maître par David Marquez. L’artiste signe l’intégralité des dessins (et probablement l’encrage car ce n’est pas précisé), conférant non seulement une homogénéité visuelle mais aussi son style épuré, dynamique et efficace dans les nombreuses scènes d’action qui parsèment la fiction. Alejandro Sanchez colorise et apporte une variation chromatique propre aux comics (comprendre que chaque figure est richement mise en couleur grâce à ses costumes et looks habituels) tout en ajoutant cette ambiance parfois austère nécessaire à l’ambiance, parfois plus cosy avec de subtiles jeux de lumière. On apprécie aussi les looks du Pingouin et Catwoman, presque calqués sur ceux du film Batman – Le Défi (là où Nygma est davantage modernisé).

En cela, il est vrai que toutes ces belles planches sont peut-être le point fort de Killing Time, avec son concept initial, ses segments parfois originaux et son (modeste) puzzle narratif. Difficile de déconseiller la lecture mais difficile aussi de la conseiller pleinement – les éléments relevés dans cette chronique devrait arriver à vous aider à choisir. On ne retrouve pas forcément la « patte » de Tom King (qui aime bien déconstruire ses héros et leur insuffler une certaine humanité) donc ses habituels détracteurs pourraient apprécier, toutes proportions gardées tant l’écriture regorge de certains défauts. Pour un braquage de qualité avec Catwoman, on favorise plutôt, ben… Catwoman – Le dernier braquage.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 octobre 2023.
Contient : Batman Killing Time #1-6
Nombre de pages : 192

Scénario : Tom King
Dessin : David Marquez
Couleur : Alejandro Sanchez

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Makma (Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.fr : Batman – Killing Time (19 €)






Batman – One Bad Day : Gueule d’argile

Basil Karlo, alias Gueule d’argile est au cœur du dernier tome de la collection One Bad Day et c’est (enfin) une réussite qu’on recommande ! Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Basil Karlo a toujours rêvé d’être acteur… ou plutôt d’être le plus grand acteur de tous les temps. Mais lorsqu’il est devenu Gueule d’Argile, sa vie a pris un tournant inattendu. Aujourd’hui, après bien des années de lutte face à Batman, il a décidé de changer d’air. Arrivé dans la capitale mondiale du cinéma, loin de l’atmosphère viciée de Gotham, il s’y forge une nouvelle identité et reprend son rêve où il l’avait laissé. Mais pour arriver à être la star qu’il souhaite devenir, il va devoir façonner Los Angeles à son image…

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
On le martèle depuis le début de la collection, le concept d’une mauvaise journée qui ferait basculer une personne « lambda » dans la criminalité n’a jamais vraiment été respecté dans les opus consacrés aux antagonistes de Batman. Ce n’est pas ici pour Gueule d’argile que ça change mais, néanmoins, il s’agit tout de même d’une « mauvaise journée » que passe Basil Karlo. Le célèbre comédien impulsif (déjà connu en tant que Gueule d’argile) enchaîne les auditions sous le nom de Clay (en VO, son surnom est Clayface) loin de Gotham. Quand un de ses amis est pris suite à un casting que Clay/Basil désirait ardemment, Gueule d’argile le tue et revêt ses traits. Ensuite, il n’hésite pas à dire ce qu’il pense au metteur en scène, donner ses leçons de cinéma et imposer sa vision…

De quoi basculer dans une journée où Basil d’argile (non il n’est jamais appelé comme ça, c’est uniquement dans l’objet de cette critique) enchaîne les méfaits et le contrôle de ses manipulations et créations lui échappe petit à petit, au détour d’une amitié brisée, comme sa carrière. L’œuvre est finement écrite à quatre main par Collin Kelly et Jackson Lanzing (on leur doit plusieurs segments, déjà co-scénarisés ensemble des deux volumes de Batman & Robin Eternal et du dernier opus de Grayson). Un peu déroutant au début (beaucoup de figurants parlent à tout va de plusieurs sujets sans corrélation), le titre happe assez rapidement pour ne plus quitter son lecteur.

Il faut dire qu’il y a peu de comics pleinement consacrés à Gueule d’argile (on se rappelle de son rôle secondaire plutôt chouette dans la série Batman Detective Comics). Sans tomber dans trop de sympathie pour le criminel, les auteurs parviennent à susciter une empathie et une forme de « justesse » (surtout quand il est en monstre de boue) assez touchante. Le One Bad Day s’inscrit d’ailleurs comme un récit complet amusement méta, rendant hommage au Fantôme Gris (de la célèbre série d’animation Batman, déjà évoqué dans l’univers White Knight de Sean Murphy, plus particulièrement dans le tome consacré à Harley Quinn) et… à Killing Joke.

En effet, si initialement la gamme One Bad Day devait singer le récit culte d’Alan Moore et Brian Bolland, on a vu plusieurs fois qu’il n’en fut rien (exception pour Le Sphinx – contenant lui aussi une conclusion ouverte quant au sort des protagonistes). Dans ce livre sur Gueule d’argile, l’acteur joue le rôle du… comédien raté qu’était le Joker, allant jusqu’à reprendre son heaume rouge et son look ! Une approche assez osée et qui fonctionne étonnamment bien, probablement car elle occupe peu de places (cf. images ci-dessous qui ne se suivent pas normalement et sont séparées de quelques planches et rassemblées l’une en dessous de l’autre uniquement dans le cadre de cette critique). Le duo d’auteur se permet aussi une petite pique (facile) envers l’industrie cinématographique.

Côté dessins, Xermanico (Flashpoint Beyond notamment) est en pleine forme. Il croque avec élégance dans un style aéré et fluide, presque européen (l’artiste est espagnol et parle un peu français d’ailleurs), la mésaventure quotidienne de Basil, bien aidé par une exposition lumineuse assez prononcée, changeant un peu de la noirceur habituelle de Gotham (à laquelle on n’échappe pas en fin du livre). L’encrage (de Xermanico également) et la colorisation (signée Romulo Fajardo Jr.) ajoutent ce qu’il faut pour conférer au titre une ambiance et une unité graphique singulière. Son découpage équilibré, ses morceaux de scénario incrustés dans les planches et son approche parfois franco-européenne ajoutent une dimension sincèrement atypique et plaisante.

Ce dernier volume « boucle la boucle » efficacement (même s’il n’était pas sorti dans cet ordre aux États-Unis) et se hisse dans les meilleurs One Bad Day de la série ! Si Le Sphinx reste indétrônable, se suivent de près Mr. Freeze, Bane et ce Gueule d’Argile, tous trois de même qualité et appréciable à différents niveaux (cf. le classement de la page récapitulative). Les quatre autres comics restent déconseillés (Le Pingouin et Double-Face en tête, Catwoman et Ra’s al Ghul possèdent des qualités davantage visuelles que scénaristiques mais ne justifient pas de débourser une quinzaine d’euros pour ça) mais ils ressortiront peut-être pour un prix plus abordable en intégralité dans les prochaines années… (Rappel « d’actualité » : mon tour d’horizon de l’entièreté des One Bad Day est en ligne sur le site de Bruce Lit.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 6 octobre 2023.
Contient : Batman – One Bad Day : Clayface #1
Nombre de pages : 72

Scénario : Collin Kelly, Jackson Lanzing
Dessin & encrage : Xermanico
Couleur : Romulo Fajardo Jr.

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Studio Myrtille (Christophe Semal)

Acheter sur amazon.frBatman – One Bad Day : Gueule d’argile (15 €)