Archives de catégorie : La Galerie des Vilains

The Riddler – Année Un

Écrit par l’acteur Paul Dano, qui interprétait le célèbre Riddler (Sphinx) dans l’excellent film The Batman sorti en 2022, cette Année Un (Year One) dévoile donc le passé de l’antagoniste au sein du « ReevesUniverse » (qui comprend le long-métrage de Matt Reeves, sa future suite prévue en 2026, la série dérivée The Penguin – qui sera diffusée à l’automne 2024 –, un roman jeunesse prequel et, donc, ce comic book) ! Stevan Subic s’occupe (magistralement) de la partie graphique. Découverte d’un titre singulier de la collection Black Label.

La couverture classique et une spéciale limitée à 500 exemplaires au Festival d’Angoulême de fin janvier 2024 où Subic fut invité.

[Résumé de l’éditeur]
Dans le film à succès de Matt Reeves, The Batman, le Riddler n’est pas simplement un joyeux excentrique ayant un goût prononcé pour les jeux de mots et les indices déconcertants, mais un véritable psychopathe aussi énigmatique qu’impitoyable. Comment Edward Nashton, expert-comptable fragile et invisible, a t-il pu devenir l’un des pires criminels de Gotham ? Plongez dans l’histoire sombre et glauque d’un homme en marge de la société, refusant de passer inaperçu plus longtemps.

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[En attendant certaines cases ou planches en version françaises, celles en VO sont proposées dans cette critique – les images sont volontairement lourdes, vous pouvez les ouvrir dans un nouvel onglet pour mieux les admirer !]

[Critique]
Si vous avez aimé le long-métrage de Matt Reeves et apprécié sa « vision » du Riddler, aucun doute que ce préquel en comic book centré sur Edward Nashton vous satisfera. Si ce n’est pas le cas, il n’est peut-être pas utile de se ruer dessus, sauf si la curiosité du côté « roman graphique » vous attire (on en reparlera). The Riddler – Année Un narre la transformation d’un comptable timide et peu sûr de lui, à l’enfance malheureuse, en futur terroriste qui se voit tel un justicier dans une ville dans laquelle il admire secrètement le Chevalier Noir. Le parcours est peu surprenant (ce n’est pas un défaut), très introspectif et prévaut surtout par la mue visuelle qui opère au fil des six épisodes, en même temps que celle de la psyché d’Edward.

C’est là le point fort de la bande dessinée, Stevan Subic, dessinateur serbe (connu chez nous pour certains tomes des chouettes séries M.O.R.I.A.R.T.Y et Conan le Cimmérien – mais dont c’est ici le premier travail en comics), livre des planches totalement déconstruites, très loin des conventions habituelles, en mélangeant les styles (aussi bien des traits que de la colorisation – l’artiste assure à lui seul toutes les tâches d’illustration), peignant un univers sombre et plongeant dans la folie de Gotham et, surtout, d’Edward, accentué par les nombreuses échos narratifs du fragile jeune homme. On passe de quelques cases en peinture à des dessins en pleine page ou mélangés à d’autres, noyés dans de la documentation, des textes, de la colorisation numérique, une absence d’encrage, du flou volontaire et ainsi de suite.

Ainsi, le lecteur « voit » (et lit) toutes les pensées de Nashton, permettant de comprendre ce qui le pousse à devenir, petit à petit, l’effroyable Riddler. On a droit à quelques évènements classiques : tout un chapitre sur son enfance dans un orphelinat (rappelant ce qui avait été décrit dans le roman jeunesse préquel du film également), son obsession pour les énigmes (même si, ici, il n’en déposera aucune), sa volonté de « bien faire », d’être « quelqu’un », de simplement avoir un peu de reconnaissance, etc. L’injustice face à Edward (il travaille dur et demeure invisible pour les têtes pensantes), l’injustice grandissante dans Gotham (une cité qu’il aime mais dont la corruption et les manigances lui arrachent le cœur). L’ensemble est doublement noir, au sens littéral et figuré. La solitude amplifiée chez le comptable déjà fragile mentalement ne pouvait que converger vers l’esprit radical et la voie d’une « autre » justice (vue dans le film).

Le double fantomatique de l’antagoniste, la voix off constante, la presque schizophrénie de Nashton et son statut de pleutre et victime ajoutent juste ce qu’il faut d’empathie envers un ennemi moins redoutable dans ce qui nous est présenté dans le comic que dans The Batman (et c’est tout à fait normal). Pas d’incohérences entre les deux, au contraire, Paul Dano, son interprète au cinéma qui fait ses premiers pas en tant qu’auteur ici, a particulièrement fait attention à rester fidèle à l’univers de Reeves (la bande dessinée est à l’initiative de Dano sur les encouragements de Reeves). On s’étonne uniquement que le véritable premier meurtre du Riddler soit celui qui ouvre le film, visiblement Nashton ne s’est pas  « exercé » auparavant, alors que dans The Batman il semble parfaitement maîtriser l’assassinat. Il faut dire que cette Année Un débute un an avant le le long-métrage, donc encore aux balbutiements de Batman dans les rues (on le voit à peine dans le comic) et suit donc le parcours d’Edward sur une douzaine de mois.

Dano mêle plutôt bien le sens du rythme (la fiction se lit très bien) et la compréhension de l’ensemble (blanchiment d’argent, magouilles politiques…) – malgré tout un épisode quasiment textuel, proche du journal intime, qui part, littéralement, dans tous les sens – une dimension chaotique à l’image de son anti-héros et du système qui gangrène la ville –, mais il manque ce petit quelque chose peu définissable qui hisserait le titre comme un coup de cœur ou un indispensable. On apprécie voir un complément (non négligeable) à The Batman, une histoire globalement auto-contenue mais on peine à se passionner pour l’ensemble, qui manque peut-être d’une dimension plus large. Ce qui, paradoxalement, est un parti pris plutôt efficace car il se concentre uniquement sur Riddler, sa fonction première évidemment. L’homme mystère n’en aura plus vraiment après lecture, ce qui peut gâcher un peu l’authenticité de la version en chair et en os de Dano.

L’intérêt se situe donc davantage sur le cheminement visuel, très hétérogène tout en restant harmonieux avec l’ensemble, original et prenant. Subic pourrait être un élève de McKean ou Sienkiewicz. Esthétiquement, The Riddler – Année Un est aussi innovant que captivant, nappé de visions cauchemardesques et d’habiles échos graphiques à la folie de son protagoniste. Toutefois, côté scénario, le passé de Nashton n’apporte pas nécessairement une plus-value très originale, si on a (déjà) vu la version de Reeves mais permet tout de même de mieux comprendre l’évolution du (futur) ennemi.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 février 2024.
Contient : The Riddler: Year One #1-6
Nombre de pages : 240

Scénario : Paul Dano
Artiste (dessin, encrage et couleur) : Stevan Subic

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Christophe Semal

Acheter sur amazon.fr : The Riddler – Année Un (24 €)






Harley Quinn & les Sirènes de Gotham

Harley Quinn & les Sirènes de Gotham compile les dix premiers épisodes de la série (VO) Gotham City Sirens (qui en compta 26 au total), créée en 2009 par le scénariste Paul Dini (Mad Love, Paul Dini présente Batman) et le dessinateur (et parfois auteur) Guillem March (Catwoman, Joker Infinite…). Ce récit (complet au demeurant) a été publié en janvier 2020 chez Urban Comics, puis est ressorti dans un format souple un brin raccourci (deux épisodes en moins, conservant malgré tout un côté complet) en été 2021, lors d’une opération estivale à petit prix de l’éditeur (4,90 € !). Il se déroule juste après Le cœur de Silence (alias Paul Dini présente Batman – Tome 2 – dont ces Sirènes de Gotham sont quasiment un opus « 2.5 »).

 

[Résumé de l’éditeur]
Splendides, envoûtantes et dangereuses. Catwoman, Poison Ivy et Harley Quinn en ont assez de suivre les ordres, et elles sont prêtes à s’emparer d’une Gotham qui leur tend les bras depuis la disparition du Chevalier Noir, perdu dans les méandres du temps. C’est l’occasion pour elle de faire cause commune… mais pour combien de temps ?

[Début de l’histoire]
Catwoman se bat avec un malfrat de troisième zone vaguement dangereux mais ses récents problèmes au cœur la rendent très vulnérables. Secourue par Poison Ivy, cette dernière propose de cohabiter chez elle, ou plutôt chez le Sphinx dont elle squatte la résidence avec Harley Quinn.

Les trois femmes décident d’aménager ensemble et former une alliance éphémère. Quinn disparaît rapidement, obligeant Ivy et Catwoman à enquêter…

[Critique]
Les six premiers épisodes de ces Sirènes de Gotham (le « vrai » titre VO de la série, y avoir accoler Harley Quinn en prime n’est qu’un argument commercial, elle n’est pas davantage mise en avant que Catwoman ou Ivy) forment un ensemble très sympathique, qui fait la part belle à ce trio féminin d’antagonistes. Paul Dini y poursuit complètement ce qu’il avait instauré dans ces deux premiers tomes de Paul Dini présente Batman (La mort en cette cité puis Le cœur de Silence). Ainsi, l’histoire débute avec une Selina Kyle encore à peine remise de son opération au cœur et un Bruce Wayne qui n’est autre que Tommy Eliott (Silence) !

On peut arriver à comprendre tout ça si on n’est pas coutumier des précédents travaux de Dini mais c’est un peu rude, d’autant qu’étonnamment Urban Comics ne propose pas un accompagnement éditorial en avant-propos pour contextualiser la situation (le vrai Bruce Wayne a disparu, Dick le remplace en tant que Batman, Silence se fait passer pour Wayne, Damian apparaît pour ses premiers pas en tant que Robin, le Sphinx est un détective privé et non un criminel, etc.) – c’est d’autant plus surprenant que les Paul Dini présente Batman avaient déjà été publiés depuis plusieurs années par l’éditeur.

Passons. Dini reprend donc quelques éléments de son précédent run : on y croise le courtier, la charpentière et deux autres femmes « fortes » comme Zatanna (sur laquelle l’auteur avait excellé) et même Talia al Ghul. De quoi avoir une bande dessinée qui met (enfin) en avant des figures féminines plus ou moins familières pour une association séduisante (dans les deux sens) et qui fonctionne à peu près. En vrac (dans les six premiers chapitres donc) : le trio aménage ensemble puis Ivy et Catwoman se lance à la poursuite du kidnappeur d’Harley. Les choses se compliquent quand le Joker, très jaloux de l’émancipation récente d’Harley (personnage créé par Paul Dini justement, dans la série animée de 1992 et qu’il avait repris, entre autres, dans le chouette Mad Love), se met aussi en quête pour retrouver son amante.

Si Batman (Dick Grayson) apparaît furtivement, l’autre personnage majeur de ce volume est Le Sphinx ! Edward Nigma s’est repenti et reconverti en privé et aide ses alliées, à commencer par Catwoman avec qui il a toujours eu une relation particulière (Catwoman à Rome, Batman/Catwoman…). En résulte un titre où ces quatre habituels « vilain/es » gravitent dans Gotham. On apprécie surtout l’écriture sur Quinn, attachante et un peu perdue et Poison Ivy, qui n’en oublie pas ses convictions et son alliance « pragmatique » (elle n’estime pas que Selina et Harley sont ses amies mais uniquement des collègues).

Graphiquement, Guillem March s’en donne à cœur joie, rendant sexy chacune des sirènes, sans être jamais réellement vulgaire mais parfois trop gratuitement sans réel intérêt (il s’empirera – ou s’améliorera, c’est selon – quand il reprendra la série Catwoman version New52/Renaissance quelques années plus tard) – cf. quelques illustrations de cette critique ou la toute dernière image en bas en VO, admirez le fessier de Selina, la pose suggestive de Pamela (on vous épargne une personnage très très secondaire en string apparent et bas résilles déchirés apparents sans raisons logiques). Il officie sur ces six premiers chapitres (les meilleurs, nommés Union, Conversation entre filles, L’énigme du siècle ! (écrit par Scott Lobdell), Rencard, Le monstre du passé et Le dernier gag) et contribue à la lecture agréable de l’ensemble qui devrait ravir les fans d’Harley Quinn, Poison Ivy, Catwoman et/ou Le Sphinx, sans trop de difficultés.

Jose Villarrubia colorise avec toute une gamme riche et variée propre aux productions du genre, accentuant un côté « mainstream » bienvenu avec parfois Tomeu Morey ou March lui-même en remplacement. Si le titre est globalement accessible (passé le statu quo de départ singulier) et la lecture sympathique, l’ensemble est/sera vite oublié et, de facto, ne vaut peut-être pas les vingt-quatre euros demandés… On conseille davantage la version en bon plan qui se trouve régulièrement en occasion au prix initial voire moins cher (donc entre trois et cinq euros).

Dans cette version (ainsi que la normale), on a droit aux chapitres #7 et #8, le premier (Histoire de fêtes) est centré sur Quinn qui retrouve sa famille (dessiné par David Lopez – dans un style visuel moins abouti que March), le second (Vengeance verte) sur Ivy à son tour kidnappée (écrit et dessiné par March). En revanche, l’édition souple à bas prix ne contient pas les épisodes #9-10 (Les pièces du puzzle et Choisir son camp – Andres Guinaldo au dessin), tous deux se suivent et remettent le Sphinx au premier plan pour aider les Sirènes de Gotham à découvrir et déjouer un ennemi de troisième zone. Vous l’aurez compris, ces autres parties sont moins passionnantes.

En somme, Harley Quinn & les Sirènes de Gotham est une aventure suffisante pour les aficionados des trois anti-héroïnes ou même du Sphinx. Ceux souhaitant voir la suite de Paul Dini présente Batman devraient aussi y trouver leur compte. Sans jamais être trop « girly » (dans le sens péjoratif du terme) ni trop tomber dans le « male gaze », la fiction est sympathique avec un ou deux retournements de situation peu prévisible mais rendant l’ensemble moins épique que prévu. Dommage qu’Urban ne propose pas la suite même si les dix épisodes s’auto-suffisent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 janvier 2020.
Contient : Gotham City Sirens #1-10 (#1-8 pour la version souple)
Nombre de pages : 256

Scénario : Paul Dini, Scott Lobdell, Guillem March
Dessin : Guillem March, David Lopez, Raul Fernandez
Encrage : Guillem March, Alvaro Lopez, Raul Fernandez
Couleur : José Villarrubia, Guillem March, Tomeu Morey, Ian Hannin

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Moscow Eye

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Batman & Joker – Deadly Duo

C’est LA grosse sortie de fin d’année 2023 chez Urban Comics : Batman & Joker – Deadly Duo, entièrement écrit et dessiné par Marc Silvestri. Un récit issu du Black Label, permettant d’être accessible et indépendant, sans s’encombrer de la continuité habituelle liée au Chevalier Noir. Pour l’occasion, le titre sort dans trois versions : une normale (21 €), une en noir et blanc limitée à 1.500 exemplaires (29 €) et une spéciale pour l’enseigne Pulp’s Comics avec une variante en couverture et sept lithographiques exclusives (25 €), éditée à 800 exemplaires. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
De mystérieuses goules à l’apparence du Joker sillonnent les rues de Gotham, semant têtes coupées et cadavres sur leur passage. Dans ce chaos funeste, Harley Quinn et le Commissaire Gordon manquent à l’appel. Le Chevalier Noir se met aussitôt à leur recherche, et ne tarde pas à comprendre que quelqu’un d’autre suit leur piste : le Prince Clown du Crime. Les ennemis jurés vont devoir se résoudre à l’impensable pour arriver à leurs fins : enterrer la hache de guerre.

[Début de l’histoire]
Harley Quinn semble prisonnière d’un puits ancien. Son mystérieux geôlier a un œil rouge…

Harvey Bullock et Batman enquêtent sur une scène de crime sordide qui paraît signée le Joker.

Gordon a disparu et, dans Gotham, le Chevalier Noir affronte des goules ressemblant, à nouveau, au Joker.

Quand Batman retrouve enfin ce dernier, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux ennemis jurés ont pourtant un but commun : retrouver leur allié respectif (Gordon et Quinn). Une alliance se créée…

[Critique]
Une sacrée épopée graphique horrifique ! Voilà ce qui attend le lecteur de Batman & Joker – Deadly Duo. Ce qui frappe d’entrée de jeu est la virtuosité des dessins de Marc Silvestri. Un style nerveux et dynamique, à peine encré et sublimement mis en couleur par Arif Prianto – on y reviendra – qui sert une histoire plus ou moins inédite. Le scénario (également signé Silvestri) est assez inégal et c’est principalement à cause de cela que le titre pêche par moment (et qu’on lui préfère donc sa beauté visuelle en premier lieu).

Dans Deadly Duo, on est directement plongé dans un registre d’horreur et de fantastique, il ne faut donc pas s’attendre (contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture) à un « Thriller / Action » mais plutôt à de l’action sanglante incluant créatures (les fameuses goules) et même des sortes de zombies (on en parle plus loin). De quoi déstabiliser (ou décontenancer, ou séduire) le lectorat davantage fan du côté urbain et policier, plus « terre-à-terre » en somme, des aventures du Chevalier Noir.

Le récit est palpitant, extrêmement bien rythmé malgré des textes (ou une traduction ?) manquant d’une certaine « fluidité », c’est un aparté très subjectif mais certaines bulles sonnent bizarrement, par exemple quand le Joker rabâche qu’il a bu trop de thé glacé (!?) sans que cela débouche sur un élément narratif corrélé. Il y a d’autres petits « tics » de langage comme cela qui parsèment la fiction de façon un peu abrupt. De même, on est parfois perdu par rapport aux nouveaux personnages (pourtant peu nombreux, on songe à Donald Simms en priorité) pour comprendre leur lien exact avec Bruce Wayne, Batman, Gotham City, Gordon… Rien de bien méchant au demeurant mais on se surprend à relire quelques cases de temps à autre pour bien assimiler les informations (cela ne veut pas dire que c’est compliqué, ce sont juste les propos qui sont moins intelligibles, donc faute d’écriture de temps en temps (ou de traduction ?)).

Passé ces micro reproches, que nous offre Deadly Duo ? Une course épique et effrénée où Batman doit collaborer avec le Joker. Ce concept improbable et rarement exploité (récemment, on pense juste à Last Knight on Earth qui s’en rapproche, et encore) est habilement mis en scène dans le début du titre. Le Joker est solidement attaché et retenu prisonnier dans la Batcave, une cagoule sur le visage (qui s’ouvre au niveau des yeux et de la bouche- et un casque de musique sur les oreilles). Deux protagonistes contraints et forcés de s’entraider ensuite (le Joker reste menotté pour que Batman puisse le surveiller). Leur binôme obligatoire résulte d’un objectif commun : retrouver et sauver Gordon pour Batman, Harley Quinn pour le Joker.

Attention, il ne faut pas s’attendre non plus à de longues péripéties pour les deux, leur association arrive presque au milieu du livre avant d’être interrompue par plusieurs flash-backs (très pertinents). Cette alliance inattendue se résume, in fine, à uniquement se rendre dans un endroit où était convié initialement le Prince Clown du Crime pour résoudre des énigmes et… sauver des gens (!). Autant dire que le Joker s’en moque. Arrive alors, littéralement, une descente (aux enfers) dans les limbes de Gotham City, la partie souterraine devient le terrain de jeu du nouvel ennemi créé pour l’occasion où se retrouvent Batman et le Joker pour (déjà) la suite et fin de leur coalition. Attention aux révélations dans le paragraphe suivant si vous ne voulez pas trop en savoir, passez à celui d’après (idem, ne descendez pas tout en bas voir la dernière illustration – celle sous les squelettes en costumes – même si en soi elle ne dévoile rien mais au cas où…).

C’est tout le propos de Deadly Duo (et sa maladresse). Silvestri le reconnaît bien volontiers dans sa postface, sa fiction est avant tout la création d’un antagoniste qui devrait « revenir » ensuite (pas forcément dans une suite directe mais plutôt intégrer simplement la galerie de vilains dans la mythologie de Batman). On parle bien sûr d’Amanda Simms (fille de Donald), alias « Gothrillon » ou « La Comtesse de la Crypte » comme la surnomme le Joker. Une femme tuée par le Joker le jour de son mariage (en tout cas, en apparence), qui arrive à convoquer des morts-vivants dans sa croisade : briser Bruce Wayne, dont elle connaît l’identité, qu’elle juge responsable indirectement de nombreux morts à Gotham.

Certes, ce nouvel ennemi a des intentions « qui se comprennent » et replongent Batman dans une énième réflexion sur sa part de responsabilité (et culpabilité) quant au sort funeste des victimes collatérales (des attentats qu’il n’arrive pas à déjouer ou simplement car il laisse en vie les criminels). Un aspect déjà vu et abordé maintes fois mais qui reste cohérent et plutôt bien écrit dans Deadly Duo. Ce qui fonctionne moins en revanche est toute la couche textuelle verbeuse sur des explications alambiquées autour de « cellules souches, nerfs, chair, os, racines, nutriments, décompositions, renaissance, etc. ». Le titre est bavard et se perd en complications inutiles sur cet aspect.

En synthèse, l’approche « zombie/créature » est bizarrement pensée et gérée, le mystérieux ennemi est charismatique mais peine un peu à convaincre a posteriori dans sa grande organisation d’épreuves (rappelant un peu la saga Saw), son armée « d’enfants » et d’un macGuffin avec le Joker un peu surprenant. Le titre est à son meilleur quand il se concentre (sans surprise) sur les échanges entre le Joker et Batman où les connexions liées à ce duo imprévu : Barbara/Batgirl qui en veut à Batman alors que son père est porté disparu.

Quelques personnages secondaires familiers apparaissent dans l’aventure : Barbara/Batgirl donc, mais aussi Dick/Nightwing et Selina/Catwoman (en plus de ce bon Alfred, évidemment). S’il est agréable de les voir croquer par Silvestri, on peut déplorer leur passage furtif durant les sept épisodes qui composent Deadly Duo. Un chapitrage soigné au demeurant, divisé systématiquement en deux parties avec un intertitre, agrémentant une dimension assez cinématographique et contribuant à l’efficacité rythmique déjà abordée plus haut.

Comme évoqué au début de la critique, c’est donc davantage la patte graphique qui séduit dans Deadly Duo que l’entièreté de son scénario, qui comporte malgré tout de très beaux moments, des séquences originales et des échanges ciselés. Marc Silvestri, soixante cinq ans en 2023 a tenu à dessiner entièrement cette histoire qui lui tenait à cœur. L’artiste a davantage travaillé chez Marvel (X-Men, Wolverine…) mais est surtout connu pour avoir créé (et dessiné au début) la série Cyberforce (scénarisée par son frère Eric), quand il a fondé Image Comics en 1992 avec d’autres collègues dont Jim Lee et Todd McFarlane (cf. le bloc de contextualisation de cet éditeur dans la critique Batman / Spawn (1994)).

Silvestri est au sommet de son art sur Deadly Duo, lui-même arborant une nouvelle manière de travailler, « se nourrissant de la plume de Franklin Booth et Bernie Wrighston (notamment dans sa période Frankenstein) ». Les traits sont fins, détaillés, très vifs et aérés, les corps sculptés et les costumes magnifiés. L’encrage minimaliste contribue à ce style singulier et élégant. Beaucoup de scènes d’action sont épiques et Silvestri icônise au maximum ses héros et anti-héros. Gotham City, la Batcave, le repaire de l’ennemi… toute la géographie, urbaine ou naturelle, ajoute une immersion bienvenue en complément des passages sanglants et d’épouvante, dans lesquels excelle l’artiste. Rien que pour cette plongée graphique ultra séduisante, il est dommage de passer à côté du titre !

La colorisation est assurée par Arif Prianto qui entremêle (sur conseil de Silvestri) autant de teintes chaudes que froides mais sans jamais dénaturer l’ambiance globale et le ton morbide propre à l’aventure. Comprendre que s’il y a bien des gammes chromatiques « excentriques » (le rouge du costume d’Harley Quinn, le violet de celui du Joker, etc.), cela ne verse dans un registre plus « pop et flashy », tranchant avec un côté plus mainstream des productions du genre. De quoi rappeler que Deadly Duo est réservé à « un public averti » (ce qui se comprend amplement quand on voit des décapitations, meurtres ultra violents, têtes coupées, yeux crevés, etc.).

Une sacrée épopée graphique horrifique ! C’est ce qui ouvrait cet article et le ferme car c’est ce qui caractérise donc le mieux ce Batman & Joker – Deadly Duo qu’on a tendance à conseiller, principalement pour cette plongée sanglante visuellement irréprochable. Si on ferme les yeux sur les défauts d’écriture et la création un peu « forcée » d’un ennemi pas forcément convaincant (dans l’immédiat), aucun doute que le lecteur passera un bon moment en découvrant une alliance improbable entre le justicier et son pire ennemi. Alliance un peu rapide et expéditive certes, mais qui offre de belles séquences d’anthologie et iconiques.

On le soulignait en avant-propos, Deadly Duo bénéficie de deux autres tirages limités. Un entièrement en noir et blanc à 1.500 exemplaires dont l’intégralité de la couverture (incluant le verso) avait été dévoilée début juin 2023 dans la dixième newsletter de François Hercouët (consacrée aux travaux de recherche sur les choix de couverture justement). Cette version coûte 29 € et se trouve aisément dans les librairies spécialisées et sur amazon.fr au début de sa mise en vente (attention au stock) – même s’il y a des liens amazon sur ce site (le seul moyen de tirer un micro revenu variant de dix à trente euros par mois pour tout le travail effectué), on conseillera toujours de privilégier les petites enseignes et librairies indépendantes si vous le pouvez.

Le second tirage limité arbore une couverture différente, un pack de sept lithographies exclusives et est réservé à l’enseigne parisienne Pulp’s Comics qui le vend à 25 € (disponible dans leur magasin ou par commande en ligne sur leur site). Cliquez sur les images ci-dessus pour agrandir.

L’ouvrage se terminer d’abord par une postface de quatre pages de Silvestri revenant sur la genèse du projet et son travail dessus ainsi que les personnes qui l’ont accompagnées pour mener à bien son « buddy comic horrifique ». Ensuite, vingt couvertures alternatives concluent ces bonus (il en existe près du double en VO !). Sélection ci-après de quelques-unes marquantes : Jason Shawn Alexander pour les deux premières (#3) puis Gary Frank & Brad Anderson (#5) et enfin John McRea & Mike Spicer (#6).

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 novembre 2023.
Contient : Batman & Joker Deadly Duo #1-7
Nombre de pages : 208

Scénario & Dessin : Marc Silvestri
Couleur : Arif Prianto

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Scribgit

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