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Batman – Créature de la nuit

Disponible en deux éditions, une couleur (19€) et une limitée en noir et blanc (29€), que valent les quatre chapitres de Batman – Créature de la nuit ? Attention il ne s’agit pas d’une aventure de l’homme chauve-souris mais d’un récit se déroulant « dans le monde réel » dans lequel le mythe du Chevalier Noir a une influence sur le protagoniste. Découverte de cette œuvre récente (débutée en 2018 et qui a mis deux ans à se terminer) signée Kurt Busiek au scénario (qui prolonge d’une certaine façon le travail qu’il avait déjà effectué sur l’excellent Superman – Identité Secrète) et John Paul Leon aux dessins et aux couleurs.

[Résumé de l’éditeur]
1968, Boston, dans le Massachusetts, le jeune Bruce Wainwright, homonyme du personnage de fiction « Bruce Wayne », voit ses parents brutalement abattus, comme un écho cruellement ironique au héros de bande dessinée Batman dont il est un avide lecteur. Désemparé, Bruce est désireux néanmoins de surmonter son trauma mais se voit poursuivi par une mystérieuse forme noire prenant vie. Un être d’ombre qui n’est pas loin de ressembler à… une chauve-souris humaine !

[Histoire]
En 1968, à Boston, Bruce Wainwright a huit ans et est fan de Batman, il surnomme d’ailleurs son oncle Alton Frederick « Alfred ». La nuit d’Halloween, les parents de Bruce se font tuer à leur domicile par des cambrioleurs. Le garçon s’en sort de justesse confiant à son témoignage au policier Gordon Hoover.

Le temps passe cruellement et les coupables ne sont toujours pas retrouvés. Bruce garde foi en la justice, grandit et souhaite « faire le bien ». Il peut compter sur l’aide de l’étrange créature mi-humaine mi-chauve-souris qu’il croise parfois dans la ville et qui s’en prend aux criminels.

[Critique]
Avant de rentrer dans les détails, il convient de dire que Créature de la nuit se découpe en quatre chapitres (« Je deviendrai… », Petit génie, Un croisé et Chevalier noir). Le premier, celui résumé doublement ci-dessus avec Bruce enfant, est le moins bon (mais obligatoire pour mieux saisir la suite, évidemment) et correspond donc à un quart de l’ouvrage. Ce sont les trois quarts restant qui méritent le détour puisqu’une ellipse temporelle est opérée. Ainsi, dès le deuxième épisode on trouve le protagoniste dans la fleur de l’âge : jeune homme brillant, intellectuellement et physiquement, aux grandes ressources monétaires, humble, bienveillant et motivé à changer à sa petite échelle le monde qui l’entoure. Il va par exemple aider une autre orpheline, nommée Robin (forcément). L’ombre de la chauve-souris géante plane toujours dans la ville, entre rencontres avec le jeune Bruce et complicité évidente entre les deux malgré un certain mutisme — voire identité secrète de Bruce ? On ne sait pas trop… C’est là tout l’autre fil narratif de la bande dessinée.

« Encore une chose qui ne se passe pas dans la vraie vie comme dans les comics. »

Le troisième chapitre se déroule à minima après 1989 (l’année n’est pas précisée) car il est fait mention du film Batman de Tim Burton, dont l’affiche trône fièrement dans le bureau de Bruce. Un long-métrage « absolument sinistre » selon Alfred quand il s’interroge sur « l’éternelle passion » de son neveu envers le Chevalier Noir. Les connexions à la mythologie de Dark Knight se trouvent également dans quelques planches ou cases de comics vintages que lit le héros ou qu’il s’imagine. Un frère jumeau mort-né est également évoqué, à l’instar de ce qu’on découvrait dans La Cour des Hiboux sans que cette piste ne soit plus jamais réellement explorée ailleurs, c’est donc le cas ici. Frère nommé Thomas (comme le « vrai père » de Bruce Wayne) et surnommé Tommy (comme Tommy Elliot, de Silence, ami d’enfance du milliardaire qui rêve de lui ressembler et fait même de la chirurgie esthétique pour). Un collègue de Bruce, nommé Eddie, est doué pour trouver des pistes s’il a des indices, est-ce un hommage à peine appuyé à Eddie Nygma ? Qu’on ne s’y trompe pas, ces allusions restent discrètes et éphémères, il ne faut pas s’attendre à en repérer à chaque planche (difficile de savoir si ça aurait rendu l’ensemble moins bon ou meilleur).

Deux narrateurs se succèdent alternativement au fil des planches : Bruce et Alfred (parfois rejoints par un troisième). Rappelant « presque » Année Un et son martèlement pensif entre Gordon et Wayne. L’évolution de Bruce est plutôt convenue (dans un premier temps), proche de son illustre aîné « de fiction » (beau garçon multipliant les conquêtes et réussite économique entre autres), on ignore en revanche s’il s’est imaginé une créature chauve-souris l’aidant lui et, surtout, aidant la ville ou bien… s’il s’agit de lui qui agirait sous un costume. A moins qu’il ne sombre dans la folie lentement mais sûrement ? Ou alors serait-ce l’équivalent d’un Man-Bat ?

Autre mystère : l’oncle Alfred. Il refuse de recevoir Bruce chez lui, ils ne se voient que dans des lieux publics, etc. On s’interroge très vite sur les véritables intentions du dernier chaînon familial de sang à l’apparence étrangement bienveillante. L’obsession pour Batman ne se corrèle étrangement pas à celle de ses ennemis (à l’exception de quelques cases sur la fin). Le Joker n’est donc pas mentionné, l’auteur avait pourtant quelques idées comme il l’expliquera dans sa préface. Une fois de plus, compliqué d’imaginer un résultat plus qualitatif avec ou sans une intervention plus solide du célèbre Clown ou d’un autre vilain emblématique.

C’est là tout le paradoxe de l’œuvre. C’est un bon comic-book, indéniablement (plus proche d’une bande dessinée « européenne » d’ailleurs (on en reparle plus loin)). Un drame à moitié polar avec quelques touches de surnaturelles. Une empathie aisée pour son protagoniste et les personnages secondaires qui gravitent autour de lui. Le « problème » est que ça n’a pas grand chose à voir avec une « vraie » aventure de Batman ; il ne faut donc pas s’attendre à en découvrir une. C’est peut-être ça qu’il faut anticiper/révéler avant d’acheter le livre (même si le résumé en quatrième de couverture le stipule aussi). Il est légitime de le préciser à nouveau afin de ne pas avoir de mauvaise surprise ou s’attendre à une immersion dans Gotham par exemple. Le suspense entretenu dès le début autour de l’aura mystérieuse de la chauve souris géante retombe un peu au fil de la progression avec une révélation malheureusement assez prévisible (surtout pour ceux habitués à ce genre de fiction), malgré quelques moments de confusion pas vraiment résolus mais plaisants quand même. L’exercice hors-norme reste quand même agréable (bien rythmé, bien écrit, bien dessiné).

Les fins connaisseurs des comics sur Batman ne pourront pas s’empêcher de penser au singulier Dark Night – Une histoire vraie, une plongée « dans notre monde » et surtout dans la vie de Paul Dini, scénariste du Caped Crusader et d’une agression dont il fut victime (d’où le titre). De la même façon, on se remémore C’est un oiseau, version similaire du présent comic mais sur l’homme d’acier au lieu de l’homme chauve-souris ou, bien sûr (et comme déjà cité) Superman – Identité Secrète, signé du même auteur Kurt Busiek et réédité le 4 septembre 2020 dans la collection DC Black Label à l’occasion de la sortie de Créature de la nuit (lui aussi sous ce même label), mis en vente le même jour.

Si le récit est « sombre » dès le début (le meurtre des parents), il prend une tournure « adulte » plus passionnante dès son chapitre suivant. Entre monde de l’entreprise, racisme américain « discret » des années 70’s… le tout servi par un dessin rappelant davantage la bande dessinée franco-belge ou les comics type polar, on sort clairement des habituels projets de l’industrie (ce qui était déjà évident en optant pour une histoire sur Batman sans Batman). On pense alors (pour la partie graphique) à la série culte Gotham Central par exemple, ancrant son récit dans une certaine ambiance froide, terne et réaliste. Le dessinateur et coloriste John Paul Leon a travaillé sur diverses séries, allant de RoboCop à Earth X (Marvel) en passant bien sûr par Batman. On a pu le voir à l’œuvre sur Terminal, deux chapitres publiés dans Detective Comics (période New 52) et Batman Saga qui sont justement compilés et proposés en noir et blanc et gratuitement chez vos libraires pour le Batman Day le 18 septembre prochain.

Créature de la nuit est donc un chouette drame urbain énigmatique à la touche graphique très travaillé, très agréable : on y trouve une certaine plausibilité élégante dans les morphologies, décors et visages. Plutôt touchant et palpitant, le livre est sans nul doute une réussite pour qui y cherche à la fois ce style de dessins et cette ambiance si particulière couplé à une narration rythmée et prenante. « Malheureusement » l’ensemble ne plonge pas le lecteur dans une « vraie » histoire de Batman et ce n’est pas ça qu’il faut espérer y trouver ici, on est davantage dans une sorte de bande dessinée indépendante prestigieuse, qui se sert du mythe du Chevalier Noir pour étoffer (brillamment) son récit. Avis aux amateurs donc…


[A propos]

Sortie le 4 septembre 2020 chez Urban Comics

Scénario : Kurt Busiek
Dessin et couleurs : John Paul Leon
Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye

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