Black Adam

Sortie au cinéma le 19 octobre 2022

[Résumé]
Il y a 5.000 ans, au Kahndaq, un jeune garçon esclave mène la rébellion pour ne plus être sous le joug d’un roi tortionnaire. Héritant du pouvoir de sept sorciers, le jeune homme devient surpuissant (en prononçant le mot « Shazam ») mais presque incontrôlable. Causant la perte de son pays, il est fait prisonnier.

De nos jours, Teth-Adam est réveillé, toujours au Kahndaq, par une archéologue, Adrianna Tomaz. Son pays est contrôlé par les mercenaires d’Intergang qui imposent une dictature aux habitants. Ces derniers voient en Teth-Adam une figure héroïque qui va les sauver.

Mais la Justice Society, emmenée par Hawkman et Dr. Fate, considère Black Adam comme une menace et va tenter de s’interposer, au risque de se heurter à la fois à un ennemi imbattable mais aussi à l’avis d’une population qui accepte qu’on tue leurs bourreaux…

[Critique]
Onzième film de l’univers partagé DC Comics au cinéma, Black Adam est le « second » qui propose une cohabitation entre différents héros et quelques croisements avec des figures provenant des autres films (après les deux Justice League, celui de 2017 et celui de 2021). Mais qu’en est-il de Black Adam en lui-même ? Son ADN des comics est-elle respectée ? Un peu… Et si le long-métrage propose un spectacle généreux avec quelques surprises, il souffre de plusieurs défauts évidents qui peinent à rendre la fiction incontournable. Annoncé comme « le renouveau de DC au cinéma » (ou le premier de « la phase 1 du DCEU 2.0 »), Black Adam reste un blockbuster efficace posant quelques jalons pour une nouvelle ère qui pourrait enfin être jubilatoire.

Dwayne « The Rock » Johnson est un amoureux des comics et surtout de Black Adam. Attaché au projet de cette adaptation depuis une petite quinzaine d’années (!), l’acteur s’est impliqué dans le processus de production et a réussi à imposer quelques surprises (on y reviendra). La première crainte est vite évacuée : la star planétaire ne joue pas son énième rôle « cool et blagueur » (il y a un peu d’humour certes mais suffisamment dosé pour ne pas plomber l’intrigue ou désamorcer trop de situations). Le comédien est particulièrement convaincant, certes son imposante masse musculaire y est pour beaucoup et l’écriture peu subtile mais c’est amplement suffisant pour que le spectateur y croit.

Dans Black Adam, l’homme tue sans sourciller (comme dans les comics) même si ses victimes restent néanmoins des « méchants ». Ce qui donne malheureusement un petit côté Suicide Squad au film… Par ailleurs, ses scènes violentes ne sont pas forcément trop sanglantes. Le métrage était initialement prévu pour être « Rated-R » (Restricted), soit interdit (aux États-Unis) aux mineurs de dix-sept ans ou moins non accompagnés d’adultes (comme ce fut le cas pour Joker par exemple). Finalement, Black Adam écope d’un banal « PG-13 » (équivalent d’un accord parental souhaitable).

Il y a donc eu des coupes au montage (des scènes des bande-annonces sont absentes du film – d’autres révèlent trop de choses issues de la dernière partie !), de quoi espérer une version longue/director’s cut comme ce fut le cas pour plusieurs films du DCEU (Batman v Superman en tête). Justement, le montage est assez catastrophique. Tout s’enchaîne trop vite (il ne se déroule qu’une poignée de jours entre le début et la fin) sans avoir le temps d’exposer ses personnages (principalement) et ses enjeux (minoritairement). Globalement, tous les éléments narratifs sont mal introduits. On pense évidemment à la première apparition de la Justice Society (JSA en VO, accolant of America à la fin). Qui sont Hawkman et Dr. Fate ? Atom Smasher et Cyclone ? Ces quatre membres de l’équipe, dirigée visiblement par Amanda Waller, ont droit à une brève description avant de partir en mission (arrêter Black Adam). Comment ont-ils eu leurs pouvoirs ? Leurs costumes ? Se sont-ils rencontrés ? Une fois de plus on repense à Suicide Squad qui peinait à présenter ses anti-héros pour qu’on s’attache à eux ou qu’on comprenne leur parcours. Ici, les nouveaux-venus seront probablement perdus…

C’est bien dommage car la petite équipe de Justice Society fonctionne plutôt bien, l’alchimie entre les juniors et seniors fait mouche. Les deux plus jeunes (Noah Centino et Quintessa Swindell) sont cantonnés à des rôles très clichés mais ça passe quand même. Les deux plus âgés (Hawkman et Fate) brillent par leur expérience (la brutalité d’Hawkman et la sagesse de Fate) et indéniablement leur prestance. Le charisme de Pierce Brosnan (Kent Nelson, alias Dr. Fate) et son flegme so british (irlandais en vrai) balayent tout sur son passage, couplé à celui d’Aldis Hodge (Carter Hall, Hawkman donc) – il faut absolument une série ou un spin-off sur ce duo (ils ont un passif très riche à peine évoqué) ! Ils ne font pas de l’ombre à Dwayne Johnson mais le complémente efficacement. Encore une fois, le souci vient du rythme avec des combats (spectaculaires au demeurant) qui se multiplient sans temps mort, où la Justice Society et Black Adam sont, sans surprise, tour à tour ennemis puis alliés.

Il faut dire que les véritables menaces ne sont pas terribles. D’un côté une mystérieuse organisation, l’Intergang, dont on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’il s’agit de mercenaires terrorisant les habitants du Kahndaq. D’un autre côté Sabbac, créature démoniaque peu inspirée (sorte de diable surpuissant aux motivations inexistantes à part « détruire et contrôler le monde », en gros) – comme souvent dans le DCEU, le film se vautre dans un dernier acte prévisible et trop numérisé. Un peu confus, pas très original… le scénario est effectivement assez simpliste (parfois confus : qui est l’Intergang ? pourquoi chercher l’Eternium ? qu’est-ce que cet artefact magique ?) mais reste efficace dans sa proposition pour peu qu’on ne soit pas exigeant (une « origin story pop corn » portée sur l’action et le grandiloquent). Si on ne demande pas grand chose de plus, il y a de bonnes raisons d’apprécier, d’autant plus que Black Adam comporte malgré tout plusieurs qualités (on y revient plus loin).

Il est de plus en plus difficile d’avoir un regard « vierge » devant une production de ce genre et ne pas être tenté de dresser des comparaisons. Ici, impossible de ne pas penser à d’autres super-héros, principalement de la concurrence. D’abord et étonnamment les X-Men ! Entre l’immense manoir de Hawkman qui abrite un vaisseau gigantesque et le personnage de Cyclone rappelant inévitablement Tornade (toutes deux étant des femmes noires avec les mêmes pouvoirs – davantage colorés et visuellement inédits chez Cyclone), les échos sont évidents… Chez Marvel, et plus distinctement le fameux MCU, difficile aussi de ne pas voir en Atom Smasher la figure d’Ant-Man (quand il est géant) et un petit mixe de Spider-Man et Deadpool entre le masque et les propos tenus par le jeune héros. De même, les pouvoirs de Dr Fate se confondent avec ceux d’un autre docteur, Strange. Quant à Hawkman, il rappelle bien sûr le Faucon ; son vaisseau et le pays du Kahndaq peuvent aussi évoquer Black Panther à divers degrés. Citons également Terminator 2 pour la relation entre Black Adam et le jeune garçon (Amon Tomaz, fils de l’archéologue qui a réveillé Teth) fasciné par cette étonnante figure paternelle. Si toutes ces ressemblances ne sont pas forcément graves, elles cassent malgré tout une sorte « d’originalité » qui aurait pu être propre à Black Adam s’il était sorti il y a une dizaine d’années.

Malgré tous les défauts évoqués, reconnaissons à la fiction sa générosité à plusieurs égards : les batailles sont nombreuses, plutôt « jouissives » (comprendre que la violence graphique est efficace), les décors et effets spéciaux relativement soignés et réussis, la galerie de personnages plutôt attachante, etc. La musique est assurée par Lorne Balfe (Mission Impossible : Fallout – et les deux prochains volets –, Black Widow, Pacific Rim Uprising, Ghost in the Shell, Lego Batman, le film…). Ses compositions ne sont pas forcément mémorables (à part le thème autour de Black Adam) mais vampirisent bien l’attention durant les séquences, lorgnant vers les travaux d’autres habitués du film de super-héros. On pense à quelques segments d’Hans Zimmer (Man of Steel, Batman v Superman…), Junkie XL (Bat v Sup à nouveau mais aussi le Zack Snyder’s Justice League) et plus récemment Michael Giacchino (The Batman). Si Balfe n’arrive jamais à se hisser au niveau de ces trois artistes, son travail reste relativement payant dans le genre.

Côté mise en scène, Jaume Collet-Serra s’approprie le « style Snyder » : profusion de ralentis, poses iconiques, tableaux graphiques plus ou moins réussis, etc. Autant dire que ceux qui détestent cette patte ne seront pas conquis là où les aficionados y trouveront probablement leur compte. D’autant plus que la photographie assez sombre donne cette impression « visuelle » de continuité d’un univers partagé – celui instauré par Zack Snyder il y a des années. Plusieurs personnages du DCEU gravitent d’ailleurs dans Black Adam, à commencer par Amanda Waller, toujours incarnée par Viola Davis. Après le moyen Suicide Squad, l’excellent The Suicide Squad et la chouette série Peacemaker, la terrible directrice des escadrons suicide reprend du service afin d’ordonner à la Justice Society d’arrêter Black Adam. Une étrangeté puisque cette ligue n’est pas constituée d’anti-héros… Il se murmure que l’actrice Viola Davis a participé aux traditionnels reshoots du film en mai et juin 2022, ajoutons ainsi au dernier moment sa participation au métrage – comment était guidée la Justice Society auparavant alors ? Attention aux révélations dans le paragraphe suivant, passez à celui d’après sinon (sous l’image de Fate en costume).

Autre scène tournée peu avant la sortie du film : celle située après le premier générique de fin – qui fait presque parler d’elle davantage que le long-métrage ! En effet, Superman apparaît pour tenir tête à Black Adam. Surprise : Henry Cavill reprend enfin son rôle de l’homme d’acier pour ce caméo et, surtout, d’autres projets au sein du DCEU (au point d’arrêter la série The Witcher à partir de la quatrième saison) ! En coulisse, la scène était prête mais sans Cavill, son visage pas inclus (comme dans Shazam ! et Peacemaker) faute de savoir si l’acteur reprendrait son rôle. C’est Johnson qui a réussi à gérer les négociations et Henry Cavill a tourné depuis Londres dans le plus grand secret cette scène en septembre 2022, soit une poignée de semaines avant la sortie de Black Adam ! Depuis, le comédien a officialisé son retour, annonçant un Man of Steel 2, un Superman plus solaire, lumineux et joyeux et des participations secrètes (aucun doute qu’il affrontera Black Adam mais « où ? » : dans la suite de Black Adam ? de Shazam ? de Man of Steel ?). De quoi relancer – une énième fois – le débat sur la restauration du fameux SnyderVerse

Autres participations dans Black Adam : Emilia Harcourt (Jennifer Holland), issue de The Suicide Squad et Peacemaker (comme Waller) et le sorcier Shazam (Djimon Hounsou). C’est là où le bat blesse, Black Adam étant l’ennemi de Shazam dans les comics, aucune mention n’est faite dans le long-métrage sur ce sujet ! Pourtant, le jeune Amon Tomaz (Bodhi Sabongui) qui « recueille » Black Adam chez sa mère (Sarah Shahi) est une encyclopédie vivante des super-héros (il a des posters et figurines de Batman, Superman, Aquaman, Wonder Woman…). Peut-être que Black Adam (et Amon) seront à l’affiche de Shazam ! La Rage des Dieux (prévu le 15 mars 2023) pour se frotter une première fois à Shazam/Billy Batson (et Freddy) ? Difficile de ne pas imaginer une confrontation entre Shazam et Black Adam, tous deux partageant les mêmes pouvoirs et emblèmes et étant dans les comics de féroces ennemis (même si – comme nous l’avons vu – il semblerait que Black Adam affrontera une autre figure emblématique de DC Comics quoiqu’il arrive). Dwayne Johnson révélait il y a quelques mois qu’initialement Shazam et Black Adam auraient du partager le même film dès le début… il serait donc absurde de ne pas envisager les retrouver ensemble d’une manière ou d’une autre.

De la même façon, il est dommage d’avoir privé Hawkman de son background mythologique corrélé à Black Adam. L’homme aigle a en effet été réincarné plusieurs fois et, surtout, a connu Teth-Adam en Égypte durant son passé millénaire ! Idem pour Nabu, l’entité présente dans le casque de Fate, elle-aussi provenant d’un sorcier de l’Égypte antique. Hawkgirl devait aussi apparaître dans la fiction mais pour d’obscures raisons elle en a été évincée. Au-delà de ces interrogations légitimes (pour qui connaît un peu DC Comics), on peut aussi se demander pourquoi la Justice Society n’était pas intervenu plus tôt dans les différents conflits survenus dans les autres films (arrivée de Superman sur Terre, combat contre Doomsday, Steppenwolf, Mars et ainsi de suite…). Côté comics, en France on conseillera, La colère de Black Adam (seul titre disponible où l’anti-héros est mis en avant de toute façon), sorti en juin dernier et compilant la série 52 – World War III puis la série éponyme au titre. On y suit un Black Adam fou de rage suite à la mort de sa femme qui détruit tout sur son passage puis tente de faire ressusciter sa défunte épouser. Hawkman et Fate sont de la partie, de même que la noirceur caractérisée d’Adam, cruellement absente de l’adaptation au cinéma, davantage tournée « grand public ».

Si Jaume Collet-Serra ne brille pas par son originalité à la mise en scène, le réalisateur espagnol propose une fiction du genre classique mais efficace. Il a débuté sa carrière avec le sympathique film d’horreur La Maison de cire (2005) avant de devenir un habitué des films d’action, avec Liam Neeson notamment (Sans identité, Non-Stop, The Passenger…), ou fictions effrayantes (Esther, Instinct de survie, le début de la série The River…). Ami de Johnson, il l’a dirigé dans Jungle Cruise (2021) juste avant Black Adam (dont le scénario est co-écrit par une autre connaissance de The Rock : Adam Sztykiel, auteur de Rampage : Hors de contrôle, autre titre avec Johsnon en tête d’affiche). Collet-Serra singe (très) maladroitement Sergio Leone en insistant (sans demi-mesure) sur son amour pour Le Bon, la Brute et le Truand du célèbre réalisateur. Là encore, ce n’est pas très grave mais fait un peu tâche dans l’ensemble. On apprécie un brin plus le propos appuyé sur la légitimité à intervenir des « héros » dans le quotidien de citoyens (quitte à tout détruire – les dommages collatéraux et le destruction porn étant légion). C’est (aussi) ce qu’on retient de Black Adam : comment sauver un peuple oppressé tout en gardant une certaine conduite morale ? Malheureusement, ce discours n’est jamais très développé, au profit de l’action pure et dure.

En deux heures, Black Adam n’a pas le temps d’ennuyer son spectateur, au contraire ! Mais tout va très vite, trop vite et souffre d’une écriture paresseuse. La forme l’emporte clairement sur le fond grâce à un spectacle généreux, plutôt réussi esthétiquement et quelques moments fulgurants. Le trio adulte du film (Black Adam, Hawkman et Dr. Fate) portent à lui seul la fiction qui ne demandait qu’à être enrichie avec une réflexion plus poussée (sur la « politique ») et une exploration temporelle et géographique bien plus vaste, moins porté sur une sorte de recyclage du genre déjà vu. Néanmoins, en prenant le long-métrage pour ce qu’il est, difficile de ne pas bouder son plaisir ou d’être satisfait par cette (ré)introduction de l’univers DC au cinéma même si elle arrive trop tard.