The Batman (2022)

The Batman • Réalisé par Matt Reeves
– sortie le 2 mars 2022 au cinéma –

[Résumé officiel]
Deux années à arpenter les rues en tant que Batman et à insuffler la peur chez les criminels ont mené Bruce Wayne au cœur des ténèbres de Gotham City. Avec seulement quelques alliés de confiance – Alfred Pennyworth, le lieutenant James Gordon – parmi le réseau corrompu de fonctionnaires et de personnalités de la ville, le justicier solitaire s’est imposé comme la seule incarnation de la vengeance parmi ses concitoyens.

Lorsqu’un tueur s’en prend à l’élite de Gotham par une série de machinations sadiques, une piste d’indices cryptiques envoie le plus grand détective du monde sur une enquête dans la pègre, où il rencontre des personnages tels que Selina Kyle, alias Catwoman, Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, Carmine Falcone et Edward Nashton, alias l’Homme-Mystère (le Riddler).

Alors que les preuves s’accumulent et que l’ampleur des plans du coupable devient clair, Batman doit forger de nouvelles relations, démasquer le coupable et rétablir un semblant de justice au milieu de l’abus de pouvoir et de corruption sévissant à Gotham City depuis longtemps.

[Début de l’histoire]
Le maire de Gotham City est tué par le Riddler. Ce mystérieux terroriste laisse des énigmes annonçant ses futures victimes sur les lieux du crime adressées à Batman. Ce dernier enquête sur les meurtres du Riddler avec l’aide du lieutenant Gordon.

Le justicier (qui opère depuis deux ans) s’infiltre dans le repaire de Falcone et de son bras droit, le Pingouin, deux hommes qui dirigent la mafia.

Le Chevalier Noir trouve une autre alliée inattendue : Selina Kyle et le duo investigue sur plusieurs affaires qui semblent liées…

[Critique – ne contient pas de révélations majeures]
Matt Reeves réussit son audacieux pari : ajouter une nouvelle itération de l’homme chauve-souris au cinéma avec une vision novatrice. Dans The Batman, place à l’investigation et au parcours croisé de deux êtres, Bruce Wayne et Selina Kyle. Sans surprise, le long-métrage adopte un ton volontairement sombre, une approche très terre-à-terre, quasiment « artisanale ». Dotée d’une tension continue, d’un scénario palpitant avec des rebondissements et d’une direction artistique particulièrement soignée (photographie, musique, mise en scène…), la fiction rejoint les meilleures adaptations du Chevalier Noir sur grand écran ! Néanmoins, elle n’échappe pas à quelques défauts (d’ordre technique principalement, qu’on détaille juste après) mais le « divertissement intelligent » est bien présent et le plaisir immense.

The Batman a beau durer 2h55 (générique compris), il bénéficie d’un rythme haletant sans temps mort qui permet de ne pas s’ennuyer. À contrario, il enchaîne certaines séquences abruptement, sans laisser le temps au spectateur et à ses personnages de respirer un peu entre deux scènes d’action, comme s’il y avait eu des coupes volontaires dans le montage (il se murmure qu’il y a eu près de 4h de rush)… On pense par exemple au moment où Bruce résout une énigme dans son repaire puis, une seconde après, atterrit dans le lieu fraîchement découvert. De même, après une incroyable fuite du justicier du GCPD en wingsuit, le justicier vient à peine de se fracasser sur le sol, qu’une énième ellipse le montre ailleurs, frais et en costume, prêt à repartir à l’action. C’est clairement l’un des défauts du film qui casse une certaine immersion. Parmi les autres points faibles, signalons le peu de présence d’Alfred, presque réduit à de la figuration (Andy Serkis, impeccable au demeurant et au look inspiré par Terre-Un – on y reviendra), et même de Bruce Wayne en civil sans son masque. Il subsiste une certaine froideur entre tous ces protagonistes, incluant Gordon (Jeffrey Wright), roc infaillible dont on ne saura pas grand chose de ses premières rencontres et sa relation privilégiée avec Batman (mais ce n’est pas grave, il n’y en a pas besoin, on l’a déjà vu autrement par le passé). Heureusement, Selina Kyle (impeccable Zoë Kravitz) apporte un peu plus d’émotions à l’ensemble, prise entre sa croisade et ses relations personnelles. Beaucoup de scènes d’action sont impressionnantes, brutales et sanglantes (comme en attestaient les bandes-annonces). Reste que celle qui était censée l’une des plus épiques et spectaculaire ne l’est pas assez ; la course-poursuite en voiture entre Batman et Le Pingouin (Colin Farrell, méconnaissable), longuement aperçue dans la bande-annonce, manque en effet cruellement de lisibilité et de fluidité (probablement moins en IMAX mais tout de même).

C’est peut-être la première fois que le côté détective de Batman est autant mis en avant. Là aussi c’était plus ou moins prévisible mais c’est réjouissant. Entre les énigmes du Riddler et les enquêtes multiples qui gravitent autour des actes du vilain, Gordon et Batman se creusent les méninges assez souvent. À ce titre, les bandes-annonces en dévoilaient un peu trop malheureusement (comme souvent côté marketing chez Warner Bros). Les indices sur les prochaines victimes peuvent être comprises par le spectateur, le texte reste intelligible et pas obscur pour suivre l’enquête en même temps que les héros. L’action n’est pas en reste, avec des scènes imposantes, comme l’entrée dans une boîte de nuit presque en plan-séquence avec un Batman qui combat à mains nues plusieurs personnes, sa fuite du commissariat, ses affrontements nocturnes, etc. Si le justicier opère depuis deux ans (et vingt ans après la mort de ses parents), il n’en reste pas moins encore impulsif, parfois inexpérimenté. Les vidéos promotionnelles mettaient en avant un héros répétant « Je suis la Vengeance », légitiment quelques craintes des futurs fans (Batman étant l’opposé de la vengeance) mais, évidemment, c’est le parcours du justicier tout au long du film qui l’amèneront à changer de mantra de façon subtile. La mise en scène propose aussi quelques vues subjectives bienvenues et beaucoup de « caméras fixes » sur des morceaux de véhicules ou filmant des visages de comédiens en mouvements intenses (façon GoPro). Une certaine singularité qui contribue, une fois de plus, à l’approche « artisanale » souhaitée.

De grands moments d’intensité

La musique de Michael Giacchino est une merveille. Après des bandes originales sublimes (la série Lost, Les Indestructibles…) ou moyennes (la trilogie Spider-Man, Jurassic World : Fallen Kingdom…), le compositeur – qui avait déjà œuvré pour les deux derniers excellents opus de la trilogie La Planète des Singes tournés par Reeves – revient avec plusieurs thèmes mémorables (l’OST complète est déjà disponible sur YouTube, Spotify…). Un ultime reproche tout de même : celui sur Batman est beaucoup, beaucoup trop présent. On le martèle à toutes les sauces, assommant presque le spectateur. Dommage car les partitions contribuent à rendre l’entièreté du métrage sous tension, à vif, employant de grands moments d’intensité et contribuant à une émotion tout en retenu autour de Catwoman, d’un certain mystère et de la figure héroïque du Chevalier Noir. Presque un sans faute donc ! On l’entendait aussi dans le matériel promotionnel, Something in the way de Nirvana revient deux fois également dans le film – « Je voyais une personne solitaire qui fait de la musique avec des amplis étalés dans un Wayne Manor délabré quand je songeais à mon Batman, expliquait Reeves. Et c’est ce qui m’a attiré vers Robert Pattinson. Il avait ce côté rock’n’roll et autodestructeur, et j’étais excité de voir qu’il s’identifiait au personnage. » Il faut dire que Bruce Wayne continue de donner l’impression d’être « oisif et reclus » comme lui reproche la future maire de Gotham. S’il ne chôme pas, le milliardaire se complait en revanche dans sa solitude excessive et ses activités nocturnes. On ne voit jamais Bruce Wayne parader avec des femmes ou s’occuper de ses entreprises (il est encore trop jeune pour façonner cette image publique et professionnelle obligatoire pour trancher avec son alias super-héroïque). On ne distinguera jamais un sourire non plus sur son visage, tout juste une obsession morbide pour son combat et un regard tantôt perdu, tantôt enragé, toujours cérébral. Si on voit peu Bruce en civil, Reeves le justifie de façon simple : « il ne sait pas comment être Bruce Wayne ». Le milliardaire met du temps à comprendre qu’utiliser sa réelle identité peut être opportun comme une couverture.

Côté casting, si on regrette la faible présence de Serkis comme vu plus haut, il n’y a rien à redire. Robert Pattinson est impressionnant tout du long, peut-être trop monolithe parfois mais comme ont pu l’être tout autant Christian Bale et, surtout, Ben Affleck. Violent comme pas permis dans ses combats à mains nues (rappelant parfois ceux de l’excellente saga de jeux vidéo Batman – Arkham), sur la retenue dans d’autres situations – très bien interprété malgré tout grâce à son travail corporel et au facial de Pattinson. Il incarne solidement le justicier, de temps en temps très mutique donc son charisme officie à la place. Le film s’attarde sur l’évolution de Batman (mêlée à celle de Catwoman), ou plutôt sa transition entre justicier presque « amateur » vers un professionnalisme obligatoire pour sa croisade, couplé à son investigation autour des meurtres du Riddler. « Matt Reeves secoue Batman, qui doit se frayer un chemin pour arriver du bon côté, clamait le producteur Dylan Clark. Le réalisateur voulait montrait la psychologie de son héros. Celle d’un personnage imparfait, au début de sa carrière de Batman, alors qu’il ne sait pas vraiment comment il doit l’être, affirmait Reeves. Le cheminement, pour parvenir à comprendre cela, est très personnel. » C’est clairement ce qui est au cœur de The Batman. « On a l’impression qu’il a envie de mourir en sortant le soir, évoquait de son côté Robert Pattinson à juste titre. J’ai toujours l’impression qu’il veut continuer à recréer la nuit où ses parents sont morts. Finalement, il n’a même pas vraiment beaucoup d’équipements technologiques, simplement une armure pare-balles, mais c’est l’essentiel. » Matt Reeves a la très bonne idée de ne pas revenir une énième fois sur le traumatisme de Bruce (le meurtre de ses parents) ou son désir d’être justicier, ses premiers pas costumés, bref, ses origines.

Une expérience sensorielle et viscérale

« Beaucoup de films ont montré le moment où Bruce Wayne décide de devenir Batman, et ils l’ont très bien fait, déclarait-il. Je savais que je voulais le montrer jeune, sans faire une origin story pour autant. Que vous le découvriez en plein dans son expérience criminologique. L’idée de devenir Batman repose sur le fait de voir si l’on peut intimider les criminels pour faire baisser la criminalité. […] Il est torturé par ces conséquences, et je voulais qu’il cherche à se dépasser, pour voir s’il peut avoir un autre effet sur la ville. L’idée d’avoir un Batman qui n’est pas parfait m’a aidé dans ma recherche d’une approche différente. Et cela nous donne un Batman avant tout motivé par la vengeance. Chaque personne qu’il croise fait, en quelque sorte, écho à ce qui est arrivé à ses parents. Notre Bruce Wayne est donc un type très perturbé, qui a entre 20 et 30 ans, cherche à ce que ses actes comptent, se surpasse, et se révèle accro à cette expérience très sensorielle : vous sortez la nuit en mettant un masque pour que personne ne sache qui vous êtes, vous cachez votre identité, vous allez dans un quartier réputé pour ses criminels, vous cherchez les ennuis, et cela vous fait presque planer. » Plus sombre et plus violent en somme, pour une expérience sensorielle pour le spectateur et le héros, une expérience viscérale dans tous les cas. C’est ce qu’on ressent devant le long-métrage, le pari est remporté haut la main !

Zoë Kravitz propose une Selina Kyle tour à tour mystérieuse, forte et fragile, en phase avec l’ADN du personnage. Jamais vulgaire, toujours dans une séduction élégante et un double voire triple jeu qui représente bien Catwoman et son indépendance habituelle. D’ailleurs, elle n’est jamais nommée ainsi dans l’œuvre (comme c’était déjà le cas dans The Dark Knight Rises). On est bel et bien proche de la Selina d’Année Un et du Dernier Braquage. Kravitz et Pattinson forment un couple atypique qui fonctionne bien, leur évolution respective est au cœur du film avec deux être torturés à leur façon et dans leur quête de… vengeance. La romance entre les deux reste minime mais suffisamment efficace pour convaincre. Le Riddler est campé par Paul Dano, qui apparaît quasiment masqué tout au long de la fiction. Malgré tout, il procure une dimension horrifique aisément à son personnage, bien loin du fantasque et loufoque Jim Carrey de Batman Forever, plus proche du terroriste urbain et en quête d’une certaine reconnaissance dépeint dans quelques comics comme le deuxième tome de Terre-Un. Néanmoins, cette adaptation du Sphinx est peut-être la plus éloignée du personnage de la mythologie tant cela pourrait être « n’importe qui » (comprendre : un manipulateur comme le Joker de Nolan, potentiellement un Anarky ou encore un tueur en série façon Saw – impossible de ne pas penser à la franchise horrifique en voyant quelques pièges et le mode opératoire de ce Riddler !). Nul doute que les fans de Prisoners (Denis Villeneuve) seront à nouveau convaincus par l’interprétation de Dano, qui reste emprunt à une forme de folie. Colin Farrell joue un Pingouin très proche de ceux des comics récents, tour à tour allié et ennemi de Batman, en conflit avec lui ou effrayé par l’homme chauve-souris. S’il est méconnaissable sous son maquillage, le comédien crève l’écran durant ses apparitions et contribue à la bonne surprise du film. Le montage ne laisse en revanche pas assez de place au très convaincant Jeffrey Wright en Gordon pour le suivre davantage dans sa vie privée (est-il mariée ? a-t-il une fille ?). Il ne se fait pas voler la vedette par Batman mais presque et apparaît – pour l’instant en tout cas – comme le simple allié côté GCPD (ce qu’est inextricablement Gordon bien sûr), sans qu’il soit fouillé davantage. Ce roc contre la corruption apporte tout de même le mince espoir dont a inévitablement besoin la ville (et le film, histoire de ne pas trop sombrer dans le noir total). Étonnamment, le duo Batman/Gordon semble de temps en temps être très « lent » dans leur façon de se mouver, un immobilisme volontaire qui dénote avec le reste mais ce n’est pas bien grave.

L’approche parfois très artisanale, rugueuse et brute de la panoplie de Batman confère cette dimension « réaliste » chère à Matt Reeves. Encore plus que chez Christopher Nolan (notamment dans The Dark Knight et The Dark Knight Rises). Cela n’empêche pas la photographie d’être hyper soignée (par le directeur Greg Fraser), sublimée dans ses meilleures passages nocturnes intérieurs ou extérieurs. Les premières séquences du film jouent énormément sur cette notion d’obscurité et de peur qu’elle engendre pour d’éventuelles apparitions de Batman – surtout si le Bat-Signal est allumé. Pour revenir à l’approche très terre-à-terre du Chevalier Noir (et du film d’une manière générale), il est plaisant de constater quelques évidences à l’écran comme le maquillage noir autour des yeux de Bruce quand il revêt son masque (c’est logique mais toujours absent des autres fictions). Le jeune justicier transporte son équipement dans un sac à dos, se déplace principalement à moto – dans un réseau souterrain rappelant un bon concept de Batman Imposter dont l’auteur, Mattson Tomlin, a justement brièvement participé à l’écriture du scénario de The Batman ; c’est probablement une de ses idées qui a été injectée dedans avec peut-être quelques dialogues incisifs dont il faisait part dans la bande dessinée. Les seuls éléments « flirtant » avec un autre genre que le polar, l’action et l’aventure sont très limités : une lentille de contact permettant de filmer et enregistrer en vidéo ce que celui qui la porte voit et même de le diffuser en direct. Ce « gadget » digne de James Bond ou Mission : Impossible est l’une des rares choses qui tranchent avec cette fameuse « plausibilité » que souhaitait le cinéaste. L’usage d’une drogue rejoint éventuellement cette courte liste puisqu’on parle ici d’un trafic de… collyre ! Des gouttes dans les yeux pour se défoncer donc (apparemment cela existe déjà dans notre monde). Quelques rares improbabilités (qui peuvent donc un peu annuler la « suspension de crédulité » obligatoire pour ce type d’œuvre) sont listées. Le « collier » de prisonnier d’une personne à Blackgate qui peut aisément passer sa tête dedans (et donc est nullement gêné…), des malfrats qui se demandent qui est Batman alors qu’ils sont censés savoir que l’homme chauve-souris opère de nuit, surtout quand le Bat-Signal est allumé, un policier qui stoppe le justicier sur une scène de crime alors que ce dernier est accompagné de Gordon, etc. Rien de bien méchant mais chez certains spectateurs, cela peut suffire à gâcher une certaine immersion complète.

Si Matt Reeves a bien pioché dans plusieurs comics (sept officiellement mais cela est à nuancer comme nous allons le voir), il n’en adapte concrètement aucun en particulier (comme il le sous-entendait déjà lors de la promotion du film). On pense, bien sûr, à Année Un où d’entrée de jeu, le metteur en scène utilise la voix off de Bruce/Batman pour introduire son récit, comme dans la bande dessinée. Gordon ne le fera pas en revanche. Du comic culte écrit par Miller, on retrouve aussi la ville sale, dangereuse et embourbée de corruption. Esthétiquement, Reeves dépeint pourtant une cité à mi-chemin entre le réel et un certain imaginaire, à tendance gothique mais pas aussi prononcée que chez Burton, plus proche de l’excellente saga de jeux vidéo Arkham (City et Knight du coup) que des métropoles existantes rappelant New-York ou Chicago. « Il y a un équilibre parfait entre un monde auquel on peut s’identifier tout en étant légèrement métaphorique, assez pour nous paraître familier » ajoutait Andy Serkis. « Gotham est une métaphore de notre monde, concluait Reeves. C’est une ville corrompue où chacun cherche à parvenir à ses fins, et où il est difficile de déterminer ce qui est bien ou mal. » L’atmosphère lugubre voire austère de Gotham se joue sur plusieurs facteurs (déjà décrits) : le travail de lumière, la photographie, la musique enivrante et bien sûr les décors. Très peu de fonds verts ont été utilisés durant le tournage, préférant la création d’un décor urbain à très grande échelle et l’utilisation d’écrans LED (comme pour la série The Mandalorian), ce qui se voit malheureusement un peu trop parfois (les scènes en haut des toits de Gotham entre Batman et Catwoman notamment). « L’aspect très cru d’albums comme Année Un et Ego, est idéal, soutenait Reeves, pour raconter sa fiction comme si elle se déroulait dans le monde réel ».

« Il tente de régler ses névroses en faisant le justicier. »

D’Un Long Halloween, on retient surtout l’enquête fleuve qui mine The Batman, un récit noir et une histoire de détective – assurément au cœur du long-métrage – et le fait que le premier meurtre a lieu à Halloween. Le tueur en série étant le Riddler, les autres inspirations du comic book sont éventuellement à trouver dans le personnage de Falcone. Le professeur d’écriture de scénarios de Reeves était justement Jeph Loeb, le scénariste d’Un Long Halloween ! « Ce qui est drôle, c’est que je savais qu’il avait fait tous ces trucs importants autour de Batman, mais je ne les avais jamais lus » ironisera Reeves. La suite Amère Victoire et le récit annexe Catwoman à Rome n’ont plus grand chose à voir avec le film, qui puise, comme on l’a vu, un peu dans Batman Imposter pour son réseau souterrain des motos. Dans ce dernier, on retrouve aussi une ressemblance graphique entre Bruce/Batman et Robert Pattinson ainsi que le côté plutôt torturé et pris de doute du jeune homme. Un aspect qui était également au centre de Batman Ego, répété par Reeves comme étant l’une de ses inspirations premières, notamment le « conflit interne » du protagoniste au centre du comic – Pattinson évoque également Ego dans ses lectures de prédilection pour se préparer à son rôle (tout au long de 2019) ainsi que Batman – Shaman (inédit pour l’instant en VF mais sera probablement dans un tome de la collection Chronicles 1989/1990 dans quelques temps) et Batman – Damned. L’acteur apprécie les titres versant dans le surnaturel avec des éléments spirituels, ce qui n’est absolument pas dans le ton du film de toute façon (et heureusement).  À propos d’Ego, Reeves revenait dessus en martelant qu’il voulait « entrer dans la tête du personnage et [s]’intéresser à sa psychologie. […] Une des plongées les plus profondes se trouve dans ‘‘Ego’’. L’auteur se confronte à la bête qu’est Batman et c’est ce genre de dualité que je recherche ; c’est un type qui tente de régler ses névroses en faisant le justicier. Il est presque accro à ça, comme on peut l’être à une drogue ». Une fois de plus, on ne peut lui donner tort en voyant The Batman.

Pour l’anecdote, Reeves dévoilait aussi quelques films qui l’ont inspirés : Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) Chinatown (Roman Polanski, 1974) et Klute (Alan J. Pakula, 1971). Des classiques du film noir des années 70 donc, s’inscrivant comme des ressources évidentes pour construire sa Gotham et son héros, en colère, inhibé ; tous deux parfois effrayants. Taxi Driver avait déjà inspiré Todd Philips pour son Joker (ainsi qu’un autre film de Scorsese, La valse des pantins) mais The Batman et Joker n’ont strictement rien à voir entre eux, ils ne partagent absolument pas le même univers. De même que The Batman ne fait pas partie du DCEU (ou des Worlds of DC), il n’est pas connecté aux autres films mettant en avant Superman, Wonder Woman, Aquaman, etc. Enfin, Matt Reeves imagine même sa Batmobile comme objet de vengeance, à l’instar de Christine (John Carpenter, 1983), ce qui est effectivement monté de cette sorte dans The Batman.

Les fans de comics relèveront probablement quelques clins d’œil à des titres cultes. On cite à nouveau Terre-Un tant il sonne comme une évidence entre Alfred calqué dessus (le look, son ancien métier d’agent…) et ce Batman impulsif, encore inexpérimenté et parfois presque antipathique. Il est vraiment très étonnant que Matt Reeves ne cite pas cette série dans ses inspirations ! Son Sphinx/Riddler est d’ailleurs assez proche de celui du deuxième tome. De même, une partie scénaristique fait écho aussi bien au récent troisième et dernier tome de Terre-Un, mais également à des choses abordées (parfois maladroitement) dans des récits comme Les Portes de Gotham ou ceux évoquant les fondations de la ville – avec plusieurs familles, les Wayne, les Arkham, etc. L’Iceberg Lounge rappelle aussi un peu le QG du Pingouin (même s’il ne s’agit pas d’un casino flottant). L’An Zéro semble aussi avoir été une petite matrice par rapport au Batman en moto, ses premiers pas en tant que justicier et éventuellement les inondations vus dans les comics et le film (toutes deux causées par le Riddler). Terminons avec une brève connexion à Silence, pas impossible d’avoir Tommy Elliot dans une des suites du film d’ailleurs. Attention, il ne faut pas s’attendre à des moments du long-métrage copiés sur ceux des comics mais des petites références, parfois très courtes et complètement anecdotiques, ici et là. De facto, Reeves a bel et bien conçu une intrigue inédite pour son film, qui fait honneur au mythe de Batman. Il y a un énorme respect du matériel initial comme l’aspect détective et les codes classiques de l’univers.

Contre toute attente, le roman jeunesse prequel du film s’avère un complément intéressant et non un outil marketing supplémentaire. On y apprenait dedans l’enfance du Riddler, le Manoir Wayne transformé en orphelinat, la haine de Nashton envers Wayne, etc. Des éléments qui font sens dans The Batman. On comprend d’ailleurs plus aisément dans le livre que le milliardaire et son majordome (ainsi qu’une autre domestique, Dory) vivent dans la Tour Wayne (et non dans un Manoir) – seule une scène d’explosion permet de saisir la géographie des lieux de résidence, et encore, cela reste ambigu pour celui qui n’ pas lu ce prequel, dommage. De même, la narration et les journaux intimes de Bruce poursuivent ce qui était amorcé dans le roman, ajoutant à nouveau une certaine cohésion entre les deux médiums.

The Batman est donc une réussite globale sur le fond et (presque) sur la forme. Quelques loupés techniques (des problèmes de rythme et montage de temps en temps, quelques séquences d’action peu lisibles ou trop rapides, etc.) mais une œuvre puissante, sous tension et palpitante – il y a une petite vibe Seven (la froideur méticuleuse d’un Fincher n’est pas loin). L’action se déroule sur une semaine, le film dure trois heures mais on a déjà envie d’y replonger, d’y retourner. Matt Reeves réussit le tour de force de se démarquer à nouveaux de ses prédécesseurs en optant pour une approche ultra réaliste et encore plus sombre qu’auparavant. Un récit noir, un polar, qui n’atteint peut-être pas une dimension « épique » mais plus subtile, parfois même plus émouvante, servi par un Batman sauvage, dangereux, organique (qui sera probablement clivant, comme toujours) mais parvient à se renouveler tout en restant familier. Une expérience viscérale qui devrait satisfaire les néophytes comme les plus passionnés.

(Peut-on espérer une suite ? Évidemment, c’est comme si c’était acté ! Tout dépendra des chiffres mais c’est bien parti pour, surtout que les retours critiques sont élogieux. On le savait déjà : deux séries sur HBO sont en préparation pour étoffer cet univers: une sur le GCPD et une sur le Pingouin. Robert Pattinson est évidemment partant pour continuer d’endosser la cape (de toute façon pour ce genre de production, le casting s’engage à revenir dans plusieurs suites en cas de succès) et Matt Reeves rempiler à la réalisation et à l’écriture. Depuis le début du projet, des rumeurs de trilogie enflaient ; on se plaît à imaginer un second opus avec Poison Ivy en ennemie (incarnée par Jessica Chastain) et une approche écolo-féministe radicale qui ferait écho à notre société. Anarky peut également être envisagé mais ressemblerait un peu trop au Riddler, là où Freeze serait intéressant comme allié dans un premier temps (le deuxième film) puis antagoniste (le troisième) – Reeves a formulé que Victor Fries le captiver justement. Évidemment, impossible de ne pas imaginer le retour du Pingouin et de Catwoman dans les futures fictions liées à cet univers… Quant au célèbre Joker, il serait logique qu’il se montre lui aussi. On fantasme également sur un Fantôme Masqué… bref, il y a de quoi faire !)

Les extraits d’interviews proviennent majoritairement d’Allociné et leur dossier très instructif autour de The Batman, mis en ligne en février 2021 en quatre parties. Comment renouveler un héros déjà incarné par 6 acteurs au cinéma ?, Un Gotham bluffant, de l’action réaliste… Ce que nous promet l’équipe du film, Quels films et comic books ont inspiré le réalisateur Matt Reeves ? et Pourquoi le héros fascine toujours film après film ?. Quelques propos de Robert Pattinson ont été piochés dans l’interview publiée par Urban Comics et d’autres de Reeves dans un dossier de presse de l’éditeur.

Les premières images officielles du film (hors tournage et promotion) ont été dévoilées fin août 2020 lors du DC FanDome. En amont, le logo et le titre avaient été partagés par Matt Reeves lui-même (la typographie est très proche de celle de la série animée de 1992) ainsi qu’un dessin de Jim Lee (voir tout en bas de page). Une seconde bande-annonce fut mise en ligne mi-octobre 2021 pour l’édition 2021 du DC FanFome, soit quatre mois et demi avant la sortie du film (2 mars 2022 en France, 4 mars aux États-Unis). Les deux vidéos sont dans cet article.

Retrouver mon article sur les inspirations comics sur Le HuffPost, un podcast où j’ai été invité pour parler du film et des comics et la Une du journal l’actu (4 mars).