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Batman Ghosts of Gotham – Tome 01 : Clémence et châtiment

Enfin une nouvelle série sur Batman ! Il s’agit (aux États-Unis) de l’éternelle Detective Comics, qui entame un nouveau cycle, un run écrit par Tom Taylor (qu’on ne présente plus ? Si ? Injustice, Nightwing Rebirth, Dark Knights of Steel, DCEASED…). Que valent ces fantômes de Gotham ? Critique d’un renouveau tant attendu.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a de cela des années, les meurtres de Thomas et Martha Wayne ont marqué durablement la ville de Gotham, et bouleversé à jamais le destin de leur fils, Bruce. Mais un mystère demeure autour de cette nuit à Crime Alley et de l’origine tragique du Chevalier Noir, et ce mystère s’apprête aujourd’hui à être révélé. Alors que Batman n’a d’autres choix que de contempler sa propre mortalité après une longue carrière à combattre le crime, et que les cadavres s’empilent suite à l’apparition d’un nouveau psychopathe en ville, les fantômes de Gotham pourraient bien finir par le rattraper.

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
Et si Batman était un piètre détective ? C’est un peu ce que l’on se demande en lisant Ghosts of Gotham – qui ne manque pas de qualités pour autant, on y reviendra. Tom Taylor tisse son récit sur trois angles qui convergent vers une sorte de conclusion où, forcément, ces axes se rassemblent et ses connectent, plus ou moins à la grande surprise du justicier. Mais pas du lecteur ! Aucune révélation majeure dans les propos qui vont suivre, ils sont montrés très tôt dans la bande dessinée.

Premièrement, une connaissance de Bruce Wayne, Scarlett Martha Scott, détient une sorte de formule chimique qui permet d’obtenir « une jeunesse éternelle ». Le milliardaire devient cobaye volontaire pour tester le produit qui a déjà fait ses preuves dans les sphères secrètes de Gotham. Deuxièmement, un tueur en série s’en prend uniquement à des adolescents tout juste sortis de prisons pour mineurs. La corrélation est déjà faite : de très jeunes adultes tués en même temps qu’un médicament qui permet de conserver sa jeunesse… Impossible de ne pas se douter que les deux évènements ne sont pas liés ! Certes, il peut y avoir un peu de nuances et de détails, voire des doutes sur la réelle identité de la personne derrière tout ça, mais il n’y a clairement pas de surprises tout au long de l’investigation – brillamment rythmée au demeurant – et c’est bien dommage.

Troisièmement, l’auteur ajoute un flashback particulièrement important : Thomas Wayne avait sauvé la vie d’un homme qui battait régulièrement sa femme. Lors d’un accident de voiture, la compagne enceinte s’en sort miraculeusement et le bébé aussi. Martha Wayne décide d’aider la jeune mère et le nouveau né en les éloignant du mari ; ce dernier s’avérant être… Joe Chill ! L’on vient donc à deux points cruciaux de la fiction. Tom Taylor va se servir de cette circonstance pour la relier à l’investigation de Batman dans le présent (cette sombre histoire de jeunesse éternelle) et, encore une fois, il ne faut pas être sorti de St. Cyr pour y déceler « qui est qui » et quel a été/est/sera le cheminement global de tout cela (indice : Bruce connaît [et a une liaison éphémère] avec une femme nommée Sasha MARTHA Scott et on vient de dire que MARTHA Wayne avait impacté l’avenir d’un bébé… on se demande vraiment qui ça peut bien être dis donc !).

Est-ce grave ? Franchement non. Ce n’est pas la première fois qu’une bande dessinée (ou œuvre en général – film, série, roman…) reste efficace malgré son déroulement et dénouement ultra prévisible (bien aidé par ses dessins, on en parle plus loin). Mais… in fine, c’est autre chose qui est très clivant ici (le fameux second point crucial). En réécrivant les origines et le passé de l’homme chauve-souris (la continuité rétroactive – retcon), Tom Taylor chamboule près de neuf décennies de chronologie et d’histoire « officielle ». En effet – vous l’aurez probablement compris – le père de Bruce a donc sauvé la vie de… son futur meurtrier ! Coup de génie ou foutage de gueule ? Difficile de trancher, d’autant que de nouveaux questionnements découlent de cela : et si Chill s’était vengé ? Et si l’assassinat était prémédité ? Le scénariste balaie vite la question, sans oser franchir une certaine ligne rouge. Certains vont trouver ça honteux, d’autres audacieux.

Difficile (à chaud, quelques heures après la lecture), si l’on apprécie ce pari risqué ou non. Peut-être qu’il trouvera un autre écho dans les prochains tomes d’ailleurs ? Pour l’instant, on digère. Cela créé une « boucle » intéressante. Et c’est peut-être ça qui fait le piquant du texte : sortir d’une certaine zone de confort, au risque de trahir modestement un passif théoriquement indéboulonnable. Ce sera donc au fan/lecteur/novice de se faire son propre avis sur la question – non pas qu’on n’ose pas arbitrer sur ce site, mais cela requiert une certaine subjectivité difficilement applicable dans l’exercice critique. L’on pense aussi au très clivant Trois Jokers, qui ramenait également Joe Chill dans l’intrigue tout en réécrivant l’histoire (du et des Jokers donc) mais comme le comic book se situait plus ou moins en marge de la chronologie du Chevalier Noir, cela permettait de le considérer « à part », selon l’envie de son récepteur. Impossible ici vu le contexte (une publication dans la série historique Detective Comics).

Au-delà de ces (vastes) occurrences narratives, que nous montre Clémence et châtiment (un titre qui prend tout son sens rapidement) ? Une omniprésence d’un Bruce Wayne ET d’un Batman particulièrement « assagis » voire « optimistes » ! Après toutes ces années à être « déconstruit », usé, blasé, malmené, ça fait un bien fou de revoir le super-héros en pleine forme. Il protège tout le monde, il accorde la même importance à la vie de chacun, il se veut rassurant envers tous, tour à tour mentor/guide ou simplement aimant (sa relation avec Damian est parfaite). Bien sûr, il a toujours des failles ou des moments de faiblesse (sa romance éphémère – plutôt bien écrite) avec une femme forcément très attirante.

Autre point fort de ce premier opus de Ghosts of Gotham : il est visuellement superbe ! On retrouve Mikel Janín, qui avait majoritairement signé la série Batman Rebirth, très appliqué à la fois aux dessins, à l’encrage et à la colorisation – un sublime art élégant, emmené et imposant. Il croque un Bruce/Batman massif mais humain, obtus mais fragile, un milliardaire expressif, tantôt père de famille, tantôt masqué et secourant la population. Les sept chapitres bénéficient d’une exceptionnelle homogénéité graphique, qui tire le meilleur lors des planches d’action à la fois mainstream mais superbement efficaces. Si l’on reconnaît immédiatement la patte d’un comic book soigné comme l’industrie en vend depuis des années, on apprécie ce cadeau visuel particulièrement travaillé.

En somme, cette nouvelle salve a de bonnes et mauvaises choses, il faut fermer les yeux sur pas mal d’éléments mais on se laisse porter tant l’ensemble est bien dosé, qu’on navigue entre le passé et le présent aisément, qu’on y suit différents morceaux de bravoure, en civil ou en costume de super-héros, avec de multiples protagonistes charismatiques. Reste, en faiblesse, le côté prévisible de la fiction et sa certaine impudence, qui va forcément segmenter son lectorat.

Pour l’anecdote, Urban Comics profite de cette nouvelle collection (DC Prime) pour arborer un doc blanc (idem pour les autres séries, comme Superman Dark Prophecy par exemple) après plus d’une douzaine d’années avec leur célèbre noir uni ! Quelques variations de mise en page et d’adaptations graphiques sont également au programme, comme les chapitrages (cf. images tout en bas). Enfin, réflexion personnelle, la couverture (VO) de Detective Comics 1094 est/aurait été nettement plus représentative du comic book plutôt que celle choisie par l’éditeur, on ne peut s’empêcher de la partager ci-dessous (cliquez pour agrandir).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 27 juin 2025.
Contient : Detective Comics #1090-1096
Nombre de pages : 176

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Mikel Janín
Encrage additionnel : Norm Rapmund
Couleur additionnelle : Alex Guimaraes

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : SCRIBGIT

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