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Joker – Killer Smile

Volume unique réalisé par un tandem de choc (Jeff Lemire à l’écriture et Andrea Sorrentino aux dessins), Joker – Killer Smile s’ajoute à la collection du « prestigieux » DC Black Label (Harleen, Batman – Créature de la nuit, Batman – Damned, Batman – White Knight, Batman – Last Knight on Earth…). Critique de ce comic qui sort en France à l’occasion des 80 ans du célèbre Clown Prince du Crime (en septembre 2020).

[Résumé de l’éditeur]
Quand un psychiatre affilié au Joker tente de guérir le plus grand criminel de Gotham, c’est le début d’une descente aux Enfers pour celui qui était jusqu’ici un père de famille aimant et paisible. Mais cette spirale de dépression et d’hallucinations violentes ne cache-t-elle pas aussi un réel gouffre au sein même de sa psyché ?

[Histoire]
Le docteur Benjamin Arnell souhaite guérir le Joker. Pas établir un diagnostic ou connaître son passé mais le guérir de la folie… Le Clown du Crime se joue évidemment de son médecin, arguant la tâche impossible.

Arnell a deux semaines pour achever sa mission. Mais lui-même semble sujet à quelques confusions et une très grosse fatigue. Sa femme Anna et son fils Simon s’inquiètent pour lui…

[Critique]
Malgré ses magnifiques planches (on y reviendra), Killer Smile souffre de plusieurs défauts d’écriture évidents. L’un est « universel », au sens large donc (concernant tous types d’œuvre), avec un personnage principal générant peu d’empathie… Illustre inconnu dans la mythologie DC, son rôle (déjà tenue par Harleen Quinzel fut un temps) semble anecdotique dès le début, déjà vu et revu sous différents formats. Son évolution est prévisible à souhait même sans être un fin limier. On lit donc une histoire qui ne sort pas vraiment des sentiers battus malgré son prisme plus ou moins inédit (le point de vue d’un « docteur lambda »). Le Joker rend-t-il fou les gens qui l’approchent de près ? Vaste sujet qui est ici mal traité (avec un type peu intéressant au demeurant).

Autre problème : le « caractère » du Joker. Dans cette itération, on découvre un criminel froid, sérieux, posé, malin, volubile, intelligible, habile, etc. Cela fonctionne parfois très bien (tant à l’écran comme dans le long-métrage The Dark Knight (le logo de la trilogie de Nolan est d’ailleurs mis en avant) que dans des comics — vu le sujet on pense forcément à White Knight), parfois moins bien. C’est hélas le cas ici : difficile de « reconnaître » le Joker. Il pourrait être Double-Face, le Sphinx ou un tueur en série « quelconque » que ça ne changerait pas des masses l’histoire.

Ce filtre « réaliste » choisi (confirmé par Sorrentino en interview), conférant une certaine plausibilité au célèbre Clown — afin qu’on l’imagine dans « notre propre monde » — est maladroitement traité. Il est couplé avec des dessins qui jouent également cette carte (mais avec brio eux) grâce à des visages et des décors parfois proche de photographies. Anecdotiquement, cela permet d’avoir au détour de quelques cases un Killer Croc sous une apparence plus « humaine » (un Waylon Jones proche du film Suicide Squad d’une certaine façon).

C’est surtout cette partie graphique qui sauve un peu l’œuvre. Côté super-héros, Andrea Sorrentino avait déjà sublimé les aventures de Green Arrow dans l’excellent run de la période New 52 (disponible en deux tomes intégrales) qu’il signait conjointement avec Jeff Lemire (l’auteur était nettement plus inspiré pour l’archer d’émeraude que le Joker). Chez Marvel, on retrouvait aussi les compères sur Wolverine dans la très bonne série Old Man Logan période post Secret Wars. Des titres qu’on recommande chaudement en complément de Gideon Falls, création indépendante (disponible chez Urban Comics). Dans Killer Smile, Sorrentino propose un découpage hors-norme, épousant à merveille le texte pour tout ce qui est attrait aux confusions mentales du protagoniste, versant parfois dans l’horreur voire le gore. Dérangeant. Violent. C’est LE point fort de l’ouvrage. Et… l’unique.

Car malheureusement, comme on l’a vu, l’écriture dessert l’ensemble et propose une (més)aventure vite lue, vite oubliée. Lemire dit en préambule s’être inspiré de trois comics : Killing Joke, Joker et Dark Detective. Cela fait sens, on y trouve aisément des allusions, pas très fines par ailleurs. Mais si chacune de ces trois histoires fonctionnait intrinsèquement à degré divers (l’exploration de la folie et son influence dans la première, la veine über réaliste dans la deuxième et un pan comique imagé très connu (avec des poissons) dans la troisième), elles se vautrent complètement dans Killer Smile qui ne parvient pas à trouver l’équilibre idéal sur ces sujets ; sauf en terme de rythme, ça passe à peu près malgré malgré un conte pour enfant qui plombe par à coup sa narration (un style qui fonctionne rarement de toute façon, surtout quand il est redondant), complémenté à une émission jeunesse de télévision qui alourdit l’ensemble dans son épilogue.

La bande dessinée est relativement courte, tout tient en 133 pages : les trois chapitres principaux en une centaine de pages avec une conclusion risible puis un épilogue centré sur Bruce Wayne (Batman – The Smile Killer en VO), appelant à une « suite » visiblement… Quatre couvertures alternatives (rassemblées en une seule page, dommage) et une interview du binôme en introduction servent de bonus au livre, assez maigre donc mais l’éditeur n’est pas à blâmer car il y avait peu de matériel inédit.

En synthèse, malgré le faible prix (15,50€), on aurait tendance à déconseiller Killer Smile. Toutefois, pour les fans de Sorrentino et ses graphismes atypiques, difficile de ne pas jeter un œil conquis sur son travail. On rêve de le voir à l’œuvre sur une « vraie » enquête de Batman avec un scénario carrément plus soigné.

Un aparté à propos de « DC Black Label » (qui fera l’objet d’un article dédié prochainement). Faussement considéré comme une « valeur sûre », il s’agit initialement (comprendre aux États-Unis) d’un label visant un public adulte et dont le récit est détaché de la continuité officielle de l’univers DC Comics, dans notre cas de celle de Batman. Comme cité en ouverture de la critique, on trouve dans ce label quelques productions récentes comme Harleen, Batman – Créature de la nuit, Batman – Damned, Batman – White Knight, Batman – Last Knight on Earth… Format plus large, bel objet, lecture accessible, aucun doute sur la double portée pour les lecteurs : les fins connaisseurs y trouvent leurs comptes dans des récits plutôt singuliers et les néophytes peuvent découvrir aisément un récit sans se préoccuper du passif des personnages.

Cela ne rime pas toujours avec « qualité », comme pour Damned par exemple en 2019 ou encore Curse of the White Knight et ce Killer Smile en 2020, tous en demi-teinte sur plusieurs aspects, le dernier étant particulièrement raté comme on vient de le voir. En France, Urban Comics a réédité plusieurs de ses titres (sur Batman, Superman, Justice League…) dans cette collection Black Label. Pour l’homme chauve-souris, on trouve par exemple Année Un, The Dark Knight Returns, Joker… Cela est parfaitement compréhensible car ces histoires rentrent bien dans le concept de base et offrent un guide de lecture idéal pour les nouveaux venus. Toutefois, il ne s’agit pas de créations récentes et il est légitime de l’expliciter afin de ne pas créer de confusion (cf. les productions Black Label sur la page Wikipedia (US), comprenant uniquement des « nouveautés »).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 18 septembre 2020.

Scénario : Jeff Lemire
Dessin (et couvertures) : Andrea Sorrentino
Couleur : Jordie Bellaire

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : Moscow Eye

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