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Batman – Europa

Batman et le Joker en Europe (incluant Paris), servie par une équipe talentueuse dont quelques grands noms (entre autres, Brian Azzarello et Jim Lee), voilà qui est alléchant ! Étonnamment, ce court récit (quatre chapitres) n’a été publié qu’en magazine (Batman Récit Complet #8), donc dans un format souple/kiosque et pas en librairie. Il a pourtant bénéficié d’une édition en couverture dure dans la collection Eaglemoss (seul moyen de l’avoir dans ce format). Critique et explications.


(Couvertures du magazine, de la version Eaglemoss et de la VO.)

[Résumé de l’éditeur]
Voir l’Europe et mourir. Épuisé après un combat contre Killer Croc, Batman fait un rapide examen médical à l’issue duquel il apprend qu’il a été empoisonné. Remontant la piste des maigres indices qui lui sont accessibles, il retrouve le Joker. Pensant dans un premier temps que le Clown du Crime est le coupable, il découvre avec effarement que ce dernier est lui aussi atteint du même mal : quelqu’un cherche à éliminer le héros et son adversaire. Ensemble, le Chevalier Noir et son ennemi juré entament une tournée des grandes villes européennes, de Berlin à Prague, de Paris à Rome, à la poursuite de leur assassin.

(Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, cela est déjà largement suffisant.)

[Critique]
Annoncé dès 2005 puis repoussé à 2011 avant d’être enfin publié fin 2015 aux États-Unis (les comics furent datés de janvier à avril 2016 – avant d’arriver deux ans et demi plus tard chez nous), Batman – Europa résulte d’un atypique cheminement éditorial ; comme l’explique Urban Comics en introduction. Projet né de multiples rencontres au milieu des années 2000, Batman – Europa associe les talents d’auteurs venus de différents pays. Le dessinateur Jim Lee et le scénariste Brian Azzarello, tous deux Américains (États-Uniens ndr), sont rejoints par le scénariste italien Matteo Casali et par trois dessinateurs, Giuseppe Camuncoli venu d’Italie, Diego Latorre en provenance d’Espagne et Gérald Parel originaire de France.

Camuncoli est en charge du découpage des quatre chapitres et des dessins du deuxième (Prague), là où Lee officie sur le premier épisode (Berlin) – l’on apprend d’ailleurs que le célèbre dessinateur doit son amitié à Casali et Camuncoli lors d’un long séjour en Italie dans les années 2000, où les premières pierres d’Europa furent posées lors de conversations, avant qu’Azzarello rejoigne le projet des années plus tard. Étonnamment, Latorre signe le troisième chapitre (Paris) et Parel le dernier (Rome). On aurait pu penser que chaque artiste traiterait d’une ville liée à son pays mais ce n’est pas le cas (et ce n’est clairement pas grave). Chacun appose son style singulier (mention spéciale pour Latorre) voire y dresse une passerelle en reprenant les mêmes planches (Lee et Parel) ; mais avant d’évoquer ces élégants dessins, que vaut cet Europa ?

On est clairement dans une histoire assez « simpliste » (et on le répète : ce n’est pas un défaut) avec une enquête bien rythmée bien qu’un peu confuse. Si l’investigation emmène Batman et le Joker en Europe, elle aurait très bien pu se dérouler à Gotham que ça n’aurait pas changé grand chose. C’est un simple prétexte à croquer quelques lieux géographiques cultes. Cela reste plaisant et change malgré tout des habituelles quartiers malfamés de Gotham. Les indices menant d’une ville d’Europe à une autre sont un peu « forcés » mais, une fois de plus, on ferme les yeux sur cela pour profiter du voyage.

En parallèle du dépaysement (géographique et… graphique !), on retrouve un thème récurrent dans la mythologie du Chevalier Noir : la vie de Batman est intrinsèquement connectée à celle de son ennemi juré. Si le Dark Detective a souvent été « accusé » d’être le créateur de ses vilains emblématiques, incluant le célèbre Clown, ici les deux doivent collaborer et former un duo inédit s’ils veulent survivre. C’est l’une des originalités de la fiction, qui replace l’alchimie du binôme au cœur de l’histoire.

En se concentrant sur Batman et le Joker, les deux auteurs (Matteo Casali et Brian Azzarello) délaissent les figures communes habituelles du Caped Crusader (à l’exception de Killer Croc, Alfred et le mystérieux responsable du virus). Là aussi ça fonctionne plutôt bien, Europa restant particulièrement accessible (comprendre : s’affranchissant de l’encombrante continuité et chronologie habituelle) et bénéficiant d’une intrigue menant le lecteur en haleine (malgré sa résolution mitigée). La bande dessinée a beau tenté de soigner son récit, il manque un ou deux chapitres pour prendre un peu le temps de souffler ou d’expliciter différemment la cabale (qui permet, à minima, de sublimer les bâtiments les plus connus et nobles de l’Europe).

C’est finalement avec son parti pris graphique que Batman – Europa sort son épingle du jeu. Les artistes sont tous en très bonne forme et emmènent le Chevalier Noir dans un voyage visuel et chromatique détonnant. On démarre avec Jim Lee qui « s’encre » lui-même, de façon très épurée – c’est le cas de le dire, puisque ses crayonnés sont directement mis en couleur – gommant ainsi l’aspect « comic book » habituel du dessinateur (Batman – Silence…). Ses traits fins et détaillés permettent au coloriste Alex Sinclair de livrer des planches somptueuses, moins « mainstream » qu’à l’accoutumée.

Giuseppe Camuncoli s’occupe ensuite de tout (en plus d’officier les découpages de l’entièreté du livre), imposant une touche graphique également en marge, proche des tons pastels et proposant des séquences nocturnes élégantes mais aussi des batailles diurnes contre des robots assez surréalistes. Place après à Diego Latorre qui vaut le détour à lui seul. Il illustre (dessine, encre, colorise) tout le segment de notre capital en s’inspirant du style de Bill Sienkiewicz et Dave McKean (L’Asile d’Arkham…). Brillant. Magnifique. Cauchemardesque.

Gérald Parel (lui aussi à l’œuvre sur tous les aspects) conclut le titre avec une patte là encore différente – mais ne gâchant jamais la compréhension visuelle globale. Poursuivant l’approche « indépendante » du chapitre précédent, Parel signe des cases sublimes, aux peintures âpres, parfois sensiblement réalistes… Il se réapproprie même le début de la BD (croquée par Jim Lee) avec son aquarelle, sur quelques pages (voir ci-dessous).


Batman – Europa est donc une semi-curiosité, qui vaut le détour par sa belle galerie de planches/dessinateurs et son scénario simple mais efficace. Un brin trop court et à l’exécution trop rapide, c’est pourtant un petit coup de cœur étrangement trop méconnu. Il faut dire que la révélation finale abrupte et étrange laisse un goût amer (et on retient souvent la conclusion d’une œuvre plutôt que tout ce qui l’a précédée). Une lecture conseillée pour ses dessins et le tandem Batman/Joker (rien de nouveau sur les échanges entre les deux et les quelques réflexions habituelles qui en découlent) que pour son enquête et son côté « carte postale »/voyage touristique. Malgré tout, voir Batman en Europe ici est nettement mieux réussi que dans La Dernière Sentinelle (sorti en France en 2022).

Entre les multiples couvertures alternatives (dont celle de Latorre sur Paris, cf. bas de cette critique) pouvant servis de bonus et les critiques globalement positives, il est étrange que Batman – Europa ne soit pas sorti en librairie. Comme dit en début d’article, il a été pourtant inclus dans la collection Eaglemoss, donc avec une couverture en « dur » (cas unique pour les comics Batman en France d’Urban Comics). Il reste heureusement aisément accessible en occasion à prix correct (moins de dix euros – et à ce tarif, il serait dommage de passer à côté !) comme à l’époque de sa mise en vente (5,90 € seulement) ; à moins que l’éditeur ne décide de le proposer dans une luxueuse édition dans un avenir proche ?

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 31 août 2018.
Contient : Batman Europa #1-4

Scénario : Matteo Casali et Brian Azzarello
Dessin : Jim Lee, Giuseppe Camuncoli, Diego Latorre et Gérald Parel
Encrage et couleur : les mêmes (sauf Alex Sinclair pour la couleur du premier chapitre)

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Stphan Boschat (Studio Makma)

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