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Crisis on Infinite Earths

Titre emblématique, ambitieux et exigeant, Crisis on Infinite Earths est la première « crise » majeure de DC Comics, publiée en 1985 et 1986. Elle a permis de relancer les multiples séries de l’éditeur mais a aussi ouvert une révolution dans l’industrie. Le récit est proposé par Urban Comics dans une belle édition très complète avec énormément de bonus en juillet 2016, avec en vente au même moment Crisis Compagnon (un « guide » quasiment indispensable – aussi bien pour les néophytes que les fins connaisseurs). Découverte et critique de ce monument du neuvième art qu’est Crisis on Infinite Earths.

[Résumé de l’éditeur]
L’Anti-Monitor mène ses troupes de soldats d’ombre de dimension en dimension afin de détruire les Univers parallèles et de s’alimenter de ses énergies perdues. Son double positif, le Monitor réunit une assemblée de héros de différentes Terres afin de stopper son avancée, mais même les plus puissants des surhommes ne peuvent rien face à la vague d’antimatière qui fond sur eux. Des mondes vont vivre… des mondes vont mourir… et l’Univers DC ne sera plus jamais le même !

[Début de l’histoire]
Le récit étant fortement complexe, ci-après la première partie du synopsis provenant de Wikipédia, permettant à la fois de vulgariser les évènements du début mais aussi de développer suffisamment ce qu’il se produit pour se faire une idée de l’intrigue (pour les non connaisseurs notamment) sans en dévoiler trop.

Sur Terre-III, le Syndicat du Crime tente en vain de lutter contre une vague d’antimatière sous les yeux d’un personnage énigmatique, Paria. Alexander Luthor (le Lex Luthor de cette Terre) qui sait que rien ne peut être fait pour sauver son monde, parvient de justesse à envoyer son fils sur Terre-I où il espère qu’il sera sauf. Puis Terre-III disparaît.

Pendant ce temps, Monitor et Harbringer, qui sont conscients que cette menace pèse sur toutes les Terres, recrutent des super-héros et super-vilains de différentes réalités et époques afin de la contrecarrer. Monitor leur explique la situation et les envoie protéger des tours de très haute technologie, censées protéger les différentes Terres. Pendant ce temps, sur Terre-I, Batman voit une courte apparition de Flash II qui annonce une catastrophe imminente avant de disparaître.

Malgré les tours et l’intervention de nombreux super-héros, des vagues d’antimatière détruisent peu à peu les réalités. Pendant ce temps, Monitor, qui cherche un plan de secours, étudie la physionomie d’Alexander Luthor Jr., le fils d’Alexander Luthor qui, en traversant la barrière séparant les univers alors qu’une vague d’antimatière dévastait son univers, a intégré une part d’antimatière dans son propre organisme. Grâce à ses connaissances technologiques, il crée aussi Doctor Light II et parvient à amener Pariah sur son satellite, lui qui est condamné à assister à la destruction de toutes les Terres.

[Contexte]
Il y a un avant et un après Crisis on Infinite Earths (régulièrement appelée Crisis). Le titre a bouleversé aussi bien DC Comics que l’industrie des bandes dessinées États-uniennes. Avant de le critiquer – presque quarante années après sa sortie – il est impératif de contextualiser sa création et replonger dans l’époque éditoriale. D’un côté, la ténacité de l’auteur Marv Wolfman, de l’autre un marché fragilisé pour l’éditeur historique de Superman, Batman et Wonder Woman.

Wolfman écrit chez DC Comics à la fin des années 1960 (il y signe quelques aventures peu mémorables de diverses séries) puis atterrit chez Marvel au milieu des années 1970. C’est là qu’il gagne en notoriété, scénarisant notamment Spider-Man, Dr Strange et les Quatre Fantastiques. Co-créateur de Black Cat et Nova, il revisite ensuite le mythe de Dracula et la mythologie des vampires dans l’acclamée Tomb of Dracula (pour lequel il conçoit Blade) – une série actuellement rééditée en trois omnibus chez Panini Comics.

Nous sommes à la fin des années 1970 et Marv Wolfman, comme il l’explique en postface de Crisis on Infinite Earth, souhaite réaliser un rêve de gosse : mettre en scène une aventure hors-norme où se croisent de multiples super-héros. Un phénomène jusque là relativement inhabituel et s’étalant rarement au delà de deux chapitres. Il propose à Marvel et à DC Comics ses idées mais tous deux refusent, arguant, entre autres, qu’une série limitée ne passionnerait guère les foules. L’auteur veut aussi utiliser un personnage qu’il fantasme depuis des années : le « Bibliothécaire ». Une sorte d’entité qui observerait l’univers dans l’ombre et compilerait des informations sur les justiciers.

En 1980, Marv Wolfman rejoint à nouveau DC Comics et relance la série Teen Titans avec le dessinateur George Pérez. C’est ainsi que The New Teen Titans voit le jour (disponible en quatre opus chez Urban Comics). Wolfman et Pérez créent de nouveaux protagonistes : Cyborg, Starfire et Raven. La série est couronnée de succès (et permet à DC de se refaire une santé – même si Marvel reste plus populaire et génère davantage de revenus). Le scénariste mue son « Bibliothécaire » en « Monitor » (il apparaît pour la première fois en juillet 1982) afin d’injecter ses idées dans cette série à défaut de pouvoir coucher par écrit son crossover géant. En lisant le courrier des lecteurs [un fan demandait pourquoi Green Lantern n’avait pas reconnu un héros qu’il avait déjà croisé trois ans plus tôt], Wolfman a conscience qu’il y a des incohérences monstres dans les décennies de publications de DC Comics (impliquant les protagonistes de l’éditeur mais aussi ceux qu’il a racheté à d’autres firmes – cf. plus loin – et qu’il faudra tout remettre à plat un jour entre les multiples Terres parallèles et les super-héros qui existent en plusieurs exemplaires… Cela motive à nouveau le scénariste pour reprendre son projet.

Au début des années 1980, DC Comics peine à vendre ses titres – Marvel fonctionne nettement mieux et a une image plus moderne ainsi qu’un univers unifié (sous la houlette de Stan Lee) – à l’exception notable donc de The New Teen Titans qui permet enfin à Wolfman d’être en position de force et de (bientôt) concrétiser son ardent désir de ce qui deviendra Crisis on Infinite Earth. L’auteur pitche une fois encore son sujet à DC qui, cette fois, le valide rapidement. Il est évoqué publiquement en convention en 1981 (!) mais il est encore trop tôt pour publier la série.

Peter Sanderson, jeune trentenaire critique, chercheur et (futur) historien de la bande dessinée, est alors chargé d’indexer religieusement l’entièreté des personnages qui ont été publiés chez l’éditeur. Lecture, annotations, recherches… la longue et complexe histoire de DC prit plusieurs années à être saisie (d’abord deux ans puis puis deux autres supplémentaires). Il est finalement acté que Crisis on Infinite Earths sera publié en 1985 pour les cinquante ans de l’éditeur, évidemment écrit par Wolfman et dessiné par son complice désormais récurrent George Pérez.

Cela laissait donc quelques années de préparation afin de compiler tous les protagonistes devant intervenir (même de façon éphémère le temps d’une case) et réfléchir aux conséquences de l’évènement (auquel DC ne croyait pas spécialement malgré tout – l’éditeur était pourtant pointé du doigt comme étant désuet, dépassé, démodé…). Phénomène rare à l’époque : les artistes se retrouvaient deux heures chaque semaine pour évoquer l’avancement du projet. Au total, près de cent cinquante chapitres issues de différentes séries se greffent autour de l’histoire de Crisis pour l’introduire ou en voir d’autres points de vue (cf. index Wikipédia). Marvel dame le pion de son concurrent en publiant en 1984 Les Guerres Secrètes, considéré comme le premier « crossover » d’envergure des comics mais il restera moins dans les annales que Crisis on Infinite Earths. L’objectif de ce dernier était multiple avec une ampleur inédite à l’époque : « retrouver la simplicité d’autrefois avant que la continuité prime sur la narration […], expliquait Wolfman en 1998 – toujours dans sa postface – et rendre les super-héros DC accessibles non pas aux seuls fans, mais aussi au grand public ».

Le pari est nettement réussi et la série est un succès à tous points de vue ! Pour Dick Giordano, le responsable éditorial de l’époque (et l’un des encreurs de la bande dessinée), Crisis on Infinite Earths « fonctionne en tant qu’histoire indépendante, nettoie un peu l’univers DC et procure une plateforme pour lancer l’avenir de l’éditeur » (cf. postface de l’artiste en 1998, présente dans l’ouvrage également). En effet, la série redéfinit les bases de DC, supprimant les multiples Terres alors connues chez le lecteur, tuant plusieurs personnages dont quelques-uns emblématiques – Supergirl, Flash/Barry Allen… – et cadenasse alors ses survivants sur une seule et même Terre. L’âge d’or, d’argent et de bronze s’achèvent pour passer le flambeau à l’âge moderne, toujours d’actualité (et dont les premières années sont parfois nommées l’âge sombre (Dark Age) au sein de sa propre chronologie (1985-1997)).

De quoi repartir (presque) à zéro sur une « nouvelle » continuité. Batman n’y échappe pas ; nous sommes alors au milieu de l’année 1986 et Frank Miller en profite pour écrire et dessiner son culte The Dark Knight Returns puis, l’année suivante, son célèbre Année Un (avec Mazzucchelli au dessin), permettant au Chevalier Noir d’embarquer un nouveau lectorat avec une approche plus sombre et « réaliste ». John Byrne relancera de son côté avec brio Superman, toujours en 1986, dans The Man of Steel, qu’il écrit et dessine également. George Pérez, quant à lui, reprend Wonder Woman, rejoint par Greg Potter et Len Wein dans Dieux et Mortels. Une triple renaissance historique avec trois titres salués par la critique et le public.

Dans la foulée, Watchmen (1986-87) expose également une approche mature du mythe super-héroïque et provoque un (autre) chamboulement dans l’industrie – les bandes dessinées du genre ne sont plus destinés « au jeune public » mais élèvent les fictions à destination des adultes et entrent définitivement dans « l’Art » (le neuvième). Tous ces titres étant publiés par DC, c’est une (autre) renaissance inespérée qui s’opère et ouvre un champs des possibles quasiment infini. Le label Vertigo est lancé, accueillant de prestigieux auteurs : Alan Moore (V pour Vendetta), Neil Gaiman (Sandman), Jamie Delano (Hellblazer), etc. puis plus tardivement de nouvelles séries désormais cultes : Preacher, Transmetropolitan, 100 Bullets, DMZ, Sleeper, Y Le Dernier Homme

À partir de là et suite au succès de Crisis on Infinite Earths, les crossovers sont devenus légion (aussi bien chez Marvel que DC Comics), mais ces différents évènements éditoriaux étaient d’envergure moindre, parfois mercantiles voire opportunistes avec peu de conséquences… En synthèse, il y avait peu d’histoires durant lesquelles des héros mourraient vraiment et où le statu quo était réellement modifié à jamais – à l’inverse de ce qu’on pouvait lire dans l’œuvre de Wolfman et Pérez (co-auteur du titre à partir du sixième chapitre).

Néanmoins, il est de notoriété d’accorder que Crisis on Infinite Earths fut complété par deux autres segments pour être une trilogie (Crisis Trilogy). Ainsi, Infinite Crisis, publiée vingt ans plus tard (2005-2006), est cette fois scénarisée par Geoff Johns. Peu après, c’est Grant Morrison qui signe Final Crisis (2008-2009). Un guide est en cours d’écriture sur ce site, classé dans l’onglet Index.

Avant ces deux récits majeurs, d’autres séries furent affublées du terme crisis et peuvent y être considérés comme connectées. Zero Hour : Crisis in Time (1994) se déroule par exemple entre Crisis on Infinite Earth et Infinite Crisis et Identity Crisis (2004-2005) fut ajouté a posteriori comme une sorte de prélude à Infinite Crisis – publié en France sous le titre Crise d’identité en récit complet qu’on conseille énormément.

Les « crises » suivantes se sont majoritairement abstenues de ce terme. Flashpoint, Convergence, Metal et Doomsday Clock (qui rassemblait DC et… l’univers de Watchmen !) par exemple. D’autres évènements, plus mineurs, peuvent être associés à ces crises (certains inclut dans les versions françaises pour une meilleure compréhension, comme Countdown to Infinite Crisis/Final Crisis) : Futures End, Multiversity, etc. voire Heroes in Crisis pour les plus complétistes.

En 2022, DC Comics poursuit ce qui a été inauguré dans Infinite Frontier par Joshua Williamson (2021) et publie du même auteur Dark Crisis, renommé ensuite… Dark Crisis on Infinite Earths ! Ce qui était une exception est désormais récurrent. Les crisis devenant un tremplin idéal pour relauncher ses séries, c’est-à-dire redémarrer avec le fameux « Numéro #1 » en couverture de différents titres et ainsi attirer un potentiel nouveau lectorat. Sans Crisis on Infinite Earth, il n’y aurait peut-être pas eu tout cela ou alors sous une autre forme…

Aparté « actualité » : Urban Comics a annoncé le premier tome de Dark Crisis on Infinite Earths pour le 6 janvier 2023 ! Il fera donc suite aux deux précédents récits de Williamson (pas encore chroniqués sur le site), DC Infinite Frontier (janvier 2022) et DC Infinite Frontier – Justice incarnée (juillet 2022). Tous se déroulant après les différents évènements survenus dans la saga Metal et ses conclusions Doom War.

[Critique]
Que vaut Crisis on Infinite Earths de nos jours ? Et bien… l’on est partagé. Un petit peu comme le titre culte Batman – Un deuil dans la famille, on est tenté de dire que Crisis est bien sûr un comic important et intéressant mais peut-être pas « indispensable », même pour sa culture. Le titre n’a pas forcément « mal vieilli » (que ce soit au scénario – bien que digeste et bavard – ou aux dessins) mais il est extrêmement dense, complexe et verbeux. En jonglant entre une foule de personnages sans se focaliser sur quelques-uns en particulier qui génèreraient de l’empathie, on peine à vraiment s’accrocher à l’ensemble, peu aidé par sa construction décousue – mais contenant quelques qualités évidentes, on y reviendra.

Marv Wolfman choisit en effet de mettre en avant Harbinger et Paria – tous deux créés pour la fiction (avec Lady Quark plus présente par la suite) – ainsi que Psycho Pirate et, éventuellement, le Monitor, dans sa première moitié. Dans la seconde, ce sont les mêmes qui sont au premier plan, rejoints par l’Anti-Monitor, deux Superman, le Spectre et un petit peu le duo Lex Luthor et Brainiac. L’ennemi des Green Lantern Krona est aussi de la partie dans un segment assez important. C’est à peu près tout, hélas… Même les super-héros qui succombent dans le titre – Supergirl en tête, puis Flash – ne sont pas vraiment suivis avant de mourir héroïquement. C’est tout le problème de la bande dessinée, forcée de contenir les centaines (milliers ?) de personnages apparus dans DC Comics. Ne pas avoir pris les figures habituelles de la Ligue de Justice décontenance gravement et découle sur un paradoxe : la BD se destine aussi bien aux néophytes (encore que…) qu’aux lecteurs de longue date – néanmoins, il faut un minimum de « culture DC » et ne surtout pas débuter les comics avec, sous peine de fort maux de tête.

Crisis on Infinite Earths ne fait par exemple quasiment pas apparaître Wonder Woman et Aquaman ; Batman est cantonné à quelques cases, Robin (Jason Todd) également. Ce n’est pas forcément grave en soi mais se concentrer sur des têtes extrêmement secondaires (et désormais peu connues) perd en intérêt. Il y a là un manque cruel d’unité voire, presque, d’humanité. Heureusement, la fameuse « vision d’ensemble » rehausse le tout même s’il faut attendre plusieurs chapitres avant d’être davantage pris en haleine. On sent l’amour de Wolfman envers ses personnages (même les furtifs) et le monde fictif dans lequel il les fait évoluer. Assommant parfois et piochant dans un « bestiaire » qui sera – probablement – quasiment inconnu pour une majorité de lecteurs, mélangé à plusieurs versions d’un même personnage. Il y a une fascination pour la bande dessinée tout autant qu’une sorte de repoussoir. Peut-être l’œuvre la plus paradoxale à ce jour sur ce site – donc à nuancer à l’extrême…

Les premiers épisodes montrent tour à tour les destructions des Terres (par la fameuse vague « d’anti-matière », sorte de couches blanches absorbant tout, accompagnés des spectrodémons, entités noires et difformes), avec une distance trop accentuée entre le lecteur et les habitants de la fiction, cassant à nouveau l’éventuelle empathie possible pour ces « disparus ». On suit avec un intérêt plus prononcé le plan du Monitor, chargé de rassembler les multiples justiciers et l’on comprend « concrètement » ce qu’il s’est passé/se passe au septième chapitre, soit le début de la deuxième moitié de l’ouvrage. Une seconde partie où s’enchaînent les épisodes avec une conclusion étirée délectable – l’Anti-Monitor est battu puis non, Luthor et Brainiac œuvrent dans l’ombre, Darkseid apparaît, les héros semblent sauvés mais démunis, et ainsi de suite. En somme, des moments épiques (mais peu touchants) mieux gérés qu’en première partie (peut-être parce que Pérez est intervenu dans le processus d’écriture à partir du sixième chapitre ?).

L’œuvre est très très bavarde, multipliant les lieux et personnages bien sûr mais aussi les concepts et univers, tentant d’expliciter l’irrationnel par du rationnel ou assumant la complexité de ce qui est proposé dans les planches savoureuses de Georges Pérez – lui aussi réalisant un de ses rêves (et permettant de se « venger » face à Marvel qui avait court-circuité son projet de crossover entre la JLA et les Avengers des années plus tôt, dégommant une Terre Marvel discrètement dans la saga) – et brillant par sa minutie accordée à tout le monde et aux nombreux détails, sans avoir cette impression de « trop chargé » (bon parfois un peu quand même mais ça va…). C’est là (l’autre) point fort de Crisis on Infinite Earths – surtout pour l’époque – les douze chapitres d’une trentaine de pages chacun sont parfaitement homogènes visuellement et spectaculaires à bien des égards.

Découpages déstructurés, cases de différentes formes, explosions sur des doubles pages, narration singulière et densité graphique et chromatique sont au rendez-vous ! Si l’ensemble a évidemment un petit côté old-school, il reste extrêmement percutant de nos jours tout en s’encrant de façon intemporel avec son récit. La dimension cosmique de l’œuvre reste immédiatement en mémoire, à l’épreuve de l’ambition autant visuelle que narrative. Le travail est à l’image de ce que le titre évoque : une somme astronomique et un ensemble titanesque. La cohérence est donc double, aussi bien dans son parcours textuel (même s’il est migraineux de temps à autre) qu’optique (les traits nets, les visages jamais figés, l’action lisible, la richesse de chaque case fourmillant de détails – et les couleurs criardes, écho d’un passé désormais révolu, moins austère mais plus kitch, assurées par Anthony Tollin, Tom Ziuko et Carl Gafford).

Plusieurs décennies après, il faut reconnaître que Crisis a réussi sa mission : se débarrasser de l’encombrante continuité et complexité de suivre de multiples séries et héros jusqu’à présent et, surtout, des leurs intrigues éparses. Néanmoins, il est rudement conseiller de lire auparavant Crisis Compagnon, qui compilait et présentait une sélection pertinente de ces protagonistes et planètes. Le concept de multivers est apparu en 1961 dans The Flash #123 (disponible dans DC Comics Anthologie – qu’on recommande aussi) afin de justifier le bordel éditorial dans lequel s’était fourré DC Comics en jonglant entre ses différents héros à plusieurs époques sans cohérence (Jay Garrick, Flash de l’âge d’or rencontrait Barry Allen, Flash de l’âge d’argent).

Dans Crisis Compagnon, on (re)découvre Terre-1, Terre-2, Terre-3, Terre-S, Terre-X, Terre-Prime… et les différentes League ou groupes de héros moins connus (L’Escadron des Étoiles, les Combattants de la Liberté, etc.) ou anti-héros (Le Syndicat du Crime notamment) – tous réapparaissant bien sûr dans Crisis on Infinite Earths (rejoints par d’autres comme la Doom Patrol, les Metal Men… mais toujours de façon sporadique – à l’exception d’Oncle Sam, un brin plus présent dans la dernière ligne droite du titre). En somme un tabula rasa (faire table rase) salutaire, bienvenu et qui semble désormais évident et indispensable. Quel choc ce fut à l’époque pour les lecteurs !

Malgré le nombre exceptionnel de planètes, on gravite seulement autour d’une petite dizaine d’entre elles. Terre-3, la Terre du Syndicat du Crime par laquelle « tout commence » (Crisis s’ouvre sur sa destruction), Terre-1 et Terre-2, soit celles de la Ligue de Justice et de la Justice Society, Terre-Prime, Terre de Superboy-Prime, Terre-6 créée pour la BD (d’où provient Lady Quark). Enfin, les Terres IV, X et S sont respectivement les Terres qui abritent les personnages rachetés (par DC Comics) : Charlton Comics, Quality Comics et Fawcette Comics (voir ci-après).

Crisis marqua aussi la fin de l’âge de bronze des comics (1970-1986) ; la saga rassemblait d’ailleurs toutes les époques avec l’âge d’or (1938-1954) puis d’argent (1956-1970) et concluait ainsi plusieurs décennies de publications avant d’amorcer le virage de l’âge dit « moderne » (en 1986 donc), toujours d’actualité. L’harmonisation des héros de DC au sein d’une grande épopée fonctionne, incluant ceux que l’éditeur avait racheté au fil des décennies (Quality, Fawcette, Charlton…) ; on y retrouve donc ceux de Kirby (Kamandi, les New Gods…), les habituels (Batman, Superman…), les moins connus (Jonah Hex, Shazam – Captain Marvel à l’époque – …), ceux de l’éditeur concurrent Charlton Comics que venait de racheter DC en 1983 (Captain Atom, Blue Beetle…) et ainsi de suite.

La mosaïque d’univers (assez vite réduite par les vagues « d’anti-matière », n’en laissant ainsi qu’une poignée afin de ne pas trop s’éparpiller sur des dizaines de planètes différentes) fusionne pour aboutir sur un fameux « renouveau » (la fin est un nouveau départ) – même si, à terme, des auteurs piocheront ou utiliseront des éléments de Crisis pour bâtir leurs histoires. En effet, il ne subsiste qu’une seule et unique Terre lors de la conclusion ; tous les justiciers provenant d’autres Terres/univers n’existent pas dans la mémoire collective des habitants de cette dernière Terre (un choix clivant, balayant ainsi différents comics – un manque de respect ?). D’ailleurs, toute la galerie d’alliés et de vilains n’aura absolument plus aucun souvenir de cette crise des Terres infinies une fois achevée ! Cela ne suffira pas pour repartir malgré tout sur des bases vierges puisque quelques cohérences continueront d’exister – jusqu’à la prochaine crise.

Un peu plus de trois cent cinquante pages composent Crisis on Infinite Earths (préfacé par Urban Comics), alternant donc démesure graphique et narrative, lourdeur textuelle et renvois à de nombreuses références (non publiées en France ou chez d’anciens éditeurs mais dans les deux cas difficiles d’accès) mais aussi séquences intenses et palpitantes. Le mixe d’univers différents, d’époques inédites (on y croise aussi bien des héros préhistoriques que d’un futur très lointain, en passant par le Far West, des versions « maléfiques » des grands noms de DC, etc.) est donc à la fois improbable, jouissif et pénible. Après l’histoire principale, Urban Comics gratifie l’ouvrage de quatre compléments non négligeables.

D’abord deux postfaces, l’une de Wolfman et l’autre de Giordano, rédigées en 1998 pour la réédition de l’œuvre à l’époque (toutes deux partiellement citées plus haut dans cet article). Ensuite, un épisode spécial d’un peu plus d’une cinquantaine de pages publiée plus tard (en 1999), chronologiquement situé entre les quatrièmes et cinquièmes chapitre – toujours écrit par Wolfman. Crisis – Le chapitre inédit (issu de Legends of the DCUniverse) est dessiné par Paul Ryan, Bob McLeod et Tom McCraw.

Si, côté visuel, l’épisode est tout à fait correct (on retient surtout sa gamme de couleurs très diversifiée – cf. image ci-dessus), c’est côté écriture que l’on est ravi ! L’ensemble est parfaitement fluide, à hauteur d’hommes et de surhommes au cœur des crises sur une des Terres. C’est « pile » ce qu’il manquait à l’œuvre-mère pour être plus agréable à suivre. Presque quinze années d’évolution du médium et d’écriture étant passées par là, on aurait adoré découvrir l’intégralité de Crisis on Infinite Earths avec ce filtre scénaristique un brin plus moderne et surtout tellement plus convaincant et passionnant !

Enfin, l’encyclopédie L’Histoire de l’Univers DC s’étale sur près d’une centaine de pages et remet à plat les conséquences de Crisis on Infinite Earth. À nouveau rédigée par Wolfman (et dessinée par Pérez), cette proposition inédite vaut le détour, davantage proche du « roman graphique » (ou plutôt « roman illustré ») que d’une bande dessinée. Découpée et proposée de façon singulière, cette encyclopédie (cf. image ci-dessus et tout bas de cette critique) était censée être le premier titre de Crisis avant de le muter vers ce qu’il est devenu. Une fois de plus, l’idée est d’être autant accessible que possible malgré – à nouveau hélas – la complexité verbale de l’ensemble. Ici, c’est une semi-réussite (ou semi-échec c’est selon) car la plupart des personnages ne sont pas connus ou seront peu suivis par la suite. C’est Harbinger qui narre ces sortes de « fiches », reprenant l’indexation qu’effectuait le Monitor avant elle.

Pour terminer, une vaste galerie de croquis et travaux préparatoire clôturent le pavé – portant celui-ci à près de 550 pages ! Proposition initiale, mémo interne, recherches de personnages, crayonnés noir et blanc… s’étalent sur une petite quinzaine de pages. Notons également trois superbes illustrations d’Alex Ross et son fameux style « photoréaliste » qui ajoutent un cachet non négligeable (à commencer par la couverture de cette édition bien sûr, réalisée en 2005 pour l’adaptation en roman de Crisis on Infinite Earths – une novélisation plus moderne (il y a des téléphones portables par exemple), avec de nouveaux détails et, surtout, une histoire racontée du point de vue de Barry Allen !).


(Trois éditeurs différents ont publié Crisis en France avant Urban, en 1986-87, 2001-03 et 2007.)

L’édition d’Urban Comics est donc exceptionnelle – n’ayons pas peur des mots – rendant grâce à une œuvre imparfaite, fascinante, déroutante. Crisis on Infinite Earths avait bénéficié d’une première publication en France dans la foulée de celle aux États-Unis. On pouvait en effet lire la série dans Super Star Comics (Arédit) de juin 1986 à juillet 1987 ! Si la qualité (d’impression et traduction) n’était pas forcément au rendez-vous, cela a permis au lectorat français de découvrir Crisis très rapidement. De 2001 à 2003, Semic réédite le titre en quatre tomes avec une nouvelle colorisation cassant tout le travail d’Anthony Tollin, Tom Ziuko et Carl Gafford (et, de facto, des dessins de Pérez). Enfin, en 2007, Panini Comics propose pour la première fois une intégrale dans son format absolute – un bel écrin avec fourreau très grand – avec la couverture du chapitre inédit publié en 1999, moins iconique mais plus moderne. Il faudra attendre une petite décennie avant qu’Urban propose sa version, en juillet 2016.

Crisis on Infinite Earths laissa une trace dans l’industrie des comics (cf. bloc « Contexte ») et DC bien sûr, c’est un récit important et qu’il faut « connaître » de façon résumé (la fin du multivers – en gros) mais il n’est pas forcément nécessaire de le lire, faute de s’attacher à des personnages, de bénéficier d’une lecture limpide et palpitante… C’est un constat peut-être sévère mais factuel. Une tragédie héroïque certes, mais d’une lourdeur indéniable dans de nombreux segments. La bande dessinée reste un jalon historique, c’est évident, mais une lecture pas forcément agréable et pour des conséquences déjà connues et revisitées depuis. Néanmoins, cela n’empêche pas l’œuvre de vous « hanter » une fois achevée, ce qui est toujours bon signe ! Une fois de plus : on repense à Un Deuil dans la Famille ou encore Knightfall, deux titres essentiels chez Batman mais à la lecture digeste et qui ont « mal vieilli ». C’est un peu ce qu’on ressent en (re)découvrant Crisis de nos jours… À réserver plutôt aux collectionneurs et complétistes, ou bien aux curieux fortunés.

En décembre 2019 et janvier 2020, cinq épisodes des séries de l’Arrowverse (devenu The CWverse) adaptent Crisis on Infinite Earths pour la télévision ! Si le budget n’est pas à la hauteur pour rendre indispensable cette version, elle n’a pas à rougir pour autant grâce à sa générosité et reste malgré tout mémorable. Il faut dire que l’univers partagé des séries DC Comics sur le petit écran était habitué à l’exercice des crossovers, démarrant doucement (entre Arrow et Flash notamment, chacun allant dans la série de l’autre) avant d’ajouter de plus en plus d’enjeux. On se rappelle des efficaces Invasion ! (fin 2016) puis Crisis on Earth-X (fin 2017), Elseworlds (fin 2018) pour finir sur cette « apothéose » avec Crisis on Infinite Earths.

Tout débute dans le neuvième épisode de la cinquième saison de Supergirl (principalement sa fin) et se poursuit, respectivement, dans le neuvième de la première saison de Batwoman, le neuvième de la sixième saison de Flash, le huitième de la huitième saison d’Arrow et, enfin, dans un épisode spécialement tourné pour l’occasion de Legends of Tomorrow (avant leur cinquième saison). On peut les retrouver compilés dans un DVD importé des États-Unis, rien d’autre en France si ce n’est les solutions légales de regarder en streaming ou d’acheter les coffrets de chaque série respective, dommage.

Les près de trois heures trente de fiction sur le petit écran sont un régal pour les fans de DC et une belle récompense pour les spectateurs assidus de cet univers partagé. L’occasion de voir rassembler les héros habituels de chaque série bien sûr (Flash, Arrow, Supergirl…) mais aussi d’anciennes itérations de figures iconiques comme le Superman de la série Smallville (Tom Welling), le Robin de la série Batman des années 1960 (Burt Ward), l’incontournable doubleur de Batman Kevin Conroy en Bruce Wayne, Huntress de la série Birds of Prey/Les Anges de la nuit (Ashley Scott), le Flash de la série de 1990 (John Wesley Shipp) et même le Barry Allen de l’univers partagé DC Comics au cinéma (Ezra Miller) ! On aperçoit également brièvement les Titans et la Doom Patrol des séries éponymes, ainsi que Black Lightning ou encore Superman et Lois (avant que leur série débute)

S’il y a un festival de caméos (donc du fan-service), qu’il manque la dimension cosmique et du coup de nombreuses séquences « dans l’espace », les épisodes – tous titrés Crisis on Infinite Earths – respectaient bon gré mal gré leur matérieu d’origine (en fermant les yeux sur le côté fauché bien sûr). Ils marquaient aussi la fin de la série Arrow. Après huit années de production et diffusion, l’archer d’émeraude tirait élégamment sa référence, non sans avoir opéré une petite révolution pour le médium et, d’une certaine façon, réussit là où le cinéma échouait à peu près en même temps : faire cohabiter des héros de papier à l’écran avec une cohérence certaine et une ambition mesurée (et cela malgré les innombrables défauts de tous les shows de CW).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 8 juillet 2016.
Contient : Absolute Crisis on Infinite Earth + History of the DC Universe + Legend of the DC universe Special COIE

Scénario : Marv Wolfman (et Gerorge Pérez)
Dessin : George Pérez
Encrage : Dick Giordano, Mike DeCarlo, Jerry Ordway, Karl Kesel
Couleur : Anthony Tollin, Tom Ziuko, Carl Gafford

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Laurence Hingray et Christophe Semal (Studio Myrtille)

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Crisis Compagnon

Afin de mieux comprendre le récit Crisis on Infinite Earth, qui a chamboulé l’univers DC et posé de nouvelles bases « modernes » (en 1985/1986), Urban Comics a choisi de publier un autre pavé (près de 550 pages) intitulé Crisis Compagnon. Celui-ci suit les différents super-héros existant sur les différentes Terres qui peuplent le monde de DC Comics. En version originale, Crisis Compagnon regroupe des volumes de Crisis on Multiple Earths. Le but étant de se familiariser avec les nombreux héros, mais aussi leurs ennemis, leurs « univers » (comprendre leurs planètes respectives), ainsi que les notions de voyages dans les dimensions, le temps, mais aussi les premières bases de futurs conflits.

Comme expliqué dans le dernier paragraphe introductif de l’ouvrage : cet album propose un florilège des meilleurs team-ups entre les héros de différentes dimensions, non seulement dans les pages de Justice League of America mais également dans les autres titres DC. Au cours de ces sagas épiques, vous sont présentées les diverses Terres composant le « Multivers » ; Terre-1, Terre-2, Terre-3, Terre-S, Terre-X, Terre-Prime, ainsi que les éléments qui vont définir la mythologie de DC Comics, comme les Sept Soldats de la Victoire ou Apokolips, en une tapisserie cosmique aussi étrange que captivante.

Tour d’horizon sur les publications sélectionnées (s’étalant sur quasiment vingt ans !) avec un petit récapitulatif de chaque histoire et une rapide critique avec.

Crisis Compagnon

Terre-2 | Crise sur Terre-1 ! /////  Crise sur Terre-2 !
Justice League of America #21-22, août-septembre 1963

La Ligue de Justice d’Amérique de Terre-1, composée de Batman, Superman, Wonder Woman, Aquaman, Green Lantern, Flash, Green Arrow, J’onn J’onzz (Le Limier Martien) et Atom, est mise au défi d’arrêter les Champions du Crime par eux-mêmes, à savoir Félix Faust, Docteur Alchimie et Chronos.
De leur côté, après un hiatus de douze ans, la Société de Justice d’Amérique, c’est à dire Docteur Fate, Black Canary, Hawkman, Hourman, mais également « d’autres » Flash, Green Lantern et Atom (ceux de la précédente génération de comics) affronte les Champions du Crime de leur Terre-2 : Le Violoneux, Le Glaçon et Le Sorcier.
Dans les deux cas : c’est un échec pour les justiciers, tandis que leurs ennemis « s’enfuient » sur les Terres parallèles (les ennemis de Terre-1 vont sur Terre-2 et vice-versa) où ils sont totalement inconnus.
Grâce aux deux Flash qui peuvent vibrer à la même vitesse et par conséquent se rendre d’une Terre à l’autre, chaque équipe de super-héros peut aller se confronter à leurs ennemis d’origine sur leur autre Terre. Mais à nouveau c’est un échec et tous les justiciers vont bien vite se retrouver en prison dans l’espace !

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Deux histoires (de trois mini-chapitres chacune) qui se suivent et introduisent un grand nombre de personnages. Avec tous les éléments de charme de l’époque : des dessins certes « old-school » et des couleurs plutôt flashy mais dans l’ensemble réussis et fluides, des scènes d’action plutôt kitchs et pas très épiques et, surtout, cette narration omniprésente à chaque case qui détaille tout ce qu’il se passe, à nouveau doublonner par les citations des protagonistes expliquant chacune de leurs actions… Un style qui a évidemment bien vieilli et paraît parfois ridicule mais qui se lit avec nostalgie. Cela rappelle évidemment quelques moments de Batman Anthologie. Les « ennemis » n’ont guère d’objectifs originaux si ce n’est s’enrichir et prouver qu’ils sont plus forts que les héros (sic). Dans tous les cas, on plonge rapidement dans ce Crisis Compagnon et tout est très clair (même si les super-héros paraissent assez ridicules voire totalement boulets…).

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[Scénario : Gardner Fox / Dessin : Mike Sekowsky / Encrage : Bernard Sachs]

Terre-3 | Crise sur Terre-3 ! ///// La plus dangereuse de toutes les Terres !
Justice League of America #29-30, août-septembre 1964

La dimension de Terre-3 regorge de « doubles maléfiques », avec des versions négatives des héros. Ultraman, Owlman, Superwoman, Power Ring et Johnny Quick remplacent ainsi Superman, Batman, Wonder Woman, Green Lantern et Flash. Ils exercent « le mal » et non « le bien », à la différence qu’il n’y a pas la conscience morale pour eux de ces actions (idem pour les habitants de Terre-3). Ce concept est assez compréhensible à travers « Justice League – L’Autre Terre » de Grant Morrison. Déroutant aux premiers abords mais finement scénarisé. Par la suite, ce sont ces mêmes « anti-héros » qui verront le jour dans la série Justice League des New52, notamment durant Le Règne du Mal.

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Le Syndicat du Crime d’Amérique règne en maître sur Terre-3. Ils peuvent voler, truander, agresser… sans aucune difficulté. Ses cinq membres, Ultraman, Power Ring, Owlman, Superwoman et Johnny Quick découvrent l’existence de leurs « doubles » sur une autre Terre. Ainsi, ils défient Superman, Green Lantern, Batman, Wonder Woman et Flash en allant sur Terre-1 (les justiciers ont également le jeune homme Snapper Carr dans leur rang).
Les cinq surhommes machiavéliques remportent une première bataille grâce à une habile technique. Piégeant la Ligue de Justice d’Amérique, ils continuent leur croisade contre La Société de Justice d’Amérique, cette fois-ci sur Terre-2. Celle-ci est composée de Docteur Fate, Black Canary, Hawkman, Dr Mid-Nite et Starman.
Le Syndicat du Crime de Terre-3 affronte donc La Société de Justice d’Amérique sur Terre-2 et sort vainqueur. Ils décident d’utiliser ce lieu « neutre » pour affronter « à la loyale » la Ligue de Justice de Terre-1.

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À nouveau deux histoires (par le même trio d’artistes) en trois mini-chapitres qui se suivent et introduisent efficacement les anti-héros de Terre-3. L’on pourra reprocher les mêmes défauts qu’aux précédentes productions (côté kitch, fonds de case assez pauvres, narration omni-présente explicitant chaque fait et geste, etc.) mais une fois de plus ça fonctionne bien et permet de lire de vieux épisodes inédits en français qui familiarisent totalement l’incursion dans le futur event.

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[Scénario : Gardner Fox / Dessin : Mike Sekowsky / Encrage : Bernard Sachs]

Terre-Prime | Flash : réalité ou fiction ?
The Flash #179, mai 1968

Après trois attaques consécutives d’une mystérieuse créature contre Barry Allen, le bolide écarlate se retrouve projeté sur Terre-Prime, c’est à dire « notre Terre » ! Dans celle-ci les super-héros n’existent pas et Flash n’existe que dans des comics. Barry rend donc visite à l’éditeur des aventures de Flash pour obtenir de l’aide !

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Si cette idée peut paraître loufoque aux premiers abords, elle est suffisamment bien écrite pour paraître intelligente et « plausible ». De plus l’on comprend que ce n’est pas la première fois que Flash a conscience que cette possibilité d’être dans des bandes dessinées existe. Pour l’époque, cela permettait sans doute de marquer le coup dans l’imaginaire collectif des « jeunes ». Si le choix de cette publication paraît anecdotique à première vue, nul doute que l’existence de Terre-Prime aura son importance pour la suite. Plaisant.

[Scénario : Cary Bates / Dessin : Ross Andru / Encrage : Mike Esposito]

Les Sept Soldats de la Victoire | Le Soldat Inconnu de la Victoire ! ///// La main qui fit trembler le monde ! ///// Et l’un de nous devra mourir !
Justice League of America #100-102, août-octobre 1972

À l’occasion de la centième réunion de la Ligue de Justice, tous les super-héros de Terre-1 sont conviés à fêter l’évènement. Mais la Société de Justice de Terre-2 requiert l’aide de leurs amis (et « doubles ») car leur univers s’apprête à disparaître ! En effet, un immense poing se rapproche dangereusement de leur planète et s’apprête à détruire leur astre. Pour contrer cette main galactique, les justiciers font appel à L’Oracle, un voyant cosmique. Celui-ci leur explique qu’une ancienne équipe, Les Sept Soldats de la Victoire, ont mis à mal le titanesque Nebula Man quelques années auparavant, un ennemi qui est sans doute le même que ce mystérieux poing cosmique. Problème : personne ne se souvient qui composait les Sept Soldats, ni lequel repose dans une tombe après un sacrifice de sa part. Les super-héros sont alors envoyés par l’Oracle dans plusieurs dimensions à la recherche des Sept Soldats restants… Certains ceux retrouvent à la préhistoire, d’autres au cœur de Robin des Bois ou de la culture maya/aztèque, ou bien en pleine guerre entre indiens !

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Trois chapitres ne sont pas de trop pour parfaitement comprendre les enjeux de cette « nouvelle » équipe qui existait auparavant mais dont l’éditeur n’avait pas su garder une certaine pérennité (excepté pour Green Arrow, membre restant devenu emblématique). L’on saisit également la notion de « vraie » mort de certains personnages et, enfin, devant la multitude de personnages les nombreux repères d’Urban Comics sont légions. Les Sept Soldats de la Victoire ont bénéficié d’un « remake » en 2004 par Grant Morrisson, qui a écrit quatre chapitres sur sept héros (différents de ceux de l’époque), comme Zatanna, Frankenstein, etc. chacun se lisant dans un ordre précis, le tout publié chez Panini Comics et malheureusement pas encore réédité.

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[Scénario : Len Wein / Dessin : Dick Dillin / Encrage : Joe Giella | Dick Giordano]

 TERRE-X | Crise sur Terre-X ! /////  Treize contre la Terre !
Justice League of America #107-108, septembre-décembre 1973

La Ligue de Justice (de Terre-1) expérimente une « machine à transmatière » avec la Société de Justice (de Terre-2). Le but ? Permettre la téléportation des justiciers dans l’ingénieuse trouvaille des deux Flash d’une Terre à l’autre. Ainsi Batman, Green Arrow et Extensiveman (Plastic Man) permutent avec Sandman, Superman et Dr Fate. Mais leur ami robotique Red Tornado (revenu à la vie malgré son sacrifice dans l’histoire précédente) s’est infiltré dans la machine et créé une défaillance. Tous se retrouvent sur Terre-X, un monde parallèle dans lequel le IIIème Reich est sorti vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale ! Les États-Unis sont donc sous le joug des nazis et c’est une équipe hétéroclite qui fait office de résistance. Menée par Oncle Sam, aux côtés Phantom Lady, Black Condor, Le Rayon, Doll Man et La Bombe Humaine, ces « Combattants de la Liberté » trouvent dans les sept super-héros de Terre-1 et Terre-2 de nouveaux alliés. Trois groupes de quatre héros parcourent alors trois endroits stratégiques pour lutter contre l’invasion nazie. L’occasion pour Batman d’aller à Paris !

L’uchronie montrant les nazis gagnants la Seconde Guerre Mondiale n’est pas forcément une idée « originale » mais dans ce cas précis, elle sert de prétexte à se familiariser avec de nouveaux personnages. Même s’ils sont à peine esquissés, le lecteur novice « sait » qu’ils existent. Mais il est indéniable qu’une réédition plus globale de cette Terre-X serait particulièrement alléchante et intéressante ! Pour le reste, tout est très « similaire » aux histoires passées : les héros découvrent de nouveaux lieux, se familiarisent très rapidement avec leurs nouveaux amis et gagnent les combats plus ou moins facilement. La particularité de la Terre-X (tout comme la Terre-S à découvrir juste en-dessous) est qu’elle accueille des héros provenant d’autres éditeurs plus ou moins récupérés chez DC par la suite.

[Scénario : Len Wein / Dessin : Dick Dillin / Encrage : Dick Giordano]

Terre-S | Le choc des Terres !
All New Collectors’Ediction C-58, 1978

Karmang Le Mauvais met en place un habile plan. Il force Black Adam à aller sur Terre-1 en se faisant passer pour Captain Marvel (nouvellement connu sous le nom de Shazam) et à provoquer Superman en duel. Karmang soumet également Quarrmer, créature sablée proche de l’Homme d’Acier, à se rendre sur Terre-S, la Terre de Captain Marvel et sa famille. Quarrmer se mue en Superman et affronte Captain Marvel avant de s’enfuir. But ultime de cette double manœuvre ? Mettre en marche d’étranges machines de chaque Terre qui rentreront en collision mortelle et inéluctable si les vrais Superman et Captain Marvel se livrent un combat titanesque. Mais la cousine de l’alien de Krypton, Supergirl, et Mary Marvel, sœur dudit Captain, veillent…

Une idée « faussement originale » (assez classique malgré ce qu’on peut croire au premier abord) et plutôt longuette (près de soixante-quinze pages) pour un dénouement prévisible. Clairement l’histoire la moins passionnante jusqu’ici. Mais nécessaire pour introduire le personnage de Captain Marvel, cet enfant qui devient un adulte surpuissant doué d’une force surhumaine grâce à la magie que lui a transmis un sorcier. Quand le garçon prononce le mot SHAZAM (correspondant aux prénoms des plus puissants mages : SHAZAM) il est aussi puissant voire plus que Superman (ce dernier mène de peu et « gagne » officiellement leur combat). Mais ici, on manque cruellement de contexte : pourquoi Diana n’a plus ses pouvoirs, pourquoi Lois a l’air d’en vouloir à Clark, etc.
Dans le Relaunch de 2011, Captain Marvel est officiellement baptisé Shazam (logique, il faut éviter le nom du concurrent) et bénéficiera de sa propre histoire en back-up de la série Justice League. Les chapitres qui étaient publiés en France en kiosque seront même compilés dans un livre (volume unique), plutôt conseillé pour se familiariser efficacement avec ce héros atypique. Héros qui aura un rôle un peu plus important au fur et à mesure que la série Justice League (toujours en New52) avance, vers sa fin notamment. Mais dans Crisis Compagnon, pas besoin de trop s’épancher sur ce Captain Marvel pour comprendre qui il est et ses pouvoirs. Utile mais un poil barbant.

[Scénario : Gerry Conway / Dessin : Rich Buckler / Encrage : Dick Giordano / Couleur : Adrienne Roy]

Néo-Genesis et Apokolips | Crise sur Néo-Genesis ///// Apokolips Now ! ///// L’ascension de Darkseid
Justice League of America #183-185, octobre-décembre 1980

Lors d’une réunion entre la Ligue de Justice d’Amérique (de Terre-1) et de la Société de Justice (Terre-2), certains justiciers sont envoyés sur Néo-Genesis, une planète comprenant des Néo-Dieux comme Metron, Orion, etc. ceux-ci se rendent sur Apokolips accompagnés de quelques super-héros. Le but ? Sauver des enfants esclaves de la planète du tyrannique Darkseid, mais également mettre à mal Le Violoneux, le Glaçon et le Sorcier (vus dans les premières histoires du recueil, des ennemis sur Terre-2) qui agissent pour Darkseid. Lui-même souhaite évidemment la destruction de la planète Terre-2.

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Le « grand méchant » fait son apparition (ou plutôt sa réapparition), c’est bientôt la fin de l’ouvrage mais le début de la « vraie » crise des Terres infinies. L’ensemble est très rythmé, très efficace. Il rappelle le neuvième tome de Justice League, qui a modernisé Métron, Mister Miracle, etc.. et repris plus ou moins la même trame narrative (qui s’inspire donc en fait de ces jets ici). Si l’histoire de Geoff Johns a été lue peu avant, le lecteur ne sera pas trop perdu ici, sinon cela fait à nouveau des personnages à découvrir. Tous inspirés par Le Quatrième Monde de Jack Kirby, actuellement édité chez Urban (deux tomes sur quatre, le troisième prévu pour fin 2016).

Darkseid et Apokolips renvoient à la suite de la création de Jack Kirby (Le Quatrième Monde, avec deux tomes publiés pour l’instant) et ses Néo-Dieux. Pour le lecteur de la série Justice League actuelle (New52), cela permet de mieux saisir le neuvième tome sorti quelques jours avant (La Guerre de Darkseid – 1ère partie), puisque l’on va retrouver les mêmes éléments et personnages).

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[Scénario : Gerry Conway / Dessin : Dick Dillin | George Pérez / Encrage : Frank McLaughlin / Couleur : Gene D’Angelo]

Crise sur Terre-Prime | Crise puissance trois ! ///// Les hommes-mystère du mois d’octobre ! ///// L’explosion qui a retenti sur le globe ! ///// Le Maître du Monde et du Temps ///// Ce n’est qu’un au revoir…
Justice League of America #207-209, octobre-décembre 1982 ///// All Star Squadron #14-15, octobre-novembre 1982

Lors de la vingtième réunion annuelle entre la Ligue de Justice (Terre-1) et la Société de Justice (Terre-2), au moment du transfert d’une Terre à l’autre (via le cube à transmatière), c’est le Syndicat du Crime qui débarque sur Terre-1 et met en déroute l’équipe de Superman ! La Société de Justice, après un court passage dans la bulle de prison qui retenait le Syndicat du Crime, arrive sur Terre-Prime, (la Terre où les super-héros n’existent pas, sauf dans des bandes dessinées) en ruine et totalement dévastée à cause du nucléaire.

De son côté, la Ligue de Justice se met à la poursuite de la Société de Justice pour les secourir en allant sur Terre-2, mais atterrisse à une époque qu’ils pensaient lointaine mais qui s’avère bien être le présent. Avec un changement de taille notable : le monde vit sous le commandement de Per Degaton, puissant dictateur. Ils vont rencontrer l’Escadron des Étoiles (Robotman, Steel, Firebrand, Liberty Belle et Johnny Quick).

Pour imposer sa suprématie, l’homme machiavélique Per Degaton a tué le savant qu’il assistait et profité d’une machine à voyager dans le temps et les dimensions pour atterrir sur Terre-Prime. Au passage il a délivré le Syndicat du Crime (venant de Terre-3 et vaincue quelques histoires plus tôt). Il réussit même à manipuler mentalement l’Escadron des Étoiles et la Société de Justice pour qu’ils s’affrontent mutuellement !

La Ligue de Justice, la Société de Justice et l’Escadron des Étoiles vont retourner dans le passé pour arrêter à temps Per Degaton, sur chacune des planètes où il sème le mal.

Voyage dans le temps, entre les différentes Terre, manipulations diverses, justiciers dans l’incompréhension et la découverte… Les épreuves sont nombreuses pour les super-héros, qui rencontreront même le Président des États-Unis avec plusieurs faits réels (crise de Cuba) mis en avant pour accentuer le côté science-fiction uchronique de l’ensemble.

Assurément l’histoire la plus complexe mais également la plus fascinante de l’ouvrage. Cinq chapitres ne sont pas de trop pour comprendre ces multiples allées et venues dans le temps mais aussi dans les dimensions et Terre différentes. S’il est dommage d’avoir choisi « un simple humain » comme menace (Per Dagaton, créé quarante ans auparavant) face à une tonne de super-héros, cela peut apparaître comme ridicule, mais cela permet aussi de concevoir qu’un cerveau peut mettre en péril des surhommes (rappelant ainsi Batman). Plusieurs récapitulatifs parsèment les chapitres, une nécessité si on ne lit pas tout à la suite. La Terre-Prime (la « notre ») est terriblement ancré dans la réalité avec les menaces nucléaires et les chefs d’états respectifs de plusieurs pays (Russie, États-Unis, Allemagne, Japon et même brièvement la France). On notera aussi, pour l’anecdote, la ressemblance frappante de Superman avec l’acteur qui l’interprétait dès lors : Christopher Reeves.

[Scénario : Gerry Conway | Roy Thomas / Dessin : Don Heck | Adrian Gonzales / Encrage : Romeo Tanghal | Jerry Ordway | Sal Trapani | Don Heck / Couleur : Carl Gafford]

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Crisis Compagnon relève un double niveau de lecture, passionnant en tout point. Il est évidemment destiné à tout néophyte de l’univers DC dans sa globalité, mais aussi à tous les lecteurs déjà bons connaisseurs de son (très large) éventail de héros, et —surtout— du récit Crisis of Infinite Earth. On (re)découvre un point d’entrée idéale, très utile pour resituer les contextes marquants des vingts ans de publication. Même si les défauts (évoqués dans les mini-critiques ci-dessus) sont légions, le charme de l’époque opère, et on en fait gracieusement fi puisque l’intérêt est d’introduire de la façon la plus simple possible, tout le matériel possible gravitant autour de Crisis on Infinite Earth. À ce titre, le prix onéreux (35€) peut ralentir le lecteur potentiel (qui devra débourser la même somme pour la « suite », donc 70€ au total) ; mais il est clairement dommage de passer à côté de cette foule d’histoires évènementielles. Saluons, une fois de plus, le travail d’Urban Comics lorsqu’il s’agit d’éditer des récits anciens, sous formes d’anthologie ou par artistes marquants, avec des introductions et présentation efficaces avant chaque bande dessinée. La sélection intransigeante et généreuse est on ne peut plus idéale. De nombreuses couvertures alternatives concluent le livre, dont les très belles d’Alex Ross (cf. ci-dessous). Cette plongée dans l’Âge d’Argent et de Bronze de DC Comics est un régal, mais il faut vraiment avoir conscience que c’est « qu’une introduction » à un immense cross-over plus épique.

Livre impeccable sur le côté éditorial et matériel, donc en tant qu’objet et guide, sur la forme plus artistique, c’est à dire les dessins, la multitude d’artistes officiant ne craint pas un manque de cohérence, au contraire. L’ensemble se ressemble, sans être exceptionnel ni mauvais, ce sont les traits et les styles de l’époque (un véritable témoignage dont la colorisation a été retravaillé, bien plus vive, là aussi un travail efficace de l’éditeur), cela permet de garder au moins une certaine logique dans les multiples justiciers (costumes, couleur…). Sur le fond, les scénarios donc, la qualité est plutôt homogène, si l’on met de côté un ou deux chapitres (notamment celui sur Captain Marvel (Shazam) toutefois nécessaire), avec une prédilection pour les multiples croisements de Ligue/Société et créations d’équipes éphémères.

Un comic-book à posséder, pour les novices ou les fans, qui permet de (re)trouver un univers riche en personnages et d’avancer, lentement mais sûrement, vers un pan mythologique, quasiment ancré dans la culture populaire, de DC Comics.

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La suite est évidemment à découvrir dans Crisis on Infinite Earth

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(Critique prochainement en ligne sur le site,
ainsi que la finalisation des illustrations de cet article.)