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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 3/4

Après une première intégrale assez inégale et une deuxième plus passionnante, place à l’avant-dernière de la longue saga Grant Morrison présente Batman (cf. index dédié) ! Ce troisième opus est l’un des plus conséquents (600 pages !) et probablement le plus « fourre-tout » de la série. Il compile et s’ouvre sur le tome 5 de l’ancienne édition Le retour de Bruce Wayne (déjà publié en 2011 par Panini Comics dans deux fascicules kiosque hors-série de leur magazine Batman Universe – voir couvertures ci-dessous) et se conclut par le tome 0 (Gothique) qui s’était greffé rétroactivement à ce run (avec du contenu initialement et majoritairement publié en 1990 !).

Également au programme, deux épisodes conclusifs et de transition (un de la série Batman & Robin et un du one-shot Batman : The Return), qui étaient dans le tome 6 de la précédente édition (Batman contre Robin, couverture orange). Enfin, les deux deniers tiers du tome 4 (Le dossier noir) sont inclus au milieu de cette intégrale (son premier tiers étant dans la deuxième intégrale rééditée pour une lecture plus cohérente). Tout le monde suit ? Oui ? Alors c’est parfait. Non ? Alors pas de problème, on va prendre le temps d’expliciter tout cela et décrire ce qu’il se déroule dans des nouvelles montagnes russes d’aventures pour Bruce/Batman !

   

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne a été envoyé à l’aube de l’humanité par le tyran Darkseid. Amnésique, il va devoir user de toutes ses ressources pour retrouver son chemin dans le temps, se projetant à chaque fois plus en avant dans les époques, pourchassé par un monstre créé par Darkseid.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Une fois de plus, cette intégrale de Grant Morrison présente Batman enchaîne différents segments complètement inégaux. Le premier se compose donc des six épisodes de la mini-série Le retour de Bruce Wayne, le dernier épisode de Batman & Robin (#16) couplé au chapitre unique (one-shot) de Batman : The Return #1 – rassemblés sous les titres Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. Dans un second temps, le conséquent Le Dossier Noir compile d’anciennes publications principalement des années 1950, mais aussi 1960 et 1990 et (re)vient sur quatre « sujets » (ils sont nommés ainsi) : Le club des héros, Zur-en-Arrh, Dr Hurt et Barbatos. Enfin, dans sa dernière ligne droite, cette avant-dernière intégrale propose Gothique, cinq épisodes de Legends of the Dark Knight plus de quinze ans avant que Grant Morrisson entame son run (et peu après sa première incursion chez l’homme chauve-souris avec son implacable Arkham Asylum).

Le retour de Bruce Wayne est malheureusement (et une fois de plus) un beau bordel. Le renvoi dans le temps causé par Darkseid (en conclusion de Final Crisis) est un prétexte simpliste qui permet de faire voyager Bruce à différentes époques mais ce dernier est amnésique et, pourtant, comprend qu’il n’est pas à sa place. Il enchaîne donc des sauts à différents moments fleuves : la préhistoire, l’époque des premiers colons, la piraterie, le Far West, l’ère de la mafia et évidemment le présent aux côtés de ses alliés de la Justice League. Ces derniers (dont Superman et quelques autres) se retrouvent « au point de fuite » géré par « l’autorité linéaire » (bon courage pour comprendre ce labyrinthe verbeux – un extrait en image tout en bas de cette critique).

Ce qui aurait pu être particulièrement passionnant est une succession de brèves histoires guère passionnantes, à l’exception du segment s’orientant du côté des films noirs et un peu des gangsters (pas sans rappeler le chouette Gotham City – Année Un). On reconnaît à peine Bruce Wayne (visuellement parlant), chaque épisode met en scène des personnages éphémères auxquels on ne s’intéresse pas. C’est dommage car le précédent opus sous-entendait quelques traces du passé et indices laissés par Bruce pour alarmer sa Bat-Famille coincée « dans le futur » afin qu’elle vienne l’aider. C’est plus ou moins le cas mais on a du mal à savoir si c’est volontaire ou non… Comme toujours avec Morrison, on ne sait pas très bien si la narration et les dialogues – globalement confus – sont maîtrisés pour mieux surprendre plus tard. De même, il semble que Bruce créé sans le savoir son propre héritage et influe sur ses ancêtres mais c’est mal narré et peu intelligible…

L’évolution de Bruce s’accompagne heureusement de quelques éléments familiers. Ainsi, la figure déifique de Barbatos, Dieu chauve-souris adulé par des peuples, le Dr. Hurt et le chasseur de primes Jonah Hex croisent donc le milliardaire paumé qui rend service ou combat quelques injustices à l’occasion. L’ensemble du titre aurait pu être tiré vers le haut grâce à une jolie proposition graphique (on parle quand même d’un proto-Batman à la préhistoire ou face à Barbe Noire !) mais chaque épisode bénéficie d’un dessinateur différent. Là aussi, ça pourrait être cohérent (une époque correspondrait à un voyage visuel) mais, hélas, chaque artiste a un style peu marquant, ni foncièrement mauvais, ni drastiquement joli, à quelques séquences près. Faute aussi à une colorisation toujours lisse et sans réel éclat.

Se succèdent ainsi aux pinceaux quelques noms plus ou moins prestigieux : Chris Sprouse (Tom Strong, Ocean, Midnighter…), Frazer Irving (image juste au-dessus, artiste déjà sur trois épisodes – les plus hideux – de l’intégrale précédente), Yanick Paquette (Swamp Thing période New 52/Renaissance, Wonder Woman – Terre Un et il assurera les deux séries Batman Incorporated au cœur de la quatrième et dernière intégrale), Georges Jeanty (Buffy contre les vampires…), Ryan Sook (Arkham Asylum : Living Hell, Hawkman…) et Lee Garbett (Midnighter, Dreamwar…) – tous deux accompagnés de Pere Pérez (Harbinger, Action Comics, Batgirl…)

On retient les planches de Paquette et celles de Sook qui sauvent un peu la fiction. En synthèse, les six épisodes du retour de Bruce Wayne se lisent sans réel plaisir. Ce n’est pas désagréable, on comprend l’ensemble mais fort de ce concept, on pouvait légitimement s’attendre à quelque chose d’encore plus original et mieux écrit ; un traitement plus épique et palpitant était visiblement trop simpliste pour Morrison qui préfère perdre son lectorat sous couvert de discours complexe et pénible.

La titre s’offre une sorte d’interlude avec Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour narrant tous deux, évidemment, le retour de Batman. Le premier chapitre est dessiné par Frazer Irving, Cameron Stewart et Chris Burnham, rien que ça ! Si, graphiquement, la fiction n’est pas très marquante, on apprécie la confrontation entre Batman et Hurt qui reprend et, surtout, les retrouvailles entre Bruce/Batman avec Dick/Batman et Damian/Robin. Puis, surtout, on apprécie (et retient) carrément le second épisode, magnifiquement croqué par David Finch (Justice League…) et montrant un Wayne requinqué, plein d’assurance (cf. les deux premières illustrations après la section À propos).

Révolution dans l’univers de Batman : le philanthrope Bruce Wayne confesse devant les médias et le public qu’il finance la croisade de Batman depuis des années ! Une évidence vu les moyens technologiques usités par le justicier dont le combat a touché Wayne. L’entrepreneur annonce même la création de « Batman Incorporated », promettant une armée de Batmen dans différents pays ! Un concept fort alléchant qui se déploiera principalement dans la quatrième et dernière intégrale puisque toute la suite de cette troisième se concentre (à nouveau) sur le passé de Batman (par Morrison et d’autres). Léger spoiler : Batman Inc. sera – comme pas mal de choses du run de Morrison – une proposition intéressante mais tellement mal exploitée… On y reviendra dans la dernière critique.

Au programme également, une (nouvelle) organisation mystérieuse, Léviathan, un ennemi énigmatique (un de plus) et de belles promesses narratives (qui seront globalement tenues – comprendre trouveront une résolution, plus ou moins satisfaisantes en fonction des exigences de chacun). Ce retour au présent, à la modernité et à un Batman plus classique est paradoxalement une vraie bouffée d’air frais tant ce qui l’a précédé était peu passionnant.

Le Dossier Noir est le nom donné au fameux dossier qui renferme les aventures les plus étranges de Batman, qu’il consigne lui-même dans… un dossier noir donc. En réalité, c’est une appellation éditoriale prétexte à publier de vieux épisodes datant d’il y a plusieurs décennies qui permettent de se rafraîchir la mémoire mais surtout découvrir des éléments de patrimoine qu’a réutilisé évidement Morrison dans son travail (il contextualise d’ailleurs cette compilation en avant-propos). Cette plongée nostalgique est évidemment plutôt kitch et a parfois mal vieilli. Néanmoins elle permet de (re)découvrir, pour la première fois en français, d’étranges pépites à l’intérêt variable, peut-être davantage historique. Une curiosité pour aficionados et complétistes peut-être, une lecture « forcée » pour les autres, probablement.

C’est toujours difficile de critiquer ce genre de (très) vieilles aventures, qui montrent plutôt les obligations de DC Comics de l’époque : des récits légers, complets en dix pages, volubiles et avec une narration omniprésente. Chaque épisode est introduit par Morrison lui-même et sont classés par « sujet ». Le premier est Le club des héros. On découvre ainsi la première apparition du club des héros dans Les Batmen de tous les pays (Detective Comics #215, janvier 1955) puis Le club des héros (World’s Finest Comics #89, juillet-août 1957), tous deux écrits (et donc créés) par Ed Hamilton. Le premier est dessiné par Sheldon Moldoff (ancien assistant de Bob Kane), le second par Dick Sprang, deux artistes prolifiques de cette période.

Le premier épisode montre les différents Batman se rassemblent à Gotham City, tous heureux de rencontre leur modèle et héros, et s’unissent pour combattre un criminel. Le second les regroupe à nouveau avec un certain John Mahew et Superman. L’homme d’acier et l’homme chauve-souris se disputent le titre de président du fameux club d’une étrange façon, chacun étant trop modeste pour l’occuper. En parallèle, un nouveau justicier débarque, Le Fulgurant. Ces deux récits apportent rétroactivement un complément non négligeable au récit du premier tome (et de la première intégrale), également appelé Le club des héros. C’est donc très bien de le proposer mais ça arrive un peu tard, rendant moins complexe la compréhension de la version modernisée, ou plutôt la rendant plus cohérente.

Deuxième sujet : Zur-en-Arrh. Deux récits vont mettre en scène le fameux Batman Zur-en-Arrh puis le…Bat-Mite ! Dans Batman, surhomme de la planète X (Batman #113, février 1958), France Ed Herron créé ce Chevalier Noir plus coloré et étrange que l’original, fruit d’une vision ou d’une planète extraterrestre, on ne sait pas trop ; sous les traits de Dick Sprang (encore). L’aventure est loufoque à souhait, complètement psychédélique et tournée dans de la science-fiction un peu cheap. MAIS… une fois encore, cela permet de mieux comprendre d’où venait le Zur-en-Arrh qu’a repris Morrison ensuite (puis Zdarsky dans son Batman – Dark City). On aurait donc aimé lire cela bien plus tôt…

Dans Le baroud du Bat-Mite (Detective Comics #267, mai 1959), le célèbre Bill Finger (véritable créateur de Batman), conçoit une version Batmanesque de M. Myxyzptlk, mythique ennemi de Superman assez populaire. Cette transposition d’un farfadet magique, facétieux et dévastateur dénote totalement avec l’univers habituel du Chevalier Noir mais rencontre un certain succès chez les plus jeunes lecteurs. C’est Sheldon Moldoff (encore) qui croque donc pour la première fois le Bat-Mite, un peu ridicule mais déboulant donc dans la galerie des nombreux protagonistes de la mythologie de Batman.

Troisième sujet : Dr Hurt ! Cela devient (enfin) un peu plus passionnant. On a droit à deux récits de Bill Finger, toujours dessinés par Sheldon Moldoff et publiés à sept ans d’intervalle ! Le premier Batman (Detective Comics #235, septembre 1956) est d’une importance capitale : on y apprend que Joe Chill, l’assassin des parents de Bruce, n’était pas un banal voleur mais un tueur à gages engagé par un autre criminel, Moxon. Pourquoi ? Parce que Thomas Wayne, vêtu d’un costume de chauve-souris pour un bal masqué thématique, s’était fait kidnapper par les hommes de Moxon afin de soigner ce dernier, blessé par balles. Le père de Bruce put s’échapper et les livrer à la police mais Moxon, dix ans plus tard à sa sortie de prison, décida de se venger.

Le premier Batman change rétroactivement un pan culte des origines de Batman ! Cela pourrait être mal accueilli mais comme c’est sous la plume de Bill Finger lui-même, c’est tout à fait acceptable voire cohérent pour « boucler la boucle » de la thématique chauve-souris. En revanche, cela remet en question le meurtre des Wayne, qui n’était donc plus lié « au hasard » (ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment) car cela sous-entend que tout était prémédité… À chacun d’y voir sa version favorite. Le Dr. Hurt n’apparaît pas ici mais Morrison reprendra ce souvenir par la suite – comme on a pu le lire plus tôt dans son run.

Robin meurt à l’aube (Batman #156, juin 1963) démarre comme une énième aventure kitch et psychédélique – Batman et Robin sur une planète face à des créatures et un robot rose géant – avant de révéler une illusion féroce réalisée par le Dr. Hurt mais sans méchanceté derrière. Au contraire, cette première mouture d’Hurt est d’ailleurs innocente, l’itération Morissonesque sera bien plus machiavélique (même si – a posteriori –, l’ennemi ne rentrera pas dans le prestigieux panthéon des vilains charismatiques de l’univers de Batman ; faute à une écriture étrange et des ambitions confuses).

Quatrième et dernier sujet de ce dossier noir : Barbatos. L’œuvre est plus récente cette fois (août-septembre 1990), écrite par Peter Milligan, scénariste proche de Morrison. Dans Chevalier Noir, ville ténébreuse (Batman #452-454 – donc trois chapitres de 20 pages, soit le récit le plus long de cette session), l’on suit deux arcs narratifs. L’un se déroule en 1764, Jacob Stockman s’apprête à exercer un sacrifice humain pour convoquer Barbatos, lors d’un rituel avec d’autres membres d’une sorte de secte. L’autre se déroule « dans le présent » (et occupe la majorité de l’ensemble) où le Sphinx enchaîne des épreuves délicates pour le Chevalier Noir. Les énigmes ne sont pas très compliquées mais le Sphinx a carrément mis quatre bébés en danger pour arriver à ses fins !

De quoi être en adéquation avec le Chevalier Noir durant sa lecture : tout comme lui on ne comprend pas (dans un premier temps) la finalité de tout ceci, aussi bien la corrélation entre les deux époques que l’objectif de Nygma, bien plus virulent qu’à l’accoutumée. Les épisodes sont dessinés par Kieron Dwyer dans une veine délicieusement rétro de la fin des années 1980, un style brut, une atmosphère lugubre, des scènes sanglantes, etc. Pas de doute, on surfe toujours sur la période post The Dark Knight Returns (1986). Impossible de ne pas penser à Le Culte (publié peu avant, en 1989) également ! Le titre est plus abordable (que ceux d’avant et, paradoxalement, que ceux d’après de Morrison) et se connecte au Retour de Bruce Wayne à nouveau puisqu’il était question de Barbatos dedans (mais, une énième fois, ça aurait été bien de lire ça avant pour mieux capter le puzzle narratif et bordélique de Morrison).

Ce « Dossier Noir » est donc inégal mais pas déplaisant pour autant, suffit de fermer les yeux sur le ridicule de quelques segments propres à leur époque. On le martèle : on se demande surtout pourquoi elle n’a pas été proposée plus tôt ! Comme Morrison a pioché dans tout cela et l’a injecté directement dès le début de son run, on aurait préférer connaître ces vieilles aventures à ce moment-là… Néanmoins, ça a le mérite de rendre les précédentes aventures signées Morrison moins obscures et plus accessibles (compréhensibles ?) pour le commun des mortels.

On ne peut pas reprocher à l’auteur de puiser dans l’énorme galerie de personnages qui ont existé dans l’univers dantesque et hétérogène du Chevalier Noir. Toutefois, reprendre des protagonistes aussi peu captivants pour leur apporter un traitement un brin superficiel reste dommage (déjà observé avec le club des héros dans la première intégrale et se confirmera, hélas, par la suite avec la plupart d’entre eux au sein de Batman Inc.). On apprécie en revanche la matière des pages, davantage granuleuses et solides de ces pastilles nostalgiques, qui tranchent avec le papier glacé moins épais des autres aventures, plus contemporaines, également au sein de l’opus. Fermeture des sujets du dossier noir, place à la suite !

Quatrième et dernier ajout à cette intégrale : Gothique, une histoire en cinq chapitres (Legends of the Dark Knight #6-10) publié en 1990 ! Il s’agit du troisième travail de Grant Morrison sur Batman après une nouvelle (très anecdotique) de trois pages sur Catwoman qui s’introduit dans la Batcave (inclut après Gothique), intitulée La traque (The Stalking) et datant de 1986, initialement parue dans les pages du magazine anglais Batman Annual. Son deuxième jet sur l’homme chauve-souris est nettement plus célèbre et réussi : le récit complet incontournable Arkham Asylum (L’Asile d’Arkham), de 1989. Il y a ensuite eu ce Gothique puis, presque quinze plus tard, son début de run en 2006 qui dura pile sept années !

Si Gothique est proposé rétroactivement dans son run, c’est parce qu’il met en avant un ennemi inédit, M. Murmure, dans une fiction qui flirte avec l’occultisme et les malédictions, les sacrifices, etc. Sans oublier qu’on retrouve (un peu) chez Murmure un peu du futur Dr Hurt. En somme, un titre totalement en phase avec qu’a injecté plus tard Morrison dans sa fresque, principalement ce qu’on retrouve justement dans cette troisième intégrale avec le segment sur Le retour de Bruce Wayne puis Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. On ressent aussi une sorte de prolongation (autant visuelle que narrative) des trois épisodes de Chevalier Noir, ville ténébreuse qu’on vient de découvrir (mais écrits par Peter Milligan attention).

Bien évidemment, Gothique peut se lire indépendamment de tout le reste – il est d’ailleurs dommage qu’Urban ne le propose plus en tome simple unique même s’il sera, en toute logique, présent dans le probablement troisième opus de l’année 1990 de Batman Chronicles. La force de Gothique réside dans ses planches incroyablement dynamiques de la ville de Gotham auquel rend hommage le dessinateur Klaus Janson (encreur mémorable de The Dark Knight Returns et artiste accompli, prolifique et multitâche chez Marvel puis DC Comics) et le coloriste Steve Buccellato (en moyenne forme – surtout dans les flash-backs).

Du terme « gothique » résulte évidemment l’architecture globale qu’on perçoit dans l’urbanité de l’ensemble (principalement au début et à la fin) mais aussi différents éléments de la fiction qui montrent la croisade d’un Batman confiant, voire prenant un malin plaisir à en découdre avec des ennemis. Dans sa quête, l’homme chauve-souris cherche un mystérieux homme normalement mort des années plus tôt et tuant des mafieux. Ces derniers réclament même l’aide du justicier ! En parallèle, Bruce Wayne se remémore des pans de son passé, mélangés à d’étranges rêves et perd parfois pied… Un polar teinté d’un peu de surnaturel donc.

Une fois de plus, ou plutôt « déjà à l’époque », Grant Morrison ne cesse de jouer sur les faux semblants avec des passages abscons. C’est plus limpide que ce qu’il présentera plus tard mais cela reste un peu étrange et pas réellement passionnant non plus. Heureusement, la force graphique impulsé tout le long hisse la fiction vers le haut (la couverture initiale du tome est simplement la reprise d’une pleine page par exemple). Il est cohérent d’avoir ajouté ce titre à cet endroit précis des intégrales mais il n’est pas non plus « réellement » relié au reste… Cela ne change pas le prix de l’intégrale et permet d’avoir l’ensemble des travaux de Morrison au même endroit alors pas de quoi se plaindre. Néanmoins, Gothique n’est pas incontournable, au contraire… Au moins il se lit rapidement, contrairement au reste du pavé, c’est déjà ça.

Cette troisième intégrale est donc sans aucun doute la plus faible, on peut même la dire dispensable, malgré le milieu du titre sympathique (le retour de Bruce/Batman à Gotham dans le présent et l’annonce de l’organisation Batman Inc. – soit deux chapitres au total seulement) et quelques curiosités « vintages » (celui de Bill Finger sur Le Premier Batman et celui sur le Sphinx de Peter Milligan). Grant Morrison se vautre (encore) dans une écriture inintelligible. Ce n’est pas « complexe », dans le sens où ce serait exigeant, intellectuellement stimulant et force de réflexion, d’analyse poussée, c’est juste « compliqué » car pas limpide, peu compréhensible, parfois prétentieux, trop verbeux, inutilement bavard, etc. On l’avait déjà constaté dans la seconde moitié de la première intégrale et un tout petit peu à la fin de la deuxième. Ici, c’est tout le segment du Retour de Bruce Wayne qui l’est puis, un petit peu à nouveau, Gothique.

Malgré tous ces défauts (surtout en rédigeant une critique tant d’années après la mise en vente), force est de constater la puissance populaire du run de Morrison mais elle est à nuancer : c’est avant-tout le personnage de Damian qui marque les esprits et continue de vivre dans la chronologie du Chevalier Noir. Comme on le soulignait plus haut, le Dr Hurt (dont c’est la fin de son arc dans ce troisième opus) n’est pas resté au panthéon des ennemis inoubliables . Tout le voyage dans le temps et le passé n’aura pas d’incidences par la suite, un véritable coup manqué après cette aubaine. Enfin, il en sera de même pour l’organisation Batman Inc. (pourtant une excellente idée) mais c’est à découvrir dans la suite et fin avec la quatrième intégrale !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 26 octobre 2018.
Contient : The Return of Bruce Wayne #1-6, Batman and Robin #16, Batman: The Return #1, Legends of the Dark Knight #6-10, Batman: The Black Casebook, Dark Knight, Dark City (Batman #452-454)
Nombre de pages : 592

Scénario : Grant Morrison (sauf les « dossiers noirs »)
Dessin : Collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif (voir article)

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

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Batman / Spawn 1994

En 1994, deux ans après l’arrivée dans l’industrie des comics de Spawn, l’éditeur de ce dernier, Image Comics, publie en accord avec DC Comics, une histoire où Spawn rencontre Batman (sobrement intitulée Spawn/Batman). C’est le scénariste Frank Miller qui l’écrit et la situe carrément dans son univers de The Dark Knight Returs ! Le créateur et dessinateur historique de Spawn, Todd McFarlane, illustre ce récit d’une cinquantaine de pages.

Dans la foulée, DC propose lui aussi une fiction entre le Chevalier Noir et le diable de New-York (Batman/Spawn : War Devil). Trois auteurs habituels qui travaillaient à l’époque sur l’homme chauve-souris opèrent : Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant. La partie graphie étant assurée par Klaus Janson. Là aussi tout se déroule sur une cinquantaine de pages.

Ces deux titres (relativement « courts » donc) sont compilées avec des bonus dans Batman / Spawn 1994, disponible en France chez Urban Comics depuis le 10 novembre 2023. C’est à cette même date que les lecteurs français peuvent découvrir la troisième aventure commune de Batman et Spawn (initialement sortie aux États-Unis en 2022) dans Batman / Spawn. Découverte et explications de ce singulier binôme !

Couverture classique (gauche) et couverture alternative limitée.

[Résumé de l’éditeur]
Un mal ancien est revenu à Gotham City. La dernière fois qu’il est apparu, une colonie entière a été rayée de la surface de la Terre, ne laissant qu’un seul indice : Croatoan. Qui que soit Croatoan, il faudra tout le talent d’enquêteur de Batman et les capacités surnaturelles d’un ancien soldat devenu HellSpawn pour sauver les citoyens de Gotham de l’enfer qui est sur le point de se déchaîner sur notre monde.

[Début de l’histoire Batman/Spawn : War Devil]
Simon Vesper a été tué il y a quelques années par Spawn mais son corps n’a jamais été retrouvé. Vesper avait initié la création de la Tour de Gotham, sur le point d’être inaugurée de nos jours.

Batman enquête de son côté sur la disparition de Virgil Dare mais trouve des indices le menant à Vesper, qu’il suspectait d’entretenir des liens avec la mafia il y a six ans avant de perdre sa trace suite à ce qui semblait être son assassinat.

Spawn songe à nouveau à son ancienne cible mais ne se rappelle plus pourquoi il devait lui oter la vie. Il décide de retourner à Gotham pour tenter de se souvenir…

[Début de l’histoire Spawn/Batman]
Attaqué à Gotham par un robot d’appartenance russe, Batman réussit à le vaincre et découvre que ce dernier est relié à une tête humaine (!) parlant anglais. Cette dernière était à un vagabond alcoolique de New-York. Comme le détective le précise : « qu’est-ce que le cerveau d’un clochard new-yorkais fait dans un cyborg soviétique ? »

Le Chevalier Noir se rend à New-York pour enquêter et tombe sur Spawn. Les deux commencent à s’entretuer…

[Présentation & contextualisation]
Il est nécessaire de contextualiser la création de Spawn et, de facto, celle de l’éditeur Image Comics. Si vous êtes familier de tout ceci, vous pouvez passer directement à l’onglet critique. En 1992, sept dessinateurs prestigieux quittent Marvel, déçus et agacés de la façon dont ils sont traités (en terme de royalties notamment mais aussi d’être cadenassé pour leur liberté créatrice – en gros). Ainsi, Todd McFarlane (qui œuvrait sur Spider-Man par exemple), Jim Lee (X-Men), Rob Liefeld (Deadpool), Erik Larsen, Marc Silvestri, Jim Valentino et Whilce Portacio fondent leur propre maison d’édition Image Comics.

Leur indépendance permet de concevoir plusieurs comics phares de l’époque comme Spawn bien sûr (créé par McFarlane), mais aussi WILDC.A.T.s (par Jim Lee — un univers racheté puis réédité par DC Comics ensuite, incluant trois livres en France par Urban fin novembre), Youngblood, Savage Dragon, etc. Ces séries sont un véritable succès et Spawn se vend autant voire mieux que Spider-Man par exemple ! Image Comics donne un nouveau souffle au médium et une lueur d’espoir pour de nombreux auteurs et artistes qui voient grâce à ce nouvel éditeur une certaine révolution dans l’industrie.

La crise des comics de 1993 et les départs successifs de Whilce Portacio (qui a vite renoncé dès 1992) puis Rob Liefeld (1996) et Jim Lee (1998) complexifient la pérennité d’Image Comics qui peine à renouer avec des succès, malgré la solide et remarquable longévité de Spawn. Il faut attendre le début des années 2000 pour retrouver une santé financière, critique et populaire avec l’arrivée du scénariste Robert Kirkman qui signe dans la foulée Invincible puis, surtout, The Walking Dead. En 2012, c’est la passionnante série Saga qui donne une impulsion nouvelle à Image Comics et lui permet de conserver sa stabilité. Si l’évolution de cet éditeur vous intéresse, un simple tour sur Wikipédia (en français de surcroît) donnera quelques clefs de compréhensions, l’article étant assez complet.

Revenons à Spawn. Todd McFarlane présente son anti-héros en 1992 et le succès est immédiatement au rendez-vous (la série fêtera son 350ème chapitre début 2024, cf. couvertures VO ci-dessous – on y reviendra). . Il faut dire que les traits résolument modernes et élégants de l’artiste sont une certaine révolution graphique pour l’époque (toutes proportions gardées puisque McFarlane était déjà « connu » et d’autres illustrateurs de renom comme Jim Lee arborait un style un peu similaire). Le dessinateur pioche dans ses souvenirs d’adolescent pour concevoir Spawn : Al Simmons, un ancien des forces spéciales mort au combat fait un pacte avec le démon Malébolgia. Il accepte de lui vendre son âme dans l’espoir de revoir sa femme et devra mener les troupes de l’Enfer à la victoire contre les forces céleste de l’Armageddon. Mais la créature est séquestré durant cinq ans avant d’être renvoyé sur Terre, défiguré, méconnaissable et arborant différents pouvoirs surnaturels…

Devenu Spawn, Al se rend compte des multiples trahisons dont il fut victime, aussi bien en tant qu’humain qu’HellSpawn (une fois de plus, pour en savoir davantage sans se farcir l’entièreté des comics, la page Wikipédia dédiée vulgarise assez bien l’ensemble)… L’œuvre est sanglante, originale et mature. Elle donnera lieu en 1997 à deux adaptations : un film (raté) et une série d’animation sur HBO (18 épisodes) bien accueillie. Un nouveau long-métrage est prévu pour 2025 au plus tôt. L’auteur de ces lignes l’avoue humblement, il n’a lu que le premier tome de la série principale Spawn (et nul besoin de le connaître ou d’en savoir davantage pour apprécier ce Batman/Spawn 1994 d’ailleurs — un peu moins pour celui de 2022/2023 en revanche).

Si Spawn est produit par Todd McFarlane, aussi bien aux pinceaux qu’à l’écriture, il laisse volontiers et assez rapidement le scénario d’un ou deux chapitres à quelques pointures dont les fameux « trois M » liés à Batman : Frank Miller, Alan Moore et Grant Morrison ! Si ces collaborations sont ponctuelles, elles inaugurent du bon et McFarlane cèdera, entre autres et principalement, à Brian Holguin l’écriture de sa série sur de longs segments. Plus important, McFarlane délaisse aussi ses dessins à plusieurs pointures dont la plus longue au profit de… Greg Capullo ! Le célèbre artiste occupe une place majeure dès le deuxième tome et jusqu’au neuvième (il reviendra aussi dans le douzième) – il signe une jolie illustration de Spawn/Batman à l’époque, à découvrir en bas de cet article, avant le bloc À propos. En somme, Capullo travaille presque sept ans sur Spawn, il était donc naturel qu’il s’approprie la troisième rencontre avec le Chevalier Noir (qu’il a dessiné durant plus de cinq ans) en 2022 dans l’autre comic book Batman / Spawn, sorti fin 2023 chez nous.

 

Spawn va fêter début 2024 son 350ème chapitre ! Ce qui en fait le comic book le plus long (plus de trente ans d’existence) hors registre super-héroïque. Pour lire Spawn en France, c’est (désormais) assez simple, l’éditeur Delcourt ayant effectué un travail assez formidable quand ils ont récupéré les droits au milieu des années 2000. Il y a tout d’abord la série Spawn (aussi nommée Spawn Archives), étalée sur 22 tomes (le dernier est sorti début 2023) et contenant 250 chapitres (de la série éponyme, donc simplement intitulée Spawn en VO). La suite directe se déroule dans Spawn Renaissance, compilant les épisodes 251 à 330 de la série initiale, toujours en cours de publication aux États-Unis. Cela porte à ce jour ce second titre à 13 volumes (le quatorzième est prévu pour janvier 2024). Voir des couvertures ci-dessus.

À noter que les tomes 19 à 22 de Spawn (regroupant les épisodes #201 à #250) furent publiés « en doublon » quelques années plus tôt chez le même éditeur en huit volumes dans Spawn – La Saga infernale. Il s’agissait à l’époque de profiter d’une semi relance après le 200ème chapitre et être au plus près de la publication VO. Désormais il n’y a donc plus trop d’intérêt de l’acheter (c’est aussi pour éviter cette confusion que Spawn est titrée Spawn Archives – tout le monde suit ?). McFarlane a étendu son univers dans de nombreuses séries annexes, parfois en continuant de les écrire ou bien en laissant la mains à d’autres auteurs mais en gardant une supervision.

Citons Sam & Twitch (six opus), centré sur le duo de flics des mêmes noms (malheureusement plus réédités) et différentes histoires anthologiques et un peu « à part » regroupées sous l’appellation Spawn Hors-Série (une douzaine de récits incluant les deux avec Batman mais, idem, certains ne sont plus en vente, d’autres réédités sous forme d’intégrale). Il y a, entre autres, Spawn / WildC.A.T.s (forcément), Violator (l’un des antagonistes de Spwan), HellSpawn, Spaw Dark Ages, Du sang et d’ombre, Les architectes de la peur, Spawn Godslayer, Spawn – The Undead, etc. Voir les couvertures ci-dessus.

Depuis fin 2022, on peut découvrir trois autres séries gravitant autour de Spawn : King Spawn (Spawn devient le rois des enfers, trois tomes en cours), Gunslinger Spawn (relecture façon western, trois volumes en cours aussi) et Spawn – Scorched, L’Escouade Infernale (toute une équipe se créé autour de Spawn avec plusieurs autres anti-héors, deux opus pour l’instant). Notons que cette nouvelles salve a carrément droit à un triptyque de couvertures (cf. ci-dessous). Enfin en 2023, La malédiction de Spawn s’est ajouté à ce fameux Spawn Universe, qui est donc riche et varié ! Todd McFarlane en parle aux confrères de Comicsblog sur ce lien en octobre 2023.

Cette (longue) présentation effectuée, que vaut donc ces rencontres entre Spawn et Batman publiés initialement en 1994 ?

[Critique]
Si l’introduction de cet article ainsi que l’avant-propos d’Urban Comics à l’intérieur du livre évoque chronologiquement la première histoire de Spawn/Batman publiée par Image Comics (donc celle Miller/McFarlane) puis celle par DC, le recueil présente d’abord celle de DC (War Devil) et ensuite l’autre. C’est donc dans cet ordre que les critiques seront aussi publiées.

[Critique Batman/Spawn : War Devil]
La rencontre épique entre le suppot de l’Enfer et l’homme chauve-souris a lieu et… ce n’est pas aussi incroyable que ce qu’on était légitime d’imaginer. Sans surprise, un rapide affrontement entre les deux avant une association se déroule de façon assez convenue. La faute à un scénario conçu à six mains (!) – Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant (responsables à l’époque de nombreuses sagas cultes sur le Chevalier Noir : Knightfall, Cataclysme, No Man’s Land…) – trop bavard et verbeux dans ses dialogues et peu intéressant dans son intrigue globale. En synthèse, un homme mort revient à la vie et veut tuer davantage de personnes, sous l’égide de la magie noire et d’apparitions de démons, évidemment.

L’alliance de Spawn et Batman ne sera donc pas de trop pour venir à bout du démon derrière tout cel (bien qu’assez confuse dans sa résolution). Le célèbre justicier de Gotham et l’anti-héros venant de New-York s’associent presque « comme si de rien était », ne prennent pas le temps de se connaître et collaborent comme si c’était une évidence. Il en est de même pour la conclusion du récit où les protagonistes se quittent après un échange cohérent du côté des deux certes mais étonnante malgré tout. Ce sont peut-être les fans de Spawn qui préfèreront ce War Devil, où la création de Todd McFarlane occupe peut-être une place moindre ou identique que Batman mais semble plus soigné dans l’écriture ou dans l’empathie envers ce singulier personnage.

La dimension graphique perd aussi de sa superbe, Klaus Janson (inoubliable encreur de The Dark Knight Returns) ne réussissant jamais à rendre iconique ce rendez-vous improbable de deux monstres sacrés des comics. Janson a également du mal à gérer son espace géographique, trop étriqué dans des petites cases, canibalisant les grands espaces qui auraient été nécessaires à sublimer l’inoubliable cape de Spawn mais, surtout, l’incursion dans le registre fantastique/horrifique (plus ou moins) inédit à l’époque. Il y a bien une double page sympathique (cf. ci-dessus) mais le reste suit difficilement, dans un style maladroitement ancré (avec un a et non un e) dans les années 1990, à l’inverse des traits de McFarlane (dans l’histoire suivante) – et même ceux de Capullo à l’époque – bien plus intemporels et encore appréciables et délectables aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Heureusement, la colorisation de Janson aidé de Steve Buccellato confère une patte visuelle assez riche, arborant tour à tour le côté sombre de Gotham et les palettes écarlates propres à Spawn. Ce rouge vif dénote d’ailleurs pour un résultat globalement agréable. Toute la bande dessinée est proposée à la fin du livre dans une version encrée en noir et blanc et avec les dialogues en VO. Un bonus qui ravira les fans de Janson et permet de gonfler le nombre total de pages à presque 170, les deux titres principaux ne s’attardant que sur une petite cinquantaine de planches (pourquoi pas compiler les trois histoires de Batman / Spawn (incluant celle de 2022/2023) dans un seul et même ouvrage pour un prix total plus abordable ?).

[Critique Spawn/Batman]
Cette fois c’est la bonne ! La rencontre entre Spawn et Batman est épique, brutale et d’une superbe signature graphique. Il faut dire que c’est Todd McFarlane lui-même (le créateur de Spawn) qui illustre la cinquantaine de pages du titre. L’artiste avait déjà dessiné Batman – Year Two / Année deux en 1987 et avait repris les « pastilles journalistiques » de Frank Miller dans The Dark Knight Returns (1986) dans sa série Spawn. Il semblait donc y avoir une certaine logique voire osmose entre les deux artistes pour cette collaboration. Miller signera une postface l’année suivante de ce Spawn/Batman (donc en 1995), inclut dans l’édition du premier tome de Spawn en France (Résurrection).

Visuellement donc c’est un sans faute. Ici l’espace est nettement mieux pensé avec de belles séquences d’anthologie iconisant tour à tour chacun des deux (anti) héros. C’est d’autant plus incroyable quand on constate aujourd’hui que ces dessins remontent à 1994 et qu’ils n’ont pas pris une ride (et sont nettement plus aboutis que certains plus récents). McFarlane croque sa New-York nocturne habituelle, évidemment proche de la Gotham des aficionados de Batman. L’artiste sublime la rencontre tour à tour violente puis « psychologique ». Rien à redire.

Côté scénario, Frank Miller prend son temps. Contrairement au titre précédent, il se fait narrateur omniscient au service du lecteur et cela fonctionne étonnamment bien, conférant une écriture fluide puis organique quand Spawn et Batman prennent la relève. C’est une guerre d’ego entre les deux qui s’annoncent derrière un conflit (plus dangereux) d’une mystérieuse femme. En ce sens, l’intrigue de fond, vaguement politique et un brin plus science-fiction (par rapport à la première, davantage orienté fantastique/horrifique) est efficace sans faire d’éclat. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande plume complexe ou trop originale.

S’il est fièrement annoncé que la fiction se déroule dans le même univers instauré par Miller dans The Dark Knight Returns, ce n’est clairement pas évident durant la lecture et pourrait être un titre indépendant que ça ne changerait pas grand chose (on retrouve juste cette approche brutale et radicale du Wayne de Miller). L’auteur cite également son Année un mais, encore une fois, cela relève davantage du clin d’œil que d’une réelle volonté d’ajouter un complément indispensable à l’univers. Néanmoins, ce Spawn/Batman vaut indéniablement le coup pour les amoureux des traits de McFarlane (cf. planches ci-dessous et les trois dernières de cet article) et cette confrontation au sommet !

[Conclusion de l’ensemble]
Inutile de préciser que les fans de Spawn ET de Batman doivent évidemment se procurer cette compilation de deux récits emblématiques de 1994. Même si le premier est très moyen, le second est une élégante pépite graphique. En revanche, les passionnés de Batman uniquement peuvent faire l’impasse puisque ces deux courts titres n’apportent pas grand chose à la mythologie (et chronologie) de l’homme chauve-souris – à l’inverse de la version 2022/2023 qui place son récit dans la série Batman de Scott Snyder. D’autant plus qu’il faut débourser 17 € pour à peine une centaine de pages de bandes dessinées, quand on ne connaît pas spécialement Spawn il n’y a pas forcément de raisons de se lancer dedans.

Comme évoqué plus haut, une bonne solution de rapport qualité/prix (et nombre de pages/prix) aurait été de compiler la troisième histoire (2022/2023) dans un seul et même livre (avant ou sans les bonus proposés) pour combler à peu près tout le monde. Il est toujours difficile d’anticiper si cela aurait été mieux accueilli ou non, d’autant plus que ces deux éditions sont aussi proposées avec deux variantes (augmentant au passage le prix à 20 € pour celle de 1994 et 22 € pour l’autre !). Les collectionneurs et complétistes seront probablement conquis par ces jolies propositions. Le lecteur « lambda » (ce n’est en aucun cas un terme péjoratif) y trouvera peut-être moins son compte (36 € au total pour trois histoires d’une cinquantaine de pages dont une assez moyenne, ça commence à piquer).


Illustration de Greg Capullo pour le crossover Spawn/Batman, 1993

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 1994 Spawn/Batman #1 + Batman/Spawn: War Devil #1
Nombre de pages : 168

Scénario : Doug Moench, Chuck Dixon, Alan Grant, Frank Miller
Dessin & encrage : Klaus Janson, Todd McFarlane
Couleur : Klaus Janson, Steve Buccellato, Steve Oliff, Olyoptics

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurice

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Batman – Curse of the White Knight

Après l’excellent — et désormais culte et incontournable Batman – White Knight — Sean Murphy propose une seconde salve dans son univers détaché de la chronologie « officielle » de Batman (à l’instar de The Dark Knight Returns de Frank Miller qui a conçu au fil des années d’autres volumes pour étoffer également sa propre mythologie, avec des suites et séries annexes).

Cette nouvelle incursion sort dans quatre formats : d’abord le 02 octobre 2020 en version classique en couleurs (22,50€), dans le même format mais avec une couverture alternative spécialement pour les enseignes Fnac (25€), en version limitée en noir et blanc (29,00€)  comme ce fut le cas pour son prédécesseur puis le 20 novembre 2020 en version luxueuse (dans la nouvelle collection Urban Limited) agrandie (36 x 24 cm), encore plus limitée et numérotée de 1 à 1500 avec dos toilé, marquage à chaud et signet (59€ tout de même) !

Que vaut la malédiction (curse en VO) du fameux chevalier blanc ? Critique.


[En préambule si vous n’avez pas le temps de relire White Knight ou sa critique]

Quelques rappels nécessaire et révélations importantes : Harley Quinn (le « vrai » chevalier blanc de Gotham, c’était elle) a secrètement mis au point une pilule guérissant le Joker. Ce dernier est effectivement devenu sain et souhaitait changer la ville de Gotham en bien, sous son alias civil Jack Napier, aux côtés de son ancienne muse (redevenue Harleen Quinzel). Auparavant, le Clown du Crime, trop obsédé par Batman, n’avait même pas compris que son acolyte féminine de toujours (Harley Quinn donc) était partie et qu’une autre  l’avait remplacée : Marian Drews (une de ses anciennes otages). Furieuse de la tournure des évènements (la guérison de son amant), Marian se mue en néo-Joker, véritable nouvelle menace pour la cité.

Dans l’ombre, Jack Napier manipule tous les ennemis du Chevalier Noir afin d’arriver à ses fins politiques. Derrière son apparence « respectable », l’homme est resté menteur et manipulateur mais, cette fois, dans un but plutôt noble. N’est-ce pas ce que fait également Batman (devenu trop dangereux pour tout le monde et sombrant dans une violence hors-norme) ? Napier connaît d’ailleurs la véritable identité du justicier et lui apprend aussi que Jason Todd n’est pas mort…

En parallèle, Victor Fries (alias M. Freeze) ressuscite enfin sa compagne Nora. Le passé de la famille Freeze est lié à celui des Wayne à l’époque des nazis. Une situation explicitée partiellement mais qui renferme encore quelques mystères. La lettre posthume d’Alfred (mort après s’être sacrifié une ultime fois pour son maître) évoque justement des choses secrètes cachées dans le manoir (à la toute fin de l’ouvrage, sans que celles-ci soient dévoilées). Le GCPD s’est doté d’une nouvelle équipe puissante grâce au GTO, Groupe Tactique Opérationnel, initiée par Napier. Celle-ci se compose d’agents d’élites mais aussi des vigilantes de Gotham, comme Nigthwing et Batgirl. Une forme hybride entre forces de l’ordre et justiciers, équipés de la technologie de Batman incluant ses véhicules. Jack Napier redevient le Joker et retourne en prison, épousant Harleen au passage et faisant ses aveux à la police. De son côté,  le Chevalier Noir finit par révéler son identité à Gordon, confessant dans la foulée sa détresse entre son plaisir à faire du mal aux criminels et son envie de restaurer la confiance en son égard.

[Résumé de l’éditeur]
Le fléau Jack Napier est de nouveau derrière les barreaux, mais la sérénité est loin d’être de retour à Gotham, et encore moins au Manoir Wayne, où Bruce peine à retrouver équilibre et sérénité. Son pire ennemi n’a pas seulement ébranlé ses convictions et sa raison d’être, il a également durablement saccagé l’image de Batman et sa légitimité aux yeux des habitants de sa ville. La disparition d’Alfred n’est pas sans séquelle non plus, bien qu’elle laisse derrière lui un héritage inattendu : le journal d’Edmond Wayne daté de 1685, premier de sa lignée à s’être installé à Gotham et adversaire d’un certain Lafayette Arkham, dont les ossements ont été récemment découvert dans la cellule du Joker.

[Histoire]
1685. Manoir d’Arkham. Lord Wayne tue Lafayette Arkham. Ce dernier énonce une malédiction avant de trépasser…

Aujourd’hui. Asile d’Arkham. Le Joker s’échappe, prêt à retrouver son statut de criminel le plus puissant de Gotham et bien décidé à faire oublier son « alter ego » Jack Napier.

Batman et Gordon enquêtent et découvrent de vieux ossements dans une ancienne cellule de l’établissement (où était le Joker à une époque). S’agirait-il des os de Lafayette « Laffy » Arkham, dont la légende raconte qu’il était… un vampire ?

De son côté Bruce Wayne découvre le journal intime de son ancêtre Edmond Wayne, daté de 1685 (dans la cachette qu’évoquait Alfred dans sa lettre posthume).

En parallèle, Nightwing refuse que Batman dévoile son identité aux citoyens de Gotham mais le Chevalier Noir estime que c’est une décision juste et importante, reconnaissant que l’Initiative Napier a fait beaucoup de bien à la ville tout en mettant le justicier face à ses propres erreurs (tout en le « détruisant » intérieurement).

Plus loin dans la cité ténébreuse, Jean-Paul Valley, ancien soldat de l’armée souffre d’hallucinations et apprend qu’il a un cancer. Le Joker, connaisseur des secrets des ancêtres de Wayne ravive la flamme de l’épée et du combat d’Azraël, en la personne de Jean-Paul Valley justement, descendant d’un ennemi des Wayne.

Dans la foulée, le Clown sabote l’annonce de Gordon pour les municipales de Gotham et révèle au monde entier que Batgirl est en réalité Barbara, la propre fille du policier.

[Critique]
Le pari était risqué et il n’est pas vraiment réussi… Après la pépite White Knight, difficile de faire mieux évidemment et le résultat est (très) mitigé. Azraël et l’ancêtre de Bruce Wayne se connectent moyennement à la solide mythologie instaurée par Sean Murphy mais, heureusement, de bons éléments sauvent le reste et l’enrichissent. Explications.

L’univers de Batman, d’une manière générale, se marie moyennement avec les histoires de malédiction (un prétexte ici, il n’y en a pas vraiment), de secte (idem) ou d’ancêtres liés aux Wayne (on a du mal à se passionner pour cette extension d’antan — pas assez proche du présent du héros pour être appréciable, on en reparle plus loin). Ces nouveaux sujets tranchent donc assez radicalement avec le volet précédent — davantage urbain, porté sur le juridique, la morale, le psychisme… — et connotent difficilement avec l’univers du Chevalier Noir (comme souvent donc), en particulier celui mis en place par le scénariste et dessinateur Sean Murphy.

Ainsi, l’Ordre de St. Dumas et Jean-Paul Valley ont toujours été des éléments (crées dans l’indigeste mais culte saga Knightfall) à double tranchant (comme sa lame). D’un côté une psychologie intéressante pour l’être humain (il est quasiment bipolaire, ce qui est hélas peu exploité dans cette itération contemporaine) ainsi qu’une force hors du commun couplée à une panoplie esthétique variée et parfois appréciable quand il endosse le costume, ou plutôt l’armure de Batman (en résulte de savoureuses scènes de combat — ici et déjà à l’époque dans Knightfall). D’un autre côté un passif pénible, un brin lourdingue et surtout un aspect religieux trop prononcé, peu plausible et avec un intérêt limité, in fine.

Heureusement, il n’y a pas « que ça » dans Curse of the White Knight. En complément des dessins toujours aussi sublimes (on y reviendra), l’écriture et certaines situations restent passionnantes car si singulières et hors des sentiers battus. On pense en premier lieu à la relation mi-amicale, mi-amoureuse entre Batman et Harleen Quinzel ainsi que l’évolution de cette dernière. Elle était l’un des points forts du tome précédent, son rôle continue d’être soigné (dommage d’avoir mis sur la touche la néo-Joker même si elle est mentionnée au détour de quelques cases).

Autre suivi appréciable : l’avancement du GTO. Outre l’approche militaire et policière, c’est à nouveau Barbara/Batgirl qui fait l’objet d’une certaine attention ainsi que Renée Montoya, fraîchement promue à la tête des équipes (et dont le costume aux tons pourpres rappellent un peu Huntress — la policière se muera-t-elle en cette justicière dans une suite éventuelle ?). Dick/Nightwing est toujours un peu en retrait mais la fin du livre lui offre un joli échange/hommage. L’on suit évidemment à nouveau le Joker et par bribe Jack Napier — sans aucun doute les passages les plus réussis de l’œuvre. L’équilibre entre cette longue liste de protagonistes (et d’autres) reste idéal et le rythme plutôt soutenu malgré des passages pénibles (voir un peu plus loin). Le texte est dense mais accessible.

Un peu comme dans le tome précédent, Sean Murphy bouscule quelques statu quo de façon inédite : Harleen Quinzel est enceinte, l’identité de Batman est révélée à beaucoup de personnes (dont certaines auxquelles on n’aurait pas songé), celle de Batgirl à la population entière, Gordon démissionne du GCPD, de nouvelles morts dont certaines très osées surprennent et choquent le lecteur, etc. D’autres états des lieux sont plus convenus mais toujours plaisants à découvrir, comme le manoir Wayne qui est brûlé — souvent vu en films mais pas tant que ça en comics ! — ou encore la croisade multiple entre Jean-Paul et le Joker. On note aussi le mystérieux personnage de Ruth, véritable clone d’Amanda Waller, et d’un prêtre, lui aussi énigmatique même s’il fait un peu sens après quelques révélations tardives.

On l’a un peu évoqué, ce qui plombe le récit tient sur deux axes. Le premier correspond à tous les flashbacks de l’ancêtre de Bruce (Edmond Wayne) et cet improbable héritage pour ses descendants (il aurait inondé une partie de Gotham City pour moduler la ville à sa convenance) corrélé à son ennemi de toujours Bakkar (dont Jean-Paul Valley serait, évidemment, le légitime rejeton). Difficile de s’attacher à ces nouveaux personnages ou d’y trouver un intérêt. Seule la conclusion de l’histoire offre une nouvelle perspective et permet de relancer (plutôt efficacement) la narration avec (encore) un statu quo original. Bullock semble être une voix de la raison : « Des histoires de propriétés ? De sectes ? Un vampire qui s’appelle Laffy ? Sans parler de rosbifs et d’un mystère englouti à la Scooby-Doo daté de plus de trois cent piges. En quoi ça va nous aider à choper Azraël ? »

Le second « problème » est lié au premier puisqu’il s’agit de Jean-Paul Valley/Azraël qui est un choix peu cohérent par rapport à White Knight comme on l’a vu car il colle mal au registre initialement mis en place. Bane aurait eu sa place légitime pour le remplacer (il apparaît d’ailleurs pour l’occasion puisque le titre propose une certaine relecture, toute proportion gardée évidemment, de Knightfall, notamment avec la modernisation d’Azraël et de certains de ses costumes). Néanmoins, la présence d’Azraël face, entre autres, à Batman offre des scènes d’action spectaculaires : on ne boude pas son plaisir devant les combats, courses-poursuite et explosions dont la bande dessinée est friande. C’est réalisé avec brio, c’est très intense et réussi !

Une fois de plus, Sean Murphy parsème son histoire de quelques hommages et allusions aux autres œuvres cultes sur Batman, comme le fameux « stylo qui disparaît » issu du film The Dark Knight, ou le logo du Chevalier Noir issu du premier long-métrage de Tim Burton qui orne le tee-shirt… du Joker ! On retrouve aussi son amour pour les Batmobiles avec l’une d’entre elles mise en avant, « ça a toujours été ma préférée » stipule le super-héros/le scénariste. L’auteur égratigne (à nouveau) gentiment tout ce qui a souvent été un peu risible dans la mythologie de Batman, comme Gordon qui n’a jamais reconnu sa fille dans le costume de Barbara « à cause d’un stupide masque en cuir » [autour de ses yeux].

Un peu d’humour au détour de quelques vannes ou punchlines qui manquait peut-être auparavant est le bienvenu. Quelques étrangetés subsistent, comme le matériel informatique utilisé (disquettes et gros écrans d’ordinateurs) qui laisse penser que le récit n’est peut-être pas si « moderne » que cela malgré (dans le tome précédent) l’utilisation de smartphones et de vidéos virales. Une erreur de l’auteur ou une volonté d’être semi-vintage ou plus ou moins intemporel ? Toujours dans les incohérences ou fourvoiements, Batgirl se remet étonnamment vite d’une blessure profonde et on reste surpris d’un certain mutisme planant lors de séquences spécifiques…

Après six chapitres, s’intercale un interlude dessiné par Klaus Janson (encreur de la saga The Dark Knight Returns, donc Murphy reconnaît bien volontiers l’inspiration pour son propre travail, évoquant en Janson une de ses idoles) et intitulé Von Freeze. Prévu initialement pour s’intégrer dans le premier volume (dans lequel Freeze, son passé commun avec les Wayne et des nazis étaient mis en avant), il trouve une place ici plus ou moins bancale ; cassant l’immersion et le rythme du récit principal (en plus de ne pas du tout être dans le même style graphique) et, surtout, y semblant peu connecté suite aux raisons qu’on vient d’évoquer.

Malgré tout, l’épisode est plutôt réussi et s’ancre habilement avec l’Histoire de notre monde et celle, toujours, de cette « nouvelle » mythologie du Chevalier Noir remaniée par Murphy. Seule la fin raccroche fébrilement les wagons avec Curse…. Pourquoi pas inclure ce chapitre spécial dans les prochaines rééditions de White Knight tant il semble davantage y être destiné ? La postface de Murphy, datée de novembre 2019, explique que la famille de Janson a elle-même vécu la fuite de l’Allemagne, à l’instar de ce qu’on lit dans la fiction.

En conclusion, difficile de s’extasier devant Curse of the White Knight qui passe après « l’excellence » (voire le chef-d’œuvre) qu’était son prédécesseur. Le comic demeure intéressant dans l’ensemble car Sean Murphy continue de réinventer l’univers de Batman à sa sauce avec une certaine audace mixée à de jolies évolutions mais malheureusement avec un traitement narratif fortement inégal. Un tiers de l’ouvrage aurait mérité une approche plus terre-à-terre et dans un style plus connecté à ce qui faisait la qualité de White Knight. Cet écart va perdre une partie de son lectorat et surtout « l’aura » qui gravitait autour de cette nouvelle série — sans pour autant rappeler le fossé (immense) entre The Dark Knight Returns en son temps, qui rebâtissait lui aussi la mythologie du Chevalier Noir, et sa première suite catastrophique The Dark Knight Strikes Again.

Curse of the White Knight reste pertinent par certains aspects et il serait dommage de passer à côté, ne serait-ce que pour sa qualité graphique exceptionnelle : traits anguleux et design des personnages toujours aussi inédits, découpage endiablé et efficace (aussi bien dans les scènes d’action que dans celles plus calmes), colorisation peu criarde et élégante (à nouveau assurée par Matt Hollingsworth), etc. Malgré tout, il y a de fortes (mal)chances d’être déçu tant certaines pistes ne sont pas exploitées (quid des autres ennemis ?) et certaines choisies sont nazes (cf. quelques paragraphes plus haut). Encore une fois, le titre se suffit à lui-même mais appelle, sans surprise, à une suite (la fin joue sur un habile teaser).

Pour vulgariser, le comic pourrait se diviser en trois parties : une sur la partie « historique » de Gotham/ancêtre de Bruce (qu’on a donc peu aimé — mais évidemment si ça vous attire foncez, on rêve de voir Sean Murphy sur une œuvre de pirate par contre, il dessine merveilleusement bien ce style), une sur la « seconde partie » de l’arc urbain/juridique/vigilante (la meilleure) et une rassemblant les scènes de combat et affrontements, physiques ou en véhicules, parfois très sanglants et brutaux voire gores (très appréciable). On reste donc sur un quota qualitatif au-dessus de la moyenne. Un second tome qui fera sans aucun doute moins date que son aîné, au résultat en demi-teinte mais qu’on conseille tout de même, pour prolonger la découverte d’un univers atypique et solide.

Comme souvent chez Urban, de nombreuses pages bonus ferment la bande dessinée. Galerie de couvertures alternatives, planches crayonnés (donc noires et blanches), carnet graphique… s’étalent sur une quarantaine de pages. La version noir et blanc ne les comporte pas en revanche. Cette dernière apporte une vision différente, plus « noire », un côté polar et graphique élégant mais qui ne rend pas honneur au travail d’Hollingsworth pour toutes les scènes de combat, surtout celles avec la lame enflammée d’Azraël ou des explosions — les tons orangées sont sublimes. Cela reste évidemment un bel objet en attendant de jeter un œil sur l’autre édition, encore plus limitée (1500 exemplaires) et agrandie.

[A propos]
Le premier chapitre (sur huit sans compter l’interlude sur Freeze) avait été distribué en novembre 2019 au Comic Con à Paris la conférence d’Urban Comics/François Hercouët puis en juillet 2020 pour le Free Comics Book Day (initialement prévu en mai 2020).

Publié chez Urban Comics le 02 octobre 2020.

Scénario & dessin : Sean Murphy (+ Klaus Janson)
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : MAKMA (Sarah Grassart, Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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Quelques couvertures alternatives (cliquez pour agrandir).