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Joker : les derniers jours d’un clown

[Résumé de l’éditeur]
Dans le Slab, la prison de sécurité maximale pour les criminels surpuissants, le Joker apprend qu’il est mourant. Il concocte alors un plan pour perpétuer son héritage, en partageant le venin qui l’a transformé en un sociopathe au visage pâle avec d’innombrables autres super-vilains. Pendant ce temps, Oracle, la première ligne de défense, est indisponible. Seule Black Canary répond présente pour essayer d’arrêter une émeute de malfaiteurs sanguinaires.

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
Encore un énième comic book qui démarre bien (idée de départ séduisante) puis qui se vautre un peu dans son exécution (peu aidée par ses graphismes – on y reviendra) mais reste une sorte de divertissement sympathique (le fameux…) si on n’est pas trop exigeant (pour le prix, on aurait tendance à le déconseiller néanmoins). Explications.

Tout part du résumé et du concept audacieux : le Joker va mourir, il est malade, c’est inéluctable. Que va-t-il se passer ? On le sait rapidement, le célèbre Clown va en profiter pour répandre un chaos atypique, bien entouré de méta-humains qui partagent son venin (!) de folie. Comment combattre tout ça ? Étonnamment en mettant en avant principalement Oracle, Nightwing et Black Canary. Batman est en retrait tout le long de la fiction, apparaissant de façon iconique de temps à autre. On suit donc une Barbara Gordon qui veut, sincèrement, tuer le Joker, recadrée par Dick qui, quelques chapitres plus loin, voudra pourtant faire de même. Un aspect déjà vu (même à l’époque de la publication en 2001) et qui ne convainc guère ici, faute à des dialogues peu subtiles.

Scott Beatty et Chuck Dixon venaient pourtant de livrer de belles prestations dans l’univers du Chevalier Noir : la saga (indigeste et inégale) Knightfall, le célèbre (et très chouette) Batgirl – Année Un et quelques segments à droite à gauche. Pour Les derniers jours d’un Clown (Last Laugh en VO), le duo s’empêtre dans une cacophonie moyennement palpitante, un joyeux bordel (à l’image du Clown du Crime d’une certaine façon) où il manque à la fois un ton plus sérieux (l’aspect cartoony des dessins y contribue) même si c’est volontaire et, surtout, une véritable ligue de défense en face, la Bat-Famille est moins attrayante que d’habitude, la quasi absence de l’homme chauve-souris y est pour quelque chose aussi…

Au-delà du récit complet, Last Laugh était un event qui a eu des répercussions dans de nombreuses autres séries, aussi bien chez Batman (Detective Comics, Batgirl, Birds of Prey, Harley Quinn, Azraël, Gotham Knights, Nightwing, Robin…) que les autres héros de DC (Flash, Superman, Wonder Woman, Green Lantern, JLA…) – Harley et la Justice League apparissent d’ailleurs un peu dans le récit principal. Pas moins de vingt-cinq épisodes se greffèrent donc à l’histoire principale. Urban Comics ne les a pas intégrés (pas très grave vu leur qualité inégale) mais propose, en fin d’ouvrage, une galerie de couvertures alternatives de certains d’entre eux – de quoi décontenancer le lecteur moins connaisseur.

Côté graphique, une foule de dessinateurs se succède (Woods, Martin, McDaniel… cf. crédits en bas de la critique) sans pour autant casser une homogénéité visuelle bienvenue. Comme dit plus haut, l’ensemble est volontairement cartoony, un style qui fonctionne parfois (Mad Love…) ou à l’inverse dessert le tout (Superman / Batman…). Cette approche est pertinente quand le propos textuel et narratif est particulièrement adulte et sombre, donnant une vision paradoxale et forte, ou bien quand elle s’adresse à un jeune lectorat. Ici, c’est mi-figue mi-raisin, ça colle bien au bazar ambiant qui sied à ravir au Joker mais c’est vite vu (et lu), vite oublié.

Le sort du Joker ne pouvait déboucher que sur une poignée de conclusions : mort « définitive » du célèbre fou, guérison, erreur (volontaire ?) de diagnostic, voyage dans le temps ou multivers ? Les scénaristes usent d’un ressort peu surprenant mais efficace et cohérent. En cela, la dernière ligne droite n’est pas désagréable, à l’image de ses débuts. En somme, une aventure en roue libre dédiée au Joker plaisante au début et à la fin mais souffrant d’un ventre creux (et d’un rythme en demi teinte) entre les deux, aux planches peu agréables et à la mise en avant voire comportement étrange d’Oracle et Nightwing… Pour 24 euros, ça revient un peu cher la distraction, autant se concentrer sur d’autres titres singuliers propres au Joker (les cultes comme Killing Joke, Joker Anthologie, Joker…) ou même les propositions plus clivants (Trois Jokers, Joker War, Joker Infinite…).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 7 juin 2024.
Contient : Joker: Last Laugh #1-6 + Joker: Last Laugh Secret Files And Origins #1
Nombre de pages : 256

Scénario : Scott Beatty, Chuck Dixon (+ collectif)
Dessin : Pete Woods, Marcos Martin, Walter McDaniel, Andy Kuhn, Ron Randall, Rick Burchett (+ collectif)
Encrage : Andrew Pepoy, Mark Farmer, Alvaro Lopez, Walter McDaniel, Andy Kuhn, Ron Randall (+ collectif)
Couleur : Tom McCraw, Gina Going

Traduction : Yann Graf
Lettrage : Cromatik Ltd (île Maurice)

Acheter sur amazon.frJoker : les derniers jours d’un clown (24 €)




Batman / Spawn 1994

En 1994, deux ans après l’arrivée dans l’industrie des comics de Spawn, l’éditeur de ce dernier, Image Comics, publie en accord avec DC Comics, une histoire où Spawn rencontre Batman (sobrement intitulée Spawn/Batman). C’est le scénariste Frank Miller qui l’écrit et la situe carrément dans son univers de The Dark Knight Returs ! Le créateur et dessinateur historique de Spawn, Todd McFarlane, illustre ce récit d’une cinquantaine de pages.

Dans la foulée, DC propose lui aussi une fiction entre le Chevalier Noir et le diable de New-York (Batman/Spawn : War Devil). Trois auteurs habituels qui travaillaient à l’époque sur l’homme chauve-souris opèrent : Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant. La partie graphie étant assurée par Klaus Janson. Là aussi tout se déroule sur une cinquantaine de pages.

Ces deux titres (relativement « courts » donc) sont compilées avec des bonus dans Batman / Spawn 1994, disponible en France chez Urban Comics depuis le 10 novembre 2023. C’est à cette même date que les lecteurs français peuvent découvrir la troisième aventure commune de Batman et Spawn (initialement sortie aux États-Unis en 2022) dans Batman / Spawn. Découverte et explications de ce singulier binôme !

Couverture classique (gauche) et couverture alternative limitée.

[Résumé de l’éditeur]
Un mal ancien est revenu à Gotham City. La dernière fois qu’il est apparu, une colonie entière a été rayée de la surface de la Terre, ne laissant qu’un seul indice : Croatoan. Qui que soit Croatoan, il faudra tout le talent d’enquêteur de Batman et les capacités surnaturelles d’un ancien soldat devenu HellSpawn pour sauver les citoyens de Gotham de l’enfer qui est sur le point de se déchaîner sur notre monde.

[Début de l’histoire Batman/Spawn : War Devil]
Simon Vesper a été tué il y a quelques années par Spawn mais son corps n’a jamais été retrouvé. Vesper avait initié la création de la Tour de Gotham, sur le point d’être inaugurée de nos jours.

Batman enquête de son côté sur la disparition de Virgil Dare mais trouve des indices le menant à Vesper, qu’il suspectait d’entretenir des liens avec la mafia il y a six ans avant de perdre sa trace suite à ce qui semblait être son assassinat.

Spawn songe à nouveau à son ancienne cible mais ne se rappelle plus pourquoi il devait lui oter la vie. Il décide de retourner à Gotham pour tenter de se souvenir…

[Début de l’histoire Spawn/Batman]
Attaqué à Gotham par un robot d’appartenance russe, Batman réussit à le vaincre et découvre que ce dernier est relié à une tête humaine (!) parlant anglais. Cette dernière était à un vagabond alcoolique de New-York. Comme le détective le précise : « qu’est-ce que le cerveau d’un clochard new-yorkais fait dans un cyborg soviétique ? »

Le Chevalier Noir se rend à New-York pour enquêter et tombe sur Spawn. Les deux commencent à s’entretuer…

[Présentation & contextualisation]
Il est nécessaire de contextualiser la création de Spawn et, de facto, celle de l’éditeur Image Comics. Si vous êtes familier de tout ceci, vous pouvez passer directement à l’onglet critique. En 1992, sept dessinateurs prestigieux quittent Marvel, déçus et agacés de la façon dont ils sont traités (en terme de royalties notamment mais aussi d’être cadenassé pour leur liberté créatrice – en gros). Ainsi, Todd McFarlane (qui œuvrait sur Spider-Man par exemple), Jim Lee (X-Men), Rob Liefeld (Deadpool), Erik Larsen, Marc Silvestri, Jim Valentino et Whilce Portacio fondent leur propre maison d’édition Image Comics.

Leur indépendance permet de concevoir plusieurs comics phares de l’époque comme Spawn bien sûr (créé par McFarlane), mais aussi WILDC.A.T.s (par Jim Lee — un univers racheté puis réédité par DC Comics ensuite, incluant trois livres en France par Urban fin novembre), Youngblood, Savage Dragon, etc. Ces séries sont un véritable succès et Spawn se vend autant voire mieux que Spider-Man par exemple ! Image Comics donne un nouveau souffle au médium et une lueur d’espoir pour de nombreux auteurs et artistes qui voient grâce à ce nouvel éditeur une certaine révolution dans l’industrie.

La crise des comics de 1993 et les départs successifs de Whilce Portacio (qui a vite renoncé dès 1992) puis Rob Liefeld (1996) et Jim Lee (1998) complexifient la pérennité d’Image Comics qui peine à renouer avec des succès, malgré la solide et remarquable longévité de Spawn. Il faut attendre le début des années 2000 pour retrouver une santé financière, critique et populaire avec l’arrivée du scénariste Robert Kirkman qui signe dans la foulée Invincible puis, surtout, The Walking Dead. En 2012, c’est la passionnante série Saga qui donne une impulsion nouvelle à Image Comics et lui permet de conserver sa stabilité. Si l’évolution de cet éditeur vous intéresse, un simple tour sur Wikipédia (en français de surcroît) donnera quelques clefs de compréhensions, l’article étant assez complet.

Revenons à Spawn. Todd McFarlane présente son anti-héros en 1992 et le succès est immédiatement au rendez-vous (la série fêtera son 350ème chapitre début 2024, cf. couvertures VO ci-dessous – on y reviendra). . Il faut dire que les traits résolument modernes et élégants de l’artiste sont une certaine révolution graphique pour l’époque (toutes proportions gardées puisque McFarlane était déjà « connu » et d’autres illustrateurs de renom comme Jim Lee arborait un style un peu similaire). Le dessinateur pioche dans ses souvenirs d’adolescent pour concevoir Spawn : Al Simmons, un ancien des forces spéciales mort au combat fait un pacte avec le démon Malébolgia. Il accepte de lui vendre son âme dans l’espoir de revoir sa femme et devra mener les troupes de l’Enfer à la victoire contre les forces céleste de l’Armageddon. Mais la créature est séquestré durant cinq ans avant d’être renvoyé sur Terre, défiguré, méconnaissable et arborant différents pouvoirs surnaturels…

Devenu Spawn, Al se rend compte des multiples trahisons dont il fut victime, aussi bien en tant qu’humain qu’HellSpawn (une fois de plus, pour en savoir davantage sans se farcir l’entièreté des comics, la page Wikipédia dédiée vulgarise assez bien l’ensemble)… L’œuvre est sanglante, originale et mature. Elle donnera lieu en 1997 à deux adaptations : un film (raté) et une série d’animation sur HBO (18 épisodes) bien accueillie. Un nouveau long-métrage est prévu pour 2025 au plus tôt. L’auteur de ces lignes l’avoue humblement, il n’a lu que le premier tome de la série principale Spawn (et nul besoin de le connaître ou d’en savoir davantage pour apprécier ce Batman/Spawn 1994 d’ailleurs — un peu moins pour celui de 2022/2023 en revanche).

Si Spawn est produit par Todd McFarlane, aussi bien aux pinceaux qu’à l’écriture, il laisse volontiers et assez rapidement le scénario d’un ou deux chapitres à quelques pointures dont les fameux « trois M » liés à Batman : Frank Miller, Alan Moore et Grant Morrison ! Si ces collaborations sont ponctuelles, elles inaugurent du bon et McFarlane cèdera, entre autres et principalement, à Brian Holguin l’écriture de sa série sur de longs segments. Plus important, McFarlane délaisse aussi ses dessins à plusieurs pointures dont la plus longue au profit de… Greg Capullo ! Le célèbre artiste occupe une place majeure dès le deuxième tome et jusqu’au neuvième (il reviendra aussi dans le douzième) – il signe une jolie illustration de Spawn/Batman à l’époque, à découvrir en bas de cet article, avant le bloc À propos. En somme, Capullo travaille presque sept ans sur Spawn, il était donc naturel qu’il s’approprie la troisième rencontre avec le Chevalier Noir (qu’il a dessiné durant plus de cinq ans) en 2022 dans l’autre comic book Batman / Spawn, sorti fin 2023 chez nous.

 

Spawn va fêter début 2024 son 350ème chapitre ! Ce qui en fait le comic book le plus long (plus de trente ans d’existence) hors registre super-héroïque. Pour lire Spawn en France, c’est (désormais) assez simple, l’éditeur Delcourt ayant effectué un travail assez formidable quand ils ont récupéré les droits au milieu des années 2000. Il y a tout d’abord la série Spawn (aussi nommée Spawn Archives), étalée sur 22 tomes (le dernier est sorti début 2023) et contenant 250 chapitres (de la série éponyme, donc simplement intitulée Spawn en VO). La suite directe se déroule dans Spawn Renaissance, compilant les épisodes 251 à 330 de la série initiale, toujours en cours de publication aux États-Unis. Cela porte à ce jour ce second titre à 13 volumes (le quatorzième est prévu pour janvier 2024). Voir des couvertures ci-dessus.

À noter que les tomes 19 à 22 de Spawn (regroupant les épisodes #201 à #250) furent publiés « en doublon » quelques années plus tôt chez le même éditeur en huit volumes dans Spawn – La Saga infernale. Il s’agissait à l’époque de profiter d’une semi relance après le 200ème chapitre et être au plus près de la publication VO. Désormais il n’y a donc plus trop d’intérêt de l’acheter (c’est aussi pour éviter cette confusion que Spawn est titrée Spawn Archives – tout le monde suit ?). McFarlane a étendu son univers dans de nombreuses séries annexes, parfois en continuant de les écrire ou bien en laissant la mains à d’autres auteurs mais en gardant une supervision.

Citons Sam & Twitch (six opus), centré sur le duo de flics des mêmes noms (malheureusement plus réédités) et différentes histoires anthologiques et un peu « à part » regroupées sous l’appellation Spawn Hors-Série (une douzaine de récits incluant les deux avec Batman mais, idem, certains ne sont plus en vente, d’autres réédités sous forme d’intégrale). Il y a, entre autres, Spawn / WildC.A.T.s (forcément), Violator (l’un des antagonistes de Spwan), HellSpawn, Spaw Dark Ages, Du sang et d’ombre, Les architectes de la peur, Spawn Godslayer, Spawn – The Undead, etc. Voir les couvertures ci-dessus.

Depuis fin 2022, on peut découvrir trois autres séries gravitant autour de Spawn : King Spawn (Spawn devient le rois des enfers, trois tomes en cours), Gunslinger Spawn (relecture façon western, trois volumes en cours aussi) et Spawn – Scorched, L’Escouade Infernale (toute une équipe se créé autour de Spawn avec plusieurs autres anti-héors, deux opus pour l’instant). Notons que cette nouvelles salve a carrément droit à un triptyque de couvertures (cf. ci-dessous). Enfin en 2023, La malédiction de Spawn s’est ajouté à ce fameux Spawn Universe, qui est donc riche et varié ! Todd McFarlane en parle aux confrères de Comicsblog sur ce lien en octobre 2023.

Cette (longue) présentation effectuée, que vaut donc ces rencontres entre Spawn et Batman publiés initialement en 1994 ?

[Critique]
Si l’introduction de cet article ainsi que l’avant-propos d’Urban Comics à l’intérieur du livre évoque chronologiquement la première histoire de Spawn/Batman publiée par Image Comics (donc celle Miller/McFarlane) puis celle par DC, le recueil présente d’abord celle de DC (War Devil) et ensuite l’autre. C’est donc dans cet ordre que les critiques seront aussi publiées.

[Critique Batman/Spawn : War Devil]
La rencontre épique entre le suppot de l’Enfer et l’homme chauve-souris a lieu et… ce n’est pas aussi incroyable que ce qu’on était légitime d’imaginer. Sans surprise, un rapide affrontement entre les deux avant une association se déroule de façon assez convenue. La faute à un scénario conçu à six mains (!) – Doug Moench, Chuck Dixon et Alan Grant (responsables à l’époque de nombreuses sagas cultes sur le Chevalier Noir : Knightfall, Cataclysme, No Man’s Land…) – trop bavard et verbeux dans ses dialogues et peu intéressant dans son intrigue globale. En synthèse, un homme mort revient à la vie et veut tuer davantage de personnes, sous l’égide de la magie noire et d’apparitions de démons, évidemment.

L’alliance de Spawn et Batman ne sera donc pas de trop pour venir à bout du démon derrière tout cel (bien qu’assez confuse dans sa résolution). Le célèbre justicier de Gotham et l’anti-héros venant de New-York s’associent presque « comme si de rien était », ne prennent pas le temps de se connaître et collaborent comme si c’était une évidence. Il en est de même pour la conclusion du récit où les protagonistes se quittent après un échange cohérent du côté des deux certes mais étonnante malgré tout. Ce sont peut-être les fans de Spawn qui préfèreront ce War Devil, où la création de Todd McFarlane occupe peut-être une place moindre ou identique que Batman mais semble plus soigné dans l’écriture ou dans l’empathie envers ce singulier personnage.

La dimension graphique perd aussi de sa superbe, Klaus Janson (inoubliable encreur de The Dark Knight Returns) ne réussissant jamais à rendre iconique ce rendez-vous improbable de deux monstres sacrés des comics. Janson a également du mal à gérer son espace géographique, trop étriqué dans des petites cases, canibalisant les grands espaces qui auraient été nécessaires à sublimer l’inoubliable cape de Spawn mais, surtout, l’incursion dans le registre fantastique/horrifique (plus ou moins) inédit à l’époque. Il y a bien une double page sympathique (cf. ci-dessus) mais le reste suit difficilement, dans un style maladroitement ancré (avec un a et non un e) dans les années 1990, à l’inverse des traits de McFarlane (dans l’histoire suivante) – et même ceux de Capullo à l’époque – bien plus intemporels et encore appréciables et délectables aujourd’hui, trois décennies plus tard.

Heureusement, la colorisation de Janson aidé de Steve Buccellato confère une patte visuelle assez riche, arborant tour à tour le côté sombre de Gotham et les palettes écarlates propres à Spawn. Ce rouge vif dénote d’ailleurs pour un résultat globalement agréable. Toute la bande dessinée est proposée à la fin du livre dans une version encrée en noir et blanc et avec les dialogues en VO. Un bonus qui ravira les fans de Janson et permet de gonfler le nombre total de pages à presque 170, les deux titres principaux ne s’attardant que sur une petite cinquantaine de planches (pourquoi pas compiler les trois histoires de Batman / Spawn (incluant celle de 2022/2023) dans un seul et même ouvrage pour un prix total plus abordable ?).

[Critique Spawn/Batman]
Cette fois c’est la bonne ! La rencontre entre Spawn et Batman est épique, brutale et d’une superbe signature graphique. Il faut dire que c’est Todd McFarlane lui-même (le créateur de Spawn) qui illustre la cinquantaine de pages du titre. L’artiste avait déjà dessiné Batman – Year Two / Année deux en 1987 et avait repris les « pastilles journalistiques » de Frank Miller dans The Dark Knight Returns (1986) dans sa série Spawn. Il semblait donc y avoir une certaine logique voire osmose entre les deux artistes pour cette collaboration. Miller signera une postface l’année suivante de ce Spawn/Batman (donc en 1995), inclut dans l’édition du premier tome de Spawn en France (Résurrection).

Visuellement donc c’est un sans faute. Ici l’espace est nettement mieux pensé avec de belles séquences d’anthologie iconisant tour à tour chacun des deux (anti) héros. C’est d’autant plus incroyable quand on constate aujourd’hui que ces dessins remontent à 1994 et qu’ils n’ont pas pris une ride (et sont nettement plus aboutis que certains plus récents). McFarlane croque sa New-York nocturne habituelle, évidemment proche de la Gotham des aficionados de Batman. L’artiste sublime la rencontre tour à tour violente puis « psychologique ». Rien à redire.

Côté scénario, Frank Miller prend son temps. Contrairement au titre précédent, il se fait narrateur omniscient au service du lecteur et cela fonctionne étonnamment bien, conférant une écriture fluide puis organique quand Spawn et Batman prennent la relève. C’est une guerre d’ego entre les deux qui s’annoncent derrière un conflit (plus dangereux) d’une mystérieuse femme. En ce sens, l’intrigue de fond, vaguement politique et un brin plus science-fiction (par rapport à la première, davantage orienté fantastique/horrifique) est efficace sans faire d’éclat. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande plume complexe ou trop originale.

S’il est fièrement annoncé que la fiction se déroule dans le même univers instauré par Miller dans The Dark Knight Returns, ce n’est clairement pas évident durant la lecture et pourrait être un titre indépendant que ça ne changerait pas grand chose (on retrouve juste cette approche brutale et radicale du Wayne de Miller). L’auteur cite également son Année un mais, encore une fois, cela relève davantage du clin d’œil que d’une réelle volonté d’ajouter un complément indispensable à l’univers. Néanmoins, ce Spawn/Batman vaut indéniablement le coup pour les amoureux des traits de McFarlane (cf. planches ci-dessous et les trois dernières de cet article) et cette confrontation au sommet !

[Conclusion de l’ensemble]
Inutile de préciser que les fans de Spawn ET de Batman doivent évidemment se procurer cette compilation de deux récits emblématiques de 1994. Même si le premier est très moyen, le second est une élégante pépite graphique. En revanche, les passionnés de Batman uniquement peuvent faire l’impasse puisque ces deux courts titres n’apportent pas grand chose à la mythologie (et chronologie) de l’homme chauve-souris – à l’inverse de la version 2022/2023 qui place son récit dans la série Batman de Scott Snyder. D’autant plus qu’il faut débourser 17 € pour à peine une centaine de pages de bandes dessinées, quand on ne connaît pas spécialement Spawn il n’y a pas forcément de raisons de se lancer dedans.

Comme évoqué plus haut, une bonne solution de rapport qualité/prix (et nombre de pages/prix) aurait été de compiler la troisième histoire (2022/2023) dans un seul et même livre (avant ou sans les bonus proposés) pour combler à peu près tout le monde. Il est toujours difficile d’anticiper si cela aurait été mieux accueilli ou non, d’autant plus que ces deux éditions sont aussi proposées avec deux variantes (augmentant au passage le prix à 20 € pour celle de 1994 et 22 € pour l’autre !). Les collectionneurs et complétistes seront probablement conquis par ces jolies propositions. Le lecteur « lambda » (ce n’est en aucun cas un terme péjoratif) y trouvera peut-être moins son compte (36 € au total pour trois histoires d’une cinquantaine de pages dont une assez moyenne, ça commence à piquer).


Illustration de Greg Capullo pour le crossover Spawn/Batman, 1993

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 novembre 2023.
Contient : 1994 Spawn/Batman #1 + Batman/Spawn: War Devil #1
Nombre de pages : 168

Scénario : Doug Moench, Chuck Dixon, Alan Grant, Frank Miller
Dessin & encrage : Klaus Janson, Todd McFarlane
Couleur : Klaus Janson, Steve Buccellato, Steve Oliff, Olyoptics

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cromatik Ltd, Île Maurice

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Batman / Spawn (1994) édition classique (17 €)
Batman / Spawn (1994) couverture alternative (20 €)


 

Batman – New Gotham | Tome 02 : Un homme à terre

Batman New Gotham Gordon

New Gotham est une série de trois tomes se déroulant après la saga No Man’s Land (mais il n’est pas obligé de l’avoir lu pour découvrir ce nouveau run). Elle est principalement scénarisée par Greg Rucka, bénéficie d’un style graphique particulier et se focalise sur Gordon et Batman. Critique du second tome, Un homme à terre, qui contient douze chapitres répartis en deux parties bien distinctes.

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[Histoire]
Le volume se scinde en deux parties. La première (Turning Points en VO) propose cinq chapitres indépendants se déroulants à différents moments importants dans la mythologie de Batman, donc bien avant le fameux No Man’s Land (NML) — à l’exception du dernier chapitre. Cette partie permet d’introduire pus efficacement la seconde (Batman : Officer Down en VO, donc Un Homme à Terre en VF) : un chapitre de sept séries différentes pour suivre un protagoniste de l’univers de Batman après les évènements du NML.

Première partie – Turning Points (5 chapitres)

Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Scénario : Greg Rucka | Dessin : Steve Lieber

[Se déroule juste après Année Un]
Gordon vient de se faire quitter par sa femme, Barbara, repartie vivre à Chicago avec leur fils James Jr. En cause : la vie à Gotham City et la relation infidèle entre Essen * et Gordon. Dans la foulée, le « capitaine » Gordon doit gérer une prise d’otage dans une église pendant un mariage. Batman, qui fait alors ses premiers pas de justicier, essaie d’aider tout en ayant l’approbation de Gordon.

Batman New Gotham Turning Points

D’une génération à l’autre, comme un cancer
Scénario : Ed Brubaker | Dessin : Joe Giella

[Se déroule entre Amère Victoire et Robin : Année Un]
Gordon apprend que Batman a un allié adolescent et n’approuve pas que ce jeune garçon soit en danger permanent. Mais le policier est amené à le rencontrer lors d’un affrontement face à Mister Freeze et va changer d’avis…

Batman Robin Turning Points

Hanté
Scénario : Ed Brubaker | Dessin : Dick Giordano

[Se déroule après Killing Joke et Un Deuil dans la Famille]
Un tueur en série du nom de L’Éboueur a assassiné une troisième personne dans Gotham City. Mais Batman laisse la police s’en charger, préférant utiliser d’autres cibles avec de nouvelle méthodes : plus furtif, plus violent et s’éclipsant rapidement après une action. Violence et solitude comme il le résume lui-même.

Gordon Batman New Gotham

Transformations
Scénario : Chuck Dixon | Dessin : Brent Anderson

[Se déroule durant Knightfall, lorsque Jean-Paul Valley reprend le costume de Batman]
Face aux agissements de plus en plus en violent et à la radicalité de Batman, Gordon soupçonne que ce ne soit plus le même homme sous le masque. Robin ne l’aide pas et le policier est contraint de se tourner vers Bane, emprisonné à vie.

Batman Azrael New Gotham

(Conclusion) Aussi vieux que les étoiles
Scénario : Greg Rucka | Dessin : Paul Pope

[Se déroule peut après No Man’s Land]
Un homme revient à Gotham City après plusieurs années en compagnie de sa femme et sa fille. Il souhaite voir Gordon et Batman. Ces deux derniers sont en charge de surveiller des personnes pouvant être la cible d’un attentat.

Batman Gordon New Gotham

Seconde partie – Un Homme à Terre / Batman : Officer Down (7 chapitres)

C’est l’anniversaire de Jim Gordon. Le policier fête cela dans un bar avec ses collègues et reparle de l’importance de leur métier, leur pouvoir de privatisation de la liberté de quelqu’un et l’obligation de se souvenir que chaque personne arrêtée a une famille. En rentrant chez lui pour retrouver sa fille Barbara, il croise Catwoman dans une ruelle et se fait tirer dessus. Trois balles dans le dos. Un homme à terre.

Le femme féline est vite suspectée et recherchée tandis que la police peine à trouver des témoins ou à retrouver Catwoman. La Bat-Family (Nightwing, Robin, Azrael et Batgirl) se réunit autour d’Oracle en attendant les consignes de Batman, fou de rage quand il apprend la nouvelle. Qui a tiré sur Gordon ? Celui-ci va-t-il s’en sortir sans séquelles ?

Batman New Gotham Gordon GCPD

[Critique]
Voilà un tome qui va clairement rejoindre les coups de coeur voire… les indispensables des comics sur Batman ! Un livre qui peut se lire en totale indépendance de la saga No Man’s Land mais aussi de la série New Gotham ! Il n’y a d’ailleurs quasiment aucune connexion directe ou importante avec ces précédentes histoires (en tout cas rien d’obligatoire à connaître pour ne pas prendre de plaisir pour découvrir Un Homme à Terre). En revanche, il faut connaître les « incontournables » pour totalement apprécier la première partie de l’ouvrage (Turning Points), sur laquelle on va s’attarder quelque peu.

Si cette bande dessinée frôle en effet la perfection, c’est parce qu’elle [dans Turning Points donc] vient apporter des pièces de puzzle aux récits forts du Chevalier noir : Année Un, Amère Victoire, Robin : Année Un, Killing Joke, Un Deuil dans la Famille, Knightfall… Tous les moments blessant psychologiquement (et physiquement) Gordon et Batman se retrouvent donc entremêlés à de courtes histoires (dont la dernière rejoint la première de façon élégante et « boucle ainsi la boucle »). Ces cicatrices de combat que portent les deux hommes se répercutent à travers d’efficaces monologues alternés entre les deux. Une narration croisée qui rappelle les meilleurs moments des comics sur Batman, qui plus est dessinée avec un grand respect des styles de l’époque !

Batman New Gotham Oracle Bat Family

La seconde partie du tome, les sept chapitres formant donc l’arc Un Homme à Terre, est tout aussi réussie. L’histoire est digne d’un bon polar (difficile de trouver le coupable, un chouilla dommage que le lecteur ne le connaisse pas « vraiment » en amont). Plusieurs scénaristes officient à tour de rôle (comme pour la première partie) mais les connaisseurs reconnaîtront indéniablement le style de Greg Rucka (qui officiera ensuite sur l’excellent Gotham Central en reprenant justement l’univers qu’il met en place ici, celui centré sur la police de la ville) et Ed Brubaker (qui travaillera sur le même projet).

L’étonnant retrait de Batman durant l’enquête pour retrouver l’agresseur de Gordon est l’un des rares points un peu étrange de l’histoire. Il le dit : ses alliés sont capables de s’en sortir. Mais cette inactivité a des conséquences inattendues, à commencer par un sévère conflit avec… Alfred ! On peut ajouter le côté déjà-vu et un peu cliché sur les réflexions sur les notions de justice et vengeance mais elles sont réalistes et donc pas distrayantes pour autant. Le duo Allen/Montoya est particulièrement mis en avant et fédère immédiatement de l’empathie (dans la droite lignée de ce qu’on a aperçu dans NML pour Montoya et Évolution pour Allen). Qui plus est, comme évoqué plus haut, on tient là un tome quasiment indépendant qui vient compléter d’anciens récits et proposer une histoire one-shot axée sur Gordon. Aucune raison de s’en priver !

Batman New Gotham Alfred

Seule ombre au tableau : l’armée de dessinateurs différents qui s’occupent de ces sept chapitres. Deux d’entre eux sont plutôt faiblards : cases aux fonds colorés unis, visages parfois caricaturés… Rien de trop désagréable mais on peut tiquer (un peu) sur cet aspect. Le reste est vraiment brillant, on ne peut que conseiller ce tome, sans obligation d’avoir lu le premier ou No Man’s Land (mais idéalement les récits incontournables dans la chronologie du Dark Knight). L’ensemble apporte une pierre non négligeable à la mythologie du Chevalier Noir.

Batman New Gotham Catwoman Azrael

 

[À propos]

Publié en France en septembre 2017.

Contient en VO / Titres des chapitres :
– Batman Turning Points #1-5

Un Homme à Terre (7 chapitres)
– Batman #587 : voici vos droits
Scénario : Greg Rucka | Dessin : Rick Burchett
– Robin #86 : derrière les lignes
Scénario : Ed Brubaker | Dessin : The Pander Brothers
– Birds of Prey #27 : armé et dangereux
Scénario : Chuck Dixon | Dessin : N. Steven Harris
– Catwoman #90 : l’arme du crime
Scénario : Bronwyn Carlton | Dessin : Michael Lilly
– Nightwing #53 : incriminant
Scénario : Devin Grayson | Dessin : Rick Burchett
– Detective Comics #754 : le monstre dans la boîte
Scénario : Nunzio DeFilippis | Dessin : Michael Collins
– Batman:Gotham Knights #13 : conclusion
Scénario : Greg Rucka | Dessin : Rick Burchett

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Moscow ★ Eye

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