Archives par mot-clé : Grant Morrison

Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 4/4

Quatrième et dernière intégrale du très long run de Grant Morrison (cf. index dédié), celle-ci regroupe simplement deux séries (titres VO) : Batman, Incorporated en dix épisodes (les deux derniers étant la conclusion nommée Batman, Incorporated : Leviathan Strikes !) et Batman Incorporated (sans la virgule entre les deux mots, correspondant simplement à la suite de la série précédente mais après le relaunch Renaissance/New 52). Cette dernière se compose de treize chapitres, incluant un prologue (#0) et sans un épisode non écrit par Morrison (le #11). Au total donc, 23 chapitres pour cette dernière ligne droite et (enfin !) la conclusion d’une histoire entamée en juillet 2006 (dans Batman #655) et s’achevant pile sept années après, en juillet 2013.

[Historique de publications]
Avant de détailler tout cela, un point sur la parution française, un brin complexe, pour guider les collectionneurs ou simplement les curieux. Si l’intégrale regroupe les deux anciens tomes simples 7 et 8 (Batman Incorporated et Requiem – cf. couvertures juste ci-dessus), les épisodes du tome 7 furent proposés avant dans le dixième et dernier numéro de Batman Universe par Panini Comics en décembre 2011 (Batman Incorporated #1-4 ainsi que Batman – The Return pour les ouvrir), le premier de Batman Showcase en mars 2012 (Batman Incorporated #5-8 – dans ce premier magazine kiosque d’Urban Comics composé de seulement deux numéros ; on reviendra sur la composition du second plus tard) et les Batman Saga #11 et #12 en mars et avril 2013 (Batman, Incorporated : Leviathan Strikes ! #1 et #2) ; cf. les quatre couvertures ci-après.

Enfin, l’équivalent du tome 8 fut, lui, publié dans trois hors-séries de Batman Saga, les #2, #3 et #4, sortis respectivement en juillet 2013, novembre 2013 et février 2014. On retrouve très logiquement quatre à cinq épisodes de Batman Incorporated (la seconde série, sans la virgule entre les deux mots) par numéro : #0 et #1-4 puis #5-9 et enfin #10-13 ainsi qu’un chapitre Special #1. À noter que le #11 (écrit par Jorge Lucas) et le Special #1 (signé Chris Burnham) n’ont pas été repris dans les tomes librairies (simples et intégrales) de Grant Morrison présente Batman car l’auteur écossais ne les avait pas scénarisés. Ils ne sont donc disponibles que dans Batman Saga – Hors-série #4 (mais ne sont pas très intéressants donc ce n’est pas très grave).

[Résumé de l’éditeur]
Enfin de retour à son époque, Bruce Wayne reprend la destinée de Batman, de façon pour le moins inattendue. À la légende du justicier solitaire, il substitue une nouvelle organisation internationale financée par sa multinationale : Batman Incorporated ! Recrutant à travers le monde différents alliés pour sa croisade contre le crime, Bruce se prépare également à croiser le fer avec un nouvel ennemi : Léviathan !

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Enfin un retour à une narration linéaire et plus intelligible ! Malheureusement, la première partie/moitié n’est pas forcément la plus palpitante. On y suit Batman à différents pays afin de recruter différents justiciers locaux pour qu’ils deviennent des Batmen internationaux et intègre l’organisation Batman Incorporated – financée par Bruce Wayne. Le but est simple de constituer des super-héros  dans le monde entier. Aparté « éditorial », la plupart des chapitres de cette intégrale furent chroniqués dans différents articles du site il y a une dizaine d’années et ont désormais été supprimés pour se concentrer sur ces nouvelles critiques (cf. index) à l’exception de Batman Saga Hors-Série #4.

Les deux premiers chapitres (Monsieur Inconnu est mort et Resurrector) se déroulent donc au Japon à la recherche de M. Inconnu, vedette locale que cherchent à recruter Batman et… Catwoman. On ignore pourquoi Selina l’accompagne, elle n’apporte pas grand chose si ce n’est d’être ultra sexualisée voire en sous-vêtement durant cette introduction. L’épisode s’ouvre sur la mort du fameux M. Inconnu par un mystérieux Lord Death Man, encore un énième méchant oubliable pioché dans une création de 1966 et qui semble immortel et lié à l’occultisme. À ce stade, c’est un running gag tellement c’est redondant et peu marquant. Seul intérêt : M. Inconnu avait un complice, le jeune Jiro Osamu qui, sans surprise, devient évidemment le Batman du Japon. On ferme les yeux aussi sur le côté « WTF » de l’ensemble avec un appartement rempli d’eau et une pieuvre géante dedans… Pire, Osamu ne réapparaîtra quasiment plus de tout le reste de la fiction…

Place ensuite à l’épisode Le tango du scorpion, centré sur El Gaucho, déjà vu dans la première intégrale. On retrouve Batman en Argentine qui s’allie avec El Gaucho à la poursuite de Papagayo puis Wayne et Santiago (nom civil d’El Gaucho) flirter avec des femmes pour mieux enquêter sur l’une d’elle (en réalité Scorpiana), liée au concept d’Oroboro (plus connu chez nous par Ouroboros – ce serpent qui se mord la queue indéfiniment), potentiellement à un Dr. Dédale et encore une énième organisation mystérieuse. L’intrique (confuse) se poursuit directement dans L’affaire Kane. Alternant le passé (sur Kathy Kane – première Batwoman) et le présent avec la « nouvelle » Batwoman (Kate Kane, déjà apparue dans la seconde intégrale). L’on découvre que Kathy aurait été tuée par El Gaucho, agent de Spyral à l’époque et que Dédale est un ancien criminel nazi.

La conclusion de ce mini-arc en trois épisodes se déroule dans Maître Espion où toute la troupe d’alliés (Batman, El Gaucho, Batwoman) retrouve Le Masque, justicier britannique et affronte Scorpiana et d’autres ennemis, découvrant dans la foulée la force de frappe dangereuse de Léviathan (oui, une autre organisation maléfique et énigmatique), qui est dirigée par une personne opérant aux côtés du Dr. Dédale. À ce stade, si l’ont met de côté les deux premiers épisodes sur le Batman du Japon, les trois chapitres suivants sont déjà plus intéressants bien qu’assez complexes dans leur écriture mais on comprend l’essentiel et c’est agréable de voir des pièces du puzzle narratif s’emboîter au fil de la fiction.

Le titre du sixième épisode n’est révélé qu’à sa fin, Nyktomorph, qui replace enfin Bruce Wayne à Gotham City (on en viendrait même à conseiller de débuter la lecture à cet endroit, nettement mieux rédigé et passionnant). Cette fois, c’est le milliardaire qui prend les devants, expliquant le concept de Batman Incorporated aux journalistes avec ses alliés justiciers dans tous les pays du monde et des androïdes Batmen (les Bat-bots) pour protéger les villes et citoyens à tout moment avec une démonstration fortuite très efficace (aussi bien graphiquement que narrativement – voir la toute dernière image de cette critique en bas de la page).

En parallèle, le Chevalier Noir monte une autre équipe (encore !) : Red Robin (Tim Drake – un peu délaissé depuis l’arrivée de Damian) et les Outsiders (même si on ne les reverra plus trop ensuite). Côté Bat Inc., le recrutement intensif continue avec le Parkoureur à Paris (Nightrunner en VO), Blackbat en Chine, Dark Ranger (II) en Australie, Batwing au Mtamba et un nouveau Wingman (son identité sera révélée plus tard). Tous arrêtent des actions commises par Léviathan (trafic d’enfants, meurtres…).

Wayne prend également un malin plaisir à écrire sur Internet différentes théories quant à son identité secrète ou celles de ses alliés – une parfaite transposition des tendances complotistes à l’ère des fake news sur Internet dès la publication de l’épisode en 2011 où fleuraient déjà ce fléau numérique. Le rythme de ce chapitre est soutenu, l’ensemble assez dense, tout avance assez vite avec, en fil rouge, une rencontre entre un certain M. Nykto et des malfrats. En conclusion, l’armée de Batmen prospère au même titre que celle de Léviathan, annonçant un affrontement probablement dantesque et épique !

On retrouve ensuite Frère Chiroptère et Corbeau, père et fils, eux aussi déjà aperçu dans Le club des héros de la première intégrale. Soldats-médecine montre leur difficulté à combattre le crime dans un coin reculé des États-Unis, proche d’une réserve indienne et plutôt pauvre. Entre la corruption basique et l’infiltration de Léviathan, Grand aigle (le père) fait fi des conventions et n’hésite pas à être plus offensif pour combattre le crime au détriment de l’idéalisme de son fils. Ce dernier clamera plus tard à Batman (sur place et séduit par cette équipe aux ressources limitées) qu’ils sont « dans le tiers-monde de l’Amérique, là où tout se fait à petit budget ».

C’est précisément là que Morrison loupe le coche d’amorcer une réflexion sur la puissance économique d’un Wayne dans ces cas particuliers où le lieu en manque cruellement. Cela avait pourtant bien démarré mais n’est pas consolidé après. De même, les protagonistes auraient pu mourir de façon héroïque avec une portée émotionnelle non négligeable mais l’auteur les sauve de justesse de façon simpliste, c’est fort dommage. Le chapitre est un brin déconnecté des autres tant le statu quo est différent mais il est coincé entre les obligations narratives qui gravitent autour de lui alors qu’il y aurait tout une extension à écrire autour de ces sujets !

Dernier chapitre de la série (en VO) Batman, Incorporated, Cauchemars en numérique est très particulier, souhaitant moduler sa patte visuelle en adéquation avec son propos. On y retrouve Oracle et Batman dans une réalité virtuelle à la rescousse de Wayne et des investisseurs. Le résultat est en demi-teinte, un voyage graphique parfois séduisant (cf. Oracle/Batgirl ci-dessous), parfois digne de cinématiques de PlayStation 1 ou 2 (rappelant l’affreux Clown de minuit de la première intégrale). Scott Clark et Dave Beaty s’occupent de ces illustrations atypiques (on reviendra plus loin sur le reste de la distribution des dessinateurs, plus commune). Côté scénario, outre cet anti-virus atypique, on remonte aux sources de Léviathan au Mtamba où il y a Batwing, croisé plus tôt, et où Jezabel Jet opérait également avant d’être tuée par Talia (comme on le pensait depuis le début et que ce sera confirmé ensuite – par décapitation en plus !).

Place ensuite à un mix entre conclusion de la (première) série Batman, Incorporated (titre VO donc) et de transition avant la suite (sans la virgule) via un long chapitre d’une micro-série conçue pour l’occasion : Batman Incorporated : Leviathan Strikes ! Celle-ci est divisée en deux épisodes distincts, L’école de la nuit et un second qui n’a étonnamment pas de titre mais il était appelé Léviathan frappe ! lors de sa publication en kiosque en France (dans Batman Saga #12).

Stéphanie Brown rejoint L’école de la nuit, institution prisée pour jeunes femmes qui s’avère un repaire de Léviathan à base de manipulations cérébrales et contrôles mentales… Une paresses d’écriture rabâchée ad nauseam dans trop de comics, incluant sur Batman, pour justifier les comportements de soldats de figurants. Ce procédé est, une fois de plus, dommageable et contribue à l’inégalité de l’ensemble depuis le début du run. La suite et fin est plus palpitante bien qu’elle mette en avant une sorte d’illusion et hypnose collective (là aussi une faiblesse scénaristique beaucoup trop utilisée – ne manque que la partie rêve/cauchemars mais qu’on a déjà eu auparavant et qu’on retrouve à moitié ici (on ne sait pas trop) et aurait eu tout ce qui est « trop facile » comme outil scénaristique).

Néanmoins, cette dernière ligne droite convoque plusieurs des alliés croisés auparavant, confirme quelques pistes, achève la partie avec le Dr. Dédale et ouvre un dernier acte en dévoilant qui se cache derrière Léviathan (attention à la révélation) : Talia al Ghul. À ses côté, un autre mystérieux allié. À ce stade, on ne comprend pas trop si la mère de Damian aime toujours son fils puisqu’elle met sa tête à prix. Si la lecture (depuis le début de l’opus) était inégale (ni désagréable, ni excellente), cette première « conclusion » (équivalent de celle du septième tome simple) relance l’intérêt de l’ensemble, avec beaucoup de promesses.

Côté dessins, on retrouve pour ces dix premiers chapitres deux habituels : Yannick Paquette (#1-3 et #5) et Chris Burnham (#4, #6-7, #10). Le style de Paquette est efficace bien que l’encrage et les jeux d’ombre trop appuyés, causant une certaine disproportions dans certains visages aux traits bien trop épais voire gras. Son découpage est fluide et dynamique, les scènes d’action plutôt lisibles. Burnham est peut-être plus clivant, avec son style plus singulier, presque granuleux, rendant les expressions faciales à la limite de la caricature. Son sens du détail et les éléments assez sanglants dans certaines cases confèrent néanmoins une ambiance atypique et globalement séduisante. Ajoutons Cameron Stewart pour l’avant-dernier chapitre (#9), très convenu, lisse et artificiel malgré quelques cadrages sympa et Pére Perez en complément de Paquatte (pour le #3).

Après cette salve de dix épisodes, la quatrième et dernière intégrale enchaîne avec la seconde série Batman Incorporated avec une reprise au numéro #1 (et même un #0 ajouté ensuite). On pourrait penser à une série différente et plus accessible mais c’est simplement car à l’époque (2011), le relaunch DC Comics New 52/Renaissance opérait sur absolument toutes leurs séries. Batman et Detective Comics n’y échappent pas mais – contrairement aux séries de leurs alliés comme Aquaman, Wonder Woman, Justice League et quelques autres – ne sont pas vraiment remises à zéro.

En effet, l’univers du Chevalier Noir ne reprend pas « depuis le début » et poursuit l’existant (Damian fait partie de la BatFamille, etc.) mais cela n’empêche pas la série d’être un point de départ possible (avec le tome un de la série Batman de Scott Snyder, La cour des hiboux). On retrouve toutefois quelques incohérences : Barbara Gordon n’est plus handicapée ni Oracle mais redevient Batgirl, Stephanie Brown est absente, le costume de Nightwing devient rouge au lieu de bleu, etc. Pour Morrison, cela ne change pas grand chose au global malgré ces chamboulements de personnages assez secondaires. Il était de toute façon impossible qu’il ne termine pas son run à cause de cette obligation de restructuration (afin de séduire l’éternel et hypothétique « nouveau lectorat »).

Rassemblés sous le titre Requiem, la saga se poursuit avec un prologue (Batman Incorporated #0, publié après les douze premiers chapitres comme une sorte d’anniversaire – système appliqué à toutes les autres séries DC de l’époque). De quoi s’attarder sur Dark Ranger II (Australie), Le Chevalier et l’Écuyer (curieusement absent des épisodes précédents) et retrouver Jiro, le Batman du Japon découvert au début de l’opus. On découvre ensuite que James Gordon arrête Bruce Wayne ! Pourquoi ? Aucune idée de suite, retour en arrière un mois plus tôt, de quoi stimuler le lecteur pour savoir comment l’on va aboutir à cette situation, c’est plutôt malin (mais risqué car cela peut être décevant).

On retrouve donc un binôme « inédit » : Batman/Bruce et Robin/Damian, père et fils désormais duo dynamique ! Talia ayant mis la tête de son enfant à prix, beaucoup de criminels veulent en profiter et les justiciers s’en donnent à cœur joie vu les rassemblements à Gotham que cela génère. D’autres malfrats poursuivent leurs activités (incluant « Les Mutants », ce gang créé par Frank Miller dans The Dark Knight Returns auquel Morrison rend donc brièvement hommage ici – et rejoue une scène, plus loin, de Killing Joke d’Alan Moore). En parallèle, l’on découvre l’épopée de Talia (depuis qu’elle était petite fille jusqu’au présent) et, de facto, son point de vue. Cela se reconnecte avec tout ce qu’on a(vait) vu lointainement aux moments des premiers chapitres de ce run (l’armée de Man-Bat, etc.). Une bonne idée pour se remémorer le chemin parcouru (sauf quand on lit tout à la suite mais ce n’était pas le cas du rythme de publication donc pas de quoi être sévère sur ce point).

Léviathan n’est pas en reste et continue de se déployer également « discrètement » dans Gotham City avec différents employés (de la police par exemple) corrompus. Pour Bruce, c’est l’occasion de reprendre son alias de petite frappe, Malone l’Allumette. Sans trop en dévoiler, les treize épisodes se lisent très bien (nettement mieux que la première partie) avec différentes intrigues qui se télescopent puis se connectent de façon cohérente (il faudra compter – encore – sur une mystérieuse personne en guise de Deus Ex Machina ainsi qu’un étrange MacGuffin).

Grant Morrison s’illustre davantage dans le relationnel entre les (trop nombreux) protagonistes. Entre l’empathie envers Damian et la tragédie qui va suivre (ne pas lire le paragraphe suivant si jamais), le duo Tim/Dick, la relation Bruce/Talia et quelques membres de Batman Inc., on apprécie grandement tous les échanges qui fusent (en dialogue ou en action) ! Si pendant toute la lecture du run on pouvait rouspétait à raison tant l’impression de se « forcer » était prédominante, la dernière planche laisse une œuvre totalement ouverte qu’on a, réellement, envie de connaître… Il est difficile de savoir si Morrison avait prévu une suite et le relaunch l’a empêché de réellement déployer tout ce qu’il souhaitait…

Attention à la semi-révélation : le point d’orgue de cette quatrième intégrale et de l’entièreté du run est bien évidemment la mort de Damian, pile au moment où on commençait à l’apprécier davantage. On a du mal à y croire de prime abord (surtout pour un Ghul) et la fin annonce un possible retour (comme la majorité des personnages de DC Comics) mais à l’époque, et même en lecture simple, ça fonctionne très bien. Entre chagrin et colère, l’évolution de Bruce qui en découle est assez « juste » bien que la suite (et conclusion) soit assez courte et rapide. Au-delà de cette tragédie, Grant Morrison fait de Talia al Ghul une méchante désormais emblématique et cruelle.

La fiction est admirablement bien rythmée (à l’exception, peut-être, du segment dans le futur montrant à nouveau le Damian opérant seul, déjà montré dans la première intégrale et intervenant ponctuellement en flash-forward). Avoir enlevé le chapitre #11 écrit Jorge Lucas contribue à ne pas casser l’immersion (une aventure ridicule du Batman japonais croisé en début d’ouvrage) – il est dommage de ne pas avoir laissé le Special #1 de Chris Burnham en revanche, pas le plus pertinent mais sympathique quand même et enrichissait les séquences sur les membres de Bat Inc., à découvrir (uniquement) dans le Batman Saga Hors-Série #4 (chroniqué à l’époque sur le site).

Côté dessin, on note une succession graphique hyper homogène et agréable grâce à Chris Burnham, qui officie sur tous les épisodes, couplé à la colorisation de Nathan Fairbairn. Seul le prologue est signé Frazer Irving (#0) et trois artistes épaulent Burnham le temps de quelques planches : Andres Guinaldo (#6), Jason Masters (#7-10) et Andrei Bressan (#10). Bien entendu, le style si atypique et clivant de Burnham peut rebuter mais s’il est apprécié, ça contribue au plaisir de lecture de cette seconde moitié d’intégrale !

Ce quatrième opus (gonflé d’une tonne de bonus appréciables – couvertures, textes, making-of… sur près de 60 pages !) est donc plutôt conseillé, principalement pour sa deuxième partie comme on vient de le voir. Si cette ultime salve est très inégale (à l’image de l’entièreté du run), elle aboutit enfin à l’assemblage des multiples axes narratifs balancés (et parfois « bricolés ») depuis le tout debut de l’histoire. Cela donne un sentiment de satisfaction au fidèle lecteur, complété par une dimension plus « humaine » agréable.Si Grant Morrison propose une évolution puissante via Batman Inc., son travail dessus laisse pantois : on ne s’attache à aucun des membres en particulier et on l’impression de voir quelques figurants un peu héroïque par ci par là [1].

L’auteur gagne quand il resserre son action autour du traditionnel entourage de Batman. En somme, cette dernière virée du titre est satisfaisante, en produisant quelques coups d’éclat qui auraient pu être condensés en deux intégrales (ou quatre à cinq tomes simples) avec une écriture plus limpide, gommant les nombreux défauts du run (sur lesquels on s’est longuement attardé dans les trois critiques précédentes, cf. index). Une seconde synthèse de l’entièreté de la saga est disponible un peu après.

[1] Un organigramme de Batman Incorporated est proposé dans Batman Showcase #2 (couverture tout en haut). L’organisation est divisée en quatre équipes, elles-mêmes parfois avec des sous-catégories, sous l’égide de Batman/Bruce Wayne et ses Bat-Bots :
Branche Gotham : Dick Grayson/Batman, Damian Wayne/Robin, Commissaire Gordon + Oracle | Batgirl
Branche « Blacks Ops » : Red Robin + Les Outsiders : Katana, Halo, Metamorpho, Looker, Freight Train [ceux qui seront le moins mis en avant dans la série]
Les Indépendants : Wingman, Le Masque, Batwoman, Catwoman, Huntress
Le Club des Héros – Les Batmen de tous les nations
> Europe : Parkoureur, Le Chevalier & L’écuyer
> Asie : Black Bat, Batman Japan (Mr Unknow)
> Afrique : Batwing, Spydra, Traktir
> Amérique : El Gaucho, Frère Chiroptère, Corbeau Rouge
> Océanie : Dark Ranger

Pour lire des « suites » plus ou moins corrélées au run de Morrison, on conseille en priorité la série Batman & Robin sur Bruce et Damian, écrite par Peter Tomasi (sept tomes simples – tous chroniqués sur ce site – réédités en trois intégrales). Elle démarre pendant la troisième intégrale de Grant Morrison présente Batman ou au début de la quatrième (ça ne change pas grand chose) et remet en scène la tragédie de Requiem au milieu de la série puis, bien sûr, le retour de Damian dans sa conclusion (impactant rétroactivement la portée émotionnelle éventuelle visée par Morrison).

Damian est devenu un personnage récurrent apparaissant dans pas mal de titres et a même eu le sien (Robin Infinite en trois volumes et, surtout, Batman – Shadow War). On apprécie davantage son parcours dans le monde alternatif d’Injustice mais surtout Injustice 2 où il se range du côté de Superman puis du clan Ghul et où, chose inédite, il grandit et n’est plus un enfant. Une évolution passionnante signée Tom Taylor qui renouvelait un peu l’archétype du personnage, cadenassé dans son caractère capricieux à peu près partout où différents auteurs l’ont repris.

 

Les Batmen de tous les pays seront présents (quasiment muets mais indispensables à la narration) dans Batman Infinite – Tome 4 : Abyss, qui peut se lire de façon indépendante. À part cela, on ne les reverra quasiment plus ensuite, encore moins en France (contribuant à se dire que « tout ça pour ça ? ») sauf… depuis 2022. En effet, une série intitulée – suspense… – Batman Incorporated, constituée de douze chapitres, a été publiée aux États-Unis en deux volumes compilés (le premier, No More Teachers, est en vente depuis septembre 2023). C’est Ed Brisson qui l’écrit et la place dans la continuité « actuelle » avec, entre autres, Ghost-Maker et Clown Hunter très présents (introduits dans Joker War).

De façon plus anecdotique, peu après la « mort » de Batman, on pouvait suivre les aventures de Dick (avec Tim dans un premier temps) à la fin du second tome de Paul Dini présente Batman et, surtout, dans le troisième avec Damian. Dini a également écrit Harley Quinn et les Sirènes de Gotham se déroulant aussi durant l’absence/le voyage dans le temps de Batman (sans oublier quelques épisodes dans Batman Showcase #2 centrés sur Bruce et Damian en Batman et Robin). Ceux qui ont aimé le Batman Zur-en-Arrh peuvent le retrouver à nouveau « modernisé » dans le run de Zdarsky et sa récente série Dark City. Enfin, pour les quelques récits complets (plus ou moins longs) se déroulant en marge de Grant Morrison présente Batman, se référer aux liens en bas de l’index dédié (avec, par exemple, La lutte pour la cape/Battle for the Cowl montrant comment Nightwing endosse le costume de son mentor disparu).

   

Alors, faut-il lire l’intégralité de Grant Morrison présente Batman ? Et bien… si vous avez cent vingt euros à dépenser et qu’une lecture un peu pénible ne vous fait pas peur, oui bien évidemment. D’autant qu’on assiste aux premiers pas de Damian, la création de Batman Inc. (même si cela ne sera pas repris ensuite) et un duo inédit efficace (Dick et Damian en Batman et Robin). L’auteur écossais décrit aussi une Talia al Ghul plus redoutable que jamais et la hisse au panthéon des ennemis mythiques. On suggère principalement la deuxième et quatrième intégrale (que sa seconde moitié suffit) ; la troisième à quelques pages près (mais importantes) est totalement dispensable et seul le début de la première est pertinent (donc équivalent du premier tome de l’ancienne édition simple voire du bon plan à 4,90 € Le Fils de Batman – passant donc le total à 64,90 € pour ne lire que les parties les plus passionnantes, pas négligeable !). En somme, si vous trouvez le bon plan à 4,90 €, la deuxième intégrale et le huitième et dernier tome de la précédente édition (Requiem) en occasion à bas prix, c’est globalement suffisant (gain de temps et d’argent).

Il est indéniable que Morrison a marqué l’histoire du Chevalier Noir avec son run, principalement grâce/à cause de l’ajout de Damian. Tout le reste n’aura pas été si « révolutionnant » que cela à terme (moins que la saga No Man’s Land par exemple) – peu mémorable, encore moins remarquable malgré les reprises dans le patrimoine DC qui ont certainement fonctionné chez certains. Le rejeton de Wayne a le mérite d’être très clivant, adoré par certains pour sa fougue, son audace, sa radicalité, détesté par d’autres pour son côté peu empathique, insupportable, vulgaire et impulsif.

Chacun juge(ra) en fonction de l’évolution de Damian. Ce qui est dommage est d’avoir encore produit un Robin jeune et masculin, quatre à la suite en plusieurs décennies, c’est un peu redondant et peu original… Paradoxalement, Morrison l’a introduit « comme un cheveu sur la soupe » puis Damian a naturellement et étrangement intégré le reste de la Bat-Famille, de façon soudaine et pas spécialement bien détaillée. Dans sa dernière ligne droite, on apprécie l’ajout d’animaux (une vache, un chien et un chat) et un Damian plus touchant et empathique. Au-delà des comics, il est apparu dans le jeu vidéo Injustice 2, quelques films d’animation (dont Le Fils de Batman, très librement du premier tome de Morrison justement) et il fera ses premiers pas au cinéma dans le DCU chapeauté par James Gunn dans le film The Brave & the Bold (titre provisoire), probablement en 2026, qui sera réalisé par Andy Muschietti (The Flash).

In fine, le résumé le plus proche de cette saga est à lire au détour d’un dialogue, initié par le Chevalier Noir, de cette ultime intégrale qui évoque la création de Batman Inc. et correspond étrangement à celle de Morrison également. C’est ce qu’on a pu ressentir à de multiples reprises en se forçant à lire de nombreux segments confus, où l’on ne savait pas trop ce qui était réel ou non, des résolutions d’intrigues un peu étranges, trop d’apartés abscons. « Nous fabriquons un fantôme, un croque-mitaine trop gros pour qu’on le voit clairement. Ses contours sont flous, son étendue et ses buts incertains. […] Où s’arrête la rumeur ? Où commence la réalité ? »

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 01 février 2019.
Contient : Batman, INC #1-8 + Batman INC: Leviathan Strikes + Batman INC (New52) #1-10 + #12-13
Nombre de pages : 600

Scénario : Grant Morrison, Chris Burnham
Dessin : Frazer Irving, Yanick Paquette, Cameron Stewart, Chris Burnham, Pere Pérez, Scott Clark, Andres Guinaldo, Jason Masters, Andrei Bressan
Encrage : Michel Lacombe, Bit, Dave Beaty
Couleur : Nathan Fairbairn, Frazer Irving, Scott Clark, Dave Beaty

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Simona Maccaroni, Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Acheter sur amazon.fr : Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 4/4 (30 €)


Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 3/4

Après une première intégrale assez inégale et une deuxième plus passionnante, place à l’avant-dernière de la longue saga Grant Morrison présente Batman (cf. index dédié) ! Ce troisième opus est l’un des plus conséquents (600 pages !) et probablement le plus « fourre-tout » de la série. Il compile et s’ouvre sur le tome 5 de l’ancienne édition Le retour de Bruce Wayne (déjà publié en 2011 par Panini Comics dans deux fascicules kiosque hors-série de leur magazine Batman Universe – voir couvertures ci-dessous) et se conclut par le tome 0 (Gothique) qui s’était greffé rétroactivement à ce run (avec du contenu initialement et majoritairement publié en 1990 !).

Également au programme, deux épisodes conclusifs et de transition (un de la série Batman & Robin et un du one-shot Batman : The Return), qui étaient dans le tome 6 de la précédente édition (Batman contre Robin, couverture orange). Enfin, les deux deniers tiers du tome 4 (Le dossier noir) sont inclus au milieu de cette intégrale (son premier tiers étant dans la deuxième intégrale rééditée pour une lecture plus cohérente). Tout le monde suit ? Oui ? Alors c’est parfait. Non ? Alors pas de problème, on va prendre le temps d’expliciter tout cela et décrire ce qu’il se déroule dans des nouvelles montagnes russes d’aventures pour Bruce/Batman !

   

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne a été envoyé à l’aube de l’humanité par le tyran Darkseid. Amnésique, il va devoir user de toutes ses ressources pour retrouver son chemin dans le temps, se projetant à chaque fois plus en avant dans les époques, pourchassé par un monstre créé par Darkseid.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Une fois de plus, cette intégrale de Grant Morrison présente Batman enchaîne différents segments complètement inégaux. Le premier se compose donc des six épisodes de la mini-série Le retour de Bruce Wayne, le dernier épisode de Batman & Robin (#16) couplé au chapitre unique (one-shot) de Batman : The Return #1 – rassemblés sous les titres Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. Dans un second temps, le conséquent Le Dossier Noir compile d’anciennes publications principalement des années 1950, mais aussi 1960 et 1990 et (re)vient sur quatre « sujets » (ils sont nommés ainsi) : Le club des héros, Zur-en-Arrh, Dr Hurt et Barbatos. Enfin, dans sa dernière ligne droite, cette avant-dernière intégrale propose Gothique, cinq épisodes de Legends of the Dark Knight plus de quinze ans avant que Grant Morrisson entame son run (et peu après sa première incursion chez l’homme chauve-souris avec son implacable Arkham Asylum).

Le retour de Bruce Wayne est malheureusement (et une fois de plus) un beau bordel. Le renvoi dans le temps causé par Darkseid (en conclusion de Final Crisis) est un prétexte simpliste qui permet de faire voyager Bruce à différentes époques mais ce dernier est amnésique et, pourtant, comprend qu’il n’est pas à sa place. Il enchaîne donc des sauts à différents moments fleuves : la préhistoire, l’époque des premiers colons, la piraterie, le Far West, l’ère de la mafia et évidemment le présent aux côtés de ses alliés de la Justice League. Ces derniers (dont Superman et quelques autres) se retrouvent « au point de fuite » géré par « l’autorité linéaire » (bon courage pour comprendre ce labyrinthe verbeux – un extrait en image tout en bas de cette critique).

Ce qui aurait pu être particulièrement passionnant est une succession de brèves histoires guère passionnantes, à l’exception du segment s’orientant du côté des films noirs et un peu des gangsters (pas sans rappeler le chouette Gotham City – Année Un). On reconnaît à peine Bruce Wayne (visuellement parlant), chaque épisode met en scène des personnages éphémères auxquels on ne s’intéresse pas. C’est dommage car le précédent opus sous-entendait quelques traces du passé et indices laissés par Bruce pour alarmer sa Bat-Famille coincée « dans le futur » afin qu’elle vienne l’aider. C’est plus ou moins le cas mais on a du mal à savoir si c’est volontaire ou non… Comme toujours avec Morrison, on ne sait pas très bien si la narration et les dialogues – globalement confus – sont maîtrisés pour mieux surprendre plus tard. De même, il semble que Bruce créé sans le savoir son propre héritage et influe sur ses ancêtres mais c’est mal narré et peu intelligible…

L’évolution de Bruce s’accompagne heureusement de quelques éléments familiers. Ainsi, la figure déifique de Barbatos, Dieu chauve-souris adulé par des peuples, le Dr. Hurt et le chasseur de primes Jonah Hex croisent donc le milliardaire paumé qui rend service ou combat quelques injustices à l’occasion. L’ensemble du titre aurait pu être tiré vers le haut grâce à une jolie proposition graphique (on parle quand même d’un proto-Batman à la préhistoire ou face à Barbe Noire !) mais chaque épisode bénéficie d’un dessinateur différent. Là aussi, ça pourrait être cohérent (une époque correspondrait à un voyage visuel) mais, hélas, chaque artiste a un style peu marquant, ni foncièrement mauvais, ni drastiquement joli, à quelques séquences près. Faute aussi à une colorisation toujours lisse et sans réel éclat.

Se succèdent ainsi aux pinceaux quelques noms plus ou moins prestigieux : Chris Sprouse (Tom Strong, Ocean, Midnighter…), Frazer Irving (image juste au-dessus, artiste déjà sur trois épisodes – les plus hideux – de l’intégrale précédente), Yanick Paquette (Swamp Thing période New 52/Renaissance, Wonder Woman – Terre Un et il assurera les deux séries Batman Incorporated au cœur de la quatrième et dernière intégrale), Georges Jeanty (Buffy contre les vampires…), Ryan Sook (Arkham Asylum : Living Hell, Hawkman…) et Lee Garbett (Midnighter, Dreamwar…) – tous deux accompagnés de Pere Pérez (Harbinger, Action Comics, Batgirl…)

On retient les planches de Paquette et celles de Sook qui sauvent un peu la fiction. En synthèse, les six épisodes du retour de Bruce Wayne se lisent sans réel plaisir. Ce n’est pas désagréable, on comprend l’ensemble mais fort de ce concept, on pouvait légitimement s’attendre à quelque chose d’encore plus original et mieux écrit ; un traitement plus épique et palpitant était visiblement trop simpliste pour Morrison qui préfère perdre son lectorat sous couvert de discours complexe et pénible.

La titre s’offre une sorte d’interlude avec Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour narrant tous deux, évidemment, le retour de Batman. Le premier chapitre est dessiné par Frazer Irving, Cameron Stewart et Chris Burnham, rien que ça ! Si, graphiquement, la fiction n’est pas très marquante, on apprécie la confrontation entre Batman et Hurt qui reprend et, surtout, les retrouvailles entre Bruce/Batman avec Dick/Batman et Damian/Robin. Puis, surtout, on apprécie (et retient) carrément le second épisode, magnifiquement croqué par David Finch (Justice League…) et montrant un Wayne requinqué, plein d’assurance (cf. les deux premières illustrations après la section À propos).

Révolution dans l’univers de Batman : le philanthrope Bruce Wayne confesse devant les médias et le public qu’il finance la croisade de Batman depuis des années ! Une évidence vu les moyens technologiques usités par le justicier dont le combat a touché Wayne. L’entrepreneur annonce même la création de « Batman Incorporated », promettant une armée de Batmen dans différents pays ! Un concept fort alléchant qui se déploiera principalement dans la quatrième et dernière intégrale puisque toute la suite de cette troisième se concentre (à nouveau) sur le passé de Batman (par Morrison et d’autres). Léger spoiler : Batman Inc. sera – comme pas mal de choses du run de Morrison – une proposition intéressante mais tellement mal exploitée… On y reviendra dans la dernière critique.

Au programme également, une (nouvelle) organisation mystérieuse, Léviathan, un ennemi énigmatique (un de plus) et de belles promesses narratives (qui seront globalement tenues – comprendre trouveront une résolution, plus ou moins satisfaisantes en fonction des exigences de chacun). Ce retour au présent, à la modernité et à un Batman plus classique est paradoxalement une vraie bouffée d’air frais tant ce qui l’a précédé était peu passionnant.

Le Dossier Noir est le nom donné au fameux dossier qui renferme les aventures les plus étranges de Batman, qu’il consigne lui-même dans… un dossier noir donc. En réalité, c’est une appellation éditoriale prétexte à publier de vieux épisodes datant d’il y a plusieurs décennies qui permettent de se rafraîchir la mémoire mais surtout découvrir des éléments de patrimoine qu’a réutilisé évidement Morrison dans son travail (il contextualise d’ailleurs cette compilation en avant-propos). Cette plongée nostalgique est évidemment plutôt kitch et a parfois mal vieilli. Néanmoins elle permet de (re)découvrir, pour la première fois en français, d’étranges pépites à l’intérêt variable, peut-être davantage historique. Une curiosité pour aficionados et complétistes peut-être, une lecture « forcée » pour les autres, probablement.

C’est toujours difficile de critiquer ce genre de (très) vieilles aventures, qui montrent plutôt les obligations de DC Comics de l’époque : des récits légers, complets en dix pages, volubiles et avec une narration omniprésente. Chaque épisode est introduit par Morrison lui-même et sont classés par « sujet ». Le premier est Le club des héros. On découvre ainsi la première apparition du club des héros dans Les Batmen de tous les pays (Detective Comics #215, janvier 1955) puis Le club des héros (World’s Finest Comics #89, juillet-août 1957), tous deux écrits (et donc créés) par Ed Hamilton. Le premier est dessiné par Sheldon Moldoff (ancien assistant de Bob Kane), le second par Dick Sprang, deux artistes prolifiques de cette période.

Le premier épisode montre les différents Batman se rassemblent à Gotham City, tous heureux de rencontre leur modèle et héros, et s’unissent pour combattre un criminel. Le second les regroupe à nouveau avec un certain John Mahew et Superman. L’homme d’acier et l’homme chauve-souris se disputent le titre de président du fameux club d’une étrange façon, chacun étant trop modeste pour l’occuper. En parallèle, un nouveau justicier débarque, Le Fulgurant. Ces deux récits apportent rétroactivement un complément non négligeable au récit du premier tome (et de la première intégrale), également appelé Le club des héros. C’est donc très bien de le proposer mais ça arrive un peu tard, rendant moins complexe la compréhension de la version modernisée, ou plutôt la rendant plus cohérente.

Deuxième sujet : Zur-en-Arrh. Deux récits vont mettre en scène le fameux Batman Zur-en-Arrh puis le…Bat-Mite ! Dans Batman, surhomme de la planète X (Batman #113, février 1958), France Ed Herron créé ce Chevalier Noir plus coloré et étrange que l’original, fruit d’une vision ou d’une planète extraterrestre, on ne sait pas trop ; sous les traits de Dick Sprang (encore). L’aventure est loufoque à souhait, complètement psychédélique et tournée dans de la science-fiction un peu cheap. MAIS… une fois encore, cela permet de mieux comprendre d’où venait le Zur-en-Arrh qu’a repris Morrison ensuite (puis Zdarsky dans son Batman – Dark City). On aurait donc aimé lire cela bien plus tôt…

Dans Le baroud du Bat-Mite (Detective Comics #267, mai 1959), le célèbre Bill Finger (véritable créateur de Batman), conçoit une version Batmanesque de M. Myxyzptlk, mythique ennemi de Superman assez populaire. Cette transposition d’un farfadet magique, facétieux et dévastateur dénote totalement avec l’univers habituel du Chevalier Noir mais rencontre un certain succès chez les plus jeunes lecteurs. C’est Sheldon Moldoff (encore) qui croque donc pour la première fois le Bat-Mite, un peu ridicule mais déboulant donc dans la galerie des nombreux protagonistes de la mythologie de Batman.

Troisième sujet : Dr Hurt ! Cela devient (enfin) un peu plus passionnant. On a droit à deux récits de Bill Finger, toujours dessinés par Sheldon Moldoff et publiés à sept ans d’intervalle ! Le premier Batman (Detective Comics #235, septembre 1956) est d’une importance capitale : on y apprend que Joe Chill, l’assassin des parents de Bruce, n’était pas un banal voleur mais un tueur à gages engagé par un autre criminel, Moxon. Pourquoi ? Parce que Thomas Wayne, vêtu d’un costume de chauve-souris pour un bal masqué thématique, s’était fait kidnapper par les hommes de Moxon afin de soigner ce dernier, blessé par balles. Le père de Bruce put s’échapper et les livrer à la police mais Moxon, dix ans plus tard à sa sortie de prison, décida de se venger.

Le premier Batman change rétroactivement un pan culte des origines de Batman ! Cela pourrait être mal accueilli mais comme c’est sous la plume de Bill Finger lui-même, c’est tout à fait acceptable voire cohérent pour « boucler la boucle » de la thématique chauve-souris. En revanche, cela remet en question le meurtre des Wayne, qui n’était donc plus lié « au hasard » (ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment) car cela sous-entend que tout était prémédité… À chacun d’y voir sa version favorite. Le Dr. Hurt n’apparaît pas ici mais Morrison reprendra ce souvenir par la suite – comme on a pu le lire plus tôt dans son run.

Robin meurt à l’aube (Batman #156, juin 1963) démarre comme une énième aventure kitch et psychédélique – Batman et Robin sur une planète face à des créatures et un robot rose géant – avant de révéler une illusion féroce réalisée par le Dr. Hurt mais sans méchanceté derrière. Au contraire, cette première mouture d’Hurt est d’ailleurs innocente, l’itération Morissonesque sera bien plus machiavélique (même si – a posteriori –, l’ennemi ne rentrera pas dans le prestigieux panthéon des vilains charismatiques de l’univers de Batman ; faute à une écriture étrange et des ambitions confuses).

Quatrième et dernier sujet de ce dossier noir : Barbatos. L’œuvre est plus récente cette fois (août-septembre 1990), écrite par Peter Milligan, scénariste proche de Morrison. Dans Chevalier Noir, ville ténébreuse (Batman #452-454 – donc trois chapitres de 20 pages, soit le récit le plus long de cette session), l’on suit deux arcs narratifs. L’un se déroule en 1764, Jacob Stockman s’apprête à exercer un sacrifice humain pour convoquer Barbatos, lors d’un rituel avec d’autres membres d’une sorte de secte. L’autre se déroule « dans le présent » (et occupe la majorité de l’ensemble) où le Sphinx enchaîne des épreuves délicates pour le Chevalier Noir. Les énigmes ne sont pas très compliquées mais le Sphinx a carrément mis quatre bébés en danger pour arriver à ses fins !

De quoi être en adéquation avec le Chevalier Noir durant sa lecture : tout comme lui on ne comprend pas (dans un premier temps) la finalité de tout ceci, aussi bien la corrélation entre les deux époques que l’objectif de Nygma, bien plus virulent qu’à l’accoutumée. Les épisodes sont dessinés par Kieron Dwyer dans une veine délicieusement rétro de la fin des années 1980, un style brut, une atmosphère lugubre, des scènes sanglantes, etc. Pas de doute, on surfe toujours sur la période post The Dark Knight Returns (1986). Impossible de ne pas penser à Le Culte (publié peu avant, en 1989) également ! Le titre est plus abordable (que ceux d’avant et, paradoxalement, que ceux d’après de Morrison) et se connecte au Retour de Bruce Wayne à nouveau puisqu’il était question de Barbatos dedans (mais, une énième fois, ça aurait été bien de lire ça avant pour mieux capter le puzzle narratif et bordélique de Morrison).

Ce « Dossier Noir » est donc inégal mais pas déplaisant pour autant, suffit de fermer les yeux sur le ridicule de quelques segments propres à leur époque. On le martèle : on se demande surtout pourquoi elle n’a pas été proposée plus tôt ! Comme Morrison a pioché dans tout cela et l’a injecté directement dès le début de son run, on aurait préférer connaître ces vieilles aventures à ce moment-là… Néanmoins, ça a le mérite de rendre les précédentes aventures signées Morrison moins obscures et plus accessibles (compréhensibles ?) pour le commun des mortels.

On ne peut pas reprocher à l’auteur de puiser dans l’énorme galerie de personnages qui ont existé dans l’univers dantesque et hétérogène du Chevalier Noir. Toutefois, reprendre des protagonistes aussi peu captivants pour leur apporter un traitement un brin superficiel reste dommage (déjà observé avec le club des héros dans la première intégrale et se confirmera, hélas, par la suite avec la plupart d’entre eux au sein de Batman Inc.). On apprécie en revanche la matière des pages, davantage granuleuses et solides de ces pastilles nostalgiques, qui tranchent avec le papier glacé moins épais des autres aventures, plus contemporaines, également au sein de l’opus. Fermeture des sujets du dossier noir, place à la suite !

Quatrième et dernier ajout à cette intégrale : Gothique, une histoire en cinq chapitres (Legends of the Dark Knight #6-10) publié en 1990 ! Il s’agit du troisième travail de Grant Morrison sur Batman après une nouvelle (très anecdotique) de trois pages sur Catwoman qui s’introduit dans la Batcave (inclut après Gothique), intitulée La traque (The Stalking) et datant de 1986, initialement parue dans les pages du magazine anglais Batman Annual. Son deuxième jet sur l’homme chauve-souris est nettement plus célèbre et réussi : le récit complet incontournable Arkham Asylum (L’Asile d’Arkham), de 1989. Il y a ensuite eu ce Gothique puis, presque quinze plus tard, son début de run en 2006 qui dura pile sept années !

Si Gothique est proposé rétroactivement dans son run, c’est parce qu’il met en avant un ennemi inédit, M. Murmure, dans une fiction qui flirte avec l’occultisme et les malédictions, les sacrifices, etc. Sans oublier qu’on retrouve (un peu) chez Murmure un peu du futur Dr Hurt. En somme, un titre totalement en phase avec qu’a injecté plus tard Morrison dans sa fresque, principalement ce qu’on retrouve justement dans cette troisième intégrale avec le segment sur Le retour de Bruce Wayne puis Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. On ressent aussi une sorte de prolongation (autant visuelle que narrative) des trois épisodes de Chevalier Noir, ville ténébreuse qu’on vient de découvrir (mais écrits par Peter Milligan attention).

Bien évidemment, Gothique peut se lire indépendamment de tout le reste – il est d’ailleurs dommage qu’Urban ne le propose plus en tome simple unique même s’il sera, en toute logique, présent dans le probablement troisième opus de l’année 1990 de Batman Chronicles. La force de Gothique réside dans ses planches incroyablement dynamiques de la ville de Gotham auquel rend hommage le dessinateur Klaus Janson (encreur mémorable de The Dark Knight Returns et artiste accompli, prolifique et multitâche chez Marvel puis DC Comics) et le coloriste Steve Buccellato (en moyenne forme – surtout dans les flash-backs).

Du terme « gothique » résulte évidemment l’architecture globale qu’on perçoit dans l’urbanité de l’ensemble (principalement au début et à la fin) mais aussi différents éléments de la fiction qui montrent la croisade d’un Batman confiant, voire prenant un malin plaisir à en découdre avec des ennemis. Dans sa quête, l’homme chauve-souris cherche un mystérieux homme normalement mort des années plus tôt et tuant des mafieux. Ces derniers réclament même l’aide du justicier ! En parallèle, Bruce Wayne se remémore des pans de son passé, mélangés à d’étranges rêves et perd parfois pied… Un polar teinté d’un peu de surnaturel donc.

Une fois de plus, ou plutôt « déjà à l’époque », Grant Morrison ne cesse de jouer sur les faux semblants avec des passages abscons. C’est plus limpide que ce qu’il présentera plus tard mais cela reste un peu étrange et pas réellement passionnant non plus. Heureusement, la force graphique impulsé tout le long hisse la fiction vers le haut (la couverture initiale du tome est simplement la reprise d’une pleine page par exemple). Il est cohérent d’avoir ajouté ce titre à cet endroit précis des intégrales mais il n’est pas non plus « réellement » relié au reste… Cela ne change pas le prix de l’intégrale et permet d’avoir l’ensemble des travaux de Morrison au même endroit alors pas de quoi se plaindre. Néanmoins, Gothique n’est pas incontournable, au contraire… Au moins il se lit rapidement, contrairement au reste du pavé, c’est déjà ça.

Cette troisième intégrale est donc sans aucun doute la plus faible, on peut même la dire dispensable, malgré le milieu du titre sympathique (le retour de Bruce/Batman à Gotham dans le présent et l’annonce de l’organisation Batman Inc. – soit deux chapitres au total seulement) et quelques curiosités « vintages » (celui de Bill Finger sur Le Premier Batman et celui sur le Sphinx de Peter Milligan). Grant Morrison se vautre (encore) dans une écriture inintelligible. Ce n’est pas « complexe », dans le sens où ce serait exigeant, intellectuellement stimulant et force de réflexion, d’analyse poussée, c’est juste « compliqué » car pas limpide, peu compréhensible, parfois prétentieux, trop verbeux, inutilement bavard, etc. On l’avait déjà constaté dans la seconde moitié de la première intégrale et un tout petit peu à la fin de la deuxième. Ici, c’est tout le segment du Retour de Bruce Wayne qui l’est puis, un petit peu à nouveau, Gothique.

Malgré tous ces défauts (surtout en rédigeant une critique tant d’années après la mise en vente), force est de constater la puissance populaire du run de Morrison mais elle est à nuancer : c’est avant-tout le personnage de Damian qui marque les esprits et continue de vivre dans la chronologie du Chevalier Noir. Comme on le soulignait plus haut, le Dr Hurt (dont c’est la fin de son arc dans ce troisième opus) n’est pas resté au panthéon des ennemis inoubliables . Tout le voyage dans le temps et le passé n’aura pas d’incidences par la suite, un véritable coup manqué après cette aubaine. Enfin, il en sera de même pour l’organisation Batman Inc. (pourtant une excellente idée) mais c’est à découvrir dans la suite et fin avec la quatrième intégrale !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 26 octobre 2018.
Contient : The Return of Bruce Wayne #1-6, Batman and Robin #16, Batman: The Return #1, Legends of the Dark Knight #6-10, Batman: The Black Casebook, Dark Knight, Dark City (Batman #452-454)
Nombre de pages : 592

Scénario : Grant Morrison (sauf les « dossiers noirs »)
Dessin : Collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif (voir article)

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

Acheter sur amazon.fr : Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 3/4 (30 €)

 



Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 2/4

Après une première intégrale assez inégale voire laborieuse dans sa dernière ligne droite, la saga de Grant Morrison opère un tournant en reléguant Batman/Bruce au second plan et en misant sur les (nouvelles) aventures de Dick et Damian, alias les nouveaux Batman et Robin ! Ce deuxième opus regroupe différents tomes simples de la précédente édition : les 3 et 6 (à l’exception de deux chapitres de ce dernier rappatriés dans la troisième intégrale), centrés sur Batman et Robin donc (couvertures jaunes et oranges ci-dessous) et le premier tiers du tome 4 (Le dossier noir).

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne est mort ! Gotham ne peut rester sans protection et c’est à Dick Grayson et Damian Wayne de reprendre le flambeau sous les masques de Batman et Robin ! Leur baptême du feu ne se fera pas sans heurts et ils devront bien vite affronter les menaces du Professeur Pyg, du Red Hood et d’un Bruce Wayne zombie !

[Début de l’histoire]
Juste avant sa supposée mort par Darkseid (cf. fin de Final Crisis), Batman est emprisonné dans une étrange machine. Durant ces « jours avant Oméga », le justicier revoie tout son passé, de ses premiers pas en tant qu’homme chauve-souris jusqu’à aujourd’hui. Mais d’étranges évènements lui font comprendre qu’il ne fait que « rêver »…

Après s’être sorti de ce périple et avoir vaincu Darkseid, le Chevalier Noir est renvoyé dans le passé, amnésique… Pour pallier l’absence de Batman dans le présent, Dick Grayson endosse la cape de son mentor et Damian Wayne devient officiellement le nouveau Robin !

[Critique]
Comme pour l’intégrale précédente, celle-ci compile six histoires issues des anciennes éditions et réparties ainsi : Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, Nouveaux masques, Au cœur des ténèbres, Le dossier noir – Acte II : Le batman, la mort et le temps, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin. L’accent est donc mis sur ce fameux Dossier noir (on verra de quoi il en retourne plus loin) et les aventures des nouveaux Batman et Robin, à savoir Dick Grayson et Damian Wayne !

À noter, une certaine réorganisation entre les anciens tomes simples (qui proposaient les mêmes récits mais dans un ordre différent, incluant même des planches de Final Crisis qui contextualisait la fausse mort de Batman et son retour – une autre saga également écrite par Morrison) et celui de cette intégrale, afin d’avoir une lecture globale davantage cohérente. En effet, on reprend directement là où s’était arrêtée l’intégrale précédente, avec Batman qui sort de l’eau après le crash de l’hélicoptère.

Dès son retour, c’est une plongée dans son inconscient qui surgit à nouveau mais cette fois de façon plus limpide : on revoit les moments forts du Chevalier Noir de ses origines jusqu’à aujourd’hui. Tout ceci correspond à l’arc Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, étalé sur quatre chapitres (Batman #682-683 puis #701-702). Dans sa dernière ligne droite, on retrouve à nouveau les évènements de Final Crisis et donc la mort (apparente) de Batman par Darkseid (en réalité propulsé dans le passé et amnésique – la « suite » de ses aventures est à découvrir dès le début de la troisième intégrale – on ne reverra quasiment plus Batman/Bruce ici).

Ces quatre épisodes sont réjouissants et devraient ravir n’importe quel fan de Batman ! Malgré quelques passages brumeux (la fission avec Le Grumeau), la compréhension au fil de l’eau d’une torture mentale qui raconte donc toute la mythologie de Batman est savoureuse – même si celle-ci incorpore quelques éléments factices – autant tout narrer chronologiquement et avec précision et « réalité » pour être plus efficace. Pas de quoi bouder son plaisir néanmoins, cette semi-aventure est un régal pour les puristes qui se délecteront de toutes les références proposées par Grant Morrison, mais aussi pour les novices qui bâtiront ainsi une cartographie, plus ou moins complète, de l’histoire du Chevalier Noir de ses origines à nos jours.

On rappelle que l’auteur écossais souhaite procéder à une sorte d’unification de toutes les aventures passés de tous les Âges des publications des comics pour les rendre cohérentes. Ce « tout » apparaît ici d’une façon plus soutenue et paradoxalement plus claire, ne s’attardant pas sur des personnages inutiles et dont on se moque. C’est peut-être ce qu’il « manquait » au tome précédent, ou plutôt ce qui aurait été plus habile de mettre en premier afin de ne pas perdre le lectorat. Ici, le nouveau venu peut être confus par moment mais ce sera plutôt rare et, dans tous les cas, pas très grave.

Les mentions à des alliés, ennemis, situations, lieux et moments « cultes » du justicier sont tellement nombreuses que l’éditeur en dévoile et décrypte une bonne partie après les épisodes (sur trois pages !). La seule contextualisation peut-être plus importante est liée aux évènements de Final Crisis qui s’imbriquent dans la narration (dans laquelle Morrison convoque aussi des éléments du Quatrième Monde de Jack Kirby).

En synthèse, cette longue introduction est une réussite et happe immédiatement. Notons qu’appeler ça Le Dossier Noir est presque une erreur car c’est corrélé au nom d’un dossier éponyme tenu par Batman qui condense ses aventures loufoques et délirantes publiées durant les années 1950. Ce qui sera précisément au cœur de l’intégrale suivante et… qui était en fait la composition principale de la précédente édition simple – qui regroupait donc ce Dossier Noir et cette aventure de quatre chapitres (ainsi qu’un autre). Cela faisait donc un peu sens mais ce n’est pas le cas dans le cadre de cette intégrale mais ce n’est pas très important.

Toute cette « pièce manquante » est dessiné par Tony Daniel, déjà à l’œuvre d’une bonne partie de l’intégrale précédente ainsi que Lee Garbett. Les deux artistes arrivent à composer une dense fresque élégante et graphiquement aboutie (colorisée par Ian Hannin et Guy Major). Un résultat très mainstream et propre mais totalement efficace et on n’en demande pas davantage pour ce segment atypique de 95 pages au total qui se conclut sur un Wayne de dos se réveillant dans une grotte (durant… la préhistoire – cela aussi sera à suivre dans l’intégrale suivante !).

Passé ce premier acte (c’est le cas de le dire), place à une équipe inédite : Dick et Damian en Batman et Robin ! Si la transition de Damian en Robin est ultra soudaine (il n’était pas encore réellement intégré dans la Bat-Famille, il était même retourné chez sa mère Talia et revient comme un cheveu sur la soupe), celle de Dick en Batman n’est pas totalement inédite. Le jeune prodige historique avait déjà revêtu la cape de son mentor après les évènements de Knightfall dans (le très sympathique) récit complet Le Fils Prodigue.

Aparté : lors de la publication du tome simple en 2012, Urban Comics contextualisait en avant-propos ces sujets et donnait les titres en VO (Prodigal en l’occurrence, mais aussi Battle for the Cow qui servait de transition pour Dick en parallèle du run de Morrison – prochainement chroniqué). Pour la réédition de 2018 en intégrale, Urban s’est contenté du strict minimum côté travail éditorial car le texte est identique à celui de la précédente édition. C’est dommage car entretemps l’éditeur a bien publié Knightfall et Prodigal ! Il suffisait donc de citer leurs titres traduits (et éventuellement les collections dont ils font partie). Ce n’est pas très grave en soi mais pourrait mal accompagner un lecteur novice.

La série (re)prend un rythme plus conventionnel (et agréable) avec les aventures de Dick et Damian. Même si elles arrivent sans être réellement introduites, on retrouve une dynamique plaisante où le binôme s’essaie tant bien que mal à cacher et compenser la disparition de Bruce et donc du « vrai » Batman. En résulte une salve de quinze épisodes de la série intitulée sobrement en VO Batman and Robin contenant trois arcs déjà précités : Nouveaux Masques (six chapitres), Au cœur des ténèbres, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin (tous trois composés de trois épisodes chacun). Un chapitre de la série Batman (le #700) intervient après la seconde histoire – on y reviendra.

Dans Nouveaux Masques, Dick et Damian apprennent à travailler ensemble. Le caractère fougueux, intrépide (et insupportable) de Damian, offrent un humour bienvenu dans un run assez « austère », couplé à la bonhomie habituelle de Dick, cela fait presque du bien de « souffler » et d’avoir enfin un peu de légèreté après les précédentes histoires. La première moitié met en avant le professeur Pyg, créé spécialement pour l’occasion (en vrai, on l’avait déjà aperçu dans Batman #666, c’est à dire dans l’itération futuriste sur Damian, cf. Bethléem dans le tome précédent). Damian (qui est fait prisonnier) et Dick (qui a du mal à diriger son nouveau jeune allié) s’offrent une quête effrénée pour sauver toutes les proies de Pyg.

On assiste donc aux premiers pas de cet antagoniste particulièrement glauque, apparu ensuite dans d’autres aventures en comics bien sûr, mais aussi transposé dans différentes adaptations : le jeu vidéo Arkham Knight et la série Gotham entre autres. La seconde moitié ajoute Red Hood dans la partie dans une vendetta elle aussi sanglante et un Jason Todd violent et sans concession, même si un peu méconnaissable (on doute d’ailleurs un petit peu si c’est vraiment lui ou un usurpateur).

L’épopée n’est pas que narrative, elle est aussi visuelle ! Franck Quitely gère les trois premiers épisodes avec son style si atypique (et clivant). Ses traits granuleux, ses détails étranges qui sont censés ajouter du réalisme mais ne font que paradoxalement s’en éloigner. C’est un artiste singulier dont la patte tranche avec le reste des productions du genre (il s’est associé à plusieurs reprises avec Grand Morrison car, en dehors de Batman, on lui/leur doit les superbes All-Star Superman et les New X-Men). Cela tombe bien Philip Tan s’occupe des trois derniers chapitres de Nouveaux Masques avec une approche plus convenue mais néanmoins superbe. On oscille entre du David Finch, Andy Kubert et d’autres dessinateurs de renom du même genre (qui signeront quelques planches plus loin). Il est même étonnant que Tan n’ait pas eu davantage de titres chez DC par la suite, incluant Batman, tant son art épouse à merveille les situations d’action et la beauté des personnages ! Plutôt discret, il a tout de même été quelques arcs de Spawn, Green Lantern, X-Men et… Suicide Squad Rebirth !

Au cœur des ténèbres se déroule à Londres où Dick/Batman retrouve L’Écuyer (puis Le Chevalier – tous deux venant du Club des Héros, cf. tome précédent). Ils affrontent de mystérieux ennemis complètement oubliables mais, surtout, utilisent un puits de Lazare afin de ressusciter Bruce ! Cela fonctionne mais il semblerait qu’il ne s’agissait pas du vrai Bruce, celui revenu à la vie étant quasiment un zombie… Leur route croise aussi celle de Batwoman, présente « comme par hasard » (probablement pas mais ça manque cruellement de contextualisation) et Damian est en convalescence à Gotham.

C’est un récit un peu faiblard à la narration peu limpide, encore une fois, avec des improbabilités (Batwoman préfère mourir et revenir ensuite à la vie grâce à la source de Lazare), un retour express à Gotham, un corps d’un Bruce/Batman qui n’était pas le sien, etc. Les dessins de Cameron Stewart sauvent plutôt l’ensemble ainsi qu’un peu d’humour. À noter aussi jusqu’à présent sur les trois dessinateurs, la colorisation impeccable d’Alex Sinclair, comme souvent, remplacé par Tony Avina sur les deux derniers épisodes. Avina est moins doué et pas aidé par le style lisse et impersonnel de Stewart, manquant de relief, d’émotions et de lisibilité.

Le Batman, la Mort et le Temps est un épisode particulier, il est plus long que la normale (une trentaine de pages) et a carrément cinq dessinateurs prestigieux (Tony Daniel, Frank Quitely, Scott Kolins, Andy Kubert et David Finch). Pourquoi ? Car il s’agit du 700ème chapitre (!) de la série Batman. Morrison en assure bien sûr le scénario et propose une affaire à résoudre à travers trois Batmen : Bruce Wayne, Dick Grayson et le Damian Wayne du futur (aperçu dans Bethléem dans l’intégrale précédente). Le fil rouge entre chaque Batman est un mystérieux carnet, appartenant au Joker avec le dynamique duo qui peut brièvement voyager dans le temps (même si ce n’est pas du tout exploité). Malgré les chouettes dessins, ça ne raconte rien de très palpitant (c’est même peu compréhensible voire inintéressant) entre une machine à générer « ce qui aurait pu être » et autres changements d’époque, corrélés à un professeur (Carter Nichols – vieux personnage de DC) qui les aide à voyager dans le temps.

Les dernières planches rendent hommage à quatre Batmen du futur : Terry McGinnis (Batman : La Relève), Batman 3.000 (alias Brane, issu d’une création de Joe Greene et Dick Sprang en 1944 dans Batman #26), Brane Taylor de l’an 3.051 (autre création de Dick Sprang avec Bill Finger cette fois, dans Batman #67 en 1951 – Brane étant la contraction de Bruce et Wayne pour ces deux Batmen atypiques) et, enfin, Batman Un Million, créé par… Grant Morrison (dans DC One Million en 1998). Il s’agit d’un Batman de l’An 85.298, justicier anonyme et orphelin. Encore une fois, le scénariste écossais s’amuse à piocher dans un bestiaire sympathique et quasiment méconnu (à l’exception de McGinnis) mais ça ne sert pas à grand chose. À voir comme un hommage éphémère et appuyer la théorie que Batman et Robin résiste(ront) à l’épreuve du temps quoiqu’il arrive (ce qui cohérent pour un futur proche mais pour 853 siècles plus tard, c’est un peu ridicule…).

Retour à la série (et aux aventures) de Batman et Robin dans… Batman contre Robin, en trois épisodes. Un peu de contextualisation est de mise (absente du volume) : cette suite se déroule en parallèle de l’autre série écrite par Morrison : Le retour de Bruce Wayne, qui est incluse dans l’intégrale suivante. Il y a donc quelques connexions avec des ancêtres de Bruce Wayne qui donneraient des indices quant au voyage dans le temps de Wayne. Une théorie soutenue par Tim Drake à plusieurs reprises mais… sans qu’on voit Drake, ce sont Damian et Dick qui parlent de lui (on ignore donc ce que fait et comment va Tim…).

Par ailleurs on retrouve le personnage cagoulé et élégant d’Oberon Sexton, ultra énigmatique après ses premières apparitions un peu plus tôt dans la fiction. Son identité est révélée à la toute fin et… c’est une sacrée surprise (qu’on ne dévoilera pas mais qui semble en opposition totale avec l’ADN initiale du personnage qui se cache sous ce masque) !

Au demeurant, Batman contre Robin porte bien son titre : Damian est contrôlé à distance par Talia et Deathstroke afin de tuer Dick ! En complément, des pistes mènent à Barbatos, ancien Dieu chauve-souris maléfique, accentuant l’idée que Bruce est réellement dans le passé. Les différents évènements du présent sont donc terriblement palpitants bien qu’un peu décousus. D’un côté le retour imminent de Bruce Wayne, d’un autre l’évolution de Damian – nettement plus empathique qu’auparavant voire touchant.

En complément et en vrac : Dick, qui campe un Batman complexe avec un héritage lourd à porter, sans oublier les machinations de Talia, du tueur aux dominos (apparu en semi fil rouge depuis le début de l’ouvrage) et le fameux Gant Noir, organisation criminelle gérée par Hurt dans le précédent volet et qui semble toujours active. L’ensemble est dessiné par Andy Clarke et Sinclair revient pour les couleurs. Clarke s’approprie avec brio le style de Quitely, conférant une belle cohérence graphique dédiée à ce nouveau dynamique duo !

 

En dernière ligne droite, Que meurent Batman et Robin (trois épisodes) remet le Joker au premier plan ainsi que Hurt qui se fait passer pour… Thomas Wayne. Encore une fois (et malheureusement), la lecture est difficile, on nage entre illusions, psyché et réalité sans qu’on comprenne très bien l’ensemble. On salue en revanche l’assemblement de multiples pièces narratives contribuant au puzzle (non) linéaire et complexe de Morrison. Ainsi Pyg et d’autres sont confrontés dans une résolution à peu près cohérente mais sincèrement ardue.

Il manque une fluidité dans les dialogues, dans l’exposition et dans la globalité du récit pour mieux le saisir. C’est un parti pris clivant, à nouveau, qui ravit probablement une frange de fans contents de sortir un peu des sentiers éculés autour de l’homme chauve-souris mais qui délaisse ceux qui souhaitent suivre une fiction certes exigeante mais à minima intelligible. C’est cette fois Frazer Irving qui gère les dessins et la colorisation et… c’est très, très particulier (cf. image ci-dessous). Entre le cel shading bas de gamme d’un jeu vidéo ou bien une peinture à l’eau étrange… C’est parfois hideux (les gros plans sur les visages notamment) mais respecte bien la vision psychédélique de la fiction d’une certaine façon !

À noter que l’intégrale (tous comme les éditions précédentes) regorgent de bonus (plus de 50 pages !) compilant annotations de Morrison pour aider ses dessinateurs, croquis préparatoires, travaux de recherches, couvertures alternatives… bref un régal pour les amateurs et un ouvrage conséquent (568 pages !) pour 30 € seulement. À ce prix là, aucune raison de passer outre, surtout qu’on est « presque » (on insiste sur les guillemets) sur un livre qui pourrait se lire de façon indépendante sans avoir besoin de connaître le précédent et pouvant se contenter de cette fin ouverte.

Malgré ses quelques faiblesses d’écritures et ses dessins inégaux, cette deuxième intégrale est parmi les coups de cœur du site, ne serait-ce que pour la dynamique entre Dick et Damian, l’originalité de la situation globale, la première partie dans la psyché de Batman passionnante et – reconnaissons-le – parce qu’il faut bien qu’il y ait un segment du run de Morrison dans cette rubrique. L’auteur a eu le mérite d’innover même si – on radote – son parti pris est déroutant et clivant, bardé de références obscures et souvent peu pertinentes, cela changeait (surtout à l’époque) drastiquement de ce qu’on observait jusqu’à présent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 août 2018.
Contient : Batman #682-683, #700-702, Batman and Robin #1-15
Nombre de pages : 568

Scénario : Grant Morrison
Dessin : collectif (voir article)
Encrage : collectif
Couleur : collectif

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

Acheter sur amazon.fr : Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 2/4 (30 €)