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Batman & Joker – Deadly Duo

C’est LA grosse sortie de fin d’année 2023 chez Urban Comics : Batman & Joker – Deadly Duo, entièrement écrit et dessiné par Marc Silvestri. Un récit issu du Black Label, permettant d’être accessible et indépendant, sans s’encombrer de la continuité habituelle liée au Chevalier Noir. Pour l’occasion, le titre sort dans trois versions : une normale (21 €), une en noir et blanc limitée à 1.500 exemplaires (29 €) et une spéciale pour l’enseigne Pulp’s Comics avec une variante en couverture et sept lithographiques exclusives (25 €), éditée à 800 exemplaires. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
De mystérieuses goules à l’apparence du Joker sillonnent les rues de Gotham, semant têtes coupées et cadavres sur leur passage. Dans ce chaos funeste, Harley Quinn et le Commissaire Gordon manquent à l’appel. Le Chevalier Noir se met aussitôt à leur recherche, et ne tarde pas à comprendre que quelqu’un d’autre suit leur piste : le Prince Clown du Crime. Les ennemis jurés vont devoir se résoudre à l’impensable pour arriver à leurs fins : enterrer la hache de guerre.

[Début de l’histoire]
Harley Quinn semble prisonnière d’un puits ancien. Son mystérieux geôlier a un œil rouge…

Harvey Bullock et Batman enquêtent sur une scène de crime sordide qui paraît signée le Joker.

Gordon a disparu et, dans Gotham, le Chevalier Noir affronte des goules ressemblant, à nouveau, au Joker.

Quand Batman retrouve enfin ce dernier, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux ennemis jurés ont pourtant un but commun : retrouver leur allié respectif (Gordon et Quinn). Une alliance se créée…

[Critique]
Une sacrée épopée graphique horrifique ! Voilà ce qui attend le lecteur de Batman & Joker – Deadly Duo. Ce qui frappe d’entrée de jeu est la virtuosité des dessins de Marc Silvestri. Un style nerveux et dynamique, à peine encré et sublimement mis en couleur par Arif Prianto – on y reviendra – qui sert une histoire plus ou moins inédite. Le scénario (également signé Silvestri) est assez inégal et c’est principalement à cause de cela que le titre pêche par moment (et qu’on lui préfère donc sa beauté visuelle en premier lieu).

Dans Deadly Duo, on est directement plongé dans un registre d’horreur et de fantastique, il ne faut donc pas s’attendre (contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture) à un « Thriller / Action » mais plutôt à de l’action sanglante incluant créatures (les fameuses goules) et même des sortes de zombies (on en parle plus loin). De quoi déstabiliser (ou décontenancer, ou séduire) le lectorat davantage fan du côté urbain et policier, plus « terre-à-terre » en somme, des aventures du Chevalier Noir.

Le récit est palpitant, extrêmement bien rythmé malgré des textes (ou une traduction ?) manquant d’une certaine « fluidité », c’est un aparté très subjectif mais certaines bulles sonnent bizarrement, par exemple quand le Joker rabâche qu’il a bu trop de thé glacé (!?) sans que cela débouche sur un élément narratif corrélé. Il y a d’autres petits « tics » de langage comme cela qui parsèment la fiction de façon un peu abrupt. De même, on est parfois perdu par rapport aux nouveaux personnages (pourtant peu nombreux, on songe à Donald Simms en priorité) pour comprendre leur lien exact avec Bruce Wayne, Batman, Gotham City, Gordon… Rien de bien méchant au demeurant mais on se surprend à relire quelques cases de temps à autre pour bien assimiler les informations (cela ne veut pas dire que c’est compliqué, ce sont juste les propos qui sont moins intelligibles, donc faute d’écriture de temps en temps (ou de traduction ?)).

Passé ces micro reproches, que nous offre Deadly Duo ? Une course épique et effrénée où Batman doit collaborer avec le Joker. Ce concept improbable et rarement exploité (récemment, on pense juste à Last Knight on Earth qui s’en rapproche, et encore) est habilement mis en scène dans le début du titre. Le Joker est solidement attaché et retenu prisonnier dans la Batcave, une cagoule sur le visage (qui s’ouvre au niveau des yeux et de la bouche- et un casque de musique sur les oreilles). Deux protagonistes contraints et forcés de s’entraider ensuite (le Joker reste menotté pour que Batman puisse le surveiller). Leur binôme obligatoire résulte d’un objectif commun : retrouver et sauver Gordon pour Batman, Harley Quinn pour le Joker.

Attention, il ne faut pas s’attendre non plus à de longues péripéties pour les deux, leur association arrive presque au milieu du livre avant d’être interrompue par plusieurs flash-backs (très pertinents). Cette alliance inattendue se résume, in fine, à uniquement se rendre dans un endroit où était convié initialement le Prince Clown du Crime pour résoudre des énigmes et… sauver des gens (!). Autant dire que le Joker s’en moque. Arrive alors, littéralement, une descente (aux enfers) dans les limbes de Gotham City, la partie souterraine devient le terrain de jeu du nouvel ennemi créé pour l’occasion où se retrouvent Batman et le Joker pour (déjà) la suite et fin de leur coalition. Attention aux révélations dans le paragraphe suivant si vous ne voulez pas trop en savoir, passez à celui d’après (idem, ne descendez pas tout en bas voir la dernière illustration – celle sous les squelettes en costumes – même si en soi elle ne dévoile rien mais au cas où…).

C’est tout le propos de Deadly Duo (et sa maladresse). Silvestri le reconnaît bien volontiers dans sa postface, sa fiction est avant tout la création d’un antagoniste qui devrait « revenir » ensuite (pas forcément dans une suite directe mais plutôt intégrer simplement la galerie de vilains dans la mythologie de Batman). On parle bien sûr d’Amanda Simms (fille de Donald), alias « Gothrillon » ou « La Comtesse de la Crypte » comme la surnomme le Joker. Une femme tuée par le Joker le jour de son mariage (en tout cas, en apparence), qui arrive à convoquer des morts-vivants dans sa croisade : briser Bruce Wayne, dont elle connaît l’identité, qu’elle juge responsable indirectement de nombreux morts à Gotham.

Certes, ce nouvel ennemi a des intentions « qui se comprennent » et replongent Batman dans une énième réflexion sur sa part de responsabilité (et culpabilité) quant au sort funeste des victimes collatérales (des attentats qu’il n’arrive pas à déjouer ou simplement car il laisse en vie les criminels). Un aspect déjà vu et abordé maintes fois mais qui reste cohérent et plutôt bien écrit dans Deadly Duo. Ce qui fonctionne moins en revanche est toute la couche textuelle verbeuse sur des explications alambiquées autour de « cellules souches, nerfs, chair, os, racines, nutriments, décompositions, renaissance, etc. ». Le titre est bavard et se perd en complications inutiles sur cet aspect.

En synthèse, l’approche « zombie/créature » est bizarrement pensée et gérée, le mystérieux ennemi est charismatique mais peine un peu à convaincre a posteriori dans sa grande organisation d’épreuves (rappelant un peu la saga Saw), son armée « d’enfants » et d’un macGuffin avec le Joker un peu surprenant. Le titre est à son meilleur quand il se concentre (sans surprise) sur les échanges entre le Joker et Batman où les connexions liées à ce duo imprévu : Barbara/Batgirl qui en veut à Batman alors que son père est porté disparu.

Quelques personnages secondaires familiers apparaissent dans l’aventure : Barbara/Batgirl donc, mais aussi Dick/Nightwing et Selina/Catwoman (en plus de ce bon Alfred, évidemment). S’il est agréable de les voir croquer par Silvestri, on peut déplorer leur passage furtif durant les sept épisodes qui composent Deadly Duo. Un chapitrage soigné au demeurant, divisé systématiquement en deux parties avec un intertitre, agrémentant une dimension assez cinématographique et contribuant à l’efficacité rythmique déjà abordée plus haut.

Comme évoqué au début de la critique, c’est donc davantage la patte graphique qui séduit dans Deadly Duo que l’entièreté de son scénario, qui comporte malgré tout de très beaux moments, des séquences originales et des échanges ciselés. Marc Silvestri, soixante cinq ans en 2023 a tenu à dessiner entièrement cette histoire qui lui tenait à cœur. L’artiste a davantage travaillé chez Marvel (X-Men, Wolverine…) mais est surtout connu pour avoir créé (et dessiné au début) la série Cyberforce (scénarisée par son frère Eric), quand il a fondé Image Comics en 1992 avec d’autres collègues dont Jim Lee et Todd McFarlane (cf. le bloc de contextualisation de cet éditeur dans la critique Batman / Spawn (1994)).

Silvestri est au sommet de son art sur Deadly Duo, lui-même arborant une nouvelle manière de travailler, « se nourrissant de la plume de Franklin Booth et Bernie Wrighston (notamment dans sa période Frankenstein) ». Les traits sont fins, détaillés, très vifs et aérés, les corps sculptés et les costumes magnifiés. L’encrage minimaliste contribue à ce style singulier et élégant. Beaucoup de scènes d’action sont épiques et Silvestri icônise au maximum ses héros et anti-héros. Gotham City, la Batcave, le repaire de l’ennemi… toute la géographie, urbaine ou naturelle, ajoute une immersion bienvenue en complément des passages sanglants et d’épouvante, dans lesquels excelle l’artiste. Rien que pour cette plongée graphique ultra séduisante, il est dommage de passer à côté du titre !

La colorisation est assurée par Arif Prianto qui entremêle (sur conseil de Silvestri) autant de teintes chaudes que froides mais sans jamais dénaturer l’ambiance globale et le ton morbide propre à l’aventure. Comprendre que s’il y a bien des gammes chromatiques « excentriques » (le rouge du costume d’Harley Quinn, le violet de celui du Joker, etc.), cela ne verse dans un registre plus « pop et flashy », tranchant avec un côté plus mainstream des productions du genre. De quoi rappeler que Deadly Duo est réservé à « un public averti » (ce qui se comprend amplement quand on voit des décapitations, meurtres ultra violents, têtes coupées, yeux crevés, etc.).

Une sacrée épopée graphique horrifique ! C’est ce qui ouvrait cet article et le ferme car c’est ce qui caractérise donc le mieux ce Batman & Joker – Deadly Duo qu’on a tendance à conseiller, principalement pour cette plongée sanglante visuellement irréprochable. Si on ferme les yeux sur les défauts d’écriture et la création un peu « forcée » d’un ennemi pas forcément convaincant (dans l’immédiat), aucun doute que le lecteur passera un bon moment en découvrant une alliance improbable entre le justicier et son pire ennemi. Alliance un peu rapide et expéditive certes, mais qui offre de belles séquences d’anthologie et iconiques.

On le soulignait en avant-propos, Deadly Duo bénéficie de deux autres tirages limités. Un entièrement en noir et blanc à 1.500 exemplaires dont l’intégralité de la couverture (incluant le verso) avait été dévoilée début juin 2023 dans la dixième newsletter de François Hercouët (consacrée aux travaux de recherche sur les choix de couverture justement). Cette version coûte 29 € et se trouve aisément dans les librairies spécialisées et sur amazon.fr au début de sa mise en vente (attention au stock) – même s’il y a des liens amazon sur ce site (le seul moyen de tirer un micro revenu variant de dix à trente euros par mois pour tout le travail effectué), on conseillera toujours de privilégier les petites enseignes et librairies indépendantes si vous le pouvez.

Le second tirage limité arbore une couverture différente, un pack de sept lithographies exclusives et est réservé à l’enseigne parisienne Pulp’s Comics qui le vend à 25 € (disponible dans leur magasin ou par commande en ligne sur leur site). Cliquez sur les images ci-dessus pour agrandir.

L’ouvrage se terminer d’abord par une postface de quatre pages de Silvestri revenant sur la genèse du projet et son travail dessus ainsi que les personnes qui l’ont accompagnées pour mener à bien son « buddy comic horrifique ». Ensuite, vingt couvertures alternatives concluent ces bonus (il en existe près du double en VO !). Sélection ci-après de quelques-unes marquantes : Jason Shawn Alexander pour les deux premières (#3) puis Gary Frank & Brad Anderson (#5) et enfin John McRea & Mike Spicer (#6).

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 novembre 2023.
Contient : Batman & Joker Deadly Duo #1-7
Nombre de pages : 208

Scénario & Dessin : Marc Silvestri
Couleur : Arif Prianto

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Scribgit

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