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Joker – L’Homme qui cessa de rire

On avait quitté le Joker il y a pile deux ans, à la fin du troisième et dernier tome de Joker Infinite (réédité pour l’occasion en une seule intégrale le 19 août 2024). Il est de retour dans L’homme qui cessa de rire, en vente depuis le 30 août 2024, suite qui peut se lire comme un récit complet. Long, inégal, parfois surprenant et appréciable, parfois décevant et pénible, découverte et critique d’un titre à la couverture séduisante (mais éloignée du contenu graphique et scénaristique).

[Résumé de l’éditeur]
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent… L’absence du Joker à Gotham a laissé le terrain libre à ses plus fidèles rivaux, qui n’ont pas tardé à se partager le pouvoir sur les bas-fonds de la ville. Double-face, le Pingouin, le Sphinx ou encore Black Mask, aucun n’était préparé au retour du Prince Clown du Crime, et encore moins à sa vendetta. S’il ne peut pas reprendre Gotham, il prendra le contrôle des États-Unis !

[Contextualisation et introduction par Jérôme Wicky (traducteur habituel chez Urban mais qui n’a pas travaillé sur ce titre)]
Attention aux révélations des différents titres de l’ère Infinite ! Néanmoins ce texte revient très justement sur ce qu’il faut se remémorer.

Joker : l’éternel retour
Cet album nous présente le retour du Joker à Gotham, son territoire de prédilection. Mais où était-il passé depuis quelque temps ? Voici quelques clés pour s’y retrouver.

Commençons par BATMAN – JOKER WAR (collection DC Rebirth), série de trois albums [1] relatant le dernier grand coup du Clown Prince du Crime. Longtemps, le Joker a connu l’identité secrète de Batman, mais il préférait feindre l’ignorance pour obéir à sa propre fantaisie. Lorsque l’identité de Superman est révélée publiquement, le tueur livide change de paradigme et met à exécution un plan machiavélique pour s’emparer de la fortune de Bruce Wayne, alter ego de son meilleur ennemi. Le Joker peut ainsi armer et financer ses fans, de plus en plus nombreux. Ils se surnomment « les Clowns » et plongent Gotham dans une guerre civile. La saga s’achève par une confrontation entre le Joker et son ancienne amante et alliée, Harley Quinn, passée depuis du côté des anges. Harley lui tire une balle dans l’œil, mais le Joker survit et parvient à s’échapper.

[1] Voir les critiques sur ce site. L’on apprécie les deux premiers opus (tome 1 et tome 2 donc – ils n’ont pas de titres précis) et nettement moins le dernier (tome 3).

L’ombre du Joker plane sur BATMAN INFINITE (4 tomes, collection DC Infinite) [2], mais il n’y apparaît pas vraiment. On lui fait porter le chapeau d’un nouveau crime abominable, surnommé le « Jour An » par la presse: 500 pensionnaires de l’Institut Arkham pour malades mentaux (que le Joker a longtemps fréquenté) sont gazés par la fameuse toxine du Joker. Parmi les victimes figurent le célèbre colosse de Santa Prisca, Bane et Bily Sampson, membre d’une famille de richissimes cannibales texans, rejeton impie de Dallas et de Massacre à la Tronçonneuse.

[2] Là aussi, voir les critiques sur le site de cette série inégale. Les trois premiers volets se suivent (Lâches par essence, État de terreur (1ère partie), État de terreur (2ème partie), le quatrième est presque complètement indépendant (Abyss).

Le « Jour A» est la goutte d’eau qui incite l’opinion publique et les autorités, déjà éprouvées par la « guerre du Joker », à opter pour une politique sécuritaire s’opposant aux super-héros. Cette politique sera mise en œuvre par l’industriel Simon Saint, avec l’assentiment du maire Nakano, via son projet « Magistrat », et la création de cyborgs Peacekeepers voués à remplacer et à traquer la Bat-famille. Il sera plus tard révélé que Saint était associé à l’Épouvantail, ennemi de Batman passionné par l’étude de la peur. Le Chevalier Noir et ses amis triompheront de ces embûches et la situation reviendra à la normale. Pour autant, le Joker continue de manquer à l’appel.

On découvrira le fin mot de l’histoire dans JOKER INFINITE  (3 tomes, collection DC Infinite) [3]. Le Joker, qui porte désormais un œil de verre rouge suite à la blessure par arme à feu infligée par Harley, se cache au Bélize, dans une maison luxueuse fournie par « Le Réseau », société secrète offrant de tels services aux grands criminels. En guise de représailles au « Jour A », qu’il est censé avoir initié, sa planque est prise d’assaut par plusieurs ennemis : la famille Sampson, dont le patriarche veut le dévorer ; Vengeance, un clone féminin de Bane créé par le Réseau à la demande du gouvernement de Santa Prisca ; et enfin l’ex-commissaire Gordon, commandité par Cressida, fille d’un ancien membre de la Cour des Hiboux tombé en disgrâce. Ainsi débute une traque qui mènera Gordon aux trousses du Joker, de Majorque au Texas, en passant par Paris.

[3] Une fois de plus, les critiques sont disponibles pour les trois opus : La chasse au clown, Le faiseur de monstres et Du clown au menu. Comme dit en haut de cette page et curieusement omis dans ce texte de la part de l’éditeur, ces trois volumes ont été réédités en une seule intégrale (couverture à gauche – disponible pour 40 €) sortie une semaine avant Joker – L’homme qui cessa de rire. De quoi être ambigu sur le sujet et écouler les derniers stocks des tomes simples ? Bizarre… Quoiqu’il en soit, cette traque du Joker est globalement conseillée, surtout ses débuts et certains points de sa dernière ligne droite et malgré un ensemble qualitatif et graphique parfois hétérogène.

On découvre alors que Bane a feint sa propre mort et que, dans l’ombre, il a tiré les ficelles afin de provoquer le « Jour A » et faire accuser le Joker. Cressida, dont il a fait son bras droit, souhaitait également exposer au grand jour les exactions de la Cour des Hiboux et du Réseau pour venger son père et les mettre hors d’état de nuire. Elle sera finalement exécutée par le Joker, mais Gordon jurera de poursuivre son œuvre avec l’aide de son vieil ami, Harvey Bullock.

Depuis, on a revu le Joker dans l’actuelle série Batman écrite par Chip ZDARSKY, BATMAN DARK CITY. Les événements du présent album se déroulent parallèlement au tome 3 de cette série [4], dans lequel Batman se retourne contre sa Bat-famille, infligeant notamment à Jason Todd un traitement débilitant en le soumettant à une peur intense à chaque pic d’adrénaline.

L’un des thèmes récurrents de BATMAN DARK CITY est le dédoublement de Batman… et celui du Joker, qui y apparaît sous diverses formes, multipliant les personnalités. JOKER – L’HOMME QUI A CESSÉ DE RIRE s’inscrit dans la même thématique, comme vous le constaterez dès la fin du premier chapitre. Deux Jokers pour le prix d’un ? Attention, il y a de quoi s’y perdre !

[4] Pas besoin de renvoyer vers toutes les critiques de Dark City et cette mention au troisième tome ne sert qu’à justifier une seule planche en fin d’ouvrage de L’homme qui a cessé de rire (à propos de Red Hood) et, éventuellement et indirectement pourquoi Batman est peu présent.

[Début de l’histoire]
Le Joker
est de retour à Gotham, face aux bandes de Double-Face, du Sphinx et de Black Mask. Il préfère ne pas les affronter mais tue quelques prisonniers dont un homme sous une cagoule.

Cet homme survit pourtant et s’avère être le parfait sosie du Joker ! À moins qu’il s’agisse de l’originel ? Qui est ce double ?

L’autre Clown Prince du Crime décide de s’attaquer à… Lost Angeles. Tandis que le « second » Joker tâche de redevenir le pire criminel dans Gotham.

Pour Red Hood, l’occasion est trop belle pour enfin se venger de son ennemi juré !

[Critique]
Que c’est long ! Douze interminables chapitres (et leurs back-ups), sans compter les deux épisodes de Knight Terrors à la fin du livre de presque 500 pages ! Est-ce que The Man Who Stopped Laughing (son titre VO) méritait autant de pages ? Certainement pas. Le récit écrit par Matthew Rosenberg (qui a signé quelques parties de Batman Detective Infinite et Joker Infinite, justement) se perd souvent dans des morceaux narratifs guère passionnants et parfois confus (on s’y perd – volontairement a priori – entre les deux Joker, pas forcément déplaisant mais un peu pénible sur la longueur) et est trop bavard, verbeux. Il accole (surtout dans sa première moitié) des bulles de pensées narratives en complément de séquences où l’on lit des dialogues. On se surprend à feuilleter les pages et lire d’abord l’un des textes puis le suivant, preuve qu’il y a un manque de fluidité et d’intelligibilité dans ce procédé faussement complexe et, in fine, un peu inutile…

Néanmoins, il y a de bonnes choses dans ce Joker – L’homme qui cessa de rire. Tout d’abord on retrouve le célèbre némesis de Batman complètement imprévisible et violent ! Car si le Joker est un « méchant » d’anthologie, ce qui le démarque dans bien des cas et sa cruauté et son côté inattendu. Il veut tuer un homme de main sur un coup de tête ? Un civil ? Un simple passant ? Un journaliste ? Allez c’est parti ! C’est fortement appréciable de revoir cette figure du Mal renouer avec cette véritable folie. Et, comme dit plus haut, vu qu’il y a deux Jokers on en a carrément deux fois plus ainsi !

En outre, le parcours croisé des deux Jokers (jusqu’à leur confrontation et l’explication finale) est plutôt haletant même s’il aurait pu être raccourci. L’un virevolte avec des personnages de seconde zone, l’autre s’allie avec Solomon Grundy et se tape avec Killer Croc. N’en dévoilons pas trop mais partez du principe que les figures emblématiques habituelles de la mythologie du Chevalier Noir, fièrement mises en avant dans le résumé de quatrième de couverture, n’apparaissent pas (à l’exception des trois nommés dans le début de l’histoire et de façon très éphémère). Il en est de même pour Batman, totalement absent de l’aventure. Seul Red Hood occupe une place de choix et, à ce sujet, ses fans devraient y trouver leur compte, tant la quête de vengeance de Jason Todd se poursuit encore de façon plus intense ici.

Malgré tout, Joker – L’homme qui cessa de rire déçoit dans sa conclusion sur « l’identité » du second Joker : une énième idée bordélique et improbable qui aura – peut-être – des répercussions dans la sacro-sainte continuité. Au moins il y a une explication, on craignait qu’il n’y ait rien du tout après tout ce temps passé à lire les déboires respectifs des Jokers et après un contenu fortement inégal. La faute aussi à un rythme de lecture complètement cassé par des back-ups inutiles. Chacun d’entre eux se déroule après un épisode et propose une petite histoire sur le Joker avec deux de ses hommes de main – qui meurent presque systématiquement. L’on y suit un Joker amoureux (de différentes femmes héroïnes !) ou partiellement démuni. C’est amusant au début, une fois, deux fois… avant d’être lassant et gâchant complètement l’harmonie scénaristique. Pire : l’on pouvait croire y déceler des explications sur le fameux double du Joker à plusieurs reprises (multivers ? clone ? sosie ?) mais il n’en est rien.

Un conseil donc : pourquoi pas lire tous ces back-ups avant ou après l’histoire principale ? Notons que le dernier est directement incrusté dans un chapitre, faisant office d’une bande dessinée lue par un enfant puis par le Joker (mais, encore une fois, ça n’a aucun impact sur l’œuvre globale). En lisant « à la suite » les simples douze épisodes de L’homme qui cessa de rire, on devrait les apprécier davantage. Mais est-ce que cela vaut 40 € ? Honnêtement non… Débat toujours délicat (et subjectif) que celui du rapport à l’argent par rapport à la qualité d’un livre (et son nombre de pages parfois).

Heureusement, les dessins de Carmine Di Giandomenico (vu et apprécié dans Batman – The Knight), mis en couleur par Arif Prianto, offrent une solide proposition graphique (et complètement homogène tout au long de la fiction – un sacré point fort !) qui épouse plutôt bien le récit quand celui-ci est dans ses meilleurs segments. Il y a de l’action, du mystère, de l’humour (noir), des choses relativement singulières (le Joker à Los Angeles !), des personnages secondaires plutôt inhabituels (Kate Spencer/Manhunter…) – cf. dernière image de cette critique, qui en dévoile un petit peu, attention donc si vous descendez pour les voir, un texte averti avant – et quelques autres bons éléments.

Malheureusement ils sont mal dosés, mal équilibrés et racontent, in fine, quelque chose de bordélique (à l’image du Joker), partiellement pertinent. Les back-ups sont majoritairement de Francesco Francavilla (Sombre Reflet, Joker Infinite…) aux dessins et à la colorisation (remplacé deux fois par Will Robson / Hi-Fi avec Ryan Cady à la co-écriture toujours avec Rosenberg) et offrent aussi de jolies séquences visuelles très psychédéliques mais, comme dit juste avant, sans grand intérêt en marge de l’arc principal.

En somme, si on avait juste eu les épisodes principaux sans rien d’autres pour 25 € environ (peut-être un peu plus ou un peu moins), on aurait conseillé Joker – L’homme qui cessa de rire. Pour 40 €, on a plutôt tendance à conseiller un emprunt en médiathèque, d’autant que si le titre « révolutionne » (toutes proportions gardées) le Joker, dans l’immédiat cela semble moins marquant (et prenant) que d’autres avant lui (incluant les plus clivants comme Trois Jokers – qui explorait aussi cette idée de plusieurs Jokers mais d’une façon totalement différente et pas forcément « bonne » pour autant). Ajoutons la très chouette galerie habituelle des couvertures alternatives en clôture du volume qui vaut aussi le coup.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 30 août 2024.
Contient : Joker The Man Who Stopped Laughing #1-12 + Knight Terrors : Joker #1-2
Nombre de pages : 488

Scénario : Matthew Rosenberg, Ryan Cady
Dessin & encrage : Carmine Di Giandomenico, Francesco Francavilla, Will Robson, Stefano Raffaele (Knight Terrors)
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Nick Filardi, Hi-Fi

Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Tess Brunet et Roy Lorine)

Acheter sur amazon.fr : Joker – L’homme qui cessa de rire (40 €)





Attention, l’image ci-dessous révèle certaines choses de la fin de l’histoire.

Batman & Joker – Deadly Duo

C’est LA grosse sortie de fin d’année 2023 chez Urban Comics : Batman & Joker – Deadly Duo, entièrement écrit et dessiné par Marc Silvestri. Un récit issu du Black Label, permettant d’être accessible et indépendant, sans s’encombrer de la continuité habituelle liée au Chevalier Noir. Pour l’occasion, le titre sort dans trois versions : une normale (21 €), une en noir et blanc limitée à 1.500 exemplaires (29 €) et une spéciale pour l’enseigne Pulp’s Comics avec une variante en couverture et sept lithographiques exclusives (25 €), éditée à 800 exemplaires. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
De mystérieuses goules à l’apparence du Joker sillonnent les rues de Gotham, semant têtes coupées et cadavres sur leur passage. Dans ce chaos funeste, Harley Quinn et le Commissaire Gordon manquent à l’appel. Le Chevalier Noir se met aussitôt à leur recherche, et ne tarde pas à comprendre que quelqu’un d’autre suit leur piste : le Prince Clown du Crime. Les ennemis jurés vont devoir se résoudre à l’impensable pour arriver à leurs fins : enterrer la hache de guerre.

[Début de l’histoire]
Harley Quinn semble prisonnière d’un puits ancien. Son mystérieux geôlier a un œil rouge…

Harvey Bullock et Batman enquêtent sur une scène de crime sordide qui paraît signée le Joker.

Gordon a disparu et, dans Gotham, le Chevalier Noir affronte des goules ressemblant, à nouveau, au Joker.

Quand Batman retrouve enfin ce dernier, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux ennemis jurés ont pourtant un but commun : retrouver leur allié respectif (Gordon et Quinn). Une alliance se créée…

[Critique]
Une sacrée épopée graphique horrifique ! Voilà ce qui attend le lecteur de Batman & Joker – Deadly Duo. Ce qui frappe d’entrée de jeu est la virtuosité des dessins de Marc Silvestri. Un style nerveux et dynamique, à peine encré et sublimement mis en couleur par Arif Prianto – on y reviendra – qui sert une histoire plus ou moins inédite. Le scénario (également signé Silvestri) est assez inégal et c’est principalement à cause de cela que le titre pêche par moment (et qu’on lui préfère donc sa beauté visuelle en premier lieu).

Dans Deadly Duo, on est directement plongé dans un registre d’horreur et de fantastique, il ne faut donc pas s’attendre (contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture) à un « Thriller / Action » mais plutôt à de l’action sanglante incluant créatures (les fameuses goules) et même des sortes de zombies (on en parle plus loin). De quoi déstabiliser (ou décontenancer, ou séduire) le lectorat davantage fan du côté urbain et policier, plus « terre-à-terre » en somme, des aventures du Chevalier Noir.

Le récit est palpitant, extrêmement bien rythmé malgré des textes (ou une traduction ?) manquant d’une certaine « fluidité », c’est un aparté très subjectif mais certaines bulles sonnent bizarrement, par exemple quand le Joker rabâche qu’il a bu trop de thé glacé (!?) sans que cela débouche sur un élément narratif corrélé. Il y a d’autres petits « tics » de langage comme cela qui parsèment la fiction de façon un peu abrupt. De même, on est parfois perdu par rapport aux nouveaux personnages (pourtant peu nombreux, on songe à Donald Simms en priorité) pour comprendre leur lien exact avec Bruce Wayne, Batman, Gotham City, Gordon… Rien de bien méchant au demeurant mais on se surprend à relire quelques cases de temps à autre pour bien assimiler les informations (cela ne veut pas dire que c’est compliqué, ce sont juste les propos qui sont moins intelligibles, donc faute d’écriture de temps en temps (ou de traduction ?)).

Passé ces micro reproches, que nous offre Deadly Duo ? Une course épique et effrénée où Batman doit collaborer avec le Joker. Ce concept improbable et rarement exploité (récemment, on pense juste à Last Knight on Earth qui s’en rapproche, et encore) est habilement mis en scène dans le début du titre. Le Joker est solidement attaché et retenu prisonnier dans la Batcave, une cagoule sur le visage (qui s’ouvre au niveau des yeux et de la bouche- et un casque de musique sur les oreilles). Deux protagonistes contraints et forcés de s’entraider ensuite (le Joker reste menotté pour que Batman puisse le surveiller). Leur binôme obligatoire résulte d’un objectif commun : retrouver et sauver Gordon pour Batman, Harley Quinn pour le Joker.

Attention, il ne faut pas s’attendre non plus à de longues péripéties pour les deux, leur association arrive presque au milieu du livre avant d’être interrompue par plusieurs flash-backs (très pertinents). Cette alliance inattendue se résume, in fine, à uniquement se rendre dans un endroit où était convié initialement le Prince Clown du Crime pour résoudre des énigmes et… sauver des gens (!). Autant dire que le Joker s’en moque. Arrive alors, littéralement, une descente (aux enfers) dans les limbes de Gotham City, la partie souterraine devient le terrain de jeu du nouvel ennemi créé pour l’occasion où se retrouvent Batman et le Joker pour (déjà) la suite et fin de leur coalition. Attention aux révélations dans le paragraphe suivant si vous ne voulez pas trop en savoir, passez à celui d’après (idem, ne descendez pas tout en bas voir la dernière illustration – celle sous les squelettes en costumes – même si en soi elle ne dévoile rien mais au cas où…).

C’est tout le propos de Deadly Duo (et sa maladresse). Silvestri le reconnaît bien volontiers dans sa postface, sa fiction est avant tout la création d’un antagoniste qui devrait « revenir » ensuite (pas forcément dans une suite directe mais plutôt intégrer simplement la galerie de vilains dans la mythologie de Batman). On parle bien sûr d’Amanda Simms (fille de Donald), alias « Gothrillon » ou « La Comtesse de la Crypte » comme la surnomme le Joker. Une femme tuée par le Joker le jour de son mariage (en tout cas, en apparence), qui arrive à convoquer des morts-vivants dans sa croisade : briser Bruce Wayne, dont elle connaît l’identité, qu’elle juge responsable indirectement de nombreux morts à Gotham.

Certes, ce nouvel ennemi a des intentions « qui se comprennent » et replongent Batman dans une énième réflexion sur sa part de responsabilité (et culpabilité) quant au sort funeste des victimes collatérales (des attentats qu’il n’arrive pas à déjouer ou simplement car il laisse en vie les criminels). Un aspect déjà vu et abordé maintes fois mais qui reste cohérent et plutôt bien écrit dans Deadly Duo. Ce qui fonctionne moins en revanche est toute la couche textuelle verbeuse sur des explications alambiquées autour de « cellules souches, nerfs, chair, os, racines, nutriments, décompositions, renaissance, etc. ». Le titre est bavard et se perd en complications inutiles sur cet aspect.

En synthèse, l’approche « zombie/créature » est bizarrement pensée et gérée, le mystérieux ennemi est charismatique mais peine un peu à convaincre a posteriori dans sa grande organisation d’épreuves (rappelant un peu la saga Saw), son armée « d’enfants » et d’un macGuffin avec le Joker un peu surprenant. Le titre est à son meilleur quand il se concentre (sans surprise) sur les échanges entre le Joker et Batman où les connexions liées à ce duo imprévu : Barbara/Batgirl qui en veut à Batman alors que son père est porté disparu.

Quelques personnages secondaires familiers apparaissent dans l’aventure : Barbara/Batgirl donc, mais aussi Dick/Nightwing et Selina/Catwoman (en plus de ce bon Alfred, évidemment). S’il est agréable de les voir croquer par Silvestri, on peut déplorer leur passage furtif durant les sept épisodes qui composent Deadly Duo. Un chapitrage soigné au demeurant, divisé systématiquement en deux parties avec un intertitre, agrémentant une dimension assez cinématographique et contribuant à l’efficacité rythmique déjà abordée plus haut.

Comme évoqué au début de la critique, c’est donc davantage la patte graphique qui séduit dans Deadly Duo que l’entièreté de son scénario, qui comporte malgré tout de très beaux moments, des séquences originales et des échanges ciselés. Marc Silvestri, soixante cinq ans en 2023 a tenu à dessiner entièrement cette histoire qui lui tenait à cœur. L’artiste a davantage travaillé chez Marvel (X-Men, Wolverine…) mais est surtout connu pour avoir créé (et dessiné au début) la série Cyberforce (scénarisée par son frère Eric), quand il a fondé Image Comics en 1992 avec d’autres collègues dont Jim Lee et Todd McFarlane (cf. le bloc de contextualisation de cet éditeur dans la critique Batman / Spawn (1994)).

Silvestri est au sommet de son art sur Deadly Duo, lui-même arborant une nouvelle manière de travailler, « se nourrissant de la plume de Franklin Booth et Bernie Wrighston (notamment dans sa période Frankenstein) ». Les traits sont fins, détaillés, très vifs et aérés, les corps sculptés et les costumes magnifiés. L’encrage minimaliste contribue à ce style singulier et élégant. Beaucoup de scènes d’action sont épiques et Silvestri icônise au maximum ses héros et anti-héros. Gotham City, la Batcave, le repaire de l’ennemi… toute la géographie, urbaine ou naturelle, ajoute une immersion bienvenue en complément des passages sanglants et d’épouvante, dans lesquels excelle l’artiste. Rien que pour cette plongée graphique ultra séduisante, il est dommage de passer à côté du titre !

La colorisation est assurée par Arif Prianto qui entremêle (sur conseil de Silvestri) autant de teintes chaudes que froides mais sans jamais dénaturer l’ambiance globale et le ton morbide propre à l’aventure. Comprendre que s’il y a bien des gammes chromatiques « excentriques » (le rouge du costume d’Harley Quinn, le violet de celui du Joker, etc.), cela ne verse dans un registre plus « pop et flashy », tranchant avec un côté plus mainstream des productions du genre. De quoi rappeler que Deadly Duo est réservé à « un public averti » (ce qui se comprend amplement quand on voit des décapitations, meurtres ultra violents, têtes coupées, yeux crevés, etc.).

Une sacrée épopée graphique horrifique ! C’est ce qui ouvrait cet article et le ferme car c’est ce qui caractérise donc le mieux ce Batman & Joker – Deadly Duo qu’on a tendance à conseiller, principalement pour cette plongée sanglante visuellement irréprochable. Si on ferme les yeux sur les défauts d’écriture et la création un peu « forcée » d’un ennemi pas forcément convaincant (dans l’immédiat), aucun doute que le lecteur passera un bon moment en découvrant une alliance improbable entre le justicier et son pire ennemi. Alliance un peu rapide et expéditive certes, mais qui offre de belles séquences d’anthologie et iconiques.

On le soulignait en avant-propos, Deadly Duo bénéficie de deux autres tirages limités. Un entièrement en noir et blanc à 1.500 exemplaires dont l’intégralité de la couverture (incluant le verso) avait été dévoilée début juin 2023 dans la dixième newsletter de François Hercouët (consacrée aux travaux de recherche sur les choix de couverture justement). Cette version coûte 29 € et se trouve aisément dans les librairies spécialisées et sur amazon.fr au début de sa mise en vente (attention au stock) – même s’il y a des liens amazon sur ce site (le seul moyen de tirer un micro revenu variant de dix à trente euros par mois pour tout le travail effectué), on conseillera toujours de privilégier les petites enseignes et librairies indépendantes si vous le pouvez.

Le second tirage limité arbore une couverture différente, un pack de sept lithographies exclusives et est réservé à l’enseigne parisienne Pulp’s Comics qui le vend à 25 € (disponible dans leur magasin ou par commande en ligne sur leur site). Cliquez sur les images ci-dessus pour agrandir.

L’ouvrage se terminer d’abord par une postface de quatre pages de Silvestri revenant sur la genèse du projet et son travail dessus ainsi que les personnes qui l’ont accompagnées pour mener à bien son « buddy comic horrifique ». Ensuite, vingt couvertures alternatives concluent ces bonus (il en existe près du double en VO !). Sélection ci-après de quelques-unes marquantes : Jason Shawn Alexander pour les deux premières (#3) puis Gary Frank & Brad Anderson (#5) et enfin John McRea & Mike Spicer (#6).

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 novembre 2023.
Contient : Batman & Joker Deadly Duo #1-7
Nombre de pages : 208

Scénario & Dessin : Marc Silvestri
Couleur : Arif Prianto

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : Scribgit

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Batman & Joker : Deadly Duo (21 €)
Batman & Joker : Deadly Duo [édition limitée | version noir & blanc] (29 €)
Batman & Joker : Deadly Duo [édition limitée | variante Pulp’s Comics] (25 €)





Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres

Après un excellent premier tome, Jim Gordon Infinite, ou plutôt Joker Infinite, continue son chemin narratif palpitant et original.

[Résumé de l’éditeur]
Lors du jour de l’attaque sur l’asile d’Arkham, Billy Sampson a perdu la vie. Et sa famille est bien décidée à se venger de celui qu’ils suspectent d’avoir initié le massacre : le Joker. Jim Gordon est également à ses trousses et le suivra jusqu’à Paris, malgré les embûches semées sur son chemin et la désapprobation de sa propre fille. Mais si le Clown Prince du Crime était cette fois innocent du crime qu’on lui impute… Gordon pourrait-il risquer sa vie pour lui ?

[Début de l’histoire]
En se faisant arrêté par Interpol, Jim Gordon découvre l’existence du « Réseau », un organisme qui permet aux vilains de se reposer dans de endroits paradisiaque mais aussi, et surtout, de concevoir des tissus humains dupliqués afin de simuler des morts ou de créer des clones.

De leur côté, Barbara, Cassandra et Stephanie affrontent un ergot de la Cour des Hiboux tout en essayant d’aider Julia Pennyworth, la fille d’Alfred, qui s’est rendu à Santa Prisca, lieu de pèlerinage des aficionados de l’assassin de son père (cf. Batman Rebirth – Tome 12).

Quant à Vengeance, la femme arborant le masque de Bane, elle propose à Gordon de tuer le Joker, introuvable pour l’instant…

[Critique]
Attention, tome relativement court puisqu’il n’est composé que de l’épisode Annual #1 de la série The Joker (son titre en VO) et trois de ses chapitres : les #7 à #9, le #10 n’est pas inclut contrairement à ce qui est annoncé sur le site de l’éditeur – il sera dans le troisième et dernier tome. Sur ce sujet, bien qu’il soit indiqué en quatrième de couverture que la série Joker Infinite est « en cours » (et non « terminée ») avec un troisième tome à paraître (le 2 septembre prochain), celui-ci sera bien le dernier comme l’avait stipulé Urban Comics dans une publication sur Facebook annonçant l’ouvrage (puis confirmé une seconde fois en réponse à mon interrogation). La série The Joker compte pour l’instant (juin 2022) quinze chapitres et un annual, tous écrits par James Tynion IV, qui quitte la série après ce quinzième épisode justement. On ignore si un autre auteur reprendra la suite à partir de l’épisode #16. Bref, on comptabilise donc une grosse centaine de pages pour l’intégralité de ce second volet. Que vaut-il ?

On retrouve les bons ingrédients du précédent mais aussi une certaine « déception », par sa durée très courte notamment, impossible de ne pas être frustré tant on veut lire la suite et qu’on a l’impression de n’avoir ici qu’un échantillon de l’ensemble. Il faut dire qu’on apprend beaucoup d’éléments en peu de temps. Tout d’abord, la fameuse existence du « Réseau », qui vient expliciter pas mal de choses (la possibilité d’offrir à des antagonistes des « aires de repos paradisiaques » (!) par exemple), ensuite le parcours « croisé » de Jim et de Vengeance puis, enfin, une nouvelle interaction avec le célèbre Clown. Tout cela en trois épisodes, avec la parenthèse Gothamienne féminine (un peu sous-exploitée jusqu’à présent, en espérant que ça s’améliore ensuite et que Julia soit davantage mise en avant aussi) ainsi qu’un ultime chapitre sous forme de flash-back (l’annual) qui montre Gordon faire le ménage chez les ripoux du GCPD tout en laissant sa fille jouer à Batgirl (puisqu’il le sait depuis longtemps) et encaissant les remarques de ses collègues à propos du sex-appeal de Barbara (!).

Ce qui marque dans Le faiseur des monstres est bien sûr l’évolution de Gordon, toujours aussi tiraillé par sa morale mais obstiné par sa traque. Le passage sur ses blessures passées à cause du Joker est un excellent rappel pour comprendre la douleur de l’homme. On y revoit son humiliation dans Killing Joke bien sûr mais aussi la mort de sa compagne Sarah Essen (No Man’s Land – Tome 6) – qu’on avait un peu oublié… – et celle de son fils (James Jr.) dans une case où on le voit se suicider en sautant d’un phare, sous les yeux de Batgirl [étonnamment le comic book ne précise pas d’où provient ce passage, ni la version d’Urban ni la VO – alors qu’ils citent bien les autres œuvres, un comble ! – cet évènement était pourtant relaté dans Batman Bimestriel #13 (novembre 2021), dans Batgirl #49 très précisément, merci à l’internaute Bc pour la précision en commentaire]. Joker Infinite arrive même à créer une connexion plus ou moins improbable avec Le Deuil de la Famille (non pas pour la mort de Todd, qui reste une « évidence » mais… pour la vente de missiles pour terroristes décrites à l’époque dans la fiction !).

Le titre de ce deuxième tome est assez révélateur puisqu’on découvre une véritable « fabrique de monstres », conçue par un scientifique (« le faiseur » donc) à base de… clonage. C’est ainsi qu’est née Vengeance. Et que d’autres projets ont vu le jour. C’est à la fois un peu faiblard comme scénario – toujours assuré par James Tynion IV – et paradoxalement un peu audacieux (les limites sont infinies, imaginonsdes clones du Joker !). Une solution de facilité qui, pour l’instant, a juste créé un « Bane féminin »… On aurait aimé une nouvelle antagoniste propre à elle plutôt qu’un calque d’une figure emblématique connue (quoique… quand on voit la non originalité de Punchline… – toujours absente du récit, les back-ups qui lui sont consacrées ne sont pas incluent dans l’édition française). Rappelons aussi qu’on ne sait pas vraiment si Bane est mort, ça semble beaucoup trop gros pour être vrai (son « cadavre » avait juste été aperçu au détour d’une case sans réelle explication). La famille texane cannibale ne figure pas non plus dans ce volume qui condense donc pas mal d’éléments et avance plus ou moins correctement malgré son faible contenu.

Heureusement, l’ouvrage peut compter sur les brillants dessins de Guillem March (pour les deux premiers chapitres) puis ceux de Stefano Raffaele (le troisième), tous deux au style homogène, précis, dynamique et bénéficiant d’une chouette colorisation effectuant un joli travail des lumières (à nouveau par Arif Prianto puis Romula Fajardo Jr.). On retient quelques séquences fulgurantes, parfois chargées en hémoglobine ! Francesco Francavilla revient pour les dessins et la couleur de l’épisode annual qui se déroule dans le passé. S’il réussit aisément Gordon et les agents du GCPD, il se loupe sur les figures d’ennemis, à commencer par le Joker (assez peu présent dans ce tome d’ailleurs). Néanmoins, cela reste l’occasion de réitérer la formule gagnante du précédent volet avec le style davantage pulp et nappé d’orange pour le passé (Francavilla) et une approche plus « réaliste » et classique pour le présent (March – dont on conseille les deux premiers tomes de Catwoman, récemment chroniqués).

En synthèse, Joker Infinite – Tome 2 poursuit l’originalité entamée dans le volume précédent mais avec une certaine amertume : le récit est trop court et un de ses éléments narratifs assez décevant. Gageons que le troisième et dernier tome parvienne à conclure habilement tout cela !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 1er juillet 2022.
Contient : The Joker #7-9 + The Joker Annual #1

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin & encrage : Guillem March, Stefano Raffaele, Francesco Francavilla
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Coralline Charrier, Lorine Roy et Gaël Legeard)

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