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Injustice – Intégrale : Année un

Retour sur la grande saga Injustice (cf. index), complément du célèbre jeu vidéo éponyme. Que vaut ce premier tome (de la première série, Injustice – Les dieux sont parmi nous) ? Faut-il connaître le jeu pour le lire et l’apprécier ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Manipulé par le Joker, Superman tue la mère de son enfant à naître : Lois Lane. Fou de rage, l’Homme d’Acier s’en prend directement au Clown Prince du Crime et l’arrache des mains de Batman pour lui ôter la vie. Cet assassinat de sang-froid marque le début d’une ère sombre pour les héros de la Ligue de Justice. Une ère où chacun devra choisir soigneusement son camp : rejoindre la croisade aveugle de Superman contre le crime ou entrer en rébellion aux côtés de Batman.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Injustice
ne vole pas sa réputation élogieuse (sur le jeu vidéo et la série de comics). Beaucoup de protagonistes gravitent dans ce volume qui couvre donc « la première année » du point de bascule de Superman vers un état totalitaire (soit cinq ans avant le début du jeu). L’auteur Tom Taylor (DCEASED, Suicide Squad Renégat, Batman – La Dernière Sentinelle…) réussi un coup de maître : être à la fois original, passionnant et très « juste » dans sa gestion de l’émotion et de caractérisation des justiciers et leurs ennemis. On explique.

Au départ, il y a le Joker, lassé de perdre contre Batman, qui se tourne contre Superman. Par une habile machination il fait d’une pierre trois coups : il manipule Superman qui tue Lois Lane (!), celle-ci étant enceinte, leur enfant « succombe » aussi et… Métropolis explose, causant la mort de onze millions de personnes. Même le plus bon, le plus généreux et le plus boy scout des justiciers ne peut rester insensible face à cette tragédie. Comme évoqué plus haut, le kryptonien assassine donc le Joker.

C’est le premier domino qui va entraîner la chute d’autres personnages (alliés ou vilains) et de statu quo divers. Si ce premier meurtre est excusable selon certains vu le contexte, ce sont les actions de Clark qui vont suivre qui vont créer un véritable schisme au sein de la vaste galerie de protagonistes DC. Qui ne s’est jamais demandé pourquoi les super-héros n’intervenaient pas dans les conflits géopolitiques existants ? Taylor propose non pas d’y répondre mais carrément de les solutionner par la force de Superman.

L’homme d’acier veut en effet instaurer une ère de paix dans le monde entier grâce à sa puissance (et celle de son entourage). Pourquoi pas… Seul Batman et une poignée de héros semblent réticents ou dans l’observation. Terminé, par exemple, le conflit israélo-palestinien et de nombreux autres qui perduraient. Superman se réserve le droit d’intervenir si quelqu’un ne respecte par ses règles (somme toute basiques : pas de violence et la paix sera préservée).

Mais, on le sait, dans ce genre de situation, rien ne fonctionne comme prévu. Un petit peu comme dans Breaking Bad ou des fictions du même style. C’est un état totalitaire qui régit, lentement mais sûrement. On ferme les yeux sur une ou deux choses (une victime handicapée à vie, un nouveau meurtre…), jugées « pas graves » ou « obligatoires » pour le fameux « bien commun ». Quel prix pour maintenir la paix ? Seul Batman est clairvoyant et, même s’il accorde quelques chances à Superman, par respect pour leur amitié et leur parcour commun, le Chevalier Noir anticipe déjà le changement planétaire qui se profile.

Tom Taylor produit un travail d’écriture magistral aussi bien sur l’état des lieux changeant se profilant (par petites touches ici et là) que par des dialogues ultra efficaces. Les échanges sont percutants, que ce soit pour évoquer la tournure politique ou bien les simples états d’âme des protagonistes (mentions spéciales à Harley Quinn, Green Arrow et la Trinité). Car au-delà de la dimension terrienne et cosmique, politique et sérieuse, c’est aussi l’émotion et les décisions de chaque héros (ou ennemis) qui prédominent.

Ainsi, la perte du Joker affectera évidemment Harley avec la simple pointe d’empathie nécessaire pour rendre la complice criminelle touchante. D’autres morts surviendront ensuite (on ne les dévoilera pas ici), ajoutant également la tristesse et la « justesse » des réactions autour d’eux. Les doutes et questionnements sans fin (dans chacun des camps) sont brillamment mis en texte. Mention spéciale pour Flash qui ne cesse de remettre en cause cette façon de régner de Superman, tout en reconnaissant l’efficacité à peu près global de ce qui se trame. Sans oublier la dose parfaite d’humour de temps en temps pour apporter un brin de légèreté à un récit assez anxiogène.

D’autres personnages, habituellement plus secondaires, sont de la partie. Difficile de tous les lister pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture mais, à ce stade, très peu sont oubliés ou apparaissent à minima le temps de quelques cases. Aucun doute que certains viendront par la suite. Si l’on ne connaît pas le jeu vidéo, on ne sera absolument pas perdu. Mieux : on ignorera ce qu’il arrivera par la suite (à voir si cela sera abordé en comics).

Cela permet aussi d’être circonspect quant à l’évolution finale d’Injustice ? Comment Batman va pouvoir rétablir quoique ce soit ? Son équipe est composée majoritairement d’humains, la Bat-Famille et les Birds of Prey inclus (Catwoman, Huntress, Nightwing, Batwoman, Green Arrow, Alfred…) avec une poignée d’êtres aux pouvoirs (Black Canary, Captain Atom, Black Lightning…). Côté Superman, l’alien a embarqué Wonder Woman, Green Lantern, Cyborg, Shazam, Flash, Hawkgirl, Raven et quelques autres.

Certains changent aussi de camp en fonction de l’évolution de la situation. Damian Wayne par exemple est plus enclin à rejoindre l’homme d’acier qu’à rester avec son père. A moins que des traîtres infiltrent les camps respectifs ? Les humains ne sont pas en reste (les parents de Clark, le président des États-Unis…) et d’autres figures familières sont de la partie, même si certains demeurent à l’écart de la guerre imminent. Aquaman par exemple semble rester en retrait sous la mer dans un premier temps (mais il n’est pas oublié de la fiction, il a bien droit à un chapitre). Quelques marginaux pointent leur tête (à découvrir dans les dernières images en bas de cette critique après l’explosion de Metropolis, à regarder en toute connaissance de cause donc).

Le chapitrage peut d’ailleurs décontenancer, chacun regroupant parfois deux ou trois épisodes distincts, avec une cassure nette graphique (on y reviendra) et narrative. Comprendre que l’on passe soudainement à un autre personnage sans transition ou encore qu’on a un récapitulatif de ce qu’on vient juste de lire. Pourquoi ? Parce qu’Injustice fut d’abord publié sous forme numérique en demi-planche (c’est aussi pour cela qu’il y a peu de pleine planche et qu’on ressent une coupure parfaitement identique à chaque moitié de page régulièrement), facilitant une lecture sur tablette ou smartphone à l’époque.

De janvier 2013 à septembre 2016, le titre a donc montré les années précédant le jeu (puis un peu ce dernier apparemment) avant de revenir à l’année zéro, se déroulant évidemment juste avant la tragédie de Superman. En outre (et avant Injustice 2), un complément dédié à Harley Quinn a vu le jour (Ground Zero) pour relater son point de vue. Pour répondre à la question de l’avant-propos : il ne faut donc pas connaître le jeu vidéo pour savourer les comics (ces derniers se déroulant bien avant et ne nécessitent aucune connaissance particulière au préalable).

Entre la multiplication des pensées de chacun, le grand nombre d’évènements, le bestiaire DC Comics, on pouvait craindre un labyrinthe complexe ou inégal, il n’en est rien. Tout est traité avec grande justesse et appréciabilité. La lecture est extrêmement limpide, on est même dans un page turner version BD (initialement un roman dont on tourne les pages sans cesse pour absolument connaître la suite). La réflexion (au sens noble du mot) est de mise (responsabilité et justice, morale et loi, etc. – de quoi amener à de nombreuses analyses passionnantes !), de même que l’émotion, c’est tellement rare dans les comics. Tom Taylor signe sincèrement une œuvre captivante et généreuse ! Le scénariste met en scène un dilemme classique (de prime abord), souvent abordé mais pas foncièrement travaillé : Batman est-il responsable des victimes de ses nombreux ennemis qu’il préfère laisser en vie ? Superman a-t-il la légitimité pour imposer la paix ?

Seul point noir : une armée de dessinateurs se succèdent à tour de rôle. En vrac : Jheremy Raapack, Mike S. Miller, Bruno Redondo, Axel Gimenez, David Yardin, Tom Derenick, Diana Egea, Kevin Maguire, Neil Googe et Alejandro Gonzales, soit dix différents (et presque autant de coloristes). Certes, tous les protagonistes sont reconnaissables, bien aidé par leurs costumes emblématiques (idem pour les lieux : la Batcave, la Tour de Garde…), mais ça ne suffit pas à avoir une unité graphique. Les visages sont parfois hideux, parfois majestueux. Harley Quinn et Black Canary sont parfois hyper sexy, parfois plus « convenues ». Heureusement, la plupart des scènes d’action conservent leur dynamisme et lisibilité visuelle. Au même titre que le jeu vidéo, l’action est omniprésente, présentant de multiples combats (parfois inimaginables entre certains !) à bout de champ. Parfois cheap, parfois gore, souvent viscéral, c’est un vrai régal pour les amateurs !

On pourrait déplorer la mutation de Wonder Woman en cohésion avec Superman mais sans nuance, la transformant en guerrière au sens propre du terme. Ce n’est pas très grave mais cela peut dérouter les habitués. Attention également à la chronologie : dans les faits il ne s’écoule pas réellement une année mais surtout un bon mois ; là aussi rien d’inquiétant mais ne pas s’attendre à un arc mois par mois par épisode par exemple.

Il n’y a pas grand chose d’autres à reprocher à Injustice, c’est bien sûr un coup de cœur pour ce site, un ouvrage conseillé pour ceux aimant les elseworlds, les amoureux des grands titres DC Comics (proches des fameuses crises et même meilleurs que certaines d’entre elles) et, évidemment, un complément indispensables pour les férus du jeu vidéo éponyme !

À noter que cette première intégrale regroupe donc les tomes simples 1 et 2 de la précédente édition (quelques couvertures alternatives ne sont pas reprises dans l’intégrale). Le premier volet avait aussi bénéficié d’une publication avec le jeu vidéo inclus sur Windows. Retrouvez l’index de toute la saga Injustice sur cette page.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 novembre 2020.
Contient : Injustice: Gods Among Us Vol. 1 (#1-12 + Annual #1)
Nombre de pages : 432

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Christophe Semal & Laurence Hingray (Studio Myrtille)

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Intégrale Tome 1/5 (35 €)
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Intégrale Tome 4/5 (30 €)
Intégrale Tome 5/5 (35 €)




Justice League – Faute d’un clou…

Justice League – Faute d’un clou… rassemble deux récits d’Alan Davis (qu’il a écrit et dessiné intégralement) : Un clou puis Un autre clou. Le premier a été publié fin 1998 et le second en 2004. En France, les deux titres avaient été proposés séparément chez Panini Comics en 2006 (voir couvertures en bas de la critique). Découverte de cet elseworld paradoxalement original mais pas assez.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a de longues années, dans le Kansas : Martha et Jonathan Kent, qui ont projeté de faire quelques courses dans la bourgade de Smallville, découvrent qu’un pneu de leur voiture est crevé. Ils choisissent de reporter leur balade à plus tard et restent chez eux, sans se rendre compte que le ciel est traversé par une météorite étrange. Celle-ci abrite un enfant extraterrestre envoyé sur Terre depuis une lointaine planète. L’engin s’écrase un peu plus loin, et les Kent ne seront jamais là pour adopter l’enfant tombé des étoiles. Au fil des ans, les premiers super-héros apparaissent, mais dans ce monde légèrement différent du nôtre, jamais Superman ne se fera connaître, et l’histoire en sera à jamais bouleversée.

[Critique]
Une proposition intéressante mais probablement mal développée. C’est le sentiment qui ressort à la double lecture d’Un Clou puis d’Un autre clou. Le premier est sans aucun doute le récit le plus passionnant de cette compilation (un peu plus de 300 pages au total). L’idée est séduisante : les Kent ne recueillent pas Clark/Superman à cause d’un clou qui a crevé le pneu de leur voiture. Qu’en résulte-t-il ? Et bien un monde pas si éloigné de l’habituel de DC Comics. Une ligue de Justice existe bien, comprenant les membres habituels (Batman, Wonder Woman, Aquaman, Flash, Green Lantern) et d’autres parfois dans l’équipe (Le Limier Martien, Atom, Hawkgirl).

Sans Superman, les super-héros travaillent à peu près de la même manière si ce n’est que Lex Luthor est maire et a pu déployer une milice robotique à Metropolis. Il faut dire qu’avec l’absence du célèbre protecteur de la Terre, la population a peu confiance envers les justiciers, manquant d’une porte-parole qui inspirerait la bonté. De quoi profiter pour manipuler les foules… ?

Ce qui passionne dans le titre n’est pas spécialement l’absence de l’homme d’acier (bien sûr qu’il apparaîtra un moment) mais plutôt l’orchestration maléfique qui fait rage : quelqu’un arrive à retourner l’opinion publique en faisant passer les justiciers pour des êtres « mauvais ». C’est donc une enquête générale que l’on suit à travers de multiples personnages de l’univers DC (on y croise la Doom Patrol, les Metal Men…). Si cette investigation et sa résolution tiennent la route, Un clou déçoit plus ou moins par deux aspects (qui vont être révélés dans le prochain paragraphe, passez au suivant si jamais).

En effet, les trois épisodes d’Un clou font intervenir bien trop tardivement Superman (banalement élevé par… une communauté Amish). Ainsi, tout au long de la fiction, on « attend » impatiemment l’arrivée du kryptonien mais cela ne se produit pas vraiment. Ce n’est pas forcément un mauvais choix (après tout, l’idée est de montrer un monde sans Superman) mais une fois qu’il débarque, l’histoire se termine dans la foulée. Il faut attendre le second récit pour le voir davantage mais ce ne sera pas très réussi (on y vient ensuite). L’autre aspect dommage est que la narration n’use pas assez de son concept inédit. Le monde que l’on suit est beaucoup trop commun à celui dont est familier le lecteur… Une fois encore, c’est peut-être volontaire (sans Superman, les autres super-héros existent bien et ne s’en sortent pas trop mal) mais ça loupe une certaine originalité possible.

Dans Un autre clou, l’histoire s’éparpille en menaces multiples cosmiques (Darkseid, Green Lanterne Corps…) et univers alternatifs, on ressent des emprunts à Crisis on Infinite Earths par exemple. L’ensemble est assez confus, un peu indigeste malgré de belles expositions visuelles (on y reviendra) mais échoue (à nouveau) à montrer la « nouvelle figure » de Superman. Si le surhomme est un peu présent au début, il est vite éclipsé par les (trop nombreux) personnages secondaires et différentes intrigues plus ou moins palpitantes. D’ailleurs, il n’y a pas « d’autre clou » qui justifierait un autre point de départ de ce monde alternatif.

L’auteur Alan Davis signe également les dessins, l’un des points forts du livre, garni de pleine planches (une ou deux pages), richement colorées et montrant souvent les super-héros en posture de combat, de détresse ou de bravoure ; en somme des moments iconiques et épiques (cf. les illustrations sous la critique notamment) ! Saluons le travail de l’encreur Mark Farmer et la coloriste Patricia Mulvihill. S’il n’y a pas spécialement « d’identité graphique » propre à Alan Davis, le résultat visuel est à la hauteur et propose un joli voyage chromatique. L’artiste (prolifique chez Marvel) est d’ailleurs probablement plus à l’aise dans sa maîtrise de l’action et son envie de croquer tous les protagonistes DC existants que dans sa narration, parfois chaotique, un peu lourde et guère stimulante.

Et Batman dans tout ça ? Son traitement est plutôt intéressant : il affronte à nouveau le Joker qui sera responsable de pertes tragiques pour l’homme chauve-souris. Difficile d’en dire davantage sans trop dévoiler des éléments majeurs mais notons que le Chevalier Noir fait équipe avec Catwoman et a droit à plusieurs scènes soignées (encore une fois : principalement dans le premier titre). L’équilibre entre les différentes membres de la ligue est par ailleurs plutôt bien respectée, avec Wonder Woman et Batman un brin plus en avant que les autres mais tout se tient au global.

On retient donc le premier récit, Un clou, proposition singulière semi-réussite (ou semi-échouée, c’est selon) et moins le second. Il est étonnant qu’Urban Comics « vende » Faute d’un clou… comme un point d’entrée (en quatrième de couverture) tant la fiction fait appel à une multitude de personnages et pour un titre plus ou moins auto-contenu. Comme dit, une fois le premier terminé, on a envie d’une suite mais celle-ci n’est pas terrible… Davis a toujours regretté de ne pas avoir ajouté une troisième et dernière pierre à sa création – il en parle dans ses longs textes intermédiaires qui parsèment l’ouvrage – il peut peut-être encore le faire (au moins l’écrire) car il n’a « que » 67 ans en 2023.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 9 juin 2023.
Contient : JLA : The Nail #1-3, JLA : Another Nail #1-3

Scénario & dessin : Alan Davis
Encrage : Mark Farmer
Couleur : Patricia Mulvihill, Heroic Age, John Kalisz

Traduction : Jérémy Manesse
Lettrage : Gaël Legeard, Maurine Denoual et Stephan Boschat (Studio Makma)

Acheter sur amazon.fr : Justice League – Faute d’un clou… (30 €)

Ci-dessous les deux couvertures de la précédente édition française chez Panini Comics (2006).
À noter qu’Urban Comics a conservé la traduction de Jérémy Manesse de l’époque.
L’équipe de super-héros était Justice League of America et Un autre clou avait été renommé Le Clou 2.
(Les illustrations de cette critique proviennent de ces éditions.)





       
  

Jurassic League

Et si la Justice League avait vécu au temps de la préhistoire ? Et si les super-héros étaient des… dinosaures ? C’est le concept original et amusant du récit complet Jurassice League ! Malgré cette idée singulière, on reste un peu sur notre faim… Explications et critique.

[Résumé de l’éditeur]
L’histoire est connue : un nourrisson échappe à la destruction de sa planète natale et atterri sur Terre pour être élevé par des parents humains. Une déesse d’une cité perdue défend la vérité. Un théropode revêt un costume de chauve-souris pour semer la terreur dans le cœur des méchants. Cette trinité héroïque, ainsi qu’une Ligue d’autres dinosaures surpuissants, unissent leurs forces pour sauver une Terre préhistorique des sinistres machinations de Darkyloseid… Attends… quoi ? Ok, peut-être que vous ne connaissez pas l’histoire. Alors soyez témoin d’une toute nouvelle aventure plus ancienne que le temps, et découvrez la Ligue de Justice comme vous ne l’avez jamais vue auparavant !

[Début de l’histoire]
À Grognetham City, Batsaure poursuit un redoutable prédateur, Jokerzard. Ailleurs, Aquanyx affronte Blackmantasaurus.

À Metrrrrrrrahpolis, Supersaure aide les humains dont ses parent adoptifs. Dans l’ombre, Giganta et Brontozarro s’apprête à déchainer leur rage pour servir leur mystérieux maître…

Sur l’île de Trimyscira, Wonderdon s’apprête à rejoindre ces atypiques acolytes…

[Critique]
Le ton est donné avec le titre, la couverture, le résumé : Jurassic League est un bon gros délire qui imagine une Justice League composée de… dinosaures ! Si l’idée est séduisante, le développement laisse un peu à désirer. En effet, les deux auteurs Juan Gedeon (également aux dessins – on y reviendra) et Daniel Warren Johnson ne se foulent pas et reprennent une structure très convenue en interchangeant banalement l’époque et les protagonistes. On a du mal à croire que l’écriture résulte de deux personnes tant une seule suffisait pour pondre quelque chose d’aussi « simpliste » mais pourquoi pas…

Ainsi, l’on assiste prosaïquement à la rencontre entre les membres de l’équipe (Batsaure/Batman, Supersaure/Superman, etc.) et quelques ennemis (le bestiaire iconique de différents antagonistes est bien là) puis une confrontation contre un célèbre vilain de DC Comics (à découvrir tout en bas de cette critique pour ceux qui souhaitent savoir). Un parcours sommaire qui va droit au but et qu’on aurait aimé plus détaillé ou subtil mais ça passe quand même.

En six épisodes, Gedeon et Warren Johnson ne s’encombrent donc guère d’une complexité d’écriture ou d’un traitement très fouillé sur leurs créatures, ce qui est fort dommage mais peut-être volontaire pour tenter de drainer un nouveau lectorat curieux de la chose. S’il y a d’autres opus dans cet univers, on sera moins indulgent sur ce point, accordons une sorte de bénéfice du doute pour ce premier jet. Il y a heureusement quelques moments drôles, on songe par exemple au Batsaure affublé d’un jeune humain qu’il ne comprend pas et lui hurle – littérallement – dessus, à plusieurs reprises ! Mais le côté bourrin sans réflexion a du mal à fonctionner sur toute la durée (120 pages environ).

Dans l’ensemble, il faut donc s’attendre à des dialogues plutôt communs et de nombreux combats plus ou moins épiques, c’est là aussi une semi-déception. Les décors sont assez pauvres, les dinosaures parfois peu détaillés mais (encore une fois), ça reste une Jurassic League, il y a un côté cool dans tous les cas ! Flashraptor et Green Torch sont aussi de la partie mais nettement plus en retrait (et parlent entre eux comme des « bro », aussi bien VO qu’en VF – la traduction est d’ailleurs assurée par l’ami Cédric Calas, alias el famoso Commis des Comics – si vous avez vécu dans une grotte et ne le connaissez pas, on vous conseille évidemment de le suivre !), tout comme Aquanyx. La narration se concentre essentiellement sur Supersaure puis Batsaure, l’esprit d’équipe est vaguement présent mais met du temps à se mettre en place.

Juan Gedeon illustre cinq chapitres sur six. Cet artiste argentin est passé par les deux célèbres écuries US des comics ; en vrac Venom, Spider-Man, Miss Marvel côté Marvel, Teen Titans, Doom Patrol et quelques segments de la saga Batman Metal (sur le Multivers Noir notamment) côté DC. Ses traits sont efficaces et aérés, permettant une bonne fluidité dans les séquences d’action qu’il parvient à rendre assez dynamiques (malgré les fonds de case parfois un peu vides comme évoqué plus haut).

Hélas, son remplaçant Rafa Garrés sur un épisode livre un rendu nettement différent, ultra saturé de traits gras et épais, au style « arty » décousu, presque indépendant – et parfois franchement très « laid » (malgré toute la subjectivité que cela implique), cf. image ci-dessous. Un manque d’homogénéité graphique flagrant qui gâche un peu l’ensemble de l’ouvrage mais, heureusement, ça ne dure que le temps de quelques planches. Cette cassure radicale est clairement moins lisible et appréciable que le reste du livre.

On aurait aimé que Daniel Warren Johnson passe lui aussi aux pinceaux mais il se contente de co-écrire l’histoire avec Juan Gedeon. Warren Johnson avait dessiné de remarquables titres comme Wonder Woman – Dead Earth, Beta Ray Bill (tous deux écrit par lui) ou The Ghost Fleet (avec Donny Cates).  Sa dernière création, Do a powerbomb, sera disponible le 23 juin chez nous. À noter que c’est son collaborateur de longue date Mike Spicer qui affaire à la colorisation, richement variée et plaisante pour une aventure de ce genre, collant aussi bien aux stéréotypes des justiciers habituels sans trop dénaturer la condition préhistorique de l’ensemble.

En synthèse, Jurassic League est sympathique sans être transcendant. Une lecture « divertissante » sans prise de tête. Vu le concept, il y a/avait probablement mieux à produire (tant dans l’écriture que les dessins), espérons un autre volume plus abouti sur ces points après ce départ mi-figue mi-raison mais qui reste un fantasme WTF amusant sur le moment. Pour 10 € on aurait fermé les yeux et foncé, pour 17 € c’est plus délicat… À feuilleter impérativement avant l’achat en toute connaissance de cause : ce n’est pas l’écriture qui prime ici mais plutôt le concept général et son interprétation visuel (et, évidemment, faut aimer les dinos) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 5 mai 2023.
Contient : Jurassic League #1-6

Scénario : Juan Gedeon et Daniel Warren Johnson
Dessin : Juan Gedeon, Rafa Garrés et Jon Mikel
Couleur : Mike Spicer

Traduction : Cédric Calas
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Coralline Charrier et Sephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Jurassic League (17 €)