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Batman Dark City – Tome 1 : Failsafe

Après le run de James Tynion IV en six volumes (Joker War puis Batman Infinite – et les chapitres de transition de Joshua Williamson dans Abyss), place à une nouvelle ère chapeautée par Chip Zdarsky ! Pour ce premier tome, le scénariste propose Batman face à lui-même (!) façon Terminator (!!) dans une course effrénée et complètement improbable, délicieusement mise en image par un Jorge Jiménez en grande forme ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Il est rassurant de penser que le protecteur de Gotham est un maître tacticien inébranlable ayant toujours dix coups d’avance sur ses ennemis. Mais, si c’était le cas, le crime à Gotham aurait été éradiqué il y a déjà bien longtemps. L’homme derrière le masque fascine car il n’est finalement qu’un simple mortel, et le propre de l’homme est d’être faillible. Tandis que les milliardaires les plus influents de Gotham se font assassiner les uns après les autres, Bruce Wayne broie du noir. Arrivera-t-il à s’extirper à temps de ses tourments personnels pour affronter une vieille connaissance et venir en aide à ceux qu’il s’est promis de protéger ?

[Début de l’histoire]
En remontant la piste de deux cadavres trouvés à Gotham, Batman et Robin (Tim Drake) se retrouvent dans un gala de charité où le Pingouin est également de la partie.

Sérieusement blessé, Robin est emmené par Batman/Bruce aux urgences puis va voir le Pingouin, lui aussi entre la vie et la mort dans un lit d’hôpital. Lorsque ce dernier se suicide, le Chevalier Noir est considéré comme le coupable idéal !

Peu après, un mystérieux robot, Failsafe, s’active dans la Batcave. Créée par le justicier lui-même, cet androïde n’a qu’un seul but : tuer Batman !

[Critique]
Ce premier tome de Dark City bénéficie d’un rythme haletant porté sur l’action ! Si c’est ce que le lecteur vient chercher, aucune doute qu’il sera ravi (d’autant plus que c’est visuellement somptueux – on en reparlera), s’il s’attendait à un récit plus mesuré, psychologique ou original, il sera probablement déçu. Reprenons. Failsafe contient les chapitres #125 à #130 de la série Batman (relancée et numérotée à #001 depuis l’ère Rebirth en 2016). C’est donc toujours « la suite » de Batman Rebirth mais surtout de Joker War puis Batman Infinite. Pas de panique : aucun besoin d’avoir lu tous ces volumes (quasiment vingt !) pour comprendre Dark City.

La fiction s’insère bien « chronologiquement » après les deux dernières séries citées et cela est contextualisé dans un avant-propos (et un peu dans la BD). Bruce Wayne est ruiné, sa croisade habituelle bénéficie donc de moins de moyens technologiques et financiers (même si cela ne s’est jamais fait sentir) et son Robin actuel est redevenu Tim Drake (Damian Wayne étant occupé à d’autres affaires, notamment depuis Robin Infinite et Shadow War). On apprécie grandement le retour de Drake, bien plus intéressant ici et dont la relation avec son mentor/père est bien construite. Pas grand chose d’autre à préciser, le reste est l’habituel et éternel statu quo de Batman quand il est en pleine relance… C’est donc accessible mais un peu « référencé » comme on le verra plus loin.

Dans ce premier opus de Dark City, le Chevalier Noir est accusé de la mort du Pingouin et Tim Drake est sévèrement blessé lors d’une sortie nocturne. Passé ce point de départ, c’est le fameux Failsafe qui s’illustre. Qui ça ? Failsafe, un robot surpuissant créé par… Batman. Dans quel but ? Arrêter… Batman. Le justicier a conçu un programme pour le stopper en cas de dérive, exactement de la même manière qu’il avait efficacement mis en place plusieurs plans pour arrêter les membres de la Justice League des années plus tôt (cf. La tour de Babel, citée dans l’ouvrage). La caractérisation du Batman paranoïaque est, quant à elle, dans la droite lignée de Crise d’identité puis Infinite Crisis (cf. index des Crises DC Comics).

S’ensuit une course contre la montre où Failsafe poursuit Batman jusqu’à pouvoir l’atteindre, le blesser, l’achever. Une bonne partie des alliés de l’homme chauve-souris tente de s’interposer et de l’aider (aussi bien la Bat-Famille que d’autres justiciers comme Green Arrow, le Limier Martien, Superman…). Rien à faire, Bruce Wayne, l’un des hommes les plus intelligents de la Terre, est beaucoup trop malin pour avoir bâti un être artificiel « facilement arrêtable ». Le Chevalier Noir fait donc appel au Batman de Zur-En-Arrh !

Entre science-fiction assumée et aventure musclée, Failsafe ajoute une dimension d’action un peu inédite : la personnalité du Batman de Zur-En-Arrh est « banalement » une sorte de personnalité agressive et invincible de Bruce Wayne. Il faut remonter à 1958 pour sa première apparition (Batman #113) où ce Batman au costume coloré provient d’un autre univers. Toutefois, la fin de l’histoire reste ambigüe quant à la nature de cet autre Chevalier Noir, possiblement issu d’un rêve de Bruce. Grant Morrison l’exhume et l’utilise ensuite dans son célèbre run (Batman #673, 2008) et… c’est à peu près tout. Comme pour le titre de Zdarsky, le Zur-En-Arrh fait partie de la psyché de Bruce et se déclenche quand ce dernier est à bout de force et doit passer « en mode survie » (en gros). Une solution de facilité scénaristique un peu étrange mais efficace sur le papier.

Malgré toutes ces descriptions, il y a beaucoup de choses à découvrir et lire dans le volume (en vrac, attention aux révélations (mineures), passez au paragraphe suivant sinon : Batman dans l’océan, Batman dans l’espace (!) et ainsi de suite…). De « l’improbabilité » à tous les niveaux donc… Deux séries back-ups se déroulent en parallèle : la première suit Catwoman à la recherche des enfants (!) du Pingouin (dont les traits dans l’histoire principale sont calqués sur ceux du film de Tim Burton) – une investigation passionnante et inattendue, complémentant habilement la fiction mère – la seconde nous en montrent davantage sur le Batman de Zur-En-Arrh, face au Joker notamment. Toutes deux sont dessinées par deux autres artistes, Belén Ortega et Leonardo Romero, et auraient méritées d’être en fin du livre pour ne pas gâcher l’immersion et le rythme haletant des chapitres principaux mais ce n’est pas très grave.

Batman – Dark City : Failsafe rappelle immédiatement la saga Terminator avec cet androïde « immortel » qui poursuit sans relâche sa cible (en vérité, la source matricielle est plutôt à trouver dans le film Mondwest, désormais mieux connu grâce à son adaptation moderne en série, Westworld). L »écriture des premières pages est réjouissante (la « mort » du Pingouin, la blessure « mortelle » de Robin…) avant de revenir à des choses plus convenues et habituelles. Une sorte de zone de confort à peine émancipée pour y revenir.

Chip Zdarsky était plus inspiré sur Batman – The Knight (sorti le même jour). On doit à cet auteur d’autres livres chez Urban (et donc DC, chez qui il est fraîchement arrivé) : le fameux The Knight donc, mais aussi Red Hood – Souriez ! et des titres indépendants (Newburn, Public Domain – qu’il dessine également…). Zdarsky vient surtout de Marvel, où s’est surtout fait connaître sur son très long et très bon run de Daredevil ainsi que quelques travaux sur Spider-Man, Devil’s Reign… Sur Failsafe, Zdarsky poste des bases intéressantes mais il devra se montrer à la hauteur par la suite (et plus original) car le récit n’est pas spécialement auto-contenu (il appelle à une autres histoire – à date constituée de deux épisodes nettement moins bons) ; il faut donc apprécier davantage la forme que le fond pour se satisfaire du comic.

Ça tombe bien, Jorge Jiménez est en très grande forme, il dessine merveilleusement bien cette épopée explosive qui se déroule dans une foule de lieux différents. Les traits sont précis, l’action lisible et « vivante », les scènes sont dynamiques (on apprécie un hommage à Matrix Reloaded également), fluides… c’est clairement un sans faute ! L’illustrateur est aidé de Tomeu Morey à la colorisation (déjà à l’œuvre sur Batman Infinite et Joker War – où officiait également Jiménez – et sur divers titres comme Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…) pour un résultat épatant, alternant habilement toutes les séquences diurnes ou nocturnes, urbaines, aquatiques ou même spatiales. Rien que pour l’aventure visuelle et chromatique, cette première pierre de la série vaut le coup !

Comme brièvement évoqué, Failsafe appelle à une suite (un tome deux donc) mais, comme souvent, si celle-ci n’est pas aussi bonne et idéalement meilleure, ce premier volet ne restera pas dans les annales… D’autant plus que la partie graphique n’est plus assurée par Jimenez dans l’immédiat, il va donc être difficile de faire mieux. À suivre probablement fin 2023 en France… MàJ octobre 2023 : L’homme chauve-souris de Gotham est disponible !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023
Contient : Batman #125-130 + back-ups

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Jorge Jiménez, Belén Ortega, Leonardo Romero
Couleur : Tomeu Morey, Luis Guerrero, Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.frBatman Dark City – Tome 1 : Failsafe (21€)


Catwoman – Lonely City

Récit complet centré sur Catwoman (mais pas que !) dans une Gotham City différente, dix ans après la mort de Batman et le Joker, Lonely City réussit là où Batman/Catwoman échouait parfois et propose une histoire passionnante.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a dix ans, le massacre connu sous le nom de Nuit du Fou coûta la vie à Batman, à Nightwing, au commissaire Gordon ainsi qu’au Joker… et a envoyé Catwoman derrière les barreaux. Une décennie plus tard, Gotham a changé et remisé l’héroïsme et autres phénomènes de foire au rayon des souvenirs encombrants. La nouvelle Gotham est plus propre, plus sûre… et désormais placée sous l’œil vigilant du maire Harvey Dent et de ses Batcops. C’est dans cette nouvelle ville que Selina Kyle revient, marquée, avec en tête un dernier gros coup : les secrets enfouis de la Batcave et une ultime promesse faite à Bruce Wayne !


[Critique]

L’artiste Cliff Chiang (dessinateur connu entre autres pour Human Target, Paper Girls – écrit par Brian K. Vaughan –, Wonder Woman – période Renaissance, avec Brian Azzarello) a tout géré sur cette œuvre : scénario, illustrations, colorisation, lettrage ! En quatre chapitres et près de deux cent pages, Chiang propose une version assez touchante de Selina Kyle mais aussi d’une grande foule de protagonistes. Hasard du calendrier, lire ce titre après le plutôt bon mais inégal Batman/Catwoman permet de « gommer » (involontairement) les deux défauts majeurs de cette autre déclinaison un brin futuriste de Catwoman.

On reprochait à Tom King d’avoir rendu Kyle parfois antipathique mais aussi ridicule en costume du fait de son âge avancé. Ici, dans Lonely City, c’est tout l’inverse. La femme féline émeut à plusieurs reprises, tiraillée entre son passé de criminelle, son deuil perpétuel et sa volonté de décrypter les derniers mots de Batman. Quand elle apparaît costumée, elle a du mal à être aussi agile qu’autrefois. Des problèmes aux genoux et quelques années de plus au compteur, Selina est une humaine avant tout.

Reprenons. Dans cette Gotham avancée d’une dizaine d’années, il n’y a pas de sursaut technologique improbable ou une évolution trop radicale de ce qu’est déjà la ville dite « moderne ». La principale surprise réside en Harvey Dent, définitivement guéri (même si toujours difforme au visage), qui est devenu le maire d’une métropole sûre et avec peu de criminalité. Bien aidé d’une milice surarmée et effrayante (ornée de casques et masques de chauve-souris !), Dent brigue un nouveau mandat.

C’est sans compter sur le peuple qui se soulève lentement mais sûrement face au fascisme ambiant (reconnaissance faciale, flicage…) et au milieu duquel Catwoman fait figure d’emblème révolutionnaire bien malgré elle. C’est probablement l’un des points les plus étranges de la bande dessinée tant il s’insère mal dans le reste de la fiction.

Lonely City conte le parcours avant tout d’une cambrioleuse, veuve et solitaire en semi quête de rédemption. Son obsession sera de comprendre ce que lui a dit Batman en mourant et, éventuellement, d’exaucer une possible dernière volonté. En cela, le fil rouge qui se dessine peut décevoir dans sa conclusion – difficile d’en dire davantage sans dévoiler. Comme le dit l’adage, ce n’est pas la destination qui importe mais le voyage (ou la compagnie, comme l’évoquait Brad Pitt à propos de David Fincher aux Césars 2023 – aparté improbable).

Ici, le parcours croisé d’une femme ainsi que ses anciens alliés et compagnons de route face à la férocité d’un maire et d’une ville en proie au chaos accompagnent le lecteur avec une narration très efficace. Entre les dessins soignés (on y reviendra) et le rythme « parfait », la lecture est fluide et agréable. Cliff Chiang parsème son ouvrage de têtes familières (pas forcément les plus attendues) en conservant une cohérence par rapport à la mythologie habituelle du Chevalier Noir. Eddie (Nygma) s’est rangé par exemple et a une fille, Waylon (Killer Croc) ressasse le passé en buvant et ainsi de suite.

Quand il faut monter un casse atypique (aller dans… la Batcave !), c’est une équipe imparfaite mais soudée qui se lance dans l’aventure. Une dimension presque « humaine » (à nouveau) et plaisante, avec des moments tragiques et sincèrement touchants (c’est tellement rare en bandes dessinées, encore plus dans les comics !). Malgré tout, il manque cet ingrédient mystère qui aurait pu faire de Lonely City une œuvre incontournable. Un univers – ou plutôt une dystopie – peut-être plus élargi (d’autres chapitres ? d’autres volumes ? une dimension politique plus poussée ?), un lien avec Batman usité différemment (une réflexion plus développée sur la pertinence des justiciers ?), une présence accrue de la Bat-Family (seule Barbara Gordon est encore très active) ? Etc. Difficile à expliquer. Le titre mérite d’être lu, assurément, mais peine à s’inscrire au-delà de son concept.

Il vaut le détour malgré tout (on l’ajoute volontiers aux coups de cœur du site), restant plutôt original pour un récit hors-continuité ! Par ailleurs, Cliff Chiang livre de belles planches, proches d’une bande dessinée indépendante européenne. On est loin de lire un comic book mainstream ! Entre la mégalopole über réaliste et les costumes (et clins d’œil à d’autres époques) de Catwoman, c’est un régal. Tout sonne « vrai » entre les relations des personnages, indéniablement la grande force de l’œuvre, une authenticité très bien écrite. Le tout dans un étrange mélange entre nostalgie (le temps s’est écoulé, plus personne n’est aussi puissant qu’auparavant) et une étonnante vivacité contemporaine. Le bel écrin du Black Label est idéal pour les épisodes qui composent le récit (Sale vieille ville, Le club des chats de gouttière, Une épopée à l’américaine, Le monde d’en bas).

L’ouvrage comporte plusieurs bonus et est introduit par un texte de l’éditeur Chris Conroy (disponible sur le site d’Urban) livrant quelques secrets de création. Pour une fois, le mot de la fin appartient à un ami et confrère, GriZZly, issu de sa critique (très élogieuse) de Lonely City (sur le site UMAC pour lequel je collabore de temps en temps).

Pourquoi ces gus en costumes se battent-ils comme des forcenés en habits de carnaval ? Leur action est-elle utile, n’est-elle pas contreproductive ? Une politique de fermeté mettant fin aux agissement de chacun de ces personnages, de quelque camp qu’il soit, ne serait-elle pas la solution ? Au final, c’est sans doute ça qui est impressionnant : Lonely City est autant la résurrection d’une question que l’on ne se pose plus qu’une réponse à une question que l’on ne se pose pas encore.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 février 2023.
Contient : Catwoman Lonely City #1-4

Scénario & dessin (& couleur) : Cliff Chiang

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Catwoman – Lonely City (21€)

 


Flashpoint Beyond

Nouvelle pièce du puzzle narratif complexe chapeauté par Geoff Johns depuis des années, Flashpoint Beyond s’insère « délicatement » dans un ensemble de comics. Il met en avant le Batman de l’univers Flashpoint, donc Thomas Wayne, le père de Bruce (son fils unique a été tué à sa place), comme le montre la couverture choisie. Suite indirecte de Flashpoint et du Monde de Flashpoint (celui sur Batman notamment, éventuellement ceux sur Aquaman et Wonder Woman) mais aussi de Doomsday Clock (!), ce Flashpoint Beyond prolonge également et très brièvement DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, dans lequel Thomas mourrait. C’est ce qu’explique brillamment l’avant-propos de l’éditeur, à lire impérativement pour mieux contextualiser l’œuvre.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir tout sacrifié pour aider Flash à remodeler l’univers et sauver la vie de Bruce Wayne, Thomas Wayne se réveille dans un monde qu’il croyait disparu. Contraint d’enfiler à nouveau le masque de Batman, il arpente les rues de Gotham à la recherche de réponses. Une quête qui pourrait bien l’envoyer aux quatre coins du monde ; notamment en Europe.

[Début de l’histoire]
Dans l’Univers-Prime (« l’habituel »), Batman cherche la montre de Janey Slater (Watchmen) avec l’aide du Mime et Marionnette. Cela empêcherait-il Thomas Wayne de mourir dans l’univers de Flashpoint ?

Dans ce dernier justement, Thomas Wayne se réveille malgré son ancienne « mort », ne comprenant pas pourquoi il a survécu dans son monde. Il part enquêter…

De son côté, Barry Allen investigue sur les victimes de l’Horloger et rencontre Thomas Wayne, qui lui explique toute la modification temporelle que le futur Flash a causé. Allen ne s’en souvient plus…

[Critique]
Comme évoqué en introduction, Flashpoint Beyond poursuit un vaste univers mais – heureusement – il n’y a pas besoin de trop de lectures en amont pour le comprendre et le savourer. Par exemple Doomsday Clock n’est pas très pertinent (uniquement pour les rares apparitions du Mime et de Marionnette et les deux ultimes pages de Flashpoint Beyond), idem pour Le Badge, les Batman Rebirth où intervenait Thomas Wayne ou les DC Infinite Frontier, nul besoin de réellement les connaître.

Il faut surtout avoir lu Flashpoint et le récit (en trois chapitres) sur le Batman de Flashpoint (disponible à l’époque en trois numéros en kiosque puis dans Batman – Cité Brisée (et autres histoires…) et désormais dans Le Monde de Flashpoint – Tome 1 : Batman). Étonnamment, l’œuvre ne s’appelle pas Flashpoint – The Dark Knight ou quelque chose du genre alors qu’il se concentre exclusivement sur Thomas Wayne (donc Batman). Les différents Flash apparaissent à peine, le titre suit avant tout la quête de vérité du père de Bruce.

Pour cela, Beyond se décompose en sept chapitres, un premier qui contextualise (le #0) puis six autres. Le numéro d’introduction (#0) est dessiné par Eduardo Russo, qui avait signé (et donc quasiment « créé ») le fameux Batman du Flashpoint (cf. liens plus haut) – en petite forme ici (cf. les deux images ci-dessous). Cela permet de conserver une homogénéité, ou plutôt une passation graphique. En effet, c’est ensuite l’artiste Xermánico qui illustre la majorité de l’œuvre. Alejandro Germánico Benito González de son vrai nom, un espagnol au style élégant, encré suffisamment pour proposer un monde brutal et différent, avec une colorisation de Romulo Fajardo Jr. pour un résultat sublime, alternant vivacité chromatique et ténèbres mystérieuses (en témoignent les images d’illustrations de cette critique).

Ça tombe bien, la poignée de scènes se déroulant dans le monde du Batman « classique » (Univers-Prime) sont, elles, composées par Mikel Janin (qui opérait déjà sur les Batman Rebirth où intervenaient ponctuellement Thomas Wayne – tout le monde suit ?). Enfin, les deux dernières planches du livre sont de Gary Frank, connectant ainsi Flashpoint Beyond à Doomsday Clocks. Chaque dessinateur s’occupe donc d’un monde en particulier, ne dénotant pas la cohérence graphique de l’ensemble. Un très bon point en somme. Passons au reste.

Le scénario est écrit par Geoff Johns évidemment mais aussi par Jeremy Adams (auteur de quelques chapitres de Flash et de différentes productions d’animation DC plus ou moins notables) et Tim Sheridan (scénariste, entre autres, des excellents films d’animation La mort et le retour de Superman, Le règne des Supermen et Batman – Un long halloween). Trois auteurs pour une histoire pas forcément compliquée mais parfois exigeante tant elle est référencée à d’autres choses. Une fois de plus, en ayant une connaissance un peu familière de l’univers Flashpoint ça devrait aller.

On se plaît donc à suivre plusieurs axes narratifs particulièrement passionnants dont l’investigation de Thomas Wayne pour savoir « pourquoi il est vivant et dans quel but ». On apprécie aussi de naviguer dans un monde où plusieurs rôles sont inversés ou différents de qu’on a l’habitude de lire (la femme d’Harvey Dent, Gilda, est Double-Face, Martha Wayne la Joker,Aquaman et Wonder Woman sont des rivaux, Sofia Falcone est commissaire, etc.). Forcément, les amoureux de Wayne Senior et son côté radical vont aussi y trouver leur compte (il y a un petit côté Punisher qui ne fait pas dans la dentelle dans ce Batman Flashpoint !). Il y a également des choses un peu plus légères, par exemple l’étonnante prise d’affection du Pingouin envers le jeune garçon Dexter recueilli dans le Manoir Wayne (où Thomas et Oswald officient). L’enfant y voit carrément un modèle de paternité de substitution, un rôle qui semble plaire au Pingouin !

Tout cela se révèle plutôt original et palpitant. Il y a bien des passages ardus, quand on dérive sur des explications du Divin Continuum (les initiales de… DC) et les rédactions sans fin autour de l’omnivers, l’espace, l’hypertemps, le multivers, etc. (à l’avant-dernier épisode notamment) mais ils sont plutôt rares donc la lecture globale reste assez fluide et l’ensemble intelligible. Flashpoint Beyond est une réussite en tous points mais s’intercale dans un schéma tellement singulier qu’il ne s’adresse qu’au lectorat bien à jour (soit au minimum deux titres à connaître).

C’est à la fois sa force et sa faiblesse, il enrichit habilement un univers alléchant mais demeure moins abordable pour les autres. Il est à peine auto-contenu car sa conclusion ouverte laisse quelques questions en suspens (notamment avec les Maîtres du Temps et l’étrange connexion à Doomsday Clock). Enfin, en VO le sous-titre de la BD est The Clockwork Killer (L’horloger en français), laissant sous-entendre qu’il pourrait y avoir un autre Flashpoint Beyond ?

Difficile après tant d’années de savoir si l’architecte Geoff Johns a encore des choses à raconter dans sa construction atypique. On a déjà cité la plupart des comics plus ou moins rattachés à Flashpoint Beyond, ajoutons rapidement Trois Jokers qui n’est pas du tout relié mais dont un élément est important (et a fait grand bruit outre-Atlantique). En effet, lorsque la Joker du monde de Flashpoint évoque le Joker de l’Univers-Prime, elle parle d’un homme père de famille (cf. Killing Joke avec un dessin repris en noir et blanc) et donne son identité ! Jack Oswald White. Voilà. Le véritable nom du Joker est ainsi dévoilé, plus de quatre vingts ans après sa création. Au détour d’une case et d’un dialogue presque anodin. C’est très étrange… Et difficile de savoir si c’est une information officielle et canonique (elle n’a jamais été reprise ensuite).

En somme, Flahspoint Beyond est une proposition très originale, un brin « bordélique » (on insiste sur les guillemets – nous sommes loin des délires de Scott Snyder et son Multivers Noir par exemple), superbement illustrée, plaisante à suivre et inédite. Reste (à l’instar de Catwoman – Lonely City, chroniqué en même temps) qu’il manque quelque chose qui le rendrait davantage culte. La faute sans doute a son statut un peu bâtard : pas vraiment un récit sur Batman, pas du tout un titre sur Flash, pas non plus une fiction s’insérant dans la « chronologie officielle du Chevalier Noir », pas un one-shot indépendant, pas vraiment lié à une seule œuvre mais à plusieurs petits bouts ici et là… C’est une belle récompense pour les complétistes mais c’est probablement moins enthousiasmant pour les autres.

(Deux autres critiques intéressantes : celle des Toiles Héroïques et celle d’UMAC.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 mars 2023.
Contient : Flashpoint Beyond #0-6

Scénario : Geoff Johns, Jeremy Adams, Tim Sheridan
Dessin : Eduardo risso, Xermánico, Mikel Janin, Gary Frank
Couleur : Trish Mulvihill, Romulo Fajardo Jr., Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Yann Graf
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Maurine Denoual, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Flashpoint Beyond (21 €)