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Batman Dark City – Tome 5 : Sombres prisons

Les chapitres #145 -150 de la série Batman constituent ce cinquième tome de Dark City, intitulé Sombres prisons. Une aventure toujours chapeautée par Chip Zdarsky, qui prenait racine dans son ancien récit complet The Knight, connecté a posteriori à son run (depuis le quatrième opus, Bombe mentale). Très inégale (souvent moyenne voire médiocre), cet opus hausse-t-il (enfin) le niveau global ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Incarcéré dans la prison de Zur avec le Joker pour voisin de cellule, Batman doit organiser son évasion… Mais parviendra-t-il à s’échapper d’un établissement conçu par l’ultime version de lui-même ? De son côté, Zur est devenu le nouveau protecteur de Gotham et établit des règles toutes personnelles. Il détient un sombre secret, et si ce dernier venait à le révéler, une menace sans précédent s’abattrait sur le Chevalier Noir, la ville de Gotham, et l’Univers DC dans son ensemble.

Pas besoin de détailler davantage le début de l’histoire, le résumé de l’éditeur suffit amplement.

[Critique]
Aparté : ce texte a été rédigé presque deux mois après avoir lu le tome. Il est possible qu’il y ait quelques égarements ou confusions malgré ma relecture rapide et en diagonale de la BD dans le cadre de la finalisation de cet article (je n’avais franchement pas envie de reperdre une heure à le relire intégralement). Merci d’avance pour votre indulgence et n’hésitez pas à corriger en commentaire s’il y a une erreur ou autre.

Un volume aux aspects conclusifs et globalement rushé, toujours autant improbable mais étrangement touchant, tout en repartant (presque) à zéro, c’est ce qui vient immédiatement en fin de lecture de ce cinquième opus de Dark City. Il est dissocié en plusieurs segments qui se suivent plus ou moins (on y reviendra) : Sombres prisons (Batman #145-147), Les directives du docteur (back-up Batman #145-146), Leur montrer à tous (back-up Batman #147), La tempête (Batman #148), Un beau rêve (#149) et enfin – assez déconnecté du reste – Être meilleur (#150).

Sombres prisons (qui donne donc son titre à la bande dessinée) positionne Batman dans sa prison avec le Joker. Passé ce postulat vite expédié, c’est une course contre la montre agréable qui suit un Chevalier Noir évadé face à son ennemi « ultime » : Zur fusionné à Failsafe (en gros). Une épopée qui fait croiser bon nombre d’alliés (Damian au premier plan), quelques ennemis habituels de la galerie de Gotham/Arkham (dont Punchline) et des antagonistes (Amanda Waller, Vandal Savage, le fameux Captio – « mentor » du Joker et de Batman sorti de nulle part, cf. tome précédent…), le maire Nakano ainsi qu’un nouveau vilain (de prime abord) : un clone de Bruce qui grandit plus vite que la normale (impossible de ne pas penser à Damian), supervisé par Zur. Ouf ! Malgré ce trop plein de protagonistes, Chip Zdarsky s’en sort à peu près bien pour confronter tout ce beau monde et, surtout, revenir à l’éternel point de départ…

En effet (passez au paragraphe suivant pour éviter les quelques révélations), par d’habiles tour de passe-passe scénaristiques, ou plutôt des facilités d’écritures franchement honteuses, Bruce Wayne retrouve sa fortune (merci Zur/Failsafe, tellement intelligent qu’il a réinvesti en bourse de l’argent) et… sa main biologique pourtant coupée ! Cette fois, il faut remercier le clone de Bruce qui lui offre ce cadeau – sa propre main donc (!) – qui servira davantage à Batman qu’à cet énième alter ego vieillissant – bigre ! Surtout, le Chevalier Noir renoue avec une cohésion d’équipe bienvenue, entouré de ses fidèles alliés. Néanmoins, le récit se termine sur une ouverture et un « à suivre » – qui devrait en toute logique correspondre en France au sixième et dernier opus, contenant donc les chapitres #153-157 et la fin du run de Zdarsky (enfin !), cf. explications à la fin de cette critique.

Les deux histoires back-up sont tout aussi douteuses, centrées sur Captio. La première revisite l’histoire du Joker sous ce nouveau prisme découvert dans le volet précédent : quelqu’un croit VRAIMENT à cette rocambolesque continuité rétroactive qui dévoile que le célèbre Clown est presque né des directives du coach Captio et que ce dernier l’a suivi lointainement tout au long de sa « carrière » ?! – c’est largement pire que la proposition Trois Jokers (clivante, ubuesque, osée mais intéressante et stimulante)… Bref. La seconde le place avec le Sphinx cette fois, introduisant la fameuse « suite » à découvrir théoriquement dans le sixième tome (encore).

Malgré tous les défauts d’écriture, on retient pourtant et paradoxalement de la bande dessinée son avant-dernier chapitre, Un beau rêve, centré sur le clone de Bruce et sa « vie » accélérée. Des moments particulièrement touchants, humains, et croqués en parallèle de la bienveillance (et des retrouvailles) de tous les membres de la Bat-Famille, voilà de quoi redonner espoir et foi pour la suite et se satisfaire de cette semi-conclusion dans un premier temps (encore une fois : malgré toute l’improbabilité qui découle de l’ensemble) !

Le dernier épisode raconte les déambulations d’un ancien homme de main Catwoman, Teddy, qui a découvert l’identité de Batman lors de la guerre entre les deux amants (cf. troisième tome, Gotham War). Un dilemme moral pour un père absent qui veut se racheter et une offre en or à marchander pour tous les ennemis de l’homme chauve-souris. Un segment « à hauteur d’homme » (à nouveau), faisant la part belle avec le précédent chapitre et qui rappelle, dans une moindre mesure, le très bon récit complet Joker (qui s’attardait aussi sur un membre d’une figure emblématique de Gotham et ses enjeux de survie urbaine).

Ce sont donc principalement ces deux derniers segments qui sortent du lot, de façon surprenante, et permettent d’apprécier Sombres prisons. Le reste de la fiction ne fonctionne pas vraiment mais on prend plaisir à lire un vrai retour de Batman et ses alliés, avec – comme toujours et heureusement –  les jolies planches de Jorge Jiménez (principalement sur le titre, d’autres artistes complètent la distribution, cf. rubrique À propos), qui permettent de sauver tout de même un peu plus l’ensemble. Dommage que l’enchaînement bordélique entre Zur/Failsafe, Captio et le rythme expéditif de cette fausse fin gâchent tout le reste (donc la majorité du comic), sans oublier l’écriture franchement faible (pas forcément les dialogues mais les situations au sens global) et qui prend quasiment ses lecteurs pour des imbéciles. Étrangement (ou non), Zdarsky s’en sort nettement mieux quand il déploie ses petites touches d’humanité sur deux personnages complètement secondaires et éphémères.

Il est toujours difficile de conseiller la série Dark City (son ensemble ou ce tome en particulier), mais on se motive en se disant (ou plutôt en espérant) que le sixième opus sera complètement déconnecté de tout ça (comme le fut le quatrième de la série Batman Infinite en son temps) et enfin une probable remise à zéro des compteurs. Il était temps. La fiction s’approche en effet de sa fin, plus ou moins en adéquation avec le souhait de son auteur. Entre le début de l’ère Absolute, disponible en France le 31 janvier 2025 dans le premier Absolute Power,  qui contiendra l’épisode #151 de Batman (le #152 sera dans le second tome (sur trois) d‘Absolute Power), et le retour surprise de Jeph Loeb et Jim Lee pour la suite de Silence/Hush (en mars 2025 aux États-Unis) à partir du chapitre #158, il ne restera donc que les #153-157 sous la plume de Zdarsky pour achever son œuvre. Des épisodes qui devraient, en toute logique, composer la conclusion du sixième (et donc dernier) tome de Dark City chez nous, contenant l’arc intitulée en VO The Dying City. Si c’est bien le cas, il sera disponible au plus tôt en mai 2025 (Urban Comics ayant révélé toutes sorties jusqu’à avril 2025).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 octobre 2024.
Contient : Batman #145-150
Nombre de pages : 208

Scénario : Chip Zdarsky, Joshua Williamson
Dessin : Jorge Jiménez, Michele Bandini, Miguel Mendonça, Steve Lieber, Denys Cowan
Encrage : John Stanisci
Couleur : Tomeu Morey, Alex Sinclair, Eren Angiolini, Nick Filardi

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.frBatman Dark City – Tome 5 : Sombres prisons (22 €)

Batman Dark City – Tome 3 : Gotham War

Après un premier volume porté sur l’action et bénéficiant d’une partie graphique séduisante puis un second tome poussif et complètement dispensable, la série Batman Dark City revient dans un troisième opus qui poursuit la série principale, contient l’event de son titre (avec des chapitres de la série Catwoman) mais aussi un complément de Knight Terrors (cf. critique des compléments) ! Un sacré bazar qu’on décortique.

[Résumé de l’éditeur]
Depuis qu’il est devenu Batman, Bruce Wayne n’est plus seulement un homme, mais un symbole à l’origine des pires tourments des criminels de Gotham. Désormais piégé dans le Royaume des Cauchemars par Insomnia, Bruce est traqué par l’horreur qu’il a lui-même créée ! Pourra-t-il s’échapper avant que ses peurs les plus viscérales ne l’entraînent plus profondément dans les ténèbres ?

Le résumé de l’éditeur est stricto senso le début du comic mais la longue histoire qui le compose est totalement différente et est abordée dans la critique.

[Critique]
Le résumé en quatrième de couverture (celui-ci dessus) ne couvre que les deux premiers épisodes du tome, c’est-à-dire ceux connectés à l’évènement Knight Terrors. Ces deux chapitres sont sympathiques (courte critique sur la page de toutes les Terreurs Nocturnes) mais sont totalement à part du reste de la fiction, qui se concentre donc sur la fameuse Gotham War (oui comme Joker War il n’y a pas si longtemps).

En quoi consiste cette nouvelle « guerre » dans la pire ville des États-Unis ? Et bien… Catwoman décide de prendre sous son aile tous les anciens sous-fifres des différents vilains emblématiques de Gotham pour les former à devenir des voleurs hors-pairs. Jusqu’ici pourquoi pas. Objectif : dérober uniquement les fortunés de la ville et, mécaniquement, faire baisser les autres crimes (plus violents et « dangereux ») car les hommes de main habituels ne seront plus disponibles pour d’autres ennemis.

Selina Kyle a la décence d’expliquer son plan à Batman et ses alliés, espérant que les justiciers de Gotham ferment les yeux sur ses actions, constatant la diminution générale de criminalité que cela engendre. Pour Batman, évidemment, hors de question de hiérarchiser les crimes (sans compter que voler les personnes riches – comme le furent ses parents – est évidemment inenvisageable). Chez ses acolytes en revanche, la question est étonnamment tranchée assez rapidement sans nuances : et si Catwoman avait raison ?

Aussi surréaliste que cela puisse paraître, une seule personne (!) se range d’emblée du côté du Chevalier Noir et, étonnamment, il s’agit de Damian/Robin ! Vu le caractère et le passif du fiston, c’est, au choix, soit une belle évolution mature et un soutien envers son père, soit un contresens total avec l’ADN du jeune homme. Si Red Hood (qui sera au centre de Gotham War ensuite) rejoint, sans surprise, Catwoman, tous les autres alliés semblent plutôt enclin à accepter la proposition de la femme féline également ! Les deux seuls qui auront droit à quelques lignes de dialogues sont Nightwing et Red Robin (donc Dick et Tim), pourtant les deux qui devraient être farouchement opposés à cette façon de faire ! Les autres (Spoiler, Orphan/Batgirl, Duke…) reste(ro)nt cantonnés à de la figuration.

Cette idée de départ n’est pas mauvaise en soi, cela soulève même une réflexion d’ordre morale pertinente mais, comme souvent dans les comics Batman, un concept inédit se transforme en aventure maladroitement développée et, in fine, peu intéressante, marquante ou (rêvons un peu) révolutionnaire. Gotham War n’y échappe pas : cet étrange mouvement criminel n’est pas vraiment remis en cause, le véritable problème pour tout le monde est… Batman ! Depuis ses précédents exploits avec sa personnalité de Zur-en-Arrh, l’entourage du détective le juge devenu trop dangereux, trop instable. C’est ce segment qui sera particulièrement mis en avant dans ce troisième volet écrit majoritairement par Chip Zdarsky (décidément pas très bon sur son run de Batman).

En neuf chapitres, on assiste donc à trois grands axes narratifs. Comment Batman arrive à manipuler mentalement Red Hood pour le rendre inoffensif en… lui octroyant un sentiment permanent de peur (!), comment l’idée de Catwoman se voit court-circuitée par Vandal Savage (et un groupe d’ennemis normalement forts mais vite expédiés sur la fin) et comment Bruce Wayne évolue et tire des conclusions de cette mésaventure.

Le constat est sans appel : l’ensemble se lit à peu près bien (le rythme est correct même si ça met du temps à démarrer), on a du mal à comprendre les choix de tous les personnages (sauf Batman, Catwoman et éventuellement Red Hood) et on apprécie surtout la fin (non pas parce qu’elle termine une histoire très moyenne (encore que…) mais parce qu’elle ouvre sur une belle promesse – qu’on dévoile juste ici, passez au paragraphe si jamais : Bruce comprend que ce n’est pas à lui de guider ses alliés mais à Dick et Barbara, plus solaires et fédérateurs, et leur laisse le champ libre).

Gotham War est donc, malheureusement, une nouvelle fois, un opus passable, pas forcément convenu (au contraire) mais mal écrit et peu plaisant. La fiction ne s’attarde jamais réellement sur la perte de la main de Bruce qui est pourtant quelque chose d’impactant (surtout dans cette série de la continuité). Elle balaie rapidement l’enjeu initial pour dériver sur Savage et sa quête d’immortalité, pas inintéressante de prime abord mais, encore une fois, trop rapidement exécutée. Curieusement, Catwoman n’est pas tant présente que cela alors que Red Hood a droit a une véritable histoire presque auto-contenue. De quoi être, une fois de plus, surpris par les choix proposés par Zdarsky.

Ni vraiment audacieux, ni vraiment palpitant, Gotham War se lit sans déplaisir mais sans réel plaisir non plus, ajoutant un énième titre « vaguement sympa sans plus » à la longue liste des comics Batman. Les orientations morales des protagonistes peuvent déstabiliser. On pourrait accepter que Dick et Tim aillent dans le sens de Selina mais il faudrait l’expliciter, l’écrire, consacrer tout un chapitre à un échange ciselant qui tendrait à comprendre leurs perceptions, leurs choix. Il n’en est rien ici, laissons donc toute latitude au lecteur pour subir passivement ces étrangetés (il ne s’agit pas non plus d’une déconstruction, cela aurait d’ailleurs été plus habile, mais banalement d’une paresse d’écriture). Reste un Batman impérial qui sauve (un peu) l’ensemble.

Côté dessin, heureusement, il y a de chouettes moments malgré le trop grand nombre d’artistes présents dans cet opus. Belén Ortega, Jorge Corona, David Lafuente, Nikola Cizmesija, Mike Hawthorne, Nico Leon, Adriano Di Benedetto et Jorge Jimenez (sur les chapitres Batman bien entendu) – et Guillem March pour les Knight Terrors. Un pot pourri parfois agréable (quelques planches éclatées, quelques costumes élégants…), parfois franchement moyens, dans tous les cas une non homogénéisation visuelle (qui ne gêne pas à la compréhension mais reste un peu dommageable). Gotham War est donc, à l’instar du second volume, plutôt déconseillé (surtout vu le prix !) et il est grand temps que Zdarsky passe la main.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 23 février 2024.
Contient (dans l’ordre) : Knight Terrors: Batman #1-2 + Batman #136 + Batman/Catwoman: The Gotham War: Red Hood #1 + Batman/Catwoman: The Gotham War – Battle Lines #1 + Batman #137 + Catwoman #57 +  Batman #138 + Catwoman #58 + Batman/Catwoman: The Gotham War: Red Hood #2 + Batman/Catwoman: The Gotham War – Scorched Earth #1
Nombre de pages : 360

Scénario : Chip Zdarsky, Joshua Williamson, Matthew Rosenberg, Tini Howard
Dessin & Encrage : Belén Ortega, Jorge Corona, Guillem March, David Lafuente, Nikola Cizmesija, Mike Hawthorne, Jorge Jimenez, Nico Leon, Adriano Di Benedetto
Couleur : Tomeu Morey, Ivan Pascencia, Rex Lokus, Romulo Fajardo Jr., Veronica Gandini, Arif Prianto

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

Acheter sur amazon.fr : Batman Dark City – Tome 3 : Gotham War (30 €)





Batman Dark City – Tome 2 : L’homme chauve-souris de Gotham

Après un premier opus orienté action, superbement dessiné mais au scénario un peu simpliste et improbable (cf. critique de Failsafe), que vaut le second tome de la série de Chip Zdarsky ?

[Résumé de l’éditeur]
Depuis la disparition de Batman, les rues malfamées de Gotham sont aux mains des pires criminels, et des individus tels que Killer Croc ou Harvey Dent brutalisent la population en toute impunité. Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ? Comment peut-il rester sourd aux appels de ceux qu’il s’était pourtant juré de protéger ? Traqué par un certain « Red Mask », reste-t-il même à Bruce Wayne une infime possibilité de sauver sa peau avant de voir sa ville s’écrouler ?

[Début de l’histoire]
Après avoir été touché par Failsafe (cf. tome un) et disparu, Batman se réveille dans une ruelle de Gotham, blessé. Un étrange commissaire Gordon « fantôme » lui parle.

Bruce Wayne découvre qu’il a atterri dans une dimension où son alter ego justicier n’existe pas (pire : le milliardaire est même mort !). Les habitants ont peur et sont sous le joug de plusieurs ennemis dont « le juge », alias Harvey Dent, lui-même obéissant au « Red Mask ».

Heureusement, Bruce peut compter sur l’aide de Jewel, une adolescente qui le recueille et le soigne. La Selina Kyle de ce monde sera-t-elle une alliée ou une ennemie ?

En parallèle, Tim Drake/Red Robin refuse de croire que son mentor est décédé et va tout faire pour le localiser dans les autres univers et aller le chercher.

[Critique]
Contrairement à ce que suggère le résumé d’Urban Comics (et très étonnamment), le postulat de départ est simple : Batman a atterri dans une autre dimension. C’est martelé d’entrée de jeu en avant-propos (avec un très bon résumé du premier volet – évitant de devoir le relire ou à la rigueur les deux ou trois dernières pages si besoin) et dès les premières planches de la bande dessinée qui s’inscrivent comme la suite direct de Failsafe. C’est dans cette Gotham inédite qu’évolue un Bruce Wayne (plus ou moins) affaibli après tous ses combats de l’opus précédent. Mais – comme à son habitude, au point que ça en est parfois risible –, ce Chevalier Noir est quasiment immortel et imbattable ; il se donne à nouveau comme objectif de combattre l’injustice et restaurer un semblant de paix dans la ville.

En effet, dans cette Gotham City, les citoyens semblent avoir peur et être étrangement passifs. Il faut dire qu’il n’y a pas de Batman dans cette dimension. Par contre il y a les actions du Juge (Harvey Dent), violent et radical au possible, gonflé au Venin (de Bane). Il agit sous les ordres du mystérieux « Red Mask ». De quoi découvrir quelques versions alternatives de figures familières : Selina Kyle, Punchline, le Sphinx, Killer Croc, etc. C’est surtout Selina qui est mise en avant avec Darwin Halliday, l’homme derrière « Red Mask » (ersatz d’un équivalent de Joker, annoncé d’entrée de jeu…).

La fiction, extrêmement bien rythmée et beaucoup portée sur l’action (comme dans Failsafe), s’étale sur cinq chapitres (la série Batman #131-135) et leurs quatre premiers backs-up dédiés et centrés sur Tim Drake/Red Robin, dans le « monde habituel » de Batman, à la recherche de son ancien mentor, aidé par Mr Terrific. Le scénariste Chip Zdarsky continue un travail à la fois intéressant, ponctué de quelques beaux moments mais aussi de certains loupées (on y reviendra) et à la fois improbables (idem).

Parmi les réussites, il y a bien sûr cette épopée singulière où l’on sent que l’auteur se fait plaisir. Il créé une nouvelle alliée à Batman (Jewel) et dresse une réflexion pas inintéressante, non pas sur le multivers, mais sur l’ADN du Joker et ses variants (est-il mauvais quoiqu’il arrive ou sombre-t-il dans la folie suite à des évènements traumatisants ou à cause de Batman ?). De quoi converger lors de sa dernière ligne droite pour un voyage dans les différentes dimensions assez sympathique à défaut d’être réellement épique. Ne lisez pas le paragraphe suivant pour ne pas avoir trop de révélations et passez à celui d’après si jamais (et ne descendez pas tout en bas de cette critique car les trois dernières illustrations après l’image de Tim Drake/Red Robin spoilent aussi un peu).

Dans la dernière ligne droite de ce second tome (le chapitre #135, en réalité le 900ème de la série Batman si l’on ignore la nouvelle numérotation, rallongé de quelques pages pour l’occasion), on croise donc différents Batman iconiques : celui des films de Tim Burton campé par Michael Keaton, celui de la série des années 1960 interprété par Adam West, ceux de The Dark Knight Returns et Batman Beyond (La Relève) – les deux qu’on voit le plus –, ceux de différents autres comics (Kingdom Come, Batman Vampire, etc.). Cette fournée de caméos plus ou moins forcés est – comme on l’a souligné – agréable à voir et à lire mais aurait pu aboutir une réunion incroyable qui n’a malheureusement pas lieu. C’est un peu dommage…

Chip Zdarsky propose donc un peu de « fan-service » appréciable mais réussit davantage à toucher le lecteur quand il soigne le personnage de… Tim Drake. En effet, quand ce dernier retrouve éphémèrement sa mère et, in fine, Batman, l’émotion pointe le bout de son nez grâce à l’énergique bienveillance de Drake et la puissance de ses différentes retrouvailles. Malheureusement, l’auteur n’arrive pas à insuffler la même chose lorsque Batman rencontre… Alfred. Il y a bien un ou deux moments « forts » mais il manquait quelques cases de plus, couplées à un texte davantage percutant et peut-être une meilleure mise en scène visuelle. Ce n’est pas très grave au demeurant mais on ressent un déséquilibre sur ce sujet. On aurait aussi voir le couple Alfred/Leslie plus approfondi.

Attention également, sujet clivant (passez à nouveau ce paragraphe mais aussi le suivant si jamais) : Timothy Drake est désormais bisexuel (en couple avec un certain Bernard) ! Pas l’éventuel Tim existant dans cette autre dimension mais le Tim de la continuité habituelle (donc celui resté dans « le monde classique » et la chronologie officielle de Batman). Cela peut paraître surprenant de prime abord car (si l’on n’a pas suivi des titres en VO) on peut légitimement s’étonner qu’il n’y ait jamais eu de mention de cette orientation sexuelle chez ce célèbre protagoniste depuis des années. Cette évolution a bel et bien été abordée (de façon cohérente en plus) mais dans un titre qui n’a pas été publié en France. Urban Comics manque donc à son devoir en ne contextualisant pas ici cette « nouvelle » orientation sexuelle (via une astérisque et mention en bas de case ou en s’y attardant plus longuement en avant-propos ou postface éditoriale) : le coming-out et les explications sont à lire dans la série de 2021 Batman : Urban Legends, dans le segment sur Tim Drake (seul celui sur Red Hood est sorti chez nous, cf. Souriez !).

C’est l’autrice Meghan Fitzmartin qui l’évoque dans Tim Drake in Sum of our parts – en trois épisodes où Tim sauvait justement Bernard –, inclus dans Batman : Urban Legends #4-6 et se poursuivant dans le #10 (Tim Drake in A carol of Bats) et… désormais dans la continuité officielle à travers cette série Dark City par exemple. Ces chapitres rendent donc plausibles ce changement d’orientation sexuelle qui peut apparaître soudain aux yeux des lecteurs ne suivant pas la VO (et pour qui il aurait pu, légitimement, manquer un dialogue pour l’expliquer tout en conservant une cohérence dans l’évolution du personnage). Cet aspect sera un élément critique chez certains (qui crieront au « wokisme », terme galvaudé devenu bien éloigné de sa définition initiale), là où d’autres apprécieront au contraire cette sorte de « progressisme ». Comme toujours, on laisse le lecteur arbitrer sur ce point. Cela pourrait être l’occasion pour Urban Comics de sortir une anthologie sur Tim Drake, tant ses nombreuses séries où il occupe une place centrale manquent en France !

Chip Zdarsky ajoute quelques éléments qui font tâche : un commissaire Gordon imaginaire sous forme de squelette amusant, une main coupée de Batman sans grandes conséquences pour lui (il s’en remet aisément), elle sera même « réparée » de façon invraisemblable, un combat contre un requin qu’on ne détaillera pas et qui s’étale trop longuement, un Ghost-Maker surpuissant… Finalement, le scénariste reproduit un peu « le même travail » que ses prédécesseurs. Les guillemets sont de mise car il ne s’agit évidemment pas de calquer les mêmes histoires mais plutôt de constater une application d’une recette plus ou moins similaire avec des ingrédients plus ou moins identiques.

En résulte chaque fois de très bonnes choses mais d’autres moins palpitantes. En somme : une offre inégale, comme c’était le cas pour les séries longues de Batman opérées par Grant Morrison, Scott Snyder, Tom King et James Tynion IV. Certes, nous n’en sommes qu’au second volume du run de Zdarsky et il y a encore probablement beaucoup à découvrir mais l’on peut déjà dresser ce petit constat. La série n’est pas mauvaise mais elle n’est pas exceptionnelle non plus, elle reste un (énième) « divertissement efficace », à nuancer évidemment en fonction de ses attentes et exigences (et compte en banque).

Visuellement, c’est Mike Hawthorne (Deadpool, G.I. JOE: Origins, Conan: Road of Kings, Daredevil…) qui remplace Jorge Jiménez. Le résultat est tout à fait correct sans faire d’éclat, hélas. L’artiste n’a pas vraiment un style graphique propre à lui qui rendrait son travail plus alléchant. C’est assez convenu, les traits sont trop gras et les expressions faciales parfois proches de la caricature. La colorisation de Tomeu Morey relève un peu l’ensemble ; de toute façon on reconnaît les personnages (ou plutôt leurs variants) et les scènes d’action sont lisibles. C’est donc suffisant pour ce Batman Dark City, même si passer après Jiménez fait (forcément) un peu tâche mais permet de se justifier un peu en se disant que Hawthorne a « sa » dimension là où Jorge Jiménez à la sienne. Ce dernier revient justement à la fin, pour illustrer les voyages rapides entre les dimensions (et donc les différents Batman), c’est évidemment du grand art ! Le dessinateur réussit même à calquer chaque patte des univers dépeints (cf. liste plus haut – et trois des images tout en bas).

Miguel Mendonça s’occupe des dessins des backs-up (toujours écrits par Zdarsky) avec une certaine finesse et élégance bienvenue. Mikel Janin signe aussi quatre planches à la place d’Hawhtorne dans le cinquième épisode sans que l’on sache vraiment pourquoi, cassant l’homogénéité visuelle qui régnait à peu près. Une fois de plus : ce n’est pas très grave et ne gâche en rien l’immersion de la fiction. Comme souvent, l’ouvrage se referme sur une riche galerie de couvertures alternatives, la plupart très réussies. L’homme chauve-souris de Gotham est donc un peu plus original (dans son écriture) que Failsafe mais moins marquant dans sa partie graphique. Inégal mais toujours aussi bien rythmé (la grande force de Zdarsky), le comic book se lit sans déplaisir (malgré ses quelques défauts relevés) et, à l’instar du précédent, donne envie de découvrir la suite, qui sortira le 23 février 2024 (et mêlera les évènements Knight Terrors et Gotham War – un sacré bazar) !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 6 octobre 2023.
Contient : Batman #131-135
Nombre de pages : 208

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Mike Hawthorne, Jorge Jiménez, Mikel Janin, Miguel Mendonça
Encrage : Adriano Di Benedetto, Jorge Jiménez, Mikel Janin
Couleur : Tomeu Morey, Romulo Fajardo Jr., Roman Stevens

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard)

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