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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 2/4

Après une première intégrale assez inégale voire laborieuse dans sa dernière ligne droite, la saga de Grant Morrison opère un tournant en reléguant Batman/Bruce au second plan et en misant sur les (nouvelles) aventures de Dick et Damian, alias les nouveaux Batman et Robin ! Ce deuxième opus regroupe différents tomes simples de la précédente édition : les 3 et 6 (à l’exception de deux chapitres de ce dernier rappatriés dans la troisième intégrale), centrés sur Batman et Robin donc (couvertures jaunes et oranges ci-dessous) et le premier tiers du tome 4 (Le dossier noir).

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne est mort ! Gotham ne peut rester sans protection et c’est à Dick Grayson et Damian Wayne de reprendre le flambeau sous les masques de Batman et Robin ! Leur baptême du feu ne se fera pas sans heurts et ils devront bien vite affronter les menaces du Professeur Pyg, du Red Hood et d’un Bruce Wayne zombie !

[Début de l’histoire]
Juste avant sa supposée mort par Darkseid (cf. fin de Final Crisis), Batman est emprisonné dans une étrange machine. Durant ces « jours avant Oméga », le justicier revoie tout son passé, de ses premiers pas en tant qu’homme chauve-souris jusqu’à aujourd’hui. Mais d’étranges évènements lui font comprendre qu’il ne fait que « rêver »…

Après s’être sorti de ce périple et avoir vaincu Darkseid, le Chevalier Noir est renvoyé dans le passé, amnésique… Pour pallier l’absence de Batman dans le présent, Dick Grayson endosse la cape de son mentor et Damian Wayne devient officiellement le nouveau Robin !

[Critique]
Comme pour l’intégrale précédente, celle-ci compile six histoires issues des anciennes éditions et réparties ainsi : Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, Nouveaux masques, Au cœur des ténèbres, Le dossier noir – Acte II : Le batman, la mort et le temps, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin. L’accent est donc mis sur ce fameux Dossier noir (on verra de quoi il en retourne plus loin) et les aventures des nouveaux Batman et Robin, à savoir Dick Grayson et Damian Wayne !

À noter, une certaine réorganisation entre les anciens tomes simples (qui proposaient les mêmes récits mais dans un ordre différent, incluant même des planches de Final Crisis qui contextualisait la fausse mort de Batman et son retour – une autre saga également écrite par Morrison) et celui de cette intégrale, afin d’avoir une lecture globale davantage cohérente. En effet, on reprend directement là où s’était arrêtée l’intégrale précédente, avec Batman qui sort de l’eau après le crash de l’hélicoptère.

Dès son retour, c’est une plongée dans son inconscient qui surgit à nouveau mais cette fois de façon plus limpide : on revoit les moments forts du Chevalier Noir de ses origines jusqu’à aujourd’hui. Tout ceci correspond à l’arc Le dossier noir – Acte I : La pièce manquante, étalé sur quatre chapitres (Batman #682-683 puis #701-702). Dans sa dernière ligne droite, on retrouve à nouveau les évènements de Final Crisis et donc la mort (apparente) de Batman par Darkseid (en réalité propulsé dans le passé et amnésique – la « suite » de ses aventures est à découvrir dès le début de la troisième intégrale – on ne reverra quasiment plus Batman/Bruce ici).

Ces quatre épisodes sont réjouissants et devraient ravir n’importe quel fan de Batman ! Malgré quelques passages brumeux (la fission avec Le Grumeau), la compréhension au fil de l’eau d’une torture mentale qui raconte donc toute la mythologie de Batman est savoureuse – même si celle-ci incorpore quelques éléments factices – autant tout narrer chronologiquement et avec précision et « réalité » pour être plus efficace. Pas de quoi bouder son plaisir néanmoins, cette semi-aventure est un régal pour les puristes qui se délecteront de toutes les références proposées par Grant Morrison, mais aussi pour les novices qui bâtiront ainsi une cartographie, plus ou moins complète, de l’histoire du Chevalier Noir de ses origines à nos jours.

On rappelle que l’auteur écossais souhaite procéder à une sorte d’unification de toutes les aventures passés de tous les Âges des publications des comics pour les rendre cohérentes. Ce « tout » apparaît ici d’une façon plus soutenue et paradoxalement plus claire, ne s’attardant pas sur des personnages inutiles et dont on se moque. C’est peut-être ce qu’il « manquait » au tome précédent, ou plutôt ce qui aurait été plus habile de mettre en premier afin de ne pas perdre le lectorat. Ici, le nouveau venu peut être confus par moment mais ce sera plutôt rare et, dans tous les cas, pas très grave.

Les mentions à des alliés, ennemis, situations, lieux et moments « cultes » du justicier sont tellement nombreuses que l’éditeur en dévoile et décrypte une bonne partie après les épisodes (sur trois pages !). La seule contextualisation peut-être plus importante est liée aux évènements de Final Crisis qui s’imbriquent dans la narration (dans laquelle Morrison convoque aussi des éléments du Quatrième Monde de Jack Kirby).

En synthèse, cette longue introduction est une réussite et happe immédiatement. Notons qu’appeler ça Le Dossier Noir est presque une erreur car c’est corrélé au nom d’un dossier éponyme tenu par Batman qui condense ses aventures loufoques et délirantes publiées durant les années 1950. Ce qui sera précisément au cœur de l’intégrale suivante et… qui était en fait la composition principale de la précédente édition simple – qui regroupait donc ce Dossier Noir et cette aventure de quatre chapitres (ainsi qu’un autre). Cela faisait donc un peu sens mais ce n’est pas le cas dans le cadre de cette intégrale mais ce n’est pas très important.

Toute cette « pièce manquante » est dessiné par Tony Daniel, déjà à l’œuvre d’une bonne partie de l’intégrale précédente ainsi que Lee Garbett. Les deux artistes arrivent à composer une dense fresque élégante et graphiquement aboutie (colorisée par Ian Hannin et Guy Major). Un résultat très mainstream et propre mais totalement efficace et on n’en demande pas davantage pour ce segment atypique de 95 pages au total qui se conclut sur un Wayne de dos se réveillant dans une grotte (durant… la préhistoire – cela aussi sera à suivre dans l’intégrale suivante !).

Passé ce premier acte (c’est le cas de le dire), place à une équipe inédite : Dick et Damian en Batman et Robin ! Si la transition de Damian en Robin est ultra soudaine (il n’était pas encore réellement intégré dans la Bat-Famille, il était même retourné chez sa mère Talia et revient comme un cheveu sur la soupe), celle de Dick en Batman n’est pas totalement inédite. Le jeune prodige historique avait déjà revêtu la cape de son mentor après les évènements de Knightfall dans (le très sympathique) récit complet Le Fils Prodigue.

Aparté : lors de la publication du tome simple en 2012, Urban Comics contextualisait en avant-propos ces sujets et donnait les titres en VO (Prodigal en l’occurrence, mais aussi Battle for the Cow qui servait de transition pour Dick en parallèle du run de Morrison – prochainement chroniqué). Pour la réédition de 2018 en intégrale, Urban s’est contenté du strict minimum côté travail éditorial car le texte est identique à celui de la précédente édition. C’est dommage car entretemps l’éditeur a bien publié Knightfall et Prodigal ! Il suffisait donc de citer leurs titres traduits (et éventuellement les collections dont ils font partie). Ce n’est pas très grave en soi mais pourrait mal accompagner un lecteur novice.

La série (re)prend un rythme plus conventionnel (et agréable) avec les aventures de Dick et Damian. Même si elles arrivent sans être réellement introduites, on retrouve une dynamique plaisante où le binôme s’essaie tant bien que mal à cacher et compenser la disparition de Bruce et donc du « vrai » Batman. En résulte une salve de quinze épisodes de la série intitulée sobrement en VO Batman and Robin contenant trois arcs déjà précités : Nouveaux Masques (six chapitres), Au cœur des ténèbres, Batman contre Robin et Que meurent Batman et Robin (tous trois composés de trois épisodes chacun). Un chapitre de la série Batman (le #700) intervient après la seconde histoire – on y reviendra.

Dans Nouveaux Masques, Dick et Damian apprennent à travailler ensemble. Le caractère fougueux, intrépide (et insupportable) de Damian, offrent un humour bienvenu dans un run assez « austère », couplé à la bonhomie habituelle de Dick, cela fait presque du bien de « souffler » et d’avoir enfin un peu de légèreté après les précédentes histoires. La première moitié met en avant le professeur Pyg, créé spécialement pour l’occasion (en vrai, on l’avait déjà aperçu dans Batman #666, c’est à dire dans l’itération futuriste sur Damian, cf. Bethléem dans le tome précédent). Damian (qui est fait prisonnier) et Dick (qui a du mal à diriger son nouveau jeune allié) s’offrent une quête effrénée pour sauver toutes les proies de Pyg.

On assiste donc aux premiers pas de cet antagoniste particulièrement glauque, apparu ensuite dans d’autres aventures en comics bien sûr, mais aussi transposé dans différentes adaptations : le jeu vidéo Arkham Knight et la série Gotham entre autres. La seconde moitié ajoute Red Hood dans la partie dans une vendetta elle aussi sanglante et un Jason Todd violent et sans concession, même si un peu méconnaissable (on doute d’ailleurs un petit peu si c’est vraiment lui ou un usurpateur).

L’épopée n’est pas que narrative, elle est aussi visuelle ! Franck Quitely gère les trois premiers épisodes avec son style si atypique (et clivant). Ses traits granuleux, ses détails étranges qui sont censés ajouter du réalisme mais ne font que paradoxalement s’en éloigner. C’est un artiste singulier dont la patte tranche avec le reste des productions du genre (il s’est associé à plusieurs reprises avec Grand Morrison car, en dehors de Batman, on lui/leur doit les superbes All-Star Superman et les New X-Men). Cela tombe bien Philip Tan s’occupe des trois derniers chapitres de Nouveaux Masques avec une approche plus convenue mais néanmoins superbe. On oscille entre du David Finch, Andy Kubert et d’autres dessinateurs de renom du même genre (qui signeront quelques planches plus loin). Il est même étonnant que Tan n’ait pas eu davantage de titres chez DC par la suite, incluant Batman, tant son art épouse à merveille les situations d’action et la beauté des personnages ! Plutôt discret, il a tout de même été quelques arcs de Spawn, Green Lantern, X-Men et… Suicide Squad Rebirth !

Au cœur des ténèbres se déroule à Londres où Dick/Batman retrouve L’Écuyer (puis Le Chevalier – tous deux venant du Club des Héros, cf. tome précédent). Ils affrontent de mystérieux ennemis complètement oubliables mais, surtout, utilisent un puits de Lazare afin de ressusciter Bruce ! Cela fonctionne mais il semblerait qu’il ne s’agissait pas du vrai Bruce, celui revenu à la vie étant quasiment un zombie… Leur route croise aussi celle de Batwoman, présente « comme par hasard » (probablement pas mais ça manque cruellement de contextualisation) et Damian est en convalescence à Gotham.

C’est un récit un peu faiblard à la narration peu limpide, encore une fois, avec des improbabilités (Batwoman préfère mourir et revenir ensuite à la vie grâce à la source de Lazare), un retour express à Gotham, un corps d’un Bruce/Batman qui n’était pas le sien, etc. Les dessins de Cameron Stewart sauvent plutôt l’ensemble ainsi qu’un peu d’humour. À noter aussi jusqu’à présent sur les trois dessinateurs, la colorisation impeccable d’Alex Sinclair, comme souvent, remplacé par Tony Avina sur les deux derniers épisodes. Avina est moins doué et pas aidé par le style lisse et impersonnel de Stewart, manquant de relief, d’émotions et de lisibilité.

Le Batman, la Mort et le Temps est un épisode particulier, il est plus long que la normale (une trentaine de pages) et a carrément cinq dessinateurs prestigieux (Tony Daniel, Frank Quitely, Scott Kolins, Andy Kubert et David Finch). Pourquoi ? Car il s’agit du 700ème chapitre (!) de la série Batman. Morrison en assure bien sûr le scénario et propose une affaire à résoudre à travers trois Batmen : Bruce Wayne, Dick Grayson et le Damian Wayne du futur (aperçu dans Bethléem dans l’intégrale précédente). Le fil rouge entre chaque Batman est un mystérieux carnet, appartenant au Joker avec le dynamique duo qui peut brièvement voyager dans le temps (même si ce n’est pas du tout exploité). Malgré les chouettes dessins, ça ne raconte rien de très palpitant (c’est même peu compréhensible voire inintéressant) entre une machine à générer « ce qui aurait pu être » et autres changements d’époque, corrélés à un professeur (Carter Nichols – vieux personnage de DC) qui les aide à voyager dans le temps.

Les dernières planches rendent hommage à quatre Batmen du futur : Terry McGinnis (Batman : La Relève), Batman 3.000 (alias Brane, issu d’une création de Joe Greene et Dick Sprang en 1944 dans Batman #26), Brane Taylor de l’an 3.051 (autre création de Dick Sprang avec Bill Finger cette fois, dans Batman #67 en 1951 – Brane étant la contraction de Bruce et Wayne pour ces deux Batmen atypiques) et, enfin, Batman Un Million, créé par… Grant Morrison (dans DC One Million en 1998). Il s’agit d’un Batman de l’An 85.298, justicier anonyme et orphelin. Encore une fois, le scénariste écossais s’amuse à piocher dans un bestiaire sympathique et quasiment méconnu (à l’exception de McGinnis) mais ça ne sert pas à grand chose. À voir comme un hommage éphémère et appuyer la théorie que Batman et Robin résiste(ront) à l’épreuve du temps quoiqu’il arrive (ce qui cohérent pour un futur proche mais pour 853 siècles plus tard, c’est un peu ridicule…).

Retour à la série (et aux aventures) de Batman et Robin dans… Batman contre Robin, en trois épisodes. Un peu de contextualisation est de mise (absente du volume) : cette suite se déroule en parallèle de l’autre série écrite par Morrison : Le retour de Bruce Wayne, qui est incluse dans l’intégrale suivante. Il y a donc quelques connexions avec des ancêtres de Bruce Wayne qui donneraient des indices quant au voyage dans le temps de Wayne. Une théorie soutenue par Tim Drake à plusieurs reprises mais… sans qu’on voit Drake, ce sont Damian et Dick qui parlent de lui (on ignore donc ce que fait et comment va Tim…).

Par ailleurs on retrouve le personnage cagoulé et élégant d’Oberon Sexton, ultra énigmatique après ses premières apparitions un peu plus tôt dans la fiction. Son identité est révélée à la toute fin et… c’est une sacrée surprise (qu’on ne dévoilera pas mais qui semble en opposition totale avec l’ADN initiale du personnage qui se cache sous ce masque) !

Au demeurant, Batman contre Robin porte bien son titre : Damian est contrôlé à distance par Talia et Deathstroke afin de tuer Dick ! En complément, des pistes mènent à Barbatos, ancien Dieu chauve-souris maléfique, accentuant l’idée que Bruce est réellement dans le passé. Les différents évènements du présent sont donc terriblement palpitants bien qu’un peu décousus. D’un côté le retour imminent de Bruce Wayne, d’un autre l’évolution de Damian – nettement plus empathique qu’auparavant voire touchant.

En complément et en vrac : Dick, qui campe un Batman complexe avec un héritage lourd à porter, sans oublier les machinations de Talia, du tueur aux dominos (apparu en semi fil rouge depuis le début de l’ouvrage) et le fameux Gant Noir, organisation criminelle gérée par Hurt dans le précédent volet et qui semble toujours active. L’ensemble est dessiné par Andy Clarke et Sinclair revient pour les couleurs. Clarke s’approprie avec brio le style de Quitely, conférant une belle cohérence graphique dédiée à ce nouveau dynamique duo !

 

En dernière ligne droite, Que meurent Batman et Robin (trois épisodes) remet le Joker au premier plan ainsi que Hurt qui se fait passer pour… Thomas Wayne. Encore une fois (et malheureusement), la lecture est difficile, on nage entre illusions, psyché et réalité sans qu’on comprenne très bien l’ensemble. On salue en revanche l’assemblement de multiples pièces narratives contribuant au puzzle (non) linéaire et complexe de Morrison. Ainsi Pyg et d’autres sont confrontés dans une résolution à peu près cohérente mais sincèrement ardue.

Il manque une fluidité dans les dialogues, dans l’exposition et dans la globalité du récit pour mieux le saisir. C’est un parti pris clivant, à nouveau, qui ravit probablement une frange de fans contents de sortir un peu des sentiers éculés autour de l’homme chauve-souris mais qui délaisse ceux qui souhaitent suivre une fiction certes exigeante mais à minima intelligible. C’est cette fois Frazer Irving qui gère les dessins et la colorisation et… c’est très, très particulier (cf. image ci-dessous). Entre le cel shading bas de gamme d’un jeu vidéo ou bien une peinture à l’eau étrange… C’est parfois hideux (les gros plans sur les visages notamment) mais respecte bien la vision psychédélique de la fiction d’une certaine façon !

À noter que l’intégrale (tous comme les éditions précédentes) regorgent de bonus (plus de 50 pages !) compilant annotations de Morrison pour aider ses dessinateurs, croquis préparatoires, travaux de recherches, couvertures alternatives… bref un régal pour les amateurs et un ouvrage conséquent (568 pages !) pour 30 € seulement. À ce prix là, aucune raison de passer outre, surtout qu’on est « presque » (on insiste sur les guillemets) sur un livre qui pourrait se lire de façon indépendante sans avoir besoin de connaître le précédent et pouvant se contenter de cette fin ouverte.

Malgré ses quelques faiblesses d’écritures et ses dessins inégaux, cette deuxième intégrale est parmi les coups de cœur du site, ne serait-ce que pour la dynamique entre Dick et Damian, l’originalité de la situation globale, la première partie dans la psyché de Batman passionnante et – reconnaissons-le – parce qu’il faut bien qu’il y ait un segment du run de Morrison dans cette rubrique. L’auteur a eu le mérite d’innover même si – on radote – son parti pris est déroutant et clivant, bardé de références obscures et souvent peu pertinentes, cela changeait (surtout à l’époque) drastiquement de ce qu’on observait jusqu’à présent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 août 2018.
Contient : Batman #682-683, #700-702, Batman and Robin #1-15
Nombre de pages : 568

Scénario : Grant Morrison
Dessin : collectif (voir article)
Encrage : collectif
Couleur : collectif

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

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Empereur Pingouin

Empereur Pingouin est un tome unique reprenant les chapitres #13 à #21 de la série Detective Comics (après le relaunch New 52). Ceux-ci ont déjà été publiés dans les magazines Batman Saga #15 à #18 puis #20 à #23. Aux États-Unis, ce volume est le troisième de Detective Comics, cf. cet index qui référence tous les épisodes de la série. En France, l’idée de le publier comme un one-shot « à part » fut risqué pour deux raisons : l’histoire poursuit (plus ou moins) ce qui a été instauré auparavant (mais aucun problème de compréhension, au contraire) et, surtout, est connectée à bon nombre d’autres séries à connaître (davantage problématique). Explications.

batman-empereur-pingouin


[Histoire]

À Gotham, le Pingouin est respecté, craint ou bien on lui obéit. Mais il n’est pas « aimé ». Pour changer cela, Oswald Cobblepot décide d’être davantage philanthrope. Il est aidé d’Ignatius Ogilvy, son fidèle homme de main plutôt malin et ambitieux, et des « Dragons Fantômes », tueurs à gage chinois qu’il a engagé pour tuer non pas Batman mais… Bruce Wayne.

De son côté, Poison Ivy mène une vendetta contre les usines polluantes. Pour mener à bien sa mission, elle a envoûté Gueule d’Argile. Parmi les entreprises à rayer de sa carte, l’une est au Pingouin. Le Chevalier Noir entend bien montrer à l’Empoisonneuse qu’elle agit mal en tant qu’éco-terroriste, même si cela le place comme défenseur indirect de Cobblepot.

Dans l’ombre, Ogilvy semble bien déplacer ses pions pour prendre possession de l’empire du Pingouin et devenir… le « Pingouin Empereur ».

Parallèlement à tous ces évènements, des fanatiques du Joker, appelée la Ligue des Sourires avec Boute-en-Train à leur tête, commet divers crimes dans Gotham

[Critique]

John Layman est le scénariste de ce one-shot (en vrai, il poursuit le run entamé par Tony S. Daniel dans deux autres volumes non publiés en France mais sans que ce soit un problème de compréhension pour débuter celui-ci). Jason Fabok illustre l’ensemble. Ancien assistant de David Finch, tous deux sont des « héritiers » de Jim Lee : traits fins, élégants, précis et réalistes, puissance et action croquées avec brio ; bref, les graphismes sont sans aucun doute l’un des points forts de l’ouvrage (colorisé par Jeromy Cox). C’est l’un des premiers travail important de Fabok et on se régale devant ces compositions. Andy Clarke dessine quant à lui tous les petits chapitres additionnels (back-up), toujours écrits par Layman. Chacun apporte un éclairage sur un personnage secondaire (tout en s’inscrivant dans la continuité des récits qui les précèdent) : Ogilvy, Poison Ivy, Gueule d’Argile, Zsazs, Man-Bat, M. Combustible… Sur ces points (les dessins et les mini-chapitres), tout est correct et réussi. En revanche, le nombre de connexions, plus ou moins importantes, à plein de séries gravitant autour du Dark Knight, empêche une immersion qualitative et, surtout, déroute sous doute les moins connaisseurs des œuvres sur Batman.

Ainsi, dès le début, une allusion est faite aux Portes de Gotham. Récit dans lequel on apprenait que les fondations de la ville résultaient de certaines familles importantes, incluant les Cobblepot et les Wayne. Plus loin, les évènements du Deuil de la Famille (et même, d’une certaine façon, les aventures de Batgirl et des Birds of Prey) occupent une place centrale durant plusieurs chapitres sans qu’on ne puisse réellement comprendre ce qui se trame si on n’a pas lu cet autre récit (que ce soit les faits se déroulant durant cet event ou leurs conséquences — la famille brisée). Citons aussi, par exemple, les séries Le Chevalier Noir (au détour d’une image de Natalya, compagne de Bruce Wayne aperçue dans cette dernière et d’une allusion à un combat contre le Chapelier Fou) et Talon, complètement inédite en VF, qui est évoquée brièvement.

Sans surprise, des mentions aux premiers chapitres de Detective Comics sont aussi de la partie, notamment sur l’histoire du Joker (il s’était fait enlever son visage par le Taxidermiste et avait bénéficié d’un certain regain de popularité dans les rues (!)). Ceux-ci n’étant pas publiés en librairie, autant dire que le novice sera perdu. Enfin, la mort de Damian Wayne — le garçon apparaissait au début du tome — est évidemment évoquée mais sans réellement la comprendre puisqu’il faut, à nouveau, se tourner vers une autre série pour les détails (et pour d’autres mentions liées à celle-ci), à savoir Batman Incorporated (et donc Grant Morrison présente Batman).

L’ultime chapitre (#21) — dessiné par Scot Eaton — permet de conclure une histoire entamée dans le chapitre #0 (cf. volume précédent) avec l’assassin Mio (devenue Pénombre) et de mettre l’agent Strode plus en avant, croisée dans deux back-up (dont l’un, une fois de plus, dans le tome précédent), ainsi qu’Harper Row (se référer à la série Batman de Scott Snyder pour savoir qui elle est, sachant que d’autres allusions sont faites à propos de séquences peu marquantes mais tout de même, notamment dans le tome 6).

Ces multiples références déconnectent clairement du fil rouge narratif (centré sur Cobblepot et Ogilvy) et débouchent sur des morceaux d’enquête ou d’action un peu sortis de nulle part (Poison Ivy ou Boute-en-Train par exemple), qui se rattachent péniblement à l’ensemble. L’ombre du Joker plane une bonne partie de l’ouvrage sans qu’il puisse être réellement exploité. Tout cela est fort dommage car le personnage d’Ogilvy est plutôt réussi. Charismatique et fin stratège, son évolution est assez prévisible mais globalement plaisante (malheureusement, il n’apparaîtra plus par la suite — ce qu’on ignore quand on découvre Empereur Pingouin). Ce nouvel antagoniste partage l’affiche avec le classique Pingouin bien sûr, même si ce dernier disparaît un bon moment à cause d’une autre série qui l’utilisait au même moment (Batman : Le Deuil de la Famille). Pénible. Enfin, c’est Man-Bat qui intervient pour le chapitre « anniversaire » #900 (le #19 du coup) et qu’on revoit aussi ensuite (et qui, logiquement, devrait être dans Jours de colère, qui est la suite directe de cet Empereur Pingouin même s’il sont vendus tous deux comme des volumes uniques — on devrait aussi revoir Mio vu la conclusion de son arc).

En synthèse, beaucoup d’ennemis, dont un nouveau, mélange d’un gangster plus conventionnel que les autres et qu’un Sphinx, qui défilent tout au long des neuf chapitres du tome et tous leurs back-up. Reste un sentiment mitigé au global, faute à l’impossibilité de suivre une série « seule » et qui aurait mérité, de toute façon, un peu plus de relief et de surprises malgré ses somptueux dessins. Une séduisante galerie de couvertures croquis ferme d’ailleurs le livre. On déconseille l’ouvrage aux nouveaux lecteurs, clairement. Pour les connaisseurs, difficile d’inciter de passer à l’achat : si vous n’êtes pas trop exigeant sur l’histoire et aimez voir une jolie parade de protagonistes, tous bien dessinés, alors foncez. Si vous préférez un récit moins décousu, plus singulier et davantage marquant, vous pouvez aisément passer votre chemin.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 6 février 2017

Scénario : John Layman
Dessins : Jason Fabok et Andy Clarke
Couleurs : Jeromy Cox
Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Laurence Hingray & Christophe Semal (Studio Myrtille)

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Batman Eternal – Tome 01

Page récapitulative ► Batman Eternal

Pour fêter les 75 ans du célèbre Détective, DC Comics a décidé, entre autre, de publier une nouvelle série en avril 2014 : Batman Eternal. Celle-ci a duré un an et s’est achevée au bout de cinquante-deux chapitres (soit un par semaine depuis son lancement). Un rythme très particulier et original qui aura réussi à être tenu et qui permet en France une publication en quatre tomes de treize chapitres. Le premier volume est sorti début mars, le deuxième arrive le 22 mai et le troisième est prévu pour le 25 septembre.

Batman Eternal tome 1[Histoire]
Dans un futur proche : Bruce Wayne est attaché au Bat-Signal, Gotham City est en flammes tout autour de lui. Un ennemi l’informe qu’il a tout perdu.
Dans le présent : en pourchassant le Professeur Pyg dans les couloirs du métro, Gordon commet l’irréparable, il tire sur un homme désarmé et déclenche une collision qui fera plus des dizaines de morts. Gordon jure avoir vu une arme braquée sur lui au moment où il a fait feu. Il se laisse arrêter par une nouvelle recrue qu’il avait lui-même fait venir à Gotham City et dans laquelle il mise beaucoup d’espoir : le jeune Jason Bard. Le policier Jack Forbes, de mèche avec le maire de la ville, prend donc la tête du commissariat. Ce dernier relance l’ordre d’arrêter Batman et laisse agir Carmine Falcone en douce… « Le Romain » est en effet de retour et lance une guerre des gangs, notamment contre Le Pingouin et n’oubliant pas ses cicatrices, causées par Catwoman jadis.

Batman Etnernal Incendie[Critique]
Ce solide premier tome suit énormément de personnages et explore plusieurs intrigues qui ont l’air de converger vers quelque chose de spectaculaire, mais qui n’est pas spécifiquement dévoilé pour l’instant. C’est en effet la force et la faiblesse de cette longue introduction ; on se focalise tour à tour sur Batman, Catwoman, les policiers, la journaliste Vicky Vale, Stéphanie Brown et d’autres protagonistes secondaires, dont certains sont apparus avant le relaunch DC Comics, comme les Batmen alliés de Batman Incorporated, mais les évènements, eux, se déroulent bien dans la continuité après Le Deuil de la Famille, Forever Evil et Nightwing par exemple. Difficile donc pour un lecteur débutant de s’y retrouver. En revanche, le connaisseur ne pourra que se faire plaisir en découvrant foule de clins d’œil, détails et chapitres d’un univers si riche et intriguant qu’est celui de Batman.

Batman Eternal GordonDivers scénaristes officient sur Batman Eternal mais Scott Snyder et James Tynion IV en sont les deux architectes principaux. La promesse d’une série écrite à plusieurs et « à l’avance » (au moins dans les grandes lignes narratives), ainsi que les divers flash-forwards, proposés en introduction du livre ou dans le chapitre #28 de la série Batman, tendent à rassurer vers la direction que va suivre la série. Car, force est de constater, que pour l’instant Batman Eternal suit peut-être trop d’enjeux (dont une partie tend même vers l’occultisme et la magie !) et ne devra pas se louper pour la suite. Néanmoins, le récit reste fluide et bien construit, totalement abordable pour le lecteur qui connaît quelques œuvres (Un Long Halloween, Batman Inc., Sombre Reflet…) ainsi que celle citées plus haut.

Les dessins sont évidemment assurés par une dizaine d’artistes, qui se succèdent chaque semaine depuis un an. En vrac : Jason Fabok, Andy Clarke, Trevor McCarthy, Emanuel Simeoni, Guillem March, Riccardo Burchielli, Ian Bertram, Dustin N’Guyen, Guillermo Ortego. L’ensemble est forcément inégal mais globalement une homogénéité graphique se ressent. Deux dessinateurs sortent, hélas, du lot : Dustin N’Guyen (chapitre #04) tranche radicalement avec des traits plus lisses, proche parfois d’un dessin animé, notamment sur ses visages, exagérément mis en couleurs vives et Ian Bertram (chapitre #11) a un style totalement hors-normes (par rapport à des productions plus mainstream). Son art a un côté tellement indépendant que le découvrir dans ce contexte d’une grosse série dénote. Il serait intéressant de lui confier un one-shot sur le Dark Knight en revanche !

Batman Eternal GCPDBatman Eternal séduit d’emblée par toutes les intrigues qu’elle propose (peut-être un peu trop ?). On a hâte de lire les prochains tomes et de voir les pièces du gigantesque puzzle s’assembler mais attention à bien gérer la suite car, comme trop souvent avec Scott Snyder, les fins de récits et conclusions laissent dubitatifs. Pour l’instant la série divertit intelligemment et c’est le principal.

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Batman Eternal – Tome 01
Batman Eternal – Tome 02
Batman Eternal – Tome 03
Batman Eternal – Tome 04