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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 1/4

La longue saga de Grant Morrison a d’abord été publiée en France en kiosque chez Panini Comics (fin des années 2000) puis Urban Comics (début des années 2010) avant de bénéficier d’une édition en librairie remise dans un ordre idéal en neuf tomes de 2012 à 2014 – cf. index dédié. Urban a ensuite proposé en 2018 et 2019 une réédition en quatre intégrales conséquentes (chacune compte entre 500 et 600 pages) avec un réajustement de certains chapitres. Ce sont ces intégrales qui sont chroniquées sur le site. Les couvertures de chaque article sont celles de l’intégrale et des anciens tomes simples qu’elle compile (ainsi qu’une ancienne version de Panini pour ce premier opus et une réédition petit prix du premier arc à part). Retour sur cette épopée inégale, passionnante mais exigeante, signée par un auteur qui a révolutionné une partie de la mythologie de Batman !

 

[Résumé de l’éditeur]
Batman a déjà affronté Talia al Ghul et son empire du crime à plusieurs reprises, mais leur lutte prend un tour bien plus personnel lorsqu’elle présente au héros le fils issu de leur union : Damian ! Malgré son jeune âge, il est déjà un assassin de renom et Tim Drake, alias Robin, ne tarde pas à en faire les frais ! Pour Batman, c’est le début d’une épopée qui va l’amener à revisiter toute son histoire et redécouvrir des alliés comme des ennemis passés.

[Début de l’histoire]
Le Joker a empoisonné Gordon mais Batman parvient à arrêter le criminel et sauver le policier. C’est l’un des derniers malfrats que le Chevalier Noir arrête après une période où tous ses ennemis ont été mis sous les verrous.

En parallèle, la femme de Kirk Langstrom est kidnappée… Tandis que Bruce Wayne est à une soirée publique avec sa nouvelle idylle, Jézabel Jet, les convives sont attaqués par une armée de Man-Bat.

Dans l’ombre, Talia al Ghul semble derrière cette attaque et présente à Bruce Wayne, Damian, son… fils !

[Critique]
Cette première intégrale compile les tomes 1 et 2 de la précédente édition (L’héritage maudit et Batman R.I.P.). Elle est donc segmentée en huit histoire : Le fils de Batman, Les trois fantômes, Bethlehem, Le club des héros, Au clown de minuit, Il y a un an (une courte introduction au titre suivant), Batman meurt à l’aube et enfin Batman R.I.P.. En VO, cela englobe majoritairement des épisodes de la série Batman (en gros du #655 au #681 mais certains ne sont pas inclus car scénarisés par d’autres personnes). Les trois premiers récits avaient bénéficié d’une courte critique il y a une dizaine d’années sur ce site mais autant tout regrouper ici et repartir sur de bonnes bases.

Dans Le fils de Batman (quatre épisodes), on découvre évidemment Damian Wayne pour la première fois, introduit par Talia al Ghul de façon abrupt et laissé à son père pour qu’il l’entraîne ! En parallèle, un mystérieux usurpateur du Chevalier Noir règle les comptes radicalement des criminels dans Gotham. Kirk Langstorm (Man-Bat) est contraint de donner son sérum pour libérer sa femme kidnappé par… Talia, justement, qui en profite pour se constituer une armée de Men-Bats conséquente pour ses projets !

Autant dire que cette entrée en matière démarre sur les chapeaux de roue avec autant de figures familières (Tim Drake, Alfred, Langstorm…) que de nouveaux (Jezebel Jet, nouvelle compagne de Bruce, l’énigmatique autre Batman, Damian…). L’action est aussi présente que les rebondissements et l’humour mais aussi un côté assez sanglant (Damian décapite une de ses cibles). De quoi découvrir un gamin insupportable, colérique, impulsif et condescendant. Difficile dans l’immédiat de s’attacher à lui ! Par ailleurs, Talia évoque la relation (sexuelle) à l’origine de Damian là où Batman lui (re)précise qu’il avait été drogué et non consentant.

D’un point de vue historique, Grant Morrison s’inspire (probablement) d’un récit de 1987, Le fils du Démon (inclut dans La saga de Ra’s al Ghul – pas encore chroniqué sur le site). Dans ce récit complet de Mike W. Barr et Jerry Bingham, Talia accouche d’un garçon après son union avec Bruce mais le fait adopter par un couple anonyme car elle préfère faire croire au Chevalier Noir à une fausse couche. Citons aussi Kingdom Come (Mark Waid et Alex Ross, 1997) où ce fils se renomme Ibn al Xu’ffasch (le Fils de la Chauve-Souris) et est à la tête de l’empire du crime de Ra’s al Ghul.

Urban Comics explique d’autres éléments qu’on vient de lire après cette (longue) introduction autour de Damian. Grant Morrison pioche dans l’Âge de Bronze et les années 1970 et la mythologie liée à Ra’s al Ghul (créé par Dennis O’Neil et Neil Adams en 1971) avec en point d’orgue le voyage de noces entre Talia et Bruce (DC Special Series #15, par Michael Golden, en 1978). Le scénariste écossais convoque aussi Man-Bat dans un rôle secondaire et de « gentil », lui aussi date de 1970 (co-crée par Frank Robbins et Neal Adams – dans Detective Comics #400). Plus anecdotiquement (mais annonciateur de tout ce que va entreprendre Morrison dans son run), l’auteur reprend aussi un autre ennemi des 70’s mais totalement méconnu, Le Suaire (The Spook en VO), arnaqueur aux gadgets surnaturels, également créé par Franck Robbins, avec Irv Nocick cette fois, dans Detective Comics #434 en 1973.

Les trois fantômes (deux chapitres) mettent en avant trois nouveaux Batman ! Le premier étant l’usurpateur croisé en tout début du livre, le second une grosse brute proche de Bane et le troisième est à peine évoqué et pas encore rencontré. On n’en saura pas davantage sur ces trois êtres dans l’immédiat mais l’intérêt est de poursuivre le « quotidien » de Bruce et Tim, tous deux vivant un changement drastique de leur croisade mais formant toujours un tandem agréable. Bethléhem est une courte histoire (un épisode) projetant Damian dans le futur, à l’occasion du chapitre #666 de la série Batman. C’est un peu anecdotique mais plaisant de voir un nouveau look pour un futur Batman plus violent et inédit (son chat s’appelle Alfred). Ces trois récits (donc sept chapitres) ont été publiés par Urban Comics dans leur collection estivale à petit prix en 2022 sous le sobre titre Le fils de Batman.

A ce stade (les deux tiers de l’équivalent du premier tome simple de l’ancienne édition), tous les dessins sont assurés par Andy Kubert (fils de Joe) qui soigne particulièrement ses planches. Les traits sont fins et détaillés, l’action bien emmenée et aérée, le découpage classique mais efficace. Seule la colorisation de Dave Stewart et Guy Major détonne parfois, ajoutant un côté artificiel et trop propre à l’ensemble mais ça reste convainquant et, surtout, cohérent dans l’ensemble de la fiction. Si le côté lisse des visages est à déplorer, le reste tient la route et offre un divertissement tout à fait correct, plutôt original et sympathique à lire.

Le club des héros (trois chapitres) est un récit plus singulier. Il fait voyager Batman et Robin (Tim) sur l’île de monsieur Mayhew (soit le titre de l’édition 2009 de Panini Comics qui avait sorti cette histoire de façon indépendante, ce qu’elle est plus ou moins – cf. couverture en haut de cette critique). Sur celle-ci, les deux justiciers retrouvent de très vieux héros de seconde zone, apparus il y a des décennies dans Detective Comics et Batman. Grant Morrison récupère (encore) dans l’existant oublié pour le moderniser.

On croise donc les membres originaux aperçus dans Detective Comics #215 (Ed Hamilton et Sheldon Moldoff, 1955) – El Gaucho (Argentine), Le Légionnaire (Italie), le Ranger (Australie), Le Mousquetaire (France), etc. – ainsi que Wingman (remplaçant éphémère de Robin vu dans Batman #65 en 1951, par Bill Finger et Lew Schwartz), Frère Chiroptère et Petit Corbeau (Batman #86 en 1954, par France Herron et Sheldon Moldoff). Morrisson ajoute aussi les nouvelles version du Chevalier et de l’Écuyer qu’il avait inventées en 1999 (dans JLA #26). Certaines de ces informations sont, une fois de plus et heureusement, précisées par Urban Comics entre des épisodes.

Ledit Mayhew, financeur avant-gardiste du fameux club des héros a été tué et les hôtes sur l’île sont retrouvés morts les uns après les autres. Une sorte de whodunit où Batman et Robin enquêtent dans le présent et où se mêlent des flash-backs de contextualisation sur leurs collègues peu connus. L’histoire est à la fois simpliste et paradoxalement peu intelligible. Tout va très vite et on a à peine le temps de se familiariser avec toutes ces nouvelles têtes plus ou moins empathiques (à terme ils deviendront membres de Batman Inc. et réapparaîtront dans le run de Morrison mais aussi dans d’autres séries liées à Batman comme récemment dans Abyss).

En VO, ce récit s’appelle The Black Glove, soit Le Gant Noir, une organisation (créée par Morrison) mentionnée quelques fois dans l’ouvrage et qui reviendra par la suite. Ce segment est dessinée par J. H. Williams (la série Batwoman) qui croque élégamment chaque séquences du passé en adoptant un style différent. L’éditeur cite Howard Chaykin (El Gaucho), Ed McGuiness (le Chevalier et l’Écuyer), Chris Sprouse (le Ranger), Steve Rude (Frère Chiroptère) et même Dave Gibbons (Wingman).

Au Clown de minuit est carrément un texte avec quelques illustrations, pas vraiment un roman graphique (appellation de toute façon un peu idiote qui désigne au sens noble la bande dessinée pour rendre ce support plus élitiste et moins populaire alors que c’est la même chose). La narration est interminable, pleine de descriptions inutiles venant d’un narrateur omniscient contant le retour du Joker depuis Arkham. La poignée de dessins qui accompagne ce titre a affreusement mal vieilli : il s’agit de conceptions en 3D par ordinateur, on dirait des cinématiques de PlayStation 1 ou 2…

On les doit à John Van Fleet (Shadows Fall) – illustrateur qui a majoritairement travaillé pour des projets liés à des franchises cultes (Star Wars, Matrix, Hellraiser…). On a aussi du mal à savoir si cet épisode si atypique s’insère réellement dans le reste de l’histoire, il semblerait que oui mais c’est pénible à lire et pas très intéressant. On peut clairement s’en passer en (re)lecture intégrale du run de Morrison.

À ce stade, nous sommes à la moitié de l’intégrale (donc fin du premier tome de la précédente édition) ; l’ensemble est globalement satisfaisant, bien emmené dans sa première moitié, un peu moins convaincant dans la seconde. Le nouveau personnage, Damian, est à la fois intéressant mais aussi paradoxalement survolé (on sait qu’il a été éduqué par des assassins, qu’il a dix ans, qu’il tue sans sourciller et ainsi de suite). Il manque tout un pan (qui viendra peut-être plus tard ?) pour savoir s’il a passé dix années réellement écoulées à ce rythme ou s’il a bénéficié d’une sorte d’accélération médicale pour grandir (on le voit un peu en flash-back dans des laboratoires médicaux). Le gamin vantard et insupportable ajoute un élément complètement inédit et qui change drastiquement le statu quo, en soi rien que pour ça c’est pertinent. La suite de l’intégrale se concentre que sur deux longs récits : Batman meurt à l’aube et Batman R.I.P. (équivalent du second tome de la précédente édition évidemment).

Batman meurt à l’aube est introduit par une dizaine de planches issues de la série 52, se déroulant après Infinite Crisis. On y découvre brièvement ce que Bruce/Batman faisait durant cette période, notamment une retraite méditative dans un endroit reculé. Place ensuite à quatre épisodes dont les trois premiers lèvent le voile sur les fameux trois fantômes usurpateurs de Batman, l’on apprend qu’il s’agit en fait de policiers. Le dernier chapitre est davantage une transition vers la suite et remet Jezabel un peu plus au centre du récit. Ça se lit bien dans l’ensemble mais c’est un peu moins passionnant que le début.

Batman R.I.P. est nettement plus long, s’étale sur six épisodes (introduits par trois planches de DC Universe #0) et… c’est un beau bordel. Grant Morrison reprend son organisation Le Gant Noir (qu’il a conçue), dirigée par Dr. Hurt (inspiré par un très vieux personnage – on en reparlera dans la critique de la troisième intégrale), menant le club… des vilains – avec plein d’ennemis ridicules improbables. On ne comprend pas très bien mais ils arrivent à envahir le manoir Wayne et nouer une alliance avec… le Joker ! Poussé à bout, Batman libère sa personnalité machiavalique, le Batman Zur en Arh, plus radical que le « vrai » Bruce/Batman (repris récemment dans Batman Dark City – Failsafe).

Place, cette fois, à l’Âge d’Argent car Zur en Arrh (habilement teasé en tout début du volume) est historiquement issu d’une autre planète et créé dans Batman #118 en 1958. Le Bat-Mite, créature qui survient dans les rêves du justicier, provient lui aussi de cette même période (la « psychédélique ») : mai 1959 dans Detective Comics #267. Morrison continue donc de plonger dans le patrimoine de DC Comics pour le remettre étrangement au goût du jour – le travail habituel de Morrison certes, mais globalement clivant car peu accessible, pas forcément passionnant et risqué, donc à saluer dans tous les cas ! L’idée de regrouper tous les aspects de la mythologie et chronologie (dont l’éditoriale) de Batman est, forcément, casse-gueule car elles brassent tous les genres : aventure, comédie (kitch), science-fiction, fantastique, horreur, thriller, action… et ainsi de suite.

Bref, dans Batman R.I.P., ça part un peu dans tous les sens, la lecture est compliquée (non pas complexe dans le sens exigeante voire soumise à de la réflexion, de l’analyse intellectuelle – ce qui aurait été chouette) mais difficile car manquant d’une certaine fluidité, compréhension et intelligibilité. On se moque un peu de cette vaste nouvelle galerie de personnages loufoques, d’un ennemi visiblement puissant mais dont on ne perçoit pas comment ni pourquoi. Quant aux connexions avec le début du run, elles sont assez faibles voire inexistantes : Damian est complètement délaissé durant toute cette partie (et la précédente), perdant le dynamisme et l’originalité du début du titre qui en faisait son point fort.

Heureusement, dans cette seconde moitié d’intégrale tous les dessins de Tony Daniel (Flash, Teen Titans, Detective Comics période Renaissance…) permettent malgré tout d’apprécier cette étrange épopée. Il y a une cohérence graphique globale, ce n’est pas désagréable à regarder, quelques pleines pages sont efficaces, la colorisation tout à fait correcte (Guy Major à nouveau nettement mieux que durant la première moitié même si les visages souffrent toujours de ce côté lisse). Seul un épisode est signé par un autre artiste (Ryan Benjamin).

Au global, Tony Daniel et Andy Kubert signent une bonne partie de cette intégrale à l’exception du Club des Héros (par J.H. Williams), Au Clown de Minuit (John Van Fleet) et un chapitre du run (Ryan Benjamin). C’est donc une bonne chose car ajoute un certain cachet graphique non négligeable, d’autant plus que Daniel et Kubert ont des styles assez similaires et donc une proposition visuellement cohérente sur la durée (de cet opus).

En revanche, on peut déplorer la volonté de Morrison de rassembler soixante-quinze années du Chevalier Noir dans un fourre-tout parfois indigeste. L’auteur ne s’en est jamais caché et théorise qu’il ne s’est écoulé dans la vie de Bruce/Batman qu’une dizaine d’années durant les presque huit décennies d’édition. Âge d’or, d’Argent, de Bronze, âge moderne… le scénariste puise à droite à gauche des concepts et personnages oubliés par tout le monde pour les remettre en avant, parfois ça fonctionne (le Batman de Zur en Arh…) parfois c’est moyennement palpitant (le club des héros…). Morrison ne se contente pas de recycler des éléments, il en créé des nouveaux et, une fois de plus, parfois ça fonctionne (Damian Wayne, Jezabel, les trois Batman fantômes/policiers…) parfois c’est moyennement palpitant (Hurt, le club des héros, le club des vilains…).

L’auteur écossais ne peut s’empêcher de perdre le lecteur dans sa seconde moitié dans une confusion qu’on espère volontaire, cela plaît ou non… Il n’y a pas forcément une prétention dans la narration, à se vouloir accessible ou non, mais c’est un parti pris bizarre et clivant, qui dénote sévèrement avant la première moitié, bien plus agréable en lecture. Néanmoins, l’évolution de Batman/Bruce est plaisante à suivre – complètement inédite – ainsi que celles, corrélées, d’Alfred et Tim Drake. Deux alliés de longue date qui sont, forcément, impactées par l’arrivée d’un fils et ce qui semble être la disparation annoncée et prochaine du célèbre milliardaire…

Alors, cette première intégrale est-elle un indispensable ? Une histoire culte ? C’est extrêmement difficile d’apporter une réponse tranchée sur ce (début) de run mythique. Sur ce site, on pense que non. Attention, cela ne veut pas dire que la fiction est surestimée ou inintéressante mais – comme évoqué au tout début de la critique –, elle est profondément inégale et clivante, s’adressant à la fois à des experts (qui apprécieront le pot pourri Batmanesque) et des novices (une gigantesque aventure avec de nouveaux personnages et des situations originales).

Il est donc conseillé de la lire une fois un certain bagage « culturelle » autour de Batman accumulée et – peut-être –, ne pas s’attendre à un chef-d’œuvre où tout serait exceptionnel (les critiques du run de Morrison ont tendance à manquer de nuances). Néanmoins, et sans trop en dévoiler, la suite sera meilleure (cf. index dédié) et, en ce sens, il ne faut pas la manquer !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 06 avril 2018.
Contient : Batman #655-658 + #663-669 + #672-681 + pages from 52 #30 & #47 & DCU #0
Nombre de pages : 552

Scénario : Grant Morrison
Dessin : Andy Kubert, J.H. Williams III, Tony Daniel, John Van Fleet, Ryan Benjamin
Encrage : collectif
Couleur : Dave Stewart, Guy Major, Alex Sinclair

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

Acheter sur amazon.frGrant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 1/4 (30 €)

   

Paul Dini présente Batman – Tome 1 : La mort en cette cité

Le célèbre scénariste Paul Dini (Batman, la série animée) s’empare de la série Detective Comics pour un run en trois tomes (le dernier compile en revanche la série Streets of Gotham). Le premier volume, chroniqué ici, est constitué de plusieurs épisodes assez indépendants, des mini-enquêtes plaisantes mais pas forcément mémorables. Les volets deux et trois se concentre(ro)nt sur le retour de Tommy Eliott/Hush/Silence. Découverte du premier opus, La mort en cette cité, publié en France en 2015.

[Résumé de l’éditeur]
Batman n’est pas seulement un super-héros, il est aussi le plus grand détective du monde. Si ses enquêtes l’amène souvent à se confronter à la pègre de Gotham, il devra cette fois-ci s’escrimer devant la haute société. Sur son chemin, il croisera le Sphinx, devenu enquêteur pour les plus fortunés, et développera même une romance contrariée avec la magicienne Zatanna.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Difficile de décrire davantage le début de l’histoire tant ce volume en regroupe plusieurs sous forme d’épisodes quasiment indépendants. Dix récits sont ainsi proposés (un en deux chapitres qui se suivent) avec une qualité, forcément, plutôt inégale. Dans l’ordre, on a Les belles gens (Detective Comics #821) où Batman et Robin (Tim Drake) poursuivent Erik Hanson, alias Façade, un nouvel ennemi créé pour l’occasion. Ce n’est guère intéressant mais les jolis dessins et le découpage original de J.H. Williams III permettent de passer un bon moment malgré tout.

E. Nigma, détective privé (DC #822) place la première pierre d’une petit fil rouge qui reviendra trois/quatre fois dans l’œuvre : le Sphinx est en pleine rédemption et s’est mis à son compte en tant que privé. Ce n’est pas expliqué par l’éditeur mais Nygma avait découvert l’identité de Batman dans Silence puis avait enchaîné plusieurs évènements importants (peu publiés chez Urban Comics) avant d’être dans le coma et perdre une partie de sa mémoire, cf. le bloc Aftermath de la biographie du Riddler sur Wiki (en anglais).

Il y a d’abord eu quelques segments issus des séries Gotham Knights, Batman et Legends of the Dark Knight (disponibles chez Panini Comics à l’époque dans leur magazine dédié au Chevalier Noir et chroniqués au tout début de la création de ce site, cf. index Hush / Silence, s’y référer pour les détails). Ensuite plusieurs combats et interactions avec Green Arrow et enfin son évasion dans Infinite Crisis (notamment dans le deuxième opus) et l’affrontement qu’il l’avait apparemment plongé dans le coma, avant de revenir ici dans ce Paul Dini présente Batman.

Bref, dans cet épisode, le Sphinx et Batman collaborent pour une enquête plaisante mais vite oubliable. Graphiquement, Don Kramer (qui signe tous le reste du comic book à part un chapitre), livre un travail tout à fait correct, pêchant sur les visages humains de temps en temps mais usant d’un trait globalement élégant et ajoutant une certaine ambiance, à la fois mainstream et sombre. La colorisation de John Kalisz contribue à cette patte visuelle réussie par ses effets d’ombre, moins sur les nuances « chair » et donc de peau.

Dans Traqué (DC #823), Poison Ivy, habilement croquée par Joe Benitez, est mise en sécurité dans la Batcave, de quoi livrer un épisode assez passionnant où L’Empoisonneuse occupe une place importante. La nuit du pingouin (DC #824) met évidemment en avant Oswald Copplebot, lui aussi essayant d’être un peu plus respectable, notamment en gagnant de l’argent légalement. De quoi retrouver éphémèrement le Sphinx dans son nouveau rôle et Zatanna, qu’on croisera plus tard plus longuement. Sympathique mais sans plus.

Sur une pente glissante (DC #826) est probablement l’épisode le plus réussi. Tim Drake est kidnappé par le Joker et tous deux sont ensuite dans une voiture pour un road-trip atypique et sanglant. Moins porté sur l’aspect enquête qui caractérise le volume, cette parenthèse rythmée et remettant bien en place l’ADN du Joker, l’un des rares ennemis emblématiques du titre qui n’est pas en quête de rédemption, est une bouffée d’air frais fortement appréciable ! Suit Double discours (DC #827) où une nouvelle ventriloque officie dans Gotham. Un chapitre plaisant qui ajoute une antagoniste charismatique et un peu mystérieuse.

Dans Le requin de la finance (DC #828), le Chevalier Noir mène l’enquête sur l’assassinat d’un de ses amis maquillé en accident. Pour l’occasion, le justicier renoue avec le Sphinx et tous deux collaborent à nouveau bon gré mal gré. Comme en famille (DC #831) montre cette fois Harley Quinn, elle aussi en pleine rédemption et en demande de liberté conditionnelle. Pour prouver sa bonne foi elle s’infiltre même dans le gang féminin de la nouvelle ventriloque (celle découverte peu avant). Un segment sympathique où Harleen est particulièrement soignée et vêtue de son costume légendaire de la série animée (et donc co-créée par Paul Dini).

Zatanna est ensuite au cœur de la fiction avec En toute confiance (en deux parties, DC #833-834). Là aussi il manque un peu de contextualisation de la part de l’éditeur qui n’explique pas les erreurs commises dans Justice League – Crise d’identité (il y a bien un renvoi vers ce chef-d’œuvre mais pas de justification). En gros, Zatanna « lavait le cerveau » de certains ennemis afin de les rendre plus gentils et avait effacé une petite partie la mémoire de Batman qui avait découvert cela. Batman et Zatanna se confrontent ici à un énigmatique vilain (en réalité quelqu’un qu’ils connaissent très bien). Une réunion assez épique et un binôme relationnel ambigu très appréciable.

Enfin, Entraide criminelle (DC #837) est centré sur le Sphinx et Harley Quinn, qui cherche sa voie chez les Amazones. Un récit un peu bordélique mais parfois drôle. Il aurait été judicieux de le placer avant l’histoire précédente afin de conclure les arcs Sphinx et Quinn du comic et d’achever « en beauté » l’ensemble avec la partie sur Zatanna et Batman. Rien de grave en soi et, comme on le soulignait plus haut, Don Kramer est plutôt efficace dans son travail graphique pour accompagner Paul Dini, plus ou moins inspiré dans son écriture : les intrigues sont sympathiques, les dialogues sonnent naturels mais il manque ce quelque chose qui rendrait l’ensemble bien plus passionnant. Chaque épisode est illustré par une couverture de Simone Bianchi en noir et blanc, de superbes illustrations (comme celle du livre) qui ajoute un certain cachet visuel non négligeable.

En synthèse, La mort en cette cité renoue avec l’approche enquête propre à la série Detective Comics. Malheureusement, proposer un récit presque autonome par chapitre peine à fédérer. Ce côté non feuilletonnesque casse à la fois une certaine immersion dans la lecture et semble diminuer les enjeux (pas de réels danger, peu d’évolutions côté Batman, etc.). Au programme, on a donc une sorte d’émancipation commune chez plusieurs vilains (Harley Quinn, le Sphinx, le Pingouin…), un nouvel allié imprévu qui revient de temps à autre (le Sphinx) et une Ventriloque modernisée mais vite évacuée. La lecture n’est pas désagréable, bien au contraire, mais vite oubliable, c’est un peu dommage.

À noter que plusieurs chapitres de Detective Comics se déroulant majoritairement entre ceux vus ici ne sont pas inclus dans l’ouvrage car non scénarisés par Paul Dini. Commençons par trois qui furent disponibles en France. Pour les trouver (en attendant le Batman Chronicles de Detective Comics de 2007 – donc dans un paquet d’années !), il faut se tourner vers l’ancienne édition de Panini Comics (dans le format Big Book) intitulée Batman – Le cœur de Silence. Oui, le même titre que le second tome de Paul Dini présente Batman chez Urban. Cet ouvrage contenait les épisodes #829-830 puis #841-850, soit trois « inédits » (non republiés par Urban) : les #829-830, formant une histoire complète (Siège), par Stuart Moore, et le #842 (La cotte des tourments), de Peter Milligan. Siège se déroulait intégralement dans un immeuble avec Wayne en civil et Tim Drake présent face à un terroriste qui faisait sauter certains étages. Beaucoup d’action et de tension, un court récit pas mal du tout. La cotte des tourments fait référence à une veste/armure éponyme offerte à Batman par Talia al Ghul. Le justicier remonte aux sources du vêtement, en proie à une certaine malédiction. Plutôt anecdotique…

Le #825 (The Return of Dr. Phosphorus) n’est jamais sorti en France et le #832 (Triage) fut publié dans le magazine Superman & Batman de Panini Comics en décembre 2008; tous deux de Royal McGraw. Le premier est centré sur le Dr. Phosphore et le second sur le fameux « trio infernal », connu surtout grâce Batman, la série animée (étonnamment, cet épisode n’est pas de Dini !). Les #835-837 sont de John Rozum (Absolute Terror) et mettent en scène L’Épouvantail (non publiés en France). Enfin, la suite directe de la série Detective Comics par Dini est La résurrection de Ra’s al Ghul (#840) juste avant Le cœur de Silence (à partir du #841).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 16 janvier 2015
Contient : Detective Comics #821-824, #826-828, #831, #833-834, #837
Nombre de pages : 272

Scénario : Paul Dini
Dessin : Don Kramer, J.H. Williams III, Joe Benitez
Encrage : Wayne Faucher, J.H. Williams III, Victor Llamas
Couleur : John Kalisz

Traduction : Mathieu Auverdin et Alex Nikolavitch
Lettrage : Stephan Boschat (Makma), Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Acheter sur amazon.frPaul Dini présente Batman – Tome 1 : La mort en cette cité (24 €)