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Injustice – Intégrale : Année deux

Après un excellent premier tome, la vaste saga Injustice se poursuit (cf. index) pour dévoiler son « Année deux » dans cette seconde intégrale. Les fans de(s) Green Lantern devraient apprécier. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
La guerre est déclarée entre fidèles et dissidents au régime totalitaire instauré par l’Homme d’Acier, et chacun doit à présent choisir son camp. Avec la disparition d’Arrow et un Batman hors-jeu, Black Canary tente tant bien que mal de rassembler sa propre équipe. Mais tandis que sur Terre, la poigne de fer de Superman se resserre, aux confins de la galaxie, une autre menace s’éveille.

[Début de l’histoire]
Les super-héros se rendent à l’enterrement de Green Arrow, toujours divisés en deux camps distincts. Si Superman tente de s’excuser auprès de Black Canary, cette dernière ne l’entend pas de cette oreille et compte bien se venger pour Ollie mais aussi son futur enfant.

Peu après, l’Homme d’Acier convoque James Gordon afin de savoir où se trouve Batman, en vain… Il annonce en même temps une terrible nouvelle au commissaire.

Dans la tour du Dr. Fate, Bruce Wayne se repose et tente de récupérer après son terrible combat contre Superman. Il peut compter sur Zatanna et Alfred pour être auprès de lui.

Dans l’univers, Sinestro compte bien profiter de la situation pour s’allier au kryptonien et, pourquoi pas, réduire à néant le Green Lantern Corps ?!

[Critique]
La montée en puissance de l’ère totalitaire de Superman se poursuit à échelle cosmique ! En effet, deux grands arcs narratifs se croisent dans cette seconde année/intégrale. D’un côté, le Corps des Green Lantern ainsi que les Gardiens se doivent d’intervenir pour stopper la folie grandissante du kryptonien. On retrouve donc pas mal de Green Lantern familiers pour les connaisseurs : Kyle Rayner, John Stewart, Guy Gardner, Kilowog… Leur but ? Faire entendre raison à Superman bien sûr mais aussi à Hal Jordan qui avait rejoint sa croisade. La puissance et clairvoyance de Ganthet, l’un des Gardiens de l’Univers, ne sera pas de trop, d’autant plus que Sinestro est, lui aussi, devenu allié de Clark entre temps !

D’un autre côté, c’est une résistance plus « terre à terre » qui se prépare. L’équipe de Batman ayant pu synthétiser les pilules procurant des pouvoirs surhumains, c’est Gordon et ses acolytes qui sont chargés de renverser une milice de sécurité à Gotham – première ville choisie par Superman pour instaurer son armée. Le Chevalier Noir est sur la touche suite à son combat contre l’Homme d’Acier ; réfugié grâce à Zatanna dans une tour magique, hors du temps et de l’espace, conçue par Dr Fate – deux êtres aux pouvoirs magiques qui n’étaient pas encore apparus. Il revient donc à Oracle/Barbara Gordon, quelques équipiers restants de la Bat-Famille et, surtout, Black Canary, de tenter le tout pour le tout pour emprisonner Superman.

Une fois de plus, Tom Taylor réussit un coup de maître en jonglant entre les genres. On apprécie toujours l’émotion mais aussi un brin d’humour (merci Catwoman de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas de Damian !). La réflexion sur la moralité et la déification est un peu mise de côté, au profit du règne par la peur qui prédomine (via Sinestro, forcément) mais l’intrigue est toujours aussi passionnante et l’ensemble palpitant. Quelques héros sont mis de côté (Wonder Woman blessée à la fin de l’opus précédent, Batman moins présent également, Aquaman complètement absent, etc.), de quoi se concentrer sur d’autres, étonnamment Black Canary comme évoqué plus haut et, surtout, mettre en avant la vaste galerie de protagonistes de l’univers de Green Lantern.

Difficile de savoir si un néophyte sera perdu dans tout ça tant on a l’impression de lire un titre centré sur les célèbres corps des Green Lantern. C’est peut-être un « point négatif » (on insiste sur les guillemets), rendant la fiction moins accessible que son tome précédent. Néanmoins, pas de quoi bouder son plaisir devant cette dimension cosmique qui relance les enjeux et brille par les multiples forces menaçantes. Une fois de plus, le rythme est brillant, sans temps mort et le récit est ultra convaincant.

En plus de son écriture solide et son intrigue toujours aussi haletante, on apprécie l’approche « humaine » et sentimentale autour d’Harley Quinn, Black Canary et la relation père/fille entre James et Barbara Gordon (qui sera enrichie à la fin du volume par un annual qui leur est consacré de moitié – avec Gueule d’Argile en guest ! – avant de revenir sur l’association improbable entre Hal Jordan et Sinestro dans deux fictions qui se sont déroulées entre d’autres épisodes plus tôt). Une fois de plus, il n’y a pas grand chose à reprocher côté scénario et dialogues. Bien sûr, la tournure fasciste qu’entame Superman peut dérouter tant elle semble éloignée de l’ADN du super-héros mais il y a encore un peu de nuance, de doutes et de fond « noble » (comprendre : vouloir une paix durable pour tous) chez le célèbre alien.

Le vrai point noir de l’œuvre est, à l’instar du premier volet, la myriade de dessinateurs qui opère avec des styles parfois très différents (quelques visages sont franchement hideux). Injustice – Année Deux compte sept artistes distincts aux pinceaux : Bruno Redondo, Mike S. Miller, Alejandro Gonzalez, Thomas Derenick, David Yardin, Daniel HDR et Vicente Cifuentes. Si chacun croque la vaste galerie du bestiaire DC Comics, on est parfois dubitatif dans les choix de colorisation, mise en scène ou simplement vêtements/costumes de personnages, surtout féminin.

Tantôt, certaines sont sexualisées au possible, tantôt non (même le plus misogyne des lecteurs ne comprendra pas pourquoi Harley Quinn se rend à la maternité en mini-short ouvert et string apparent dans une tenue de civile – c’est complètement gratuit et, peut-être que certains apprécient ce côté sexy, mais il n’apporte rien ici, c’est dommage). On rappelle également que la publication initiale était numérique et de moitié pour les planches, raréfiant ainsi les pleines planches.

En somme, si la première année d’Injustice vous avez convaincu et happé, aucune raison de faire l’impasse sur cette seconde salve. Et si, en plus, vous êtes fans des chevaliers de l’émeraude galactique, c’est du pain béni !

À noter que cette première intégrale regroupe donc les tomes simples 3 et 4 de la précédente édition (quelques couvertures alternatives ne sont pas reprises dans l’intégrale). Retrouvez l’index de toute la saga Injustice sur cette page.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 29 janvier 2021.
Contient : Injustice : Year Two #1-12 + Annual #1
Nombre de pages : 328

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Cromatik Ltée – Île Maurice

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Intégrale Tome 1/5 (35 €)
Intégrale Tome 2/5 (30 €)
Intégrale Tome 3/5 (30 €)
Intégrale Tome 4/5 (30 €)
Intégrale Tome 5/5 (35 €)

      

Injustice – Intégrale : Année un

Retour sur la grande saga Injustice (cf. index), complément du célèbre jeu vidéo éponyme. Que vaut ce premier tome (de la première série, Injustice – Les dieux sont parmi nous) ? Faut-il connaître le jeu pour le lire et l’apprécier ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Manipulé par le Joker, Superman tue la mère de son enfant à naître : Lois Lane. Fou de rage, l’Homme d’Acier s’en prend directement au Clown Prince du Crime et l’arrache des mains de Batman pour lui ôter la vie. Cet assassinat de sang-froid marque le début d’une ère sombre pour les héros de la Ligue de Justice. Une ère où chacun devra choisir soigneusement son camp : rejoindre la croisade aveugle de Superman contre le crime ou entrer en rébellion aux côtés de Batman.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Injustice
ne vole pas sa réputation élogieuse (sur le jeu vidéo et la série de comics). Beaucoup de protagonistes gravitent dans ce volume qui couvre donc « la première année » du point de bascule de Superman vers un état totalitaire (soit cinq ans avant le début du jeu). L’auteur Tom Taylor (DCEASED, Suicide Squad Renégat, Batman – La Dernière Sentinelle…) réussi un coup de maître : être à la fois original, passionnant et très « juste » dans sa gestion de l’émotion et de caractérisation des justiciers et leurs ennemis. On explique.

Au départ, il y a le Joker, lassé de perdre contre Batman, qui se tourne contre Superman. Par une habile machination il fait d’une pierre trois coups : il manipule Superman qui tue Lois Lane (!), celle-ci étant enceinte, leur enfant « succombe » aussi et… Métropolis explose, causant la mort de onze millions de personnes. Même le plus bon, le plus généreux et le plus boy scout des justiciers ne peut rester insensible face à cette tragédie. Comme évoqué plus haut, le kryptonien assassine donc le Joker.

C’est le premier domino qui va entraîner la chute d’autres personnages (alliés ou vilains) et de statu quo divers. Si ce premier meurtre est excusable selon certains vu le contexte, ce sont les actions de Clark qui vont suivre qui vont créer un véritable schisme au sein de la vaste galerie de protagonistes DC. Qui ne s’est jamais demandé pourquoi les super-héros n’intervenaient pas dans les conflits géopolitiques existants ? Taylor propose non pas d’y répondre mais carrément de les solutionner par la force de Superman.

L’homme d’acier veut en effet instaurer une ère de paix dans le monde entier grâce à sa puissance (et celle de son entourage). Pourquoi pas… Seul Batman et une poignée de héros semblent réticents ou dans l’observation. Terminé, par exemple, le conflit israélo-palestinien et de nombreux autres qui perduraient. Superman se réserve le droit d’intervenir si quelqu’un ne respecte par ses règles (somme toute basiques : pas de violence et la paix sera préservée).

Mais, on le sait, dans ce genre de situation, rien ne fonctionne comme prévu. Un petit peu comme dans Breaking Bad ou des fictions du même style. C’est un état totalitaire qui régit, lentement mais sûrement. On ferme les yeux sur une ou deux choses (une victime handicapée à vie, un nouveau meurtre…), jugées « pas graves » ou « obligatoires » pour le fameux « bien commun ». Quel prix pour maintenir la paix ? Seul Batman est clairvoyant et, même s’il accorde quelques chances à Superman, par respect pour leur amitié et leur parcour commun, le Chevalier Noir anticipe déjà le changement planétaire qui se profile.

Tom Taylor produit un travail d’écriture magistral aussi bien sur l’état des lieux changeant se profilant (par petites touches ici et là) que par des dialogues ultra efficaces. Les échanges sont percutants, que ce soit pour évoquer la tournure politique ou bien les simples états d’âme des protagonistes (mentions spéciales à Harley Quinn, Green Arrow et la Trinité). Car au-delà de la dimension terrienne et cosmique, politique et sérieuse, c’est aussi l’émotion et les décisions de chaque héros (ou ennemis) qui prédominent.

Ainsi, la perte du Joker affectera évidemment Harley avec la simple pointe d’empathie nécessaire pour rendre la complice criminelle touchante. D’autres morts surviendront ensuite (on ne les dévoilera pas ici), ajoutant également la tristesse et la « justesse » des réactions autour d’eux. Les doutes et questionnements sans fin (dans chacun des camps) sont brillamment mis en texte. Mention spéciale pour Flash qui ne cesse de remettre en cause cette façon de régner de Superman, tout en reconnaissant l’efficacité à peu près global de ce qui se trame. Sans oublier la dose parfaite d’humour de temps en temps pour apporter un brin de légèreté à un récit assez anxiogène.

D’autres personnages, habituellement plus secondaires, sont de la partie. Difficile de tous les lister pour ne pas gâcher le plaisir de la lecture mais, à ce stade, très peu sont oubliés ou apparaissent à minima le temps de quelques cases. Aucun doute que certains viendront par la suite. Si l’on ne connaît pas le jeu vidéo, on ne sera absolument pas perdu. Mieux : on ignorera ce qu’il arrivera par la suite (à voir si cela sera abordé en comics).

Cela permet aussi d’être circonspect quant à l’évolution finale d’Injustice ? Comment Batman va pouvoir rétablir quoique ce soit ? Son équipe est composée majoritairement d’humains, la Bat-Famille et les Birds of Prey inclus (Catwoman, Huntress, Nightwing, Batwoman, Green Arrow, Alfred…) avec une poignée d’êtres aux pouvoirs (Black Canary, Captain Atom, Black Lightning…). Côté Superman, l’alien a embarqué Wonder Woman, Green Lantern, Cyborg, Shazam, Flash, Hawkgirl, Raven et quelques autres.

Certains changent aussi de camp en fonction de l’évolution de la situation. Damian Wayne par exemple est plus enclin à rejoindre l’homme d’acier qu’à rester avec son père. A moins que des traîtres infiltrent les camps respectifs ? Les humains ne sont pas en reste (les parents de Clark, le président des États-Unis…) et d’autres figures familières sont de la partie, même si certains demeurent à l’écart de la guerre imminent. Aquaman par exemple semble rester en retrait sous la mer dans un premier temps (mais il n’est pas oublié de la fiction, il a bien droit à un chapitre). Quelques marginaux pointent leur tête (à découvrir dans les dernières images en bas de cette critique après l’explosion de Metropolis, à regarder en toute connaissance de cause donc).

Le chapitrage peut d’ailleurs décontenancer, chacun regroupant parfois deux ou trois épisodes distincts, avec une cassure nette graphique (on y reviendra) et narrative. Comprendre que l’on passe soudainement à un autre personnage sans transition ou encore qu’on a un récapitulatif de ce qu’on vient juste de lire. Pourquoi ? Parce qu’Injustice fut d’abord publié sous forme numérique en demi-planche (c’est aussi pour cela qu’il y a peu de pleine planche et qu’on ressent une coupure parfaitement identique à chaque moitié de page régulièrement), facilitant une lecture sur tablette ou smartphone à l’époque.

De janvier 2013 à septembre 2016, le titre a donc montré les années précédant le jeu (puis un peu ce dernier apparemment) avant de revenir à l’année zéro, se déroulant évidemment juste avant la tragédie de Superman. En outre (et avant Injustice 2), un complément dédié à Harley Quinn a vu le jour (Ground Zero) pour relater son point de vue. Pour répondre à la question de l’avant-propos : il ne faut donc pas connaître le jeu vidéo pour savourer les comics (ces derniers se déroulant bien avant et ne nécessitent aucune connaissance particulière au préalable).

Entre la multiplication des pensées de chacun, le grand nombre d’évènements, le bestiaire DC Comics, on pouvait craindre un labyrinthe complexe ou inégal, il n’en est rien. Tout est traité avec grande justesse et appréciabilité. La lecture est extrêmement limpide, on est même dans un page turner version BD (initialement un roman dont on tourne les pages sans cesse pour absolument connaître la suite). La réflexion (au sens noble du mot) est de mise (responsabilité et justice, morale et loi, etc. – de quoi amener à de nombreuses analyses passionnantes !), de même que l’émotion, c’est tellement rare dans les comics. Tom Taylor signe sincèrement une œuvre captivante et généreuse ! Le scénariste met en scène un dilemme classique (de prime abord), souvent abordé mais pas foncièrement travaillé : Batman est-il responsable des victimes de ses nombreux ennemis qu’il préfère laisser en vie ? Superman a-t-il la légitimité pour imposer la paix ?

Seul point noir : une armée de dessinateurs se succèdent à tour de rôle. En vrac : Jheremy Raapack, Mike S. Miller, Bruno Redondo, Axel Gimenez, David Yardin, Tom Derenick, Diana Egea, Kevin Maguire, Neil Googe et Alejandro Gonzales, soit dix différents (et presque autant de coloristes). Certes, tous les protagonistes sont reconnaissables, bien aidé par leurs costumes emblématiques (idem pour les lieux : la Batcave, la Tour de Garde…), mais ça ne suffit pas à avoir une unité graphique. Les visages sont parfois hideux, parfois majestueux. Harley Quinn et Black Canary sont parfois hyper sexy, parfois plus « convenues ». Heureusement, la plupart des scènes d’action conservent leur dynamisme et lisibilité visuelle. Au même titre que le jeu vidéo, l’action est omniprésente, présentant de multiples combats (parfois inimaginables entre certains !) à bout de champ. Parfois cheap, parfois gore, souvent viscéral, c’est un vrai régal pour les amateurs !

On pourrait déplorer la mutation de Wonder Woman en cohésion avec Superman mais sans nuance, la transformant en guerrière au sens propre du terme. Ce n’est pas très grave mais cela peut dérouter les habitués. Attention également à la chronologie : dans les faits il ne s’écoule pas réellement une année mais surtout un bon mois ; là aussi rien d’inquiétant mais ne pas s’attendre à un arc mois par mois par épisode par exemple.

Il n’y a pas grand chose d’autres à reprocher à Injustice, c’est bien sûr un coup de cœur pour ce site, un ouvrage conseillé pour ceux aimant les elseworlds, les amoureux des grands titres DC Comics (proches des fameuses crises et même meilleurs que certaines d’entre elles) et, évidemment, un complément indispensables pour les férus du jeu vidéo éponyme !

À noter que cette première intégrale regroupe donc les tomes simples 1 et 2 de la précédente édition (quelques couvertures alternatives ne sont pas reprises dans l’intégrale). Le premier volet avait aussi bénéficié d’une publication avec le jeu vidéo inclus sur Windows. Retrouvez l’index de toute la saga Injustice sur cette page.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 novembre 2020.
Contient : Injustice: Gods Among Us Vol. 1 (#1-12 + Annual #1)
Nombre de pages : 432

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Christophe Semal & Laurence Hingray (Studio Myrtille)

Acheter sur amazon.fr : Injustice – Les Dieux sont parmi nous
Intégrale Tome 1/5 (35 €)
Intégrale Tome 2/5 (30 €)
Intégrale Tome 3/5 (30 €)
Intégrale Tome 4/5 (30 €)
Intégrale Tome 5/5 (35 €)




Batman – La Dernière Sentinelle

La mini-série en six chapitres Batman : The Detective arrive en France dans un récit complet curieusement renommé Batman – La Dernière Sentinelle. Scénarisé par le talentueux Tom Taylor (Injustice, DCEASED, Nightwing Infinite, Suicide Squad – Rénégats, Superman – Son of Kal-El…) et dessiné par l’incontournable Andy Kubert (Dark Knight III, Le fils de Batman, Grant Morrison présente Batman, Flashpoint…), ce titre vaut-il le détour ? Critique

[Résumé de l’éditeur]
Après une vie passée à combattre le crime, Bruce Wayne n’est plus le même homme, ses nombreuses cicatrices en sont le douloureux rappel. Malgré la perte de ses amis les plus chers, son serment est toujours marqué au fer rouge dans son esprit. Mais aujourd’hui, le manoir est vide, et Batman est plus seul que jamais. Qu’est-ce qui peut encore retenir le Chevalier Noir à Gotham ? D’autant qu’à l’autre bout du monde, un avion vient de se crasher, des centaines d’innocents à son bord. En Angleterre, une mystérieuse organisation qui opère sous le nom d’Equilibrium réclame en effet toute son attention. Peut-être est-il temps pour la chauve-souris de quitter la Batcave… pour toujours ?

[Début de l’histoire]
Dans un futur proche, dans un avion survolant l’Angleterre, une femme agissant pour Equilibrium organise le crash de l’appareil afin de… « préserver l’équilibre ». La justicière Chevalier, elle aussi à bord de l’engin, essaie d’arrêter l’attentat, en vain…

Bruce Wayne décide de quitter Gotham définitivement et d’aller investiguer cette scène de crime qui « porte son nom » – puisque les adeptes d’Equilibrium revêtissent des costumes de Batman. Bruce y retrouve le binôme du Chevalier, le nouvel Écuyer, une jeune femme qui va assister au combat entre Batman et… un fantôme.

À l’hôpital où Chevalier guérit de ses blessures, un assaut d’Equilibrium contraint Bruce Wayne a passé à l’offensive et comprend que les victimes de la mystérieuse organisation sont des personnes que Batman avait sauvées dans le passé.

En se rendant à Paris pour poursuivre son enquête, Bruce Wayne tombe sur le chasseur de primes Henri Ducard, son ancien mentor qui l’a entraîné à se perfectionner et devenir le justicier de Gotham. Mais Ducard utilise des méthodes radicales que n’approuve pas Batman…

[Critique]
Entre les prestigieux noms de l’équipe artistique et le pitch plutôt alléchant, les attentes étaient plutôt élevées et le résultat est… mitigé. Sur le fond, l’histoire n’est pas exceptionnelle malgré la carte blanche possible avec ce séduisant « futur hypothétique ». Bruce Wayne quitte donc Gotham pour un petit tour en Europe, dont un passage à Paris et Lyon notamment. La capitale est malheureusement dépeinte avec les clichés habituelles : le Louvre, la Tour Eiffel, les croissants, pas trop de monde dans les rues… Forcément, il n’y a que « nous », les lecteurs Français voire parisiens qui peuvent s’agacer de ce genre de détails. Ce n’est clairement pas le plus grave ni le plus important mais tout c’est un peu dommage.

Tom Taylor, habitué des récits se déroulant dans des univers parallèles, dystopiques ou utopiques (DCEASED et Injustice précédemment citées) pioche dans la saga de Grant Morrison et renoue, entre autres, avec Le Chevalier (Beryl Hutchinson) et L’Écuyer (Amina Eluko), deux femmes alliées (Hutchsinon était la première Écuyer) présentées dans Le club des Héros (La Ligue Internationale des Batmen) – créé à l’époque en 1955 par Edmond Hamilton et Sheldon Moldoff – mais surtout remis au goût du jour par Grant Morrison dans les années 2000 dans son run et dans Batman Inc.. Le lecteur n’est pas perdu s’il ne connaissait pas ces personnages (complètement interchangeables au demeurant) puisqu’on peut les considérer comme des membres de la Bat-Famille avec ou sans relation avec Batman Inc.

Deux autres protagonistes sortent du lot. Henri Ducard, l’ancien mentor de Bruce Wayne. Il a droit à de nombreux flash-back quand il a rencontré et entraîné le futur Chevalier Noir puis lorsqu’il rejoint l’intrigue générale du présent (qui se déroule donc dans le futur). Face à eux, la mystérieuse Equilibrium, qui régie une équipe du même nom composée de mercenaires revêtant des costumes blancs de… Batman ! Le pourquoi du comment (de reprendre l’emblème de l’homme chauve-souris) ne sera pas très bien expliqué mais les motivations de la femme antagoniste sont en revanche relativement simplistes (voire stupides) et sa conclusion très abrupte et trop facile.

En synthèse, le scénario n’est guère passionnant (passons les détails sur un combat contre un fantôme (!) au début) ni très original. Seul l’univers européen et lointain du Chevalier Noir apporte quelques éléments inédits. On pense à la Bat-Cave mobile par exemple, dirigée par Oracle. Si toute la fiction laisse d’ailleurs penser que Bruce/Batman est isolé (à l’exception de ses co-équipières sur place), on est surpris de constater que Nightwing et Oracle sont toujours en activité et l’aident à distance (le temps d’une case). Il manque donc un segment plus construit sur ce qu’il s’est déroulé durant les décennies où le milliardaire s’est reclus.

Qu’il soit âgé ou non, son alter ego justicier est toujours aussi puissant (il dégomme une milice armée sans sourciller – sic) et ne faillit pas beaucoup. On pense bien sûr à l’œuvre de Frank Miller, The Dark Knight Returns, tant par le postulat de départ similaire (un Batman âgé) que la carrure de ce Bruce qui a de la bouteille mais reste un roc un brin aigri. Ajoutons des alliées féminines plus jeunes et il n’y a qu’un pas pour y voir un hommage à Carrie Kelley. Cela semble assumé et était peut-être même plus poussé dans un premier temps, comme le laissait suggérer le titre initial de cette aventure.

Le comic book fut en effet un temps appelé Batman : The Dark Knight avant d’être renommé Batman : The Detective. La notion The Dark Knight provoquait une double ambiguïté entre le film de Christopher Nolan du même nom mais, surtout, une confusion avec la saga de Miller et son cultissime The Dark Knight Returns et sa seconde suite sobrement intitulée en France Dark Knight III, dessiné par Andy Kubert également (en plus d’être colorisé par le même artiste, Brad Anderson, décidément !). Vu l’histoire de La Dernière Sentinelle, on pouvait légitimement croire avec cette ancienne appellation à une poursuite de l’univers instauré par Miller, qui se serait déroulée quelques années avant mais ce n’est donc pas le cas.

Graphiquement, Andy Kubert est plutôt inspiré. Il livre des planches aux cases sanglantes et aux découpages efficaces mais pas tout le long, lorsque des détails, visages ou les Batmen complexifient la lecture (de l’action en particulier). L’illustrateur se fait plaisir avec des poses iconiques et de belles propositions léchées et épiques. Kubert appose à son Chevalier Noir un look très similaire (pour ne pas dire identique) à celui de Damian qu’il avait déjà créé dans les débuts du run de Morrison, donc dans Bethléem puis repris dans le récit complet Le fils de Batman – tout en rappelant aussi le Chevalier Noir dépeint par Mike Mignola dans Gotham by Gaslight voire celui du Knightmare du film Batman v Superman, avec un long manteau en guise de cape et des lunettes de protection ou d’aviation.

La colorisation est effectuée par Brad Anderson, habitué aux grosses productions de l’industrie (Justice League, Justice League Rebirth…), à différentes séries sur Batman (Detective Comics, Terre-Un…) ou quelques récits cultes (Trois Jokers, Doomsday Clock – et son préquel Le Badge) mais aussi… Dark Knight III (et Le fils de Batman) ! Difficile de nier l’homogénéité graphique entre DKIII et La Dernière Sentinelle et donc de ne pas y voir une connexion autant visuelle que narrative. Par ailleurs, les nombreux jeux de lumière, silhouettes dans l’ombre et autres faisceaux chromatiques artificiels ou naturels sont très élégants et réussis. Clairement, la forme l’emporte sans trop de difficultés sur le fond pour cette aventure inédite. Mais c’est loin d’être suffisant pour conseiller de passer à l’achat…

Batman : La Dernière Sentinelle est donc loin d’être incontournable, une aventure vite lue et (probablement) vite oubliée. Tout était si prometteur et s’avère assez plat – décevant en fonction des attentes. Heureusement, le voyage graphique est assez « divertissant ». Les compositions soignées offrent une vision agréable (cf. les images illustrant cette critique), un brin inédite, qui permet d’oublier l’écriture qui survole ses protagonistes à l’exception d’un Bruce Wayne/Batman inchangé, in fine, malgré son âge et son éloignement de Gotham. Si les morceaux de bravoure sont présents, il manque une dimension épique ou tragique qui aurait apporter une consistance narrative bien plus palpitante malgré le dépaysement proposé.

Si cet univers gentiment futuriste se développe avec d’autres récits annexes, narrés différemment et sur ses multiples figures iconiques possibles, avec une trame plus palpitante, un parti-pris assumé (et non cette nage entre deux eaux, singeant ou rendant hommage, au choix, à Miller et Morrison – trop de similitudes ici pour être réellement original), alors peut-être qu’on aura des comics plus intéressants et qu’on reliera La Dernière Sentinelle avec un nouveau regard. Mais dans l’immédiat, c’est trop moyen pour valoir le détour… On conseille davantage le récit complet Batman – Europa si l’on souhaite voir l’homme chauve-souris en Europe !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 septembre 2022.
Contient : Batman : The Detective #1-6

Scénario : Tom Taylor
Dessin : Andy Kubert
Encrage : Andy Kubert (chapitre 1), Sandra Hope
Couleur : Brad Anderson

Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : Makma (Gaël Legard)

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