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Bill Finger – Dans l’ombre du mythe

Chronique un peu particulière puisqu’il ne s’agit pas d’une aventure du Chevalier Noir en bande dessinée mais d’un récit biographique autour de Bill Finger, le co-créateur de Batman resté injustement dans l’ombre de Bob Kane durant des décennies. Finger écrivait les histoires (plus de 1.500 !), Kane les dessinait. Finger a contribué (voire carrément créé) à peu près toute la mythologie de Batman dès 1939 (le costume, la Batmobile, la Batcave, le nom de Gotham City, le traumatisme tragique du héros durant son enfance, le fait qu’il soit humain sans super pouvoirs, différents personnages comme Bruce Wayne, Catwoman, le Sphinx, le Pingouin, l’Épouvantail, Double-Face, Gordon, Alfred… et aussi co-créé Robin, Dick Grayson et le Joker avec Jerry Robinson).

Le talentueux scénariste ne dévoile son implication autour de Batman qu’en 1965 et meurt en 1974, seul dans son appartement et dans la pauvreté. Ses héritiers ont mis des années à obtenir réparation et que le nom de Finger apparaisse dans les crédits de toutes les productions (comics, films, séries…) liées à Batman (c’est le cas depuis 2015). Découverte de ce titre proposé dans la collection urban graphic et, de facto, cet article est aussi un petit dossier sur Finger (la plupart des mentions entre parenthèses proviennent de recherches externes).

[Résumé de l’éditeur]
En 2006, Marc Tyler Nobleman débutait sa quête pour en savoir plus sur le co-créateur rarement cité de Batman. L’homme qui a créé la quasi-totalité de la mythologie entourant l’un des super-héros les plus emblématiques de l’histoire est mort dans la pauvreté en 1974. Bill Finger – Dans l’ombre du mythe est un roman graphique sur la quête de Nobleman, c’est une histoire sur le traumatisme et la justice racontée à différents niveaux narratifs. Il y a la recherche de Nobleman, qui retrace la véritable histoire derrière le Chevalier Noir. Il y a ensuite l’histoire de Bill, sa rencontre avec Bob Kane, son travail et ses difficultés dans l’industrie de la bande dessinée, sa dépression alors que Kane, considéré comme l’unique créateur de Batman, est sous les feux de la rampe. Ensuite, il y a l’histoire du fils de Bill qui tente en vain de rétablir l’héritage de son père tout en luttant contre sa propre sexualité et, plus tard, contre le VIH. Enfin, il y a l’histoire d’Athena, la petite-fille de Bill, dont personne ne croit que son grand-père est le co-créateur de Batman.

Fidèle aux récits de Batman, l’histoire prend des allures de roman policier révélant la tragique et véritable histoire derrière la création de Batman. Le livre bénéficie d’une préface de la petite-fille de Finger, Athena Finger, et de l’historien Marc Tyler Nobleman, qui a joué un rôle déterminant dans l’établissement du crédit de co-créateur de Finger à titre posthume en 2015.

[Début de l’histoire]
À l’école, la jeune Athena Finger expose que son grand-père a créé Batman mais on lui rit au nez.

Plus tard, en 2006, l’enthousiaste Marc Tyler Nobleman décide d’écrire la biographie de Bill Finger, le méconnu co-créateur de Batman.

Soixante-dix ans plus tôt, en 1936, dans le Bronx, Bill Finger (21 ou 22 ans à l’époque), simple vendeur de chaussures, rencontre Bob Kane (20/21 ans), dessinateur déjà installé dans l’industrie naissante des comics. Le duo conçoit sa première œuvre, Rusty and His Pals en mai 1938 dans Adventure Comics (publié chez DC Comics – anciennement National Allied Publications). Seul Bob Kane est crédité. À peu près en même temps, Superman naît dans Action Comics. Lorsque Kane apprend de son éditeur l’argent que gagnent les créateurs de Superman (Siegel et Shuster), il assure qu’il va créer un super-héros bien plus intéressant que l’homme d’acier (le montant n’est pas évoqué mais il s’agit de 800 dollars par semaine, voir fin du bloc critique pour la source et les détails).

Bob Kane dessine alors Bird-Man, super-héros blond et costumé en rouge. Bill Finger n’est pas convaincu et lui propose différents ajustements : un costume plus sombre, une cape au lieu d’ailes, un détective à la Sherlock Holmes au lieu d’un surhomme, un personnage sombre proche du Shadow et de Zorro, une identité secrète, le symbole de la chauve-souris sur la poitrine… Kane trouve le nom de Bat-man et va négocier avec son éditeur, sans Finger et sans mentionner l’apport important de ce dernier dans cette première ébauche créative.

[Critique]
Bill Finger – Dans l’ombre du mythe s’ouvre sur un avant-propos (très court) d’Athena Finger, petite-fille de Bill Finger donc, puis d’une préface (assez longue) de l’auteur et conférencier américain Marc Tyler Nobleman (qui a signé la première biographie sur Bill Finger et mené l’enquête décrite ensuite dans cette bande dessinée), rédigée en septembre 2021. Il explique d’ailleurs que la biographie (Bill The Boy Wonder – The Secret Co-Creator of Batman) a été refusé d’être publiée… 34 fois (!), dont à trois reprises par l’éditeur de sa précédente biographique consacrée aux créateurs de Superman, Siegel et Shuster (victimes eux aussi d’un anonymat durant quelques décennies mais pas au tout début des aventures  de l’homme d’acier – au contraire).

La suite est « simple » : la vie de Bill Finger (Milton de son vrai prénom – pour ne pas dévoiler ses origines juives) nous est racontée à diverses temporalités (cf. le résumé et début de l’histoire). On croise plusieurs figures importantes issues des coulisses de DC Comics ou de Batman. On peut voir par exemple Jerry Robinson, du haut de ses dix-sept ans quand il vient aider « pour les illustrations » (il était notamment encreur mais a carrément dessiné certaines planches, signées par Bob Kane évidemment) puis plus âgé quand il est interrogé par Nobleman. On navigue ainsi entre présent et passé, entre l’investigation d’un noble homme (vous l’avez ?) déterminé et la vie réelle d’une bande d’amis et collègues, évoluant dans l’ombre de Kane. La quête de Nobleman va au-delà du travail de journaliste et écrivain, c’est un véritable détective qui enchaîne voyages, rencontres et questions à une vaste galerie de personnes ayant été reliées de près ou de loin à Finger. Ainsi, le célèbre dessinateur, scénariste et éditeur Carmine Infantino témoigne en faveur de Finger, qu’il considère comme le père de Batman « Kane n’a rien fait. Tout vient de Bill ! » explique-t-il à Nobleman.

Un point déterminant dans le parcours de Finger fut sa rencontre avec les propriétaires de National Publications (futur DC Comics), Harry Donenfeld et Jack Liebowitz, par l’intermédiaire du responsable éditorial Whitney Ellsworth et de… Bob Kane. Ce dernier s’est trouvé bien embêté quand ses patrons lui ont révélé être au courant qu’il ne travaillait pas seul mais avec une équipe – Bill Finger et Jerry Robinson donc (tous deux conscients que Kane se servait d’eux mais que sans lui ils n’auraient pas eu leur place). Si, au tout début, DC ne connaissait pas l’existence de Finger (et des autres), il est vite apparu évident que Kane ne pouvait se livrer chaque semaine et tout seul à la masse de travail que représente l’élaboration des strips puis comics – une tâche impossible quand on sait qu’il faut écrire, mettre en scène, crayonner, encrer, colorises, etc. Cela n’empêche pas l’éditeur de conserver le contrat qu’il entretient avec Kane, un accord juteux où Kane est juridiquement crédité comme seul artiste à bord (aucun autre nom ne doit apparaître à part le sien). C’était le point non négociable de Kane qu’il avait habilement mis en place dès l’origine (à l’aide de son père et d’un avocat)…

« Kane avait la gloire, mais Finger avait le savoir-faire. »

À partir de là (probablement en 1940 – ce n’est pas daté – soit quelques mois à peine après les débuts du duo), Finger « travailla directement sous l’égide d’Ellsworth et ne vit pratiquement plus Bob Kane » (il continua d’écrire pendant une vingtaine d’années les aventures de Batman, directement employé par DC Comics mais toujours non crédité et restant donc « dans l’ombre » – au total, Finger aura donc collaboré directement et sous l’égide de Kane à peine deux ans !). Bill Finger aide aussi Martin Nodell à développer son personnage de Green Lantern (Alan Scott) et, cette fois, Finger est crédité comme co-créateur. De même pour Wildcat en 1942, créé en 1942 avec Irwin Hasen – ce dernier affirmera aussi que Finger était un des meilleurs scénaristes de son époque.

Le mythe autour de Bob Kane s’effrite énormément dans la bande dessinée. Au-delà d’employer Finger pour l’écriture, Kane s’est également fait remplacer aux dessins durant plusieurs décennies ! Ainsi, de 1947 à 1953, Lew Sayre Schwartz recevait de Bob Kane les scénarios de Bill Finger. Schwartz s’est toujours accommodé de cette façon de faire : l’anonymat lui convenait bien (il n’a jamais rencontré quelqu’un de chez DC) et Kane lui versait 100 dollars de salaire là où Kane empocher apparemment 500 (par semaine ou par mois, aucune idée, probablement par semaine). Sheldon Moldoff était lui aussi un dessinateur « fantôme » parmi les ateliers que supervisait Bob Kane. Il est arrivé autour de 1953 et a travaillé jusqu’en 1967 avec Kane. L’artiste a contribué lui aussi à la co-création de plusieurs éléments importants (apparemment sur Mister Freeze et Poison Ivy – ce n’est pas mentionné dans la BD).

Moldoff, tout comme Schwartz et Finger avant lui a simplement scellé un deal par une poignée de mains avec Bob Kane, assurant rentabilité et reconnaissance à ce dernier, sécurité de l’emploi et rémunération « correcte » aux autres. Mais attention, Moldoff estime que le crédit de créateur de Batman ne revient qu’à Kane, malgré les révélations désormais connues de tous. Certains partagent en effet la « vision » de Bob Kane : il a placé la première pierre de la figure iconique, les autres artistes ont ajouté et peaufiné cela tandis que Kane, très impliqué les premières années, assurait la popularité du justicier. Les artistes « fantômes » derrière Kane sont donc un procédé normal  pour quelques personnes (les fameux « ghost-writer » par exemple).

L’enquête de Noblehom, réécrite ici par Julian Voloj est passionnante – surtout pour un lecteur qui ne connaît pas toute cette histoire évidemment ! Le rythme est haletant, comme une intrigue de fiction soignée. Il faut dire, qu’en plus du travail de scénariste, la vie privée de Finger relève aussi d’un roman. Différentes femmes et un fils unique, peu connu avant les révélations de Noblehom. Pourtant ce fils, Fred, lisait dès l’âge de quatre ans les scénarios que son père écrivait sur Batman. Ce dernier les modifiait si son enfant les trouvait peu clairs. Les recherches de Noblehom conduisent aussi à découvrir une héritière « de sang », sa petite fille Athena, occasion idéale pour réparer l’injustice autour du crédit de Finger.

Erez Zadok dessine des personnages aux visages très fidèles à la réalité. Son style relativement « épuré », habilement et sobrement colorisé (par Zadok lui-même) avec beaucoup de teintes sépia, accentuant la notion de passé – nostalgie même. Volok et Zadok apposent un jeune Robin de temps en temps, sortant de l’imaginaire de Noblehom et agrémentant ainsi une petite touche légère et humoristique au contenu. Le duo propose une parfaite pointe d’émotion quand on apprend que Fred, le fils de Bill Finger, a répandu les cendres de son père dans un logo Batman sur le sable près de la mer proche de chez lui et a laissé l’eau les emporter…

Si Kane a le « mauvais rôle » et Finger le beau, ce dernier n’est pas épargné par quelques faits de sa personnalité. Il ne parle quasiment plus à son fils dès qu’il apprend que ce dernier est homosexuel (il meurt du Sida en février 1992). Le scénariste livre souvent ses scénarios en retard et semble peu chaleureux. De plus en plus aigri au fil qu’il vieillit. Il semble que Finger était un homme simple qui ne voulait pas combattre ses employeurs et avait peur de perdre son travail. Stressé, anxieux, probablement déprimé voire dépressif, Finger a la santé fragile. Après trois crises cardiaques (1963, 1970, 1973), il meurt en 1974, à cinquante-neuf ans, seul dans son appartement, sans avoir eu la reconnaissance qu’il méritait…

Le roman graphique passe quelques faits (l’arrivée de Wertham et les conséquences du Comics Code Authority par exemple) et survole très rapidement le combat judiciaire effectué par Athena (il faudra regarder le documentaire Batman & Bill pour mieux comprendre cette partie, cf. ci-après). On ne comprend d’ailleurs pas très bien pourquoi Athena apparaît jeune au début puis ferme le titre. De même, s’attardant sur des pistes (qui font mouche ou non) sur Nobleman, on utilise une place précieuse qui aurait pu être utilisé pour montrer d’autres choses sur Finger. Une vingtaine de planches supplémentaires n’auraient pas été de trop pour parfaire et compléter cette véritable histoire. De la même manière Bill Finger – Dans l’ombre du mythe manque parfois quelques « pincettes » à utiliser pour décrire des situations puisqu’il n’y a pas eu forcément de preuves concrètes mais juste un témoignage ou d’une « parole contre parole » (pas question de réhabiliter Kane ou remettre en doute les retours de Finger mais il subsiste(ra) toujours des zones d’ombre, pour leur travail ou même le privé de Finger – comme l’histoire des cendres sur la plage par exemple). Surtout : il manque des repères temporels pour comprendre banalement à quel moment se déroule telle ou telle séquence (on pense à nouveau à cet enchaînement des débuts (1939) puis à l’essor de Finger sous l’égide de DC et son travail sur Green Lantern quelques mois plus tard (1940) tout en évoquant qu’il a continué d’œuvrer pour Batman deux décennies. Un peu compliqué… On aurait aimé voir également des sessions de travail du duo ou de l’équipe, des émulsions plus poussées et détaillées (qui fait quoi concrètement et comment). Si la BD est imparfait, elle reste un témoignage important et primordial dans l’industrie.

Pour aller plus loin sur le sujet, il est indispensable d’évoquer l’autre roman graphique (abordé en début de critique) de Marc Tyler Nobleman sorti il y a pile dix ans, en juillet 2012, Bill The Boy Wonder – The Secret Co-Creator of Batman. Fruit des années d’enquête de Nobleman et illustré par Ty Templeton (responsable d’une célèbre planche montrant le Bat-Man de Kane sans l’apport de Finger, à découvrir en bas de cette chronique), le livre est uniquement disponible en anglais, entre 5 et 15$ – notez en quatrième de couverture la citation « Le plus grand secret de Batman n’est PAS Bruce Wayne » (comme évoqué également, Nobleman avait déjà publié en 2008 Boys of Steel : The Creators of Superman sur Jerome Siegel and Joseph Shuster, les créateurs de Superman).

Le travail de Nobleman a aussi donné naissance à un documentaire de 90 minutes, Batman & Bill réalisé par Don Argott et Sheena M. Joyce. Diffusé sur la chaîne états-unienne hulu en 2017, on peut y voir plusieurs figures emblématiques des comics intervenir sur le sujet (soit interviewées pour l’occasion, soit extraits d’archives) : Bob Kane notamment (mort en 1998), de quoi constater l’arrogance du personnage, qui assume d’être vénal, Marc Tyler Nobleman lui-même, qui sert de fil conducteur au métrage et Athena Finger, le célèbre producteur des films Batman depuis 1989 Michael E. Uslan, l’auteur et dessinateur Todd McFarlane, l’acteur Kevin Smith, l’encreur mythique Jerry Robinson (co-créateur de Robin et du Joker – décédé en 2011) et une dizaine d’autres, dont Tom Andrae, le biographe de Bob Kane qui poussa Kane à reconnaître Bill en tant que co-créateur ainsi que Charles Sinclair, scénariste et ami de Finger avec qui il signera un épisode de la série des années 1960 (Sinclair habitait le même immeuble que Finger et c’est aussi lui qui trouvera son corps à son domicile…). Ce passionnant film se scinde en deux parties, toutes deux emmenées par Nobleman. Dans la première, on suit surtout l’enquête, les faits et les propos qui dévoilent la vérité autour de Finger (et Kane). Dans la seconde (plus courte), c’est le combat d’Athena contre DC Comics et Warner Bros afin d’obtenir justice qui est mis en avant. Batman & Bill a été diffusé en français sur la chaîne toonami unlimited en octobre 2019 (pour les 80 ans du Chevalier Noir).

Marc Tyler Nobleman montrant une des rares photos de Bill Finger lors d’une conférence.

Quelques anecdotes provenant du documentaire et non du roman graphique. Bob Kane déclare qu’il a créé Batman quand il a su que les créateurs de Superman (Jerome Siegel and Joseph Shuster) touchaient 800 dollars par semaine (équivalent de 17.000 dollars aujourd’hui avec l’inflation, soit à peu près la même chose en euros !). Pour cette somme, il était prêt à créer n’importe quel super-héros. Kane assumait avoir des « ateliers » dans lesquels il faisait travailler ses collaborateurs : scénaristes, encreurs, lettreurs, dessinateurs… Mais c’est Kane et uniquement lui qui livrait les planches à DC et avait établi un contrat le créditant comme seul artiste à bord. Kane se rêvait d’être une « star », d’être « connu », il aimait parader et était extrêmement riche. Plusieurs extraits d’interviews filmés le montrent comme un homme un brin arrogant et avide d’argent même si Nobleman nuance la personnalité de Kane, justifiant qu’il était peut-être un bon mari et un bon père de famille, le problème est purement d’ordre professionnel, « ce n’était pas Bruce Wayne, ce qu’il y a écrit sur sa tombe ne correspond pas à la réalité [mais j’aime à penser que c’était un homme bon] ». L’animation conçue pour le documentaire montrant les cendres de Finger dans le sable sur la plage puis les larmes aux yeux de Nobleman lorsqu’il découvre pour la première fois le crédit de Bill Finger devant le film Batman v Superman procurent de belles émotions.

Nobleman est assez actif sur son blog Noblemania – il parle même du présent ouvrage qui n’existe pas aux États-Unis pour l’instant, il partage donc des cases et planches de la BD… en français ! L’auteur met à jour la catégorie Bill Finger book beside mine dans laquelle il recense les ouvrages sur Bill Finger. D’origines espagnoles ou brésiliennes, trois autres titres semblent légitimes, publiés entre 2014 et 2022 : The Creators of Batman : Bob, Bill & The Dark KnightBill Finger The Secret Story of the Dark Knight et Batman – Serenata Nocturna (el origine del caballero oscuro). Des versions en langue anglaises existent ou sont à l’étude pour les deux premiers, le dernier est seulement disponible en langue espagnole. On peut également suivre Marc Tyler Nobleman sur son compte Twitter.

Finger a commencé à révéler son existence et son travail au public, via le premier Comic Con à New-York en 1965 (au Broadway Central Hotel) puis a rédigé une tribune de deux pages « Si le monde savait » (« If the Truth be known or « A Finger in Every Plot ! » » qui fut imprimée et envoyée aux fans de Batman. Cela est mentionnée dans la BD mais ce qui n’est pas évoqué est l’une des suites de cette affaires. Furieux, Kane écrivit lui aussi « sa version », étalée sur huit pages et publiée dans Batmania « The Fanzine for Batman Fans ». Kane stipule que Finger ment, réfute la plupart des faits de son scénariste de l’ombre et nie farouchement « la vérité » (à découvrir ici en anglais si ça vous intéresse). À partir de là, il était lié à jamais avec cette version et pourrait difficilement faire machine arrière.

Pire : il montrera quelques années plus tard, notamment dans son autobiographie, un dessin de Batman remontant soit-disant à 1934 pour « prouver » qu’il était le seul créateur du Chevalier Noir, cinq ans avant sa publication. Dessin qui a bien évidemment réalisé exprès après cette histoire et antidaté à 1934 pour modeler la réalité à sa sauce… Kane n’était pas un piètre dessinateur mais avait l’habitude de piocher dans d’autres comics voire reproduire quasiment à l’identique, des postures, bâtiments et véhicules (Flash Gordon étant sa source « d’inspiration » première).


Le fameux Batman de 1934 de Bob Kane qui ressemble fortement au Batman de 1939.
Pourtant, les premières ébauches de Kane de 1939 étaient radicalement différentes…
Image tirée du documentaire Batman & Bill.

Une fois Finger mort, Kane a déclaré « à présent qu’il est parti, je dois admettre qu’il n’a jamais reçu la gloire et la reconnaissance qu’il méritait. Je dis souvent à ma femme, que si je pouvais remonter 15 ans dans le passé, avant sa mort, je lui dirais : « je vais mettre ton nom dessus maintenant, tu le mérites » ». Un mea culpa bien tardif et un aveu trop facile puisque tout le monde le savait dans le milieu… Kane ajoutera dans sa biographie Batman and Me, publiée en 1989, que Bill Finger a contribué à « 50 à 75% à la création dans Batman ».

Ça ne l’a pas empêché, comme le rapporta son biographe Tom Andrae, à faire supprimer une première mention de crédit envers Finger pour le film Batman de 1989 – première tentative de réhabilitation à l’époque… Bref, les regrets de Bob Kane semblent peu sincères MAIS ont le mérite de confirmer et réhabiliter un peu Finger (avant que ses héritiers et surtout Athena poursuive le combat).

À gauche, Bill et sa version de Batman, à droite Bob et sa première ébauche – dessinée en 1999 par l’illustrateur Arlen Schumer (cf. une de ses conférences) puisqu’il n’existe PAS de dessin officiel de Kane sur son Bat-Man mais seulement ce croquis selon les témoignages des deux hommes.
Image tirée du documentaire Batman & Bill.

D’une certaine manière, Bill Finger – Dans l’ombre du mythe rappelle Dark Night – Une histoire vraie, qui livrait le même exercice mais sous forme d’auto-biographie cette fois, par le scénariste Paul Dini (relatant son rapport au Chevalier Noir et son agression). On peut également évoquer Batman – Créature de la nuit, purement fictionnel mais centré sur un enfant lisant les aventures de Batman et là aussi, le rapport au mythe. Enfin, le scénariste Julian Volok a aussi écrit l’excellent Joe Shuster – Un rêve américain, même exercice qu’ici mais pour l’un des pères de Superman. Volok signe également la préface de Bill Finger – Dans l’ombre du mythe. On apprend dans cette dernière que la « Bill Finger Way » est la première rue de New-York à avoir un nom d’un auteur de comics (rue longeant le Poe Park où Kane et Finger imaginèrent le personnage de Batman).

Les premiers crédits attribuant la co-création de Bill Finger à Batman arrivent en octobre 2015 dans Batman & Robin Eternal #3 et Batman – Arkham Knight Genesis #3. « Batman a été créé par Bob Kane avec Bill Finger » sera désormais apposé sur toutes les productions comics liées au Chevalier Noir (ce terme, Dark Knight, est aussi une appelation de Finger). À la télévision, le nom de Finger apparaîtra dans la saison deux de Gotham (premier épisode diffusé le 21 septembre 2015) et au cinéma en mars 2016 dans Batman v Superman : l’Aube de la Justice. Pour les lecteurs de longue date de ce site, il ne vous aura probablement pas échappé que le crédit du personnage de Batman a toujours été en bas du site sous cette forme : « Batman est une création de Bill Finger & Bob Kane ». Ceux qui s’interrogeaient sur cet ordre ont désormais la réponse.

On conseille donc Bill Finger – Dans Dans l’ombre du mythe pour n’importe quel fan de Batman désirant en connaître les coulisses de sa création et, surtout, la réparation d’une injustice. Si vous avez vu le documentaire Batman & Bill vous n’apprendrez rien de nouveau en revanche. Pour lire les histoires de Bill Finger en France, on peut piocher dans quelques strips des Dailies (1943-1945 pour l’instant – pas encore chroniqués sur le site), dans lesquels on apprend que Finger a pu se consacrer à l’écriture car il n’a pas été enrôlé dans l’armée (déclaré inapte). Dick Sprang ne tarit pas d’éloges sur lui, le décrivant comme « le meilleur scénariste de la profession » et confirmant une fois de plus les problèmes de retard de livraison de ses textes (tout en s’en amusant). Surtout, le travail de Finger est plus prononcé dans les anthologies d’Urban Comics, qui compilent différents épisodes publiés entre 1939 et de nos jours, comme celles sur Batman ou le Joker par exemple (et carrément la collection Batman Mythologie) et celle sur ses ennemis (Batman Arkham).

Si certains récits ont évidemment « mal vieilli », il faut surtout y savoir trouver une photographie de l’époque et un champs de création incroyable imputable donc à Bill Finger. Qui a – sans trop le savoir de son vivant, mis à part lors de la première Batmania, dans les années 1960 – livré un tentaculaire univers iconique et profondément encré la culture populaire. De même, il a révolutionné dans l’ombre l’industrie en créant des personnages et des concepts inédits, qui ont à leur tour inspiré d’autres artistes de comics mais aussi de jeux vidéo et de cinéma. Malgré tout cela, sans Bob Kane, il n’y aurait (probablement) jamais eu Batman non plus – ou en tout cas la figure que l’on connaît de lui aujourd’hui. Si Kane semble avoir été un bel enfoiré (malhonnête, manipulateur, menteur…), la paternité du Chevalier Noir reste double néanmoins, pas sûr que Finger se serait imposé chez DC Comics et aurait collaboré avec un dessinateur mettant en valeur ses idées… L’ADN de l’homme chauve-souris est même multiple et appartient à une poignée d’artistes, supervisés certes par Kane, mais qui ont chacun modelé le justicier pour qu’il traverse les âges et s’impose comme une icône incontournable. Une création davantage collective donc… C’est peut-être le point sur lequel n’insistent absolument pas ni le roman graphique, ni le documentaire vidéo.

PS : J’ai été invité avec Siegfried Würtz pour parler de Bill Finger dans une vidéo d’environ une heure. Animée par Alexandra Ramos, vous pouvez découvrir cela sur le site des confrères de Batman Legend (sous forme de podcasts) ou sur YouTube directement. Merci à eux ! 🙂


Bill Finger (en vert) donnant des indications à Bob Kane (rouge) pour remanier son Bat-Man.
Image tirée du documentaire Batman & Bill.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 juin 2022.

Scénario : Julian Voloj
Dessin  & couleur : Erez Zadok

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Studio Makma

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Ci-dessous la fameuse planche de Ty Templeton montrant ce qu’aurait été le Bat-Man de Bob Kane sans l’intervention de Bill Finger.