Archives de catégorie : Critique

Catwoman à Rome

Catwoman à Rome se déroule pendant Amère Victoire et est inclus dans la compilation des travaux de Jeph Loeb et Tim Sale Des ombres dans la nuit. Attention donc à ne pas acheter en doublon ! Le titre est ressorti en récit complet le 14 janvier 2022 à l’occasion du film The Batman. Il avait déjà été publié en 2006 chez Panini Comics. La critique ci-après est celle déjà présente sur le site pour Des ombres dans la nuit.

BATMAN-OMBRES-DANS-LA-NUIT

[Résumé de l’éditeur]
Depuis qu’il est devenu le vigilant de Gotham City, le jeune Bruce Wayne a eu l’occasion de croiser de nombreux adversaires, mais depuis quelque temps, les mafieux ont cédé la place à un nouveau genre de criminel. À la suite de la Chauve-souris, ce sont des Épouvantails, Pingouins, Chapeliers déments, Chattes et sinistres Clowns qui, chaque nuit, prennent d’assaut la cité de Gotham. Autant de raisons qui obligeront un Chevalier Noir encore en formation à se forger un code d’honneur sans failles.

[Contexte — cf. Un Long Halloween et Amère Victoire pour plus de détails — attention aux révélations si vous ne les avez pas lus]
Dans Un Long Halloween, le tueur Holiday sévissait les jours de fête. Il fut identifié et emprisonné. Cette affaire eut plusieurs dénouements tragiques : le procureur Harvey Dent devint le terrible Double-Face, Carmine Falcone (le parrain intouchable de Gotham City) fut tué par Dent, sa fille Sofia se retrouva paralysée suite à une chute et un combat contre Catwoman.

Dans Amère Victoire, Selina Kyle se rend aux funérailles de Carmine Falcone. Parallèlement, son idylle avec Bruce Wayne vacille : ce dernier est froid et distant. Catwoman propose à Sofia Falcone de retrouver le corps de son père, mystérieusement disparu, contre un million de dollars. Son enquête la pousse à demander de l’aide au Sphinx, tétanisé de peur. La féline est ensuite assommée et sauvée in extremis par Batman. La relation ambigüe entre les deux prend fin et Selina/Catwoman disparaît ensuite (chapitre 5).

Elle réapparaît en fin de récit (chapitre 13 — qui aurait dû être inclus dans Des ombres dans la nuit selon le site de l’éditeur mais qui ne l’est finalement pas) où Batman, qui la suspecte d’être « la tueuse au pendu », l’interroge pour savoir pourquoi elle est proche de Sofia et où elle était passée depuis trois mois (elle quitte Gotham pour l’Italie peu après la Saint Valentin et revient en mai pour la Fête du Travail). Plus tard, on comprend qu’elle était en Italie pour enquêter sur ses origines : elle est persuadée d’être la fille de Carmine Falcone, donc la demi-sœur de Sofia et culpabilise d’avoir causé le handicap et la défiguration de celle-ci. C’est ce voyage de plusieurs semaines, où elle fut accompagné du Sphinx, qui est narré dans Catwoman à Rome.

[Histoire]
Selina Kyle envole pour Rome, accompagné du Sphinx qui — elle en est persuadée — pourra l’aider à résoudre le mystère de sa vie et ses origines. Pourtant, à peine arrivés, des signes rappelant la galerie d’ennemis de Gotham City surgissent…

[Critique]
Voilà un voyage en Italie doublement rafraîchissant. Graphiquement d’une part, grâce à ses teintes plus chaudes car ici la colorisation est assuré par Dave Stewart et non Gregory Wright (à l’œuvre sur Nuits d’Halloween et le diptyque culte). On y retrouve moins le style « à plat » conférant une ambiance sombre. La légèreté de l’ensemble est assurée par l’écriture d’autre part, avec quelques situations absurdes amusantes et des dialogues épicés agréables (le caractère de Selina lui forge une vraie personnalité intéressante).

L’objectif de Selina Kyle se devine aisément si l’on a lu Amère Victoire avant, il est donc conseillé de lire Catwoman à Rome entre Un Long Halloween et sa suite. Cela permet de mieux comprendre sa position en retrait le long de l’histoire d’Amère Victoire. Toutefois, même si l’ensemble est sympathique, on est loin d’atteindre la maestria des autres travaux du binôme artistique.

Quelques défauts sont en effet à mettre en avant : le scénario est un peu confus, le duo original (Catwoman et le Sphinx) a du mal à prendre, l’ennemie Cheetah dénote un peu par sa « fantaisie » dans un univers jusque là assez réaliste et tout va très vite (le récit s’étale sur six chapitres, chacun correspondant à une journée). Le traitement de la femme fatale est plutôt juste, même s’il y a un peu trop de poses sexistes/dénudées gratuites (accompagnées d’un humour redondant assez plombant, voire carrément beauf, sur les formes de la belle)…

L’absence du Chevalier Noir est nullement problématique, d’autant qu’il apparaît plusieurs fois sous formes de fantasme, tant l’obsession envers Batman par Catwoman est très présente. Curieusement, on comprend que Selina Kyle a beau sortir avec Bruce Wayne, elle ne réalise pas qu’il est le Dark Knight, qu’elle croise pourtant souvent sous son alias félin (surtout quand on lit les deux volumes annexes).

Néanmoins Catwoman à Rome est un spin-off intéressant (mais pas indispensable) à Un Long Halloween et surtout Amère Victoire, pour illuminer une zone d’ombre durant ce dernier. Dans un premier temps, on s’agaçait de devoir débourser 35€ pour le lire, avec trois autres histoires one-shot sur la Fête des Morts, un prix peut-être un peu trop élevé… Une édition « à part » semblait plus judicieuse et c’est ce qu’a fait Urban Comics en proposant désormais ce titre pour 16€ le 14 janvier 2022.

[À propos]
Publié le chez Urban Comics  le 14 janvier 2022.
Précédemment publié chez Panini Comics.

Scénario : Jeph Loeb
Dessin : Tim Sale
Couleurs : Gregory Wright et Dave Stewart
Traduction : Alex Nikolavitch Racunica / Ed Tourriol / Makma

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Batman – Ego

Œuvre souvent acclamée (voire considérée comme culte – pas vraiment à raison comme on le verra dans la critique), écrite et dessinée par Darwyn Cooke, Batman Ego bénéficie enfin d’une réédition (en vente le 14 janvier 2022). Le titre était sorti en 2001 chez Semic puis en 2008 chez Panini Comics accompagné du récit avec lequel il forme (plus ou moins) un diptyque : Catwoman – Le gros coup de Selina. Ce dernier avait déjà été publié par Semic en 2003, sous le nom Catwoman – Le Grand Braquage. Urban Comics le ressort également le 14 janvier sous le titre Catwoman – Le Dernier Braquage, accompagné de quelques chapitres inédits et d’autres déjà inclus dans le premier tome de Ed Brubaker présente Catwoman.

Cette critique est basée uniquement sur le récit Batman Ego de l’édition 2001 de Semic et sera actualisée début 2022 quand celle d’Urban Comics sera disponible (qui contient quatre histoires courtes de Cooke sur le Chevalier Noir en bonus : Crime Convention, Déjà Vu, The Monument et There Be Monsters).


Les couvertures respectives d’Urban Comics (2022), Panini Comics (2008) et Semic (2001).

[Résumé de l’éditeur]
Au lendemain de la dernière vague de crimes du Joker, Batman se lance à la poursuite d’un de ses sous-fifres, Buster Snibbs, dans l’espoir d’obtenir des informations sur la position de son plus fidèle ennemi. Blessé, et épuisé tant physiquement que mentalement, le Chevalier Noir sauve néanmoins in extremis le vaurien qui, paniqué à l’idée-même des représailles de son patron, met fin ses jours. Un traumatisme qui poussera Bruce Wayne dans ses derniers retranchements, aux frontières de la folie pure.

[Histoire]
Trois ans après ses premiers pas, Batman continue inlassablement de combattre le crime dans Gotham, lucide sur sa situation (il peine à changer la ville), il s’habitue tristement aux méfaits des malfrats. Le dernier en date est un massacre dans un bal de charité orchestré par le Joker. Bilan : 27 morts, le Clown du Crime arrêté et un chauffeur, Buster Snibbs, en fuite avec 400.000 dollars.

Alors que le Chevalier Noir est sur le point de stopper Snibbs, ce dernier tente de se suicider, sauvé de justesse par le justicier. Mais le calme est de courte durée, Buster Snibbs reconnaît avoir tué sa femme et sa fille, de peur que le Joker s’en prenne à elles, puis se tire une balle dans la tête, sous le regard impuissant de Batman

Traumatisé par cet évènement, Bruce entame « une plongée psychotique au cœur des ténèbres », jonglant entre son passé et son présent, où un double machiavélique, alter ego chauve-souris géante, le martèle de ses échecs et d’une morale douteuse. Le milliardaire tente de se relever…

[Critique]
Relativement court (environ soixante-dix pages), Ego est précédé d’une jolie réputation mais est-elle méritée ? Oui et non… On reviendra sur la patte graphique de Cooke, inimitable et appréciable, après s’être attardé sur le scénario. Si le titre démarre fort avec ce suicide imprévisible et sa mise en scène sanglante, la suite enchaîne certes de belles séquences psychédéliques mais un peu vaines et, surtout, avec un gros sentiment de « déjà-vu ». Bien sûr, il faut contextualiser l’année de parution de l’œuvre, l’an 2000, période où l’on a déjà évoqué la psyché de Bruce/Batman à plusieurs reprises (Killing Joke, Arkham Asylum…), flirtant avec une éventuelle schizophrénie, comme Double-Face (habilement mis en avant lors d’un passage) et son éventuel nihilisme. Relire que le Caped Crusader est responsable de la création du Joker, que le seul moyen d’en finir est de le tuer et ainsi de suite n’est guère novateur… Néanmoins, la conclusion plutôt poétique laisse une note plus enjouée au global.

L’intérêt se situe donc au niveau des planches, Darwyn Cooke imposant parfois un gaufrier neuf cases (Killing Joke à nouveau mais aussi Watchmen bien sûr et plus récemment Doomsday Clock), signant les dessins et la colorisation (en plus du scénario – son premier pour DC Comics à l’époque, bien avant son chef-d’œuvre The New Frontier (pas encore chroniqué) ou l’excellent Before Watchmen – Minutemen). On se plaît à voir son style très doux, quasiment cartoon et presque pour enfants, proche de la ligne claire européenne parfois et l’esthétique pulp’s/glamour des 50’s,  tranchant avec la brutalité des séquences d’action ou de l’emprise cauchemardesque de la créature issue de la folie de Bruce/Batman. Un alter ego impressionnant quand il est croqué en pleine page (le format Black Label devrait rendre honneur au talent de Cooke dessinateur). À ce niveau, Batman – Ego n’a pas pris une ride et « vieillit bien ».

Le problème est qu’il survole son enjeu dramatique en l’expédiant en quelques dizaines de pages seulement alors qu’il y avait énormément à dire, à faire… Néanmoins ce classicisme introspectif reste dans l’ADN de l’homme chauve-souris, pour le petit prix (16€), on aurait tort de se priver de (re)découvrir ce titre particulier. Une lecture frustrante donc malgré un voyage chromatique sympathique, on la conseillerait plutôt pour les nouveaux venus, s’intercalant aisément dans les premières années du justicier (les alliés sont absents ou figurants le temps d’une case, Alfred n’est pas là non plus).

Ce conflit intérieur semble être l’une des inspirations de Matt Reeves pour le film The Batman (prévu pour mars 2022, justifiant ainsi la nouvelle publication du comic en France) [1]. « Je voulais entrer dans la tête du personnage et m’intéresser à sa psychologie. […] Une des plongées les plus profondes se trouve dans le Batman – Ego de Darwyn Cooke, expliquait-il en août dernier. Il se confronte à la bête qu’est Batman et c’est ce genre de dualité que je recherche. Il y a beaucoup de matière avec ce qu’il essaie de faire en faisant face à sa part d’ombre et son niveau de connaissance de soi. On est capable de comprendre ses motivations, mais Batman est brisé et pourquoi il fait ce qu’il fait et les raisons qui le poussent à penser que c’est juste ont une sorte d’ancrage héroïque. Et il y a également tellement de choses qui sont motivées par des aspects de sa personnalité qu’il ne connaît pas encore… c’est ce genre de choses qui sont très connectées à la vision de Darwyn Cooke pour Ego. » On attendra bien sûr la sortie du long-métrage pour voir si les œuvres se font écho…

[1] Sept titres semblent avoir servis de matrice pour le long-métrage de Matt Reeves, cf. la seconde newsletter de François Hercouët. Sans surprise, le classique triptyque des origines (Année Un, Un Long Halloween et Amère Victoire) mais aussi le titre sur Catwoman qui y est connecté (Catwoman à Rome), le très récent Imposter (co-écrit par le scénariste du film, Mattson Tomlin) et bien sûr cet Ego et Catwoman – Le Dernier Braquage. On note d’ailleurs qu’Urban Comics a choisi de le publier le même jour (14 janvier 2022), formant deux jolies couvertures côte à côte et se démarquant de la précédente édition (Panini Comics) qui avait rassemblé les deux récits en un seul volume.

[À propos]
Publié par Urban Comics le 14 janvier 2022. Précédemment publié chez Panini Comics (2008) et Semic (2001).

Scénario, dessin et couleur : Darwyn Cooke
Traduction : Alex Nikolavitch (à confirmer)
Lettrage : (à venir)

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Batman Arkham – Poison Ivy

Pamela Isley, alias Poison Ivy est à l’honneur dans le deuxième opus de la collection Batman Arkham ! La célèbre empoisonneuse (ou éco-terroriste selon les périodes éditoriales) est au centre de onze récits (ainsi qu’une double page et des « fiches signalétiques »), majoritairement issus des années 1990 et 2000 (à l’exception de sa première apparition dans un épisode de 1966), incluant un très long chapitre de soixante-dix pages environ (L’ombre d’un doute). De quoi offrir un bel éventail d’histoires pour cette antagoniste charismatique trop souvent reléguée au second plan. La sélection propose du beau monde côté artistes avec quelques scénaristes connus, comme Neil Gaiman et Paul Dini, mais aussi des dessinateurs de renom comme Guillem March (Catwoman) et Stjepan Šejić (Harleen).

Prenez garde à Poison Ivy !Batman #181 (1966)
Scénario : Robert Kanigher | Dessin : Sheldon Moldoff

Une mystérieuse nouvelle ennemie apparaît à Gotham : Poison Ivy ! Séduisant tous les hommes et usant de produits chimiques pour aveugler ses victimes, elle partage un double objectif. D’un côté, elle veut devenir la criminelle numéro de la ville, pour cela elle doit prendre la place des trois femmes les plus belles et dangereuses du moment : Libellule, Aranéide et Halisidote. D’un autre côté, elle veut « simplement » partager sa vie avec un homme la méritant : elle hésite entre Batman et… Bruce Wayne !

Personnage immédiatement charismatique, Poison Ivy a plus ou moins « mal vieilli » en relisant sa première apparition. Pour coller à l’époque, la bande dessinée est très bavarde, justifiant chaque action de tous les protagonistes, aussi bien en bulle de narration qu’en paroles et dialogues explicites – ce qui est toujours un peu pénible mais conserve tout de même un certain charme. Le propos un brin sexiste fait un peu tâche aujourd’hui… mais les dessins sauvent l’ensemble et puis, c’est historique, c’est la première fois qu’on voit Ivy ! Encore mal définie, il n’est pas question de manipuler la flore pour l’Empoisonneuse – qui mettra des décennies avant d’être entièrement caractérisée, cf. conclusion générale en fin de critique – mais son look « chlorophylle » est déjà présent. On apprécie l’effort de langage soutenu habilement traduit, délicieusement vintage… L’histoire, quant à elle, n’est pas très passionnante mais divertit ; c’est déjà ça.

 

PavaneSecret Origins V2 #36 (1989)
Scénario : Neil Gaiman | Dessin : Mark Buckingham

Un inspecteur doit interroger Poison Ivy, enfermée en prison. Objectif : comprendre qui est l’Empoisonneuse, quelle est sa véritable identité, ses missions, etc. Tous les rapports d’enquête (FBI, CIA, GCPD…) ont des informations contradictoires. Mais l’homme va-t-il résister aux charmes d’Ivy ?

Nettement plus moderne (forcément vu l’année de publication), on se surprend à « suivre » Ivy dans ses récits : sont-ils fictifs ? réels ? exagérés ? Difficile de savoir et c’est ce qui donne un certain charme à cette petite bande dessinée qui tente élégamment de caractérisée Pamela, en proie à une certaine folie. Graphiquement, on n’a pas forcément l’impression de lire un comic book mais presque une œuvre indépendante, on ne croise d’ailleurs aucun super-héros, ni Batman et Robin (seulement le temps de deux ou trois cases en flash-back qui fait écho au segment précédent) ni Green Lantern qui est en couverture avec Ivy pourtant (la première partie de ce Secret Origins #36 lui était consacrée). Bref une seconde entrée en matière efficace.

Effet de SerreLegends of the Dark Knight #42-43 (1993)
Scénario : John Francis Moore | Dessin : P. Craig Russell

Un homme se suicide lors d’une soirée de charité où Bruce Wayne est présent. En enquêtant sur les raisons qui ont poussé la victime à se donner la mort, Batman comprend que Poison Ivy est probablement derrière cet acte. Pourtant, Pamela Isley se déclarait guérie et, malgré, son ancienne idylle avec le Chevalier Noir, elle est peut-être elle aussi manipulée…

Deux chapitres plutôt bien écrits et dessinés servent une histoire un brin convenu, dont les prénoms franco-français de certains personnages (Dominique, Victor…) sonnent un peu « faux » mais on apprécie énormément l’emprise d’Ivy sur Batman, tout en finesse, ajoutant des nuances d’empathie envers l’Empoisonneuse, ou plutôt l’Ensorceleuse, fragile et un peu perdue elle aussi. On regrette juste qu’elle reste en costume civil tout au long des épisodes (à de rares exceptions près sur la fin). Sa relation avec Batman et les tourments de ce derniers sont la force de ce récit, qui prennent le dessus sur les quelques clichés ambulants liés au côté séduction féminine/emprise masculine.

Année UnBatman : Shadow of the Bat Annual #3 (1995)
Scénario : Alan Grant | Dessin : Brian Apthorp

Depuis un an, Bruce Wayne arpente les rues de Gotham City la nuit en tant que Batman. Il commence à bâtir une réputation de justicier dans la ville. Sa route croise celle de Poison Ivy, envoûtante jeune femme à laquelle le milliardaire n’est pas insensible. Qui est-elle ? Comment les hommes tombent-ils, littéralement, sous son charme ?

Probablement LE titre le plus intéressant (jusqu’ici) qui alterne habilement les premiers pas du Chevalier Noir et ceux de l’Empoisonneuse, il manque encore « l’origine de ses pouvoirs », rapidement esquissée le temps d’une ou deux cases mais on la voit (enfin !) en pleine capacité de contrôler les plantes et d’injecter du poison (des champignons poussent sur ses victimes). L’ensemble est brillamment dessinée, explosant parfois en pleine page ou double pages (dont une verticale, cf. illustration en fin de la critique) quelques séquences d’action ou d’intimité. Clairement un titre important qui n’a pas pris une ride ! On apprécie aussi l’humour d’Alfred, l’enthousiasme d’un Bruce Wayne pas encore abîmé ou lassé et quelques allusions sympathiques à Batman, la série animée ou d’autres clins d’œil à la mythologie d’Ivy, comme le trio d’ennemies féminines de sa première apparition réincarné ici en groupe de rock.

La loi de la jungleBatman : Poison Ivy #1 (1997)
Scénario : John Francis Moore | Dessin : Brian Apthorp

Réfugiée sur une île avec la faune et la flore, Poison Ivy jure de se venger quand des mercenaires incendient la nature… À Gotham, Bruce échange avec un de ses amis entrepreneurs créateur de parfum…

Un récit assez long comportant les qualités et défauts de son époque. La proposition graphique peine à satisfaire, faute à une colorisation numérique semi-réussie et des traits assez quelconque. Le titre est très convenu et prévisible – ça fonctionne rarement un « nouveau collègue » de Wayne… – , néanmoins il apporte une évolution non négligeable pour Ivy (sexualisée comme jamais ici) : on se prend d’empathie pour elle puisque ses desseins ne sont pas foncièrement « mauvais », Batman lui-même échange sur le sujet avec sa rivale. Une parenthèse avec Killer Croc, lui aussi sensible à la verdure, se révèle intelligente. L’Empoisonneuse amorce le tournant qui la nuancera davantage que les sempiternelles crimes pour se faire de l’argent, l’approche écologique commence ici. Un chapitre important donc, malgré ses défauts.


Fruit de la PassionThe Batman Chronicles #14 (1997)
Scénario : Andrew Helfer | Dessin : Cully Hamner

Enfermée à Arkham, Ivy conçoit d’étranges créatures mi-animales, mi-florales : des petits rongeurs ressemblant fortement à des plantes… Un des gardiens de l’asile décide d’en offrir à sa fille.

Sans aucune doute l’épisode le moins passionnant, très court (neuf pages) aux dessins un peu « brouillon » et à l’histoire vite expédiée voire confuse… On peut clairement faire l’impasse dessus même si les fans d’Ivy (qui sont là pour lire tout ce qui tourne autour d’elle) seront peut-être satisfaits.

Le PariBatman : Gotham Knights #14 (2001)
Scénario : Paul Dini | Dessin : Ronnie Del Carmen

Enfermées à Arkham, Harley et Poison Ivy se lancent un pari amusement mais un peu risqué : l’empoisonneuse estime que chaque homme du pénitencier peut tomber sous son charme et l’embrasser !

On replonge dans l’univers du dessin animé de Batman puisque Paul Dine signe le scénario, Bruce Timm l’illustration de couverture – les dessins de la bande dessinée sont assurées par Ronnie Del Carmen, qui s’efforce d’approcher du style de Timm avec une certaine réussite. Initialement, ce court récit (huit pages seulement) est paru en noir et blanc dans Batman Black & White mais a été mis en couleur pour l’occasion (on ignore par qui en revanche). L’histoire se déroule quand Harley est encore férocement amoureuse de son poussin. Pour cause, le titre est sorti en avril 2001, bien loin de l’émancipation actuelle de l’ancienne docteur… mais l’histoire est autant centrée sur elle qu’Ivy qui trouve ici une amorce humoristique très bienvenue. À noter qu’Urban avait déjà publié ce segment dans un hors-série de Batman Univers consacré à Harley Quinn.

Entre l’arbre et l’écorceBatman : Gotham Knights #15 (2001)
Scénario : Devin K. Grayson | Dessin : Roger Robinson

Poison Ivy contrôle plusieurs personnes présentes lors d’une soirée caritative visant à préserver les forêts. Parmi les invités : le père de Timothy Drake et sa nouvelle compagne. Batman et Robin arrivent sur les lieux…

Autant tourné vers le troisième Robin – encore à ses débuts visiblement même si le personnage existait depuis une douzaine d’années – que sur l’Empoisonneuse, on retrouve ce qui fonctionne « bien » : Ivy y apparaît radical dans son combat écologique (elle n’hésite pas à tuer) mais ce qu’elle tente de sauver est tout à fait respectable. Son échange avec un Robin jeune mais déjà mature conclut bien cet épisode, visuellement très agréable avec quelques découpages bien sentis et des teintes émeraudes efficaces.

L’ombre d’un douteBatman/Poison Ivy : Cast Shadows #1 (2004)
Scénario : Ann Nocenti | Dessin : John Van Fleet

Tandis qu’Ivy tente une guérison à Arkham, un riche homme d’affaires est en train de faire construire le plus haut gratte-ciel de Gotham City. De quoi masquer le soleil et la lumière… si précieux pour les citoyens et bien sûr pour Pamela.

Épisode très long (près de soixante dix pages), volubile (inutilement au début) mais très prenant, doublé d’une proposition graphique très séduisante et une lisibilité de l’ensemble très « cinématographique ». L’histoire est un peu convenue de prime abord mais bénéficie du capital sympathie d’Isley/Ivy puis de sa relation avec Batman : le duo est efficace et sert le récit avec une certaine pointe de mélancolie (une fois de plus, on comprend les intentions de l’Empoisonneuse, son combat est louable). Les teintes sépias tout le long confèrent une atmosphère anxiogène qui épouse à merveille la fiction, épique quand elle se lâche dans des scènes d’exposition ou d’action, magistralement servie à la fois par des décors proche du photo-réalisme et de la colorisation (a priori effectuée par le dessinateur Van Fleet même si ce n’est pas confirmé). Seuls quelques visages aux traits anguleux et gras cassent un peu « l’ambiance » mais l’identité visuelle de l’ensemble reste un régal.

DéfloréeJoker’s Asylum : Poison Ivy #1 (2008)
Scénario : J. T. Krul| Dessin : Guillem March

Depuis Arkham, le Joker conte une histoire, intitulée Déflorée, revenant sur Poison Ivy : ses origines et son combat actuel.

Rien de neuf sous le soleil de Gotham ici, un condensé de ce qu’on connaît déjà sur Ivy servi par les dessins de Guillem March (la série Catwoman (Renaissance)), donc avec forcément plein de belles jeunes femmes – même si on a connu l’artiste plus inspiré dans le même registre –, les amateurs de jolies courbes seront séduits, les autres y verront un énième sexisme maladroit qui s’était pourtant éloigné de la caractérisation du personnage (est-on obligé de dessiner Pamela/Ivy nue quasiment tout au long de la bande dessinée ?). Reste quelques échanges amusants et un Batman moins habile que d’habitude.

La justicière verteSecret Origins V3 #10 (2015)
Scénario : Christy Marx | Dessin : Stjepan Šejić

Pamela Isley rend visite à une cultivatrice de maïs, voisine malgré elle d’une entreprise versant des produits nocifs sur les récoltes…

Encore une fois un récit « origine » sur Ivy, il y en a clairement un peu trop dans l’ouvrage (on y reviendra en conclusion). Néanmoins, il permet d’apprécier le superbe style de Stjepan Šejić, qu’on retrouvera quelques années plus tard sur le titre Harleen (qu’on recommande), dans lequel intervenait déjà Ivy avec ce nouveau look, encore plus abouti – il est étonnant de ne pas avoir inclut ce segment dans Harleen justement, peut-être parce que le dessinateur-auteur avait prévu toute une histoire sur Ivy avant de l’abandonner…

Les origines de Poison IvyCountdown #37 (2007)
Scénario : Scott Beatty | Dessin : Stéphane Roux

Une ultime double page sur… les origines et l’histoire de Poison Ivy, décidément ! L’intérêt se situe dans les dessins du Français Stéphane Roux et des sagas essentielles conseillées pour explorer d’autres récits sur l’Empoisonneuse (presque identiques entre la VO et la VF). Les archives de la Suicide Squad (vol. 3), Batman – No Man’s Land puis New Gotham, Gotham Girls et Harley & Ivy sont ainsi cités (Paul Dini Présente Batman – Tome 1 également mais en mention par rapport à une connexion textuelle), tous disponibles chez Urban Comics.

Deux « fiches signalétiques » concluent l’ouvrage, chacune composée d’un dessin d’un long texte biographique.

Conclusion générale :

L’avant-propos d’Urban Comics retrace le parcours éditorial d’une figure féminine mal définie durant des années. Créée tardivement (juin 1966, au moment de la diffusion de la série TV à succès), Poison Ivy est assimilée à une séductrice fatale, intelligente et armée d’un « stimulateur de plantes ». C’est durant les années 1980 qu’elle obtient l’identité de Pamela Lillian Isley, dotée de pouvoirs (« phéromones agressives et immunité totale ») avant d’être enfin « réellement » caractérisée dans Batman, la série animée, soit dans les années 1990.

L’approche éco-terroriste misanthrope influence les auteurs de comics tout en nuançant la personnalité d’Ivy : elle aide et sauve certains habitants de Gotham (on pense à la saga No Man’s Land par exemple) ou rejoint Harley Quinn et Catwoman dans diverses aventures. Elle noue une relation tantôt amicale, tantôt amoureuse avec l’ancienne compagne du Joker (on recommande d’ailleurs la série d’animation Harley Quinn pour l’efficacité du duo Ivy/Quinn). Uma Thurman l’a interprétée dans Batman & Robin en 1997 – en allumeuse ridicule.

L’Empoisonneuse mériterait aussi bien une nouvelle adaptation moderne au cinéma (dans une des suites de The Batman ?) qu’une histoire en comics qui « ferait date ». En effet, le combat radical écologique (et féministe) d’Ivy est un puissant écho à l’actualité, on pourrait aisément s’y projeter. Le personnage serait légitime d’avoir ces honneurs et serait redoutablement plausible et fascinant avec cette approche réaliste, surfant sur les enjeux de notre monde moderne et en adéquation avec notre temps. Qui s’y collera ?

À l’instar de Selina Kyle/Catwoman, Pamela Isley/Poison Ivy est donc souvent croquée comme le cliché de « la femme fatale », une séductrice mortelle. L’évolution du personnage est en ce sens passionnante. Subsiste une frustration : ce qu’il s’est déroulé avec le Dr. Woodrue, responsable (tour à tour) de sa peau verdâtre, de son contrôle de la flore, de son immunité au poison tout en pouvant en prodiguer elle-même, etc. Cet évènement est relaté uniquement lors d’une ou deux cases en flash-back sans que l’on voit (et donc sache) vraiment ce qu’il s’est produit…

Par rapport au contenu VO, Urban Comics fait l’impasse sur deux épisodes de 1978, A Kiss of Death Times Three et A Poison of the Heart (World’s Finest Comics #251-252) ainsi qu’un de 1981, A Sweet Kiss of Poison (Batman #1981). Idem pour deux segments plus récents, un sans titre issu de Gotham City Sirens (#8 en 2010) et l’évident The Green Kingdom (Detective Comics #23.1 en 2013, déjà publié en kiosque). Un choix étonnant donc mais qui permet d’être remplacé par cinq autres titres (toute la seconde moitié de l’ouvrage presque) qui sont clairement dans le haut du panier.

En synthèse et sans surprise, Batman Arkham – Poison Ivy est un incontournable pour les amoureux de l’Empoisonneuse. On aimerait encore d’autres titres, plus longs et aboutis, dans d’autres collections (seul un hors-série de l’époque kiosque lui fut consacré). Pour ceux qui n’accrochent pas plus que ça à cette ennemie, il n’est évidemment pas utile de lire cet ouvrage, d’autant qu’on y trouve peu le Chevalier Noir.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 décembre 2021.

Scénarios et dessins : collectif (voir critique)
Traduction : Thomas Davier, Xavier Hanart et Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye et Makma

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