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Joker Infinite – Tome 3 : Du clown au menu

Troisième et dernier tome [1] de Gordon Joker Infinite (en vente le 2 septembre prochain), Du clown au menu vient conclure une histoire originale dont le premier volet était percutant et saisissant et le second un peu moins palpitant. Critique et conclusion.

[1] Bien qu’indiqué en quatrième de couverture que la série Joker Infinite est « en cours » (et non « terminée ») ce troisième tome est bien le dernier comme l’avait stipulé Urban Comics dans une publication sur Facebook annonçant l’ouvrage en avril dernier (puis confirmé une seconde fois en réponse à mon interrogation fin juin/début juillet).

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir été gravement blessé par la famille Sampson alors que ces derniers mettaient enfin la main sur le Joker, Jim Gordon semble laisser sa fille Barbara prendre sa place dans sa quête du Clown Prince du Crime. Mais ses mystérieux commanditaires ne le voient pas d’un bon œil et s’apprêtent à dévoiler leurs réelles intentions… ainsi que leur véritable identité. Le Joker pourra-t-il survivre à l’assaut de ce groupe de l’ombre, d’une famille de cannibales, et de Vengeance, la clone de Bane que Gordon a lâché sur lui ?

[Début de l’histoire]
Pas besoin d’en dire davantage que le résumé de l’éditeur.

[Critique]
Une bonne suite et une conclusion « à peu près » satisfaisante ! Voilà qui synthétise la première pensée une fois la lecture terminée et, surtout, qui fait plaisir en ces temps de productions de comics assez balisées. Au programme de ce troisième tome qui porte très bien son nom puisque le Joker est littéralement un clown au menu des cannibales : six chapitres qui connectent toutes les intrigues vues précédemment.

Le premier épisode est un long flash-back, dans la continuité de l’annual #1 qui fermait le tome précédent, revenant sur le quotidien de Gordon après Killing Joke. Sa cohabitation avec Barbara, le GCPD corrompu et… son fils James Jr. revenu au bercail familial, fasciné par le Joker. Tout ce chapitre est à nouveau dessiné, encré et colorisé par Francesco Francavilla et son style pulp inimitable aux tonalités chaudes, jeux de lumière efficaces et traits simples mais efficaces. Comme dans les deux volumes précédents, ce procédé graphique permet d’identifier immédiatement que cette partie du récit se déroule dans le passé.

Une parenthèse s’impose (sur ce paragraphe et le suivant) tant on se rend compte que les séries « héritières » de Killing Joke se déroulent sur deux axes. Un premier avec différentes histoires qui sont, directement ou indirectement, impactées. On pense bien sûr à tous les comics de ces trente dernières années qui évoquent au détour de quelques cases les sinistres évènements relatés dans Killing Joke mais qui ne servent, au final, « que » de rappels historiques ou bien de repères chronologiques dans la grande mythologie de Batman. En revanche, on trouve dans Trois Jokers une véritable « suite » assumée (à insérer canoniquement ou non dans la continuité selon le bon vouloir du lecteur) et désormais dans ces Joker Infinite. La courte série synthétise bien les démons de Gordon tout en lui offrant une opportunité de vengeance (ou de rédemption).

En marge de tout ceci, et c’est ce que nous appelons le second axe des séries « héritières » de Killing Joke, il y a ce qui semble peu connecté de prime abord. Sombre Reflet notamment, qui mettait en scène James Gordon Jr. (avec à nouveau Francavilla au dessin, ainsi que Jock), qu’on revoie ensuite dans Le Batman Qui Rit, qui devient de facto une étrange extension au précédent titre. Là aussi, le poids du passé (et donc des blessures de Killing Joke) trouvent un écho conclusif dans les Joker Infinite. On pourrait donc lire « à la suite » Killing Joke, Sombre Reflet, Le Batman Qui Rit, Trois Jokers puis Joker Infinite qu’on arriverait à tisser une ligne narrative où s’entremêlent avec brio Batman, le Joker et – surtout – la famille Gordon : James et ses deux enfants, Barbara et James Jr. Un canevas du neuvième art passionnant qui s’étale sur des années, conçu probablement involontairement mais proposant de belles choses !

Revenons au troisième tome de Joker Infinite. Passé l’introduction sur le passé de Gordon, on renoue avec toutes les intrigues en cours qui trouvent chacune une résolution plus ou moins satisfaisante. Du côté des figures féminines de Gotham (Barbara, Julia, Orphan – Spoiler n’apparaît pas cette fois, étrangement), elles se connectent habilement avec l’enquête de Gordon sur le Réseau via un passage de flambeau et une entraide globale. Le fameux Réseau, justement, est mieux explicité, on comprend aussi les motivations de la Cour des Hiboux, ou plutôt de Cressida. La famille Sampson revient également sur le devant de la scène, là aussi on saisit davantage les connexions avec le reste du récit (en gros, les Sampson sont des cannibales mais le Réseau a besoin d’eux pour exploiter le pétrole sur leur terrain et, surtout, continuer de servir des mets humains à l’élite secrète urbaine – ça semble bordélique dit comme ça mais fait sens dans la BD). Et le Joker dans tout ça ? Un bouc émissaire déniché par Cressida qui veut faire tomber le fameux Réseau et qui a utilisé Vengeance, la clone de Bane, pour arriver à ses fins.

Attention, quelques révélations majeures dans ce paragraphe, passez au suivant pour vous en préserver. Cressida s’est surtout alliée avec… Bane. Qui n’était donc pas mort – comme on le pressentait –, c’est l’une des premières surprises du scénario (toujours signé James Tynion IV) qui arrive à la moitié de la lecture. C’était prévisible mais ça permet de débouchait sur une relation père/fille entre Bane et Vengeance prometteuse. Seconde surprise du scénario : l’ergot de la Cour des Hiboux est en fait James Gordon Jr. À moitié zombifié, il pourra donc revenir ultérieurement dans un rôle d’antagoniste ou allié… Et comment ça se termine tout cela ? Et bien, un statu quo plus ou moins inchangé : le Joker est toujours vivant et libre (quelle surprise…), Bane et Vengeance se sont éclipsés (hâte de les revoir), le Réseau est plus ou moins démantelé (on ignore si des clones d’autres ennemis sont prévus).

Surtout, James Gordon est apaisé avec lui-même. Et c’est ce récit, son récit, qui reste en mémoire. L’évolution d’un homme blessé, meurtri, usé… Certes, l’écriture manque parfois de finesse et ce qui gravite autour de Gordon n’est parfois pas très élaboré ou mal équilibré mais qu’importe. La force de ce tome et de la série en général et d’avoir mis au second plan le Joker, ne pas en avoir fait un personnage présent dans chaque chapitre ou chaque page. Forcément, on pourrait estimer le titre voire les couvertures un poil mensongers mais c’est carrément mieux ainsi. L’histoire reste plutôt originale, assez solide, singulière, brutale et sanglante. Tout n’est – n’était – pas parfait, loin de là, mais la proposition transpire l’honnêteté et l’envie de sortir d’un moule narratif trop calibré. Même si ça ne révolutionne pas forcément la mythologie du Chevalier Noir, ça fait avancer Gordon, ça rabat quelques cartes (il va travailler dans le privé avec Bullock, Vengeance est un personnage prometteur, les restes du Réseau peuvent déboucher sur des choses intéressantes…) et ça reste une lecture plaisante. Le dernier chapitre est un long échange entre Batman et Gordon d’où résulte une sincérité touchante chez le policier, expliquant être en paix avec ses choix de vie (et donc de ne pas tuer le Joker).

Le tome se termine sur un épisode entièrement en noir et blanc (Signals en VO, étonnamment nommé Conclusion ici), entièrement écrit, dessiné, encré et « colorisé » par Lee Weeks, provenant de la troisième série Batman Black & White. Rappelons que celle-ci se définit par plusieurs épisodes indépendants de quelques planches (huit seulement en moyenne), consacrés au Chevalier Noir et signés par de prestigieux artistes, le tout, bien évidemment, en noir et blanc. Une initiative débutée en 1996 et poursuivi en 2013/2014 puis repris en 2020/2021. Ces salves d’anthologie sont disponibles en français également (en deux tomes pour l’instant, en attendant le troisième et dernier pour 2022 ou 2023). Bref, ce Batman Black & White #5 (juin 2021) est anecdotique et même s’il suit brièvement Gordon, il n’a pas trop lieu d’être ici. Prenons-le comme un bonus détaché du reste.

On aurait aimé que Julia, Orphan et Spoiler ne soient pas réduites à de la figuration et Barbara un brin plus en avant mais tant pis. Si les réponses aux mystères sont satisfaisantes, on peut aussi déplorer leur manque d’exploitation : le clonage du Réseau, l’emprise de ce dernier au niveau mondial, le cannibalisme apparemment apprécié de beaucoup (!) et ainsi de suite. Ça ne gâche pas l’œuvre en soi, ça laisse quelques portes ouvertes surtout, faut d’avoir enrichit tout ça en si peu de temps, ce n’est donc pas très grave mais ça aurait élevé la fiction pour qu’elle soit davantage marquante voire « culte » (à défaut, son premier tome reste dans les coups de cœur du site).

En synthèse, on conseille cette courte série Joker Infinite, mais… il faut donc débourser au total 48€ pour lire une grosse quinzaine d’épisodes, ça pique un peu quand on se dit qu’il y aura peut-être dans quelques années une intégrale en un seul tome pour une trentaine d’euros… Il est étonnant de ne pas avoir proposer la série en deux tomes dans un premier temps. À voir donc selon le budget de chacun : emprunt en médiathèque, achat complet ou patience avant une éventuelle réédition intégrale…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 septembre 2022.
Contient : The Joker #10-15 + Batman Black & White #5

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin : Giuseppe Camuncoli, Francesco Francavilla
Encrage : Francesco Francavilla, Cam Smith, Lorenzo Ruggiero, Adriano Di Benedetto
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Sarah Grassart et Gaël Legeard)

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Joker Infinite – Tome 3 : Du clown au menu (17€)
Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres (15€)
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Joker Infinite – Tome 2 : Le faiseur de monstres

Après un excellent premier tome, Jim Gordon Infinite, ou plutôt Joker Infinite, continue son chemin narratif palpitant et original.

[Résumé de l’éditeur]
Lors du jour de l’attaque sur l’asile d’Arkham, Billy Sampson a perdu la vie. Et sa famille est bien décidée à se venger de celui qu’ils suspectent d’avoir initié le massacre : le Joker. Jim Gordon est également à ses trousses et le suivra jusqu’à Paris, malgré les embûches semées sur son chemin et la désapprobation de sa propre fille. Mais si le Clown Prince du Crime était cette fois innocent du crime qu’on lui impute… Gordon pourrait-il risquer sa vie pour lui ?

[Début de l’histoire]
En se faisant arrêté par Interpol, Jim Gordon découvre l’existence du « Réseau », un organisme qui permet aux vilains de se reposer dans de endroits paradisiaque mais aussi, et surtout, de concevoir des tissus humains dupliqués afin de simuler des morts ou de créer des clones.

De leur côté, Barbara, Cassandra et Stephanie affrontent un ergot de la Cour des Hiboux tout en essayant d’aider Julia Pennyworth, la fille d’Alfred, qui s’est rendu à Santa Prisca, lieu de pèlerinage des aficionados de l’assassin de son père (cf. Batman Rebirth – Tome 12).

Quant à Vengeance, la femme arborant le masque de Bane, elle propose à Gordon de tuer le Joker, introuvable pour l’instant…

[Critique]
Attention, tome relativement court puisqu’il n’est composé que de l’épisode Annual #1 de la série The Joker (son titre en VO) et trois de ses chapitres : les #7 à #9, le #10 n’est pas inclut contrairement à ce qui est annoncé sur le site de l’éditeur – il sera dans le troisième et dernier tome. Sur ce sujet, bien qu’il soit indiqué en quatrième de couverture que la série Joker Infinite est « en cours » (et non « terminée ») avec un troisième tome à paraître (le 2 septembre prochain), celui-ci sera bien le dernier comme l’avait stipulé Urban Comics dans une publication sur Facebook annonçant l’ouvrage (puis confirmé une seconde fois en réponse à mon interrogation). La série The Joker compte pour l’instant (juin 2022) quinze chapitres et un annual, tous écrits par James Tynion IV, qui quitte la série après ce quinzième épisode justement. On ignore si un autre auteur reprendra la suite à partir de l’épisode #16. Bref, on comptabilise donc une grosse centaine de pages pour l’intégralité de ce second volet. Que vaut-il ?

On retrouve les bons ingrédients du précédent mais aussi une certaine « déception », par sa durée très courte notamment, impossible de ne pas être frustré tant on veut lire la suite et qu’on a l’impression de n’avoir ici qu’un échantillon de l’ensemble. Il faut dire qu’on apprend beaucoup d’éléments en peu de temps. Tout d’abord, la fameuse existence du « Réseau », qui vient expliciter pas mal de choses (la possibilité d’offrir à des antagonistes des « aires de repos paradisiaques » (!) par exemple), ensuite le parcours « croisé » de Jim et de Vengeance puis, enfin, une nouvelle interaction avec le célèbre Clown. Tout cela en trois épisodes, avec la parenthèse Gothamienne féminine (un peu sous-exploitée jusqu’à présent, en espérant que ça s’améliore ensuite et que Julia soit davantage mise en avant aussi) ainsi qu’un ultime chapitre sous forme de flash-back (l’annual) qui montre Gordon faire le ménage chez les ripoux du GCPD tout en laissant sa fille jouer à Batgirl (puisqu’il le sait depuis longtemps) et encaissant les remarques de ses collègues à propos du sex-appeal de Barbara (!).

Ce qui marque dans Le faiseur des monstres est bien sûr l’évolution de Gordon, toujours aussi tiraillé par sa morale mais obstiné par sa traque. Le passage sur ses blessures passées à cause du Joker est un excellent rappel pour comprendre la douleur de l’homme. On y revoit son humiliation dans Killing Joke bien sûr mais aussi la mort de sa compagne Sarah Essen (No Man’s Land – Tome 6) – qu’on avait un peu oublié… – et celle de son fils (James Jr.) dans une case où on le voit se suicider en sautant d’un phare, sous les yeux de Batgirl [étonnamment le comic book ne précise pas d’où provient ce passage, ni la version d’Urban ni la VO – alors qu’ils citent bien les autres œuvres, un comble ! – cet évènement était pourtant relaté dans Batman Bimestriel #13 (novembre 2021), dans Batgirl #49 très précisément, merci à l’internaute Bc pour la précision en commentaire]. Joker Infinite arrive même à créer une connexion plus ou moins improbable avec Le Deuil de la Famille (non pas pour la mort de Todd, qui reste une « évidence » mais… pour la vente de missiles pour terroristes décrites à l’époque dans la fiction !).

Le titre de ce deuxième tome est assez révélateur puisqu’on découvre une véritable « fabrique de monstres », conçue par un scientifique (« le faiseur » donc) à base de… clonage. C’est ainsi qu’est née Vengeance. Et que d’autres projets ont vu le jour. C’est à la fois un peu faiblard comme scénario – toujours assuré par James Tynion IV – et paradoxalement un peu audacieux (les limites sont infinies, imaginonsdes clones du Joker !). Une solution de facilité qui, pour l’instant, a juste créé un « Bane féminin »… On aurait aimé une nouvelle antagoniste propre à elle plutôt qu’un calque d’une figure emblématique connue (quoique… quand on voit la non originalité de Punchline… – toujours absente du récit, les back-ups qui lui sont consacrées ne sont pas incluent dans l’édition française). Rappelons aussi qu’on ne sait pas vraiment si Bane est mort, ça semble beaucoup trop gros pour être vrai (son « cadavre » avait juste été aperçu au détour d’une case sans réelle explication). La famille texane cannibale ne figure pas non plus dans ce volume qui condense donc pas mal d’éléments et avance plus ou moins correctement malgré son faible contenu.

Heureusement, l’ouvrage peut compter sur les brillants dessins de Guillem March (pour les deux premiers chapitres) puis ceux de Stefano Raffaele (le troisième), tous deux au style homogène, précis, dynamique et bénéficiant d’une chouette colorisation effectuant un joli travail des lumières (à nouveau par Arif Prianto puis Romula Fajardo Jr.). On retient quelques séquences fulgurantes, parfois chargées en hémoglobine ! Francesco Francavilla revient pour les dessins et la couleur de l’épisode annual qui se déroule dans le passé. S’il réussit aisément Gordon et les agents du GCPD, il se loupe sur les figures d’ennemis, à commencer par le Joker (assez peu présent dans ce tome d’ailleurs). Néanmoins, cela reste l’occasion de réitérer la formule gagnante du précédent volet avec le style davantage pulp et nappé d’orange pour le passé (Francavilla) et une approche plus « réaliste » et classique pour le présent (March – dont on conseille les deux premiers tomes de Catwoman, récemment chroniqués).

En synthèse, Joker Infinite – Tome 2 poursuit l’originalité entamée dans le volume précédent mais avec une certaine amertume : le récit est trop court et un de ses éléments narratifs assez décevant. Gageons que le troisième et dernier tome parvienne à conclure habilement tout cela !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 1er juillet 2022.
Contient : The Joker #7-9 + The Joker Annual #1

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin & encrage : Guillem March, Stefano Raffaele, Francesco Francavilla
Couleur : Arif Prianto, Romulo Fajardo Jr., Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Makma (Coralline Charrier, Lorine Roy et Gaël Legeard)

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Joker Infinite – Tome 1 : La chasse au clown (16€)

 


Joker Infinite – Tome 1 : La chasse au clown

Juste après Joker War et en marge de Batman Infinite, Joker Infinite s’intéresse à la traque du célèbre Clown Prince du Crime par James Gordon, commanditée par une mystérieuse personne. Une chasse étonnante qui prolonge également le célèbre… Killing Joke ! Coup de cœur et critique.

[Résumé de l’éditeur]
Si les trajectoires de Batman et du Joker sont intimement liées, il en va de même pour toutes les victimes collatérales du clown criminel. Parmi celles-ci, Jim Gordon figure parmi les plus sévèrement traumatisés. Depuis les événements qui paralysèrent sa fille Barbara, l’ex-commissaire reste hanté par la barbarie du Joker. Aussi, lorsque la représentante d’une mystérieuse organisation lui propose d’assassiner le Joker, Gordon y voit l’occasion de faire ce que Batman ne se résoudra jamais à faire et de débarrasser une bonne fois pour tout le monde de cet avatar du Mal absolu.

[Histoire]
Pas besoin de détailler davantage en lisant le résumé et les trois premiers paragraphes de la critique ci-après.

[Critique]
James Gordon Infinite, tel aurait pu être le titre de cette nouvelle série. Ne pas se fier à son titre ni à sa couverture (un choix audacieux néanmoins), tant ce premier tome met en avant et suit uniquement Gordon. Mais c’est une qualité ! En effet, une bande dessinée avec le Joker en personnage principal est toujours un projet risqué, mieux vaut le laisser vadrouiller en second plan et le faire apparaître aux bons moments, plutôt que le placer en continue sur le devant de la scène. C’est donc ce qui se passe dans La chasse au clown, qui poursuit complètement la fin de Joker War, puisque le criminel prenait la fuite, éborgné, sans qu’on sache ce qu’il advienne de lui.

Si la gamme Infinite n’est pas forcément un relaunch (suite au titre DC Infinite Frontier – non chroniqué), elle n’opère aucun changement majeur pour Batman Infinite (déjà suite directe de Joker War) ni pour ce Joker Infinite (sobrement intitulé en VO The Joker d’ailleurs). Pas besoin donc de pré-requis pour entamer la lecture (connaître Joker War est un plus, éventuellement le premier tome de Batman Infinite, mais rien d’obligatoire) ; il faut en revanche avoir Killing Joke en tête !

Quand on propose à Gordon de tuer une bonne fois pour toute le Joker, l’ancien policier hésite. Sa décision n’est pas arrêtée au cours de la traque qu’il accepte. Si l’on pouvait imaginer une sorte de course poursuite « classique », il n’en est rien ici puisque James Tynion IV fait voyager ses protagonistes un peu partout (dont en France !). Il continue de créer de nouveaux personnages et d’utiliser quelques valeurs sûres (ici Barbara – dont le père lui dévoile qu’il est au courant de sa double identité, de quoi relancer l’intrigue avec un angle novateur).

Le scénariste joue sur l’attentat provoqué par l’Épouvantail et imputé au Joker (cf. Batman Infinite – Tome 1) pour ajouter de nouveaux ennemis au Clown Prince du Crime. Ainsi, trois factions se détachent du lot. La première par le prisme de Cressida, la belle femme qui embauche Gordon – on découvre assez tôt qui est derrière elle et cela renoue avec une mythologie de l’univers de l’homme chauve-souris moyennement exploitée jusqu’ici – on a donc hâte de voir son évolution, passez au paragraphe suivant si vous ne voulez pas savoir. Fin du chapitre deux, nous découvrons que la Cour des Hiboux cherche à se débarrasser du Joker !

Second groupe à la poursuite du Joker : les aficionados de Santa Prisca voulant manger le décès (apparent) de Bane. Ce dernier semble être mort lors du « Jour A » (l’attaque d’Arkham de Crane) et une autre femme mystérieuse endosse son costume et inhale son venin pour décupler ses forces. Si de prime abord, cette « Lady Bane » (comme l’appelle le Joker) est un peu ridicule, elle n’en demeure pas moins puissante et intéressante (cf. son échange avec Gordon). Enfin, troisième équipe d’individus traquant le célèbre Clown : les Sampson, une famille du Texas dont l’un des membres est également décédé lors du « Jour A ». Famille plutôt dérangée et brutale, on n’est pas loin d’un hommage (ou une copie) à peine déguisée à celle de Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre) – ce qui sera quasiment confirmé par la suite.

Cette multiplication de personnages – parfois clivants – ne fait jamais de l’ombre à Gordon qui évolue « presque » comme dans Batman – Année Un, comprendre avec son journal intime, ses pensées narrées case après case (les fameuses tours Mazzucchelli sont même évoquées, piochant ainsi dans le nom du dessinateur de Year One). Le titre évoque régulièrement les traumatismes survenus dans Killing Joke, quitte à reprendre quelques cases et planches de cette période. Joker Infinite peut même être considéré comme une suite de ce monument (au même titre que le décrié Trois Jokers).

Le pari est risqué et pourtant, le scénariste livre un excellent travail, original, plein de rebondissements, parfois tendre (la relation James/Barbara – parfaite), parfois sanglant (on retrouve un Joker très dangereux) et palpitant ! Il faut dire qu’en plus du handicap de Barbara, le Joker est responsable de la mort de l’autre enfant de Gordon : James Junior [étonnamment, ni l’introduction d’Urban Comics, ni un renvoi en bas de page ne mentionne cet évènement pourtant relaté dans Batman Bimestriel #13 (novembre 2021) dans lequel James se suicide en sautant d’un phare devant sa sœur Barbara – dans Batgirl #49 très précisément].

L’auteur peut compter sur Guillem March, en très bonne forme et familier de l’univers DC (Catwoman période Renaissance/New 52, quelques épisodes de Batman Rebirth, Batman Eternal ou encore Poison Ivy). March jongle habilement entre le fantasque et l’excentricité des meilleurs comics propre au Chevalier Noir (le look du Joker, des scènes d’action, les visions de cauchemar…) – bien aidé par la colorisation d’Arif Prianto – tout en gardant une patte « réaliste », notamment pour l’enquête de Gordon. Le dessinateur cède sa place le temps d’un chapitre flash-back à Francesco Francavilla (écrit par Tynon et Matthew Rosenberg) et son style pulp nappé de pourpre partout. De quoi renouer avec Sombre Reflet (où apparaissait également Gordon Jr.) et conserver une bonne homogénéité graphique entre le présent et le passé (où le style visuelle de Francavilla, aperçu brièvement aussi sur le second tome d’All Star Batman, tranche radicalement avec celui de March).

Entre les rebondissements peu prévisibles, l’intrigue générale palpitante, la grande galerie de personnages, le rythme haletant, l’originalité de l’ensemble et les coups de crayon sublimes, Joker Infinite remporte l’adhésion sur à peu près tous les points d’un excellent début de comic book. Attention à conserver une qualité si élevée par la suite, garder l’équilibre entre les œuvres cultes du passé (Killing Joke, Année Un…) et celles du présent (Joker War, Batman Infinite…) tout en jonglant entre les genres (dramatiques voire tragiques, action, aventure, humour noir…) avec brio ! Sur ce site, c’est un coup de cœur pour ce premier tome, La chasse au clown.

À noter que Punchline n’apparaît pas (ce sera dans le prochain tome) même si elle est brièvement mentionnée (et orne quasiment toutes les couvertures variantes en galerie à la fin). Son histoire était présente dans les back-ups en VO mais étonnamment pas ici, probablement pour être compilé dans un récit complet à l’occasion… À l’instar des tomes de la gamme Infinite, un guide de lecture centré sur le personnage phare de l’œuvre (ici le Joker même si Gordon mérite tout autant sa place) ferme l’ouvrage.

[À propos]
Publié par Urban Comics le 25 février 2022. Contient : The Joker #1-6

Scénario : James Tynion IV, Matthew Rosenberg
Dessin & encrage : Guillem March, Francesco Francavilla
Couleur : Arif Prianto, Francesco Francavilla

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin et Stephan Boschat)

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