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Batman Saga Hors-Série #6 – Le fils de Batman (Damian : Son of Batman)

Présenté comme un « complément indispensable à la collection Grant Morrison présente Batman », le récit complet du sixième hors-série du magazine Batman Saga (novembre 2014) propose une immersion dans un futur inquiétant et hypothétique où Damian Wayne adulte campe un Chevalier Noir violent et radical. Une projection déjà aperçue dans le chapitre Batman #666 (2007), inclut dans le premier tome de Grant Morrison présente Batman. C’est cette version « alternative/futuriste » du fils de Bruce Wayne qui est donc enrichie et mise en avant dans Le fils de Batman, mini-série en quatre chapitres écrite et dessinée par Andy Kubert.

(Couverture de gauche issue du site d’Urban Comics mais qui n’est pas tout à fait semblable à la finalisée (à droite) qui comportait la mention « hors-série » bien sûr, mais aussi un bandeau de texte en haut différent et le logo des 75 ans de Batman à l’époque.)

[Histoire]
En enquêtant sur un tas de cadavres mélangés à des poissons souriants (du Joker ?), Batman (Dick Grayson) perd la vie et laisse Robin (Damian Wayne) seul et endeuillé.

Ce dernier reprend alors la cape du Chevalier Noir et opte pour une approche de la justice radicale en tuant ses ennemis. Entre la bienveillance d’Alfred, la colère de son père Bruce, les confessions dans l’Église auprès d’un mystérieux prêtre (visiblement Gordon !) et l’éloignement des Ghul, Damian suit un chemin de plus en plus violent…

[Critique]
Le fils de Batman est le second récit scénarisé par Andy Kubert, normalement alloué uniquement aux dessins (le premier était un court titre sur le Joker, plutôt raté – Batman #23.1 : L’Heure des Singeries, inclut dans Joker Anthologie). Si l’artiste croque de beaux personnages et de jolies scènes d’action, il peine à convaincre à l’écriture, notamment dans sa seconde moitié.

Durant la première, pas grand chose à dire, le ton est vite donné, bien qu’on puisse avoir du mal à comprendre que c’est Dick sous la cape de Batman qui est décédé (cela n’est pas mentionné en amont). On est un peu plus chagriné devant le traitement de Bruce Wayne, assez brutal et sommaire – rappelant de facto ses itérations alternatives et/ou futuristes de The Dark Knight Returns et All Star Batman. L’histoire se vautre un petit peu quand elle met en scène des ennemis un peu loufoques et probablement peu connus des lecteurs, sauf s’ils ont lu Grant Morrison présente Batman bien sûr. C’est d’ailleurs la force et la faiblesse de Son of Batman : ceux qui connaissent le run de Morrison ne seront pas perdus mais déploreront une aventure si courte (surtout avec sa fin ouverte annonçant des pistes stimulantes), ceux qui ne le connaissent pas trouveront probablement le titre « sympathique/divertissant sans plus », ce qui convient pour un comic à 5,60€ mais qui peine tout de même à se hisser plus qualitativement.

Comme dit en introduction, cette version de Damian en Batman avait été dévoilée en 2007 dans le 666ème chapitre de la série Batman (intitulé Bethléem), au moment où Grant Morrison entamait son travail et où Andy Kubert l’accompagnait déjà : il en illustrait les premiers épisodes et est le créateur graphique de Damian Wayne enfant et adulte ; autant dire qu’il connaît bien le sujet. Dans Bethléem, outre les allusions satanistes, Barbara Gordon toujours en fauteuil succédait au poste de son père, un chat s’appelait Alfred (on y reviendra) et Damian combattait certains vilains inédits.

Le cinquième chapitre de Batman Incorparated version New 52 est lui aussi convoqué pour une compréhension plus globale (il replongeait dans cet univers futuriste). L’enrichissement de cet avenir hypothétique et sombre était aussi brièvement évoqué Batman #700 (Le Batman, la Mort et le Temps) qui met en avant quelques Batmen du futur et donc ce Damian – mais cet épisode est clairement moins primordial que les deux autres épisodes mentionnés.

On retrouve donc dans Le fils de Batman quelques ennemis piochés dans la longue saga de Morrison et… la réincarnation d’un personnage mythique en chat ! Un élément assez farfelu même s’il y a sans doute une explication « plausible », elle n’est pas du tout évoquée durant les planches (est-ce une hallucination de Damian ? une intelligence artificielle pré-enregistrée vocalement ?). Bref, toutes ces petites choses à droite à gauche desservent la fiction, qui aurait gagné à être étoffée de deux chapitres minimum. Faute de cela, on est davantage séduit par les superbes dessins de Kubert, épaulé par Brad Anderson à la colorisation, les fans de l’artiste devraient donc y trouver leur compte à ce niveau-là. Il faut dire que Kubert a presque carte blanche dans cet elseworld pour se laisser aller et qu’il se fait plutôt plaisir même si on pouvait espérer des séquences plus épiques ou grandiloquentes.

Néanmoins, Le fils de Batman n’est pas un complément indispensable à la série de Morrison, c’est (au mieux) un complément sympathique mais frustrant, donc… dispensable (mais vu le bas prix, autant le prendre pour les complétistes à minima). Cela dit, il est étonnant qu’Urban ne l’ait pas inclut dans ses rééditions intégrales en quatre tomes de la série mère.

[A propos]
Publié en France chez Urban Comics le 14 novembre 2014.

Scénario & dessin : Andy Kubert
Couleurs : Brad Anderson
Traduction : Xavier Hanard
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Les trois autres chapitres où l’on peut croiser le Damian Wayne adulte du futur devenu un Batman radical…
Batman #666, Batman Incorporated vol. 2 #5 et Batman #700 – tous inclus dans Grant Morrison présente Batman

 

Batman ’66 en comics (Batman Saga HS #8 et Batman Univers HS #1)

Sortis fin octobre 2015 et fin avril 2016, deux hors-séries du magazine Batman de l’époque (Batman Saga puis Batman Univers) ont proposé une quinzaine de courtes aventures de Batman ’66, la suite de la série des années 1960 en comics (lancée en 2013) ainsi que le fameux « épisode perdu » sur Double-Face. Explications et critique de l’ensemble.

[Résumés et critiques • Batman Saga – Hors-série #8]
Sans surprise, l’ensemble est très léger, ne vole pas bien haut mais rend un hommage agréable à la série, en reprenant son ton (les « Nom d’un… » de Robin, le kitch de certaines situations) et bien sûr sa « direction artistique ». Les amoureux du show seront donc comblés. Au programme,  sept chapitres dont trois back-up (histoires plus courtes), tous scénarisés par Jeff Parker. La perfidie du Sphinx met à l’honneur le vilain du titre de retour à Gotham face à Batman et Robin mais aussi Catwoman. Pingouin Empereur repose sur un concept amusant et efficace : Copplebot est déclaré empereur d’un iceberg flottant (rappelant, forcément, son célèbre casino flottant initié dans quelques titres sortis au même moment et à ne pas confondre comme Empereur Pingouin), sur lequel la justice de Gotham ne peut donc pas intervenir. Pire (ou mieux) : il est associé à Freeze pour consolider son énorme bloc de glace, ce dernier est accroché en secret à un sous-marin afin de se déplacer si besoin. Une idée ingénieuse qui mériterait d’être reprise et modernisée avec un filtre sombre. La chanteuse de Chandell propose une ennemie proche du pouvoir de Black Canary : Sirène (apparue dans la troisième et dernière saison), acolyte du pianiste Chandell (campé par Liberace dans la série télé !).

Le Joker voit rouge est un épisode intéressant, il convoque Red Hood et Harleen Quinzel sous le prisme graphique de la fiction TV, du « jamais vu » donc, Quinzel étant créée trois décennies plus tard… plaisant. Le reste du scénario est assez banal mais fait le job dans le cadre instauré. Les œufs sont faits met en avant l’ennemi (peu connu) Tête d’Œuf, incarné par Vincent Price à l’époque et qui n’a jamais réellement rejoint les comics ensuite à de rares exceptions près oubliables. Comme ici, il y a plein de « j’œufs de mots » assez pénibles, couplés à ceux déjà risibles de l’ensemble de l’œuvre… Le couronnement du Chapelier montre une version moustachue du Chapelier Fou, inspirée à la fois par l’acteur David Wayne de la série TV bien sûr mais aussi du second Chapelier introduit dans Detective Comics #230 (1956). Le duo dynamique le poursuit dans les rues de Londres entre terre et air dans une folle course amusante et flashy à souhait. On y croise aussi les Beatles le temps d’une case, le cousin de Gordon et la venue d’Alfred pour seconder les justiciers sans que ça titille la curiosité des fans de Batman et Robin… Le réveil de l’horloger propose (toujours à Londres) un affrontement avec le Roi du Temps, alias l’horloger.

[Résumés et critiques • Batman Univers – Hors-série #1]
On retrouve à nouveau quatre chapitres, chacun avec un back-up, gonflant le nombre d’épisodes à huit, introduits par un épisode spécial (The Lost Episode) écrit initialement pour la série par Harlan Ellison puis remanié par le célèbre Len Wein pour la bande dessinée. Dans ce dernier, Les crimes en deux temps de Double-Face, on rencontre évidemment le célèbre procureur qui n’avait pas bénéficié d’une incursion dans la série télé (très difficile à adapter et absent des comics durant la diffusion). Cet épisode spécial est un peu plus long et, une fois de plus, ne renouvelle pas le genre mais propose de découvrir Harvey Dent défiguré avec le style graphique codifié de la version TV (ainsi qu’un costume proche de celui qu’endossait Tommy Lee Jones dans Batman Forever, un autre hommage ?). Le marchand de sable va passer remet en avant un ennemi de troisième zone (ledit marchand de sable), une fois de plus sans grand intérêt. A la poursuite de la topaze tigre voit Catwoman affronter Batgirl durant quelques pages « au glamour léger et insouciant » (sic). 

Un rat à la plage propose là aussi un vieil antagoniste conçu uniquement pour le show (le Rat de Bibliothèque – aperçu dans Gotham Academy), cherchant l’identité de Batman et étant visiblement idiot… comme tous les personnages proches des justiciers qui ne comprennent pas son alias civil (et ne parlons pas de Gordon, presque mutique voire absent ni de la police de Gotham en général). La charge des cosaques ! suit Olga, ancienne partenaire de Tête d’Œuf, croisé dans le magazine précédent (voir plus haut) qui combat le binôme avec ses… ours ! Faux ami, vrai ennemi ! place le spécialiste du déguisement Faux-Visage (repris dans l’annual #1 de Detective Comics par Tony Daniel) qui utilise le visage de Bruce Wayne pour commettre des crimes. A l’instar du Pingouin associé à Freeze dans le premier opus, on trouve là aussi un concept efficace qui pourrait être repris (avec Gueule d’Argile) et remanié habilement. Plan Social chez le Joker ! montre, forcément, le Clown du Crime cabotin sous les traits de Cesar Romero et sa fameuse moustache sous son maquillage ; mais sans grand intérêt encore… Enfin, Les sables du temps se concentre sur le Roi Tut, vilain remarqué sur cinq épisodes de la série TV (sur cent vingt au total) persuadé d’être la réincarnation d’un phararon – de quoi proposer la planche la plus éclatée de tous les comics Batman existants, à découvrir en VF en bas de cette critique. Pour conclure le numéro, C’est le majordome qui a fait le coup ! met bien sûr en avant le célèbre Alfred (ou plutôt son cousin sosie criminel (!)), sans oublier Tante Harriett, qui servait de caution féminine dans une fiction trop centrée sur des personnages masculins.

[Conclusion]
Sans surprise, les fans de la série télévisée vont y trouver leur compte, les autres, plus habitués au Chevalier Noir sombre et moderne, ne devraient pas accrocher – au mieux y déceler une certaine curiosité. Comme dit, on y retrouve les ingrédients phares du show, haut en couleurs avec son indémodable Batmobile de l’époque (ainsi que sa version londonienne), ses répliques légères, ses bons sentiments, son téléphone rouge et son ensemble kitch (l’escalade des murs « verticaux/horizontaux » est visible aussi par exemple) – il manque tout de même les célèbres onomatopées. Les combats sont farfelus, expéditifs, rien est jamais très sérieux ou épique, les bulles explicatives peu utiles renforcent ce côté vintage parfois apprécié, avis aux amateurs donc ! Heureusement, Urban introduit entre chaque épisode qui est qui et contextualise l’ensemble. On se contentera de deux ou trois histoires un brin plus originales que les autres, c’est assez maigre par rapport au total proposé.

Jeff Parker et Tom Peyer en sont les scénaristes. Côté dessins, un collectif vaste (de dessinateurs et coloristes) officie sur les épisodes, singeant les visages emblématiques d’Adam West et Burt Ward (Batman et Robin) bien sûr. On note Jonathan Case sur plusieurs chapitres et Mike Allred sur les couvertures. L’ensemble reste assez cohérent graphiquement et, une fois encore, devrait surtout ravir les aficionados. Aux États-Unis, Batman ’66 a été publié de 2013 à 2016, s’étalant sur trente chapitres (chacun avec un back-up), donc près de soixante courtes aventures au total ! De 2015 à 2018, d’autres séries se déroulant dans le même univers ont vu le jour, Batman rencontrant Green Hornet ou Wonder Woman par exemple. En France, à l’exception de ces deux numéros hors-séries *, il n’y a pas eu d’intégrales ou de compilation en librairie. Si Urban Comics a abandonné la publication sous forme de hors-série, c’est que les deux volumes présentés ici n’ont probablement pas convaincus les lecteurs et donc les acheteurs…

* S’ils ne sont officiellement plus en vente, ils restent facilement trouvables sur Internet à prix tout à fait correct (cf. liens amazon en bas de cet article).

(J’évoquais longuement la genèse de la série des années 1960 puis le film et même ces comics dans la vidéo de mars 2021 pour ceux qui voudraient en apprendre davantage sur le sujet 🙂 )

[A propos]
Publiés en France cher Urban Comics dans Batman Saga Hors-Série #8 (23 octobre 2015) et Batman Univers Hors-Série #1 (22 avril 2016).
Contient Batman ’66 #1-4 et Batman ’66 #5-8 + The Lost Episode #1

Scénario : Jeff Parker
Dessin : Jonathan Case + collectif
Couleur : collectif

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Batman Univers Hors-Série #1

The Batman’s Grave

[Résumé de l’éditeur]
Quand Batman découvre le lien caché entre l’assassinat d’un ancien inspecteur de la criminelle et celui d’un avocat véreux, c’est le début pour lui d’une traque sans relâche qui le mène vers un nouvel ennemi : Scorn. Ce dernier monte une armée de tueurs implacable à même de vaincre le Chevalier Noir, qui se trouve de son côté de plus en plus isolé. Bruce Wayne a peut-être enfin atteint sa limite.

[Histoire]
Dans un futur proche, Alfred nettoie religieusement les tombes de Thomas et Martha Wayne mais aussi celle de… Bruce Wayne.

Dans le présent, Batman découvre dans un appartement un cadavre fortement décomposé. La victime semblait être obsédée par le Chevalier Noir : le mur est tapissé de coupures de presse sur les exploits du justicier de ces cinq derniers années.

Batman retrouve sans trop de difficulté l’assassin, inconnu au bataillon, puis le livre à Gordon.

Pendant ce temps, au Manoir Wayne, Alfred a de plus en plus de mal à supporter la croisade et les convictions de son maître. Le majordome noie son spleen dans l’alcool régulièrement, sans que cela inquiète Bruce davantage.

Un second meurtre donne du fil à retordre à Batman, qui peine à comprendre les connexions entre les affaires et qui se cache derrière.

Vous vouliez installer des ordinateurs qui observent et écoutent les gens chez eux.
[…]
Évidemment.

[Critique]
Un peu plus de 300 pages, douze chapitres, un excellent rythme (le récit s’étale sur quelques jours à peine), de beaux dessins… voilà une lecture plutôt plaisante, parfois originale (on y reviendra), parfois convenue (idem). Au global, The Batman’s Grave est une aventure solitaire du justicier de bonne facture mais rien de révolutionnaire ici. Derrière le faussement prestigieux Black Label et le nom de Warren Ellis (cf. double paragraphe sur l’auteur en fin d’article), se cachent un titre un peu plus irrévérencieux que d’habitude par son sarcasme (Alfred un poil en roue libre) et ses planches (un brin sanglantes mais rarement choquantes) mais hélas sans grande envergure non plus. Explications.

Le plus gros point faible de l’histoire est son antagoniste ; ou plutôt les ennemis au sens large. Sans en dévoiler trop, le « méchant » (Scorn, manquant cruellement de charisme) et ses sbires sont une création pour le comic-book. Par conséquent, le pari est très risqué : introduire un nouveau personnage au sein de la prestigieuse galerie de vilains dans l’univers de Batman est toujours délicat et ce(s) protagoniste(s) résiste(nt) rarement au temps, à défaut de survivre à la fameuse « postérité ». On pense par exemple à Silence (Hush), brillamment introduit et exploité dans la bande dessinée culte du même titre mais qui, des années après, n’arrive plus à revenir avec les honneurs – Scorn n’est d’ailleurs pas sans rappeler Tommy Elliot par certains aspects.

Plus récemment (en France), on a pu redécouvrir le Faucheur, là aussi dans un titre plutôt bon (Année Deux) mais qui peine à s’inscrire dans la mythologie du Chevalier Noir, aussi bien dans d’autres comics que des supports différents. Bref, c’est aussi le cas pour Scorn, rapidement oublié, énième adversaire plus ou moins « miroir » de Batman, auquel s’ajoutent ses soldats, proches du look de Zsasz. On aurait pu remplacer tout ce monde par Double-Face, Bane et Jonathan Crane, tous trois correspondants à des ennemis croisés ici. C’est ce qui aurait pu permettre à The Batman’s Grave de s’ancrer davantage dans le monde du Chevalier Noir et, peut-être, devenir incontournable – s’il avait été couplé à une meilleure écriture de son antagoniste bien sûr.

Il y a pourtant de belles choses qui peuplent la narration et offrent des moments appréciables et de temps en temps singuliers. On pense en premier lieu à la relation très forte entre Alfred et Bruce. Tour à tour complices ou en profonds désaccords, les deux hommes servent le meilleur de The Batman’s Grave. On suit leurs échanges dans le quotidien à de nombreuses reprises avec une redoutable efficacité. A l’exception de Gordon, le célèbre majordome est d’ailleurs le seul allié de Bruce/Batman tout au long de la fiction (pas de Bat-Family ici donc, retour « à l’ancienne » avec le moins de personnages, ennemis ou alliés, familiers au possible).

On découvre un Alfred plus sarcastique que d’habitude. « Qu’est-ce que vous faîtes ici, d’ailleurs ? Vous travaillez toute la journée dans le manoir et vous passez vos nuits dans la cave. Comment est-ce possible ? » s’interroge Bruce. « En règle générale, je tiens le coup en me bourrant d’excellente cocaïne, monsieur. » répond son majordome avec son légendaire flegme britannique. Plus loin, quand son maître lui demande ce qu’il fait [quand Bruce Wayne n’est pas là], Alfred sourit et rétorque « vous n’avez jamais entendu parler du motard nu de Gotham ? ». Entre deux excursions nocturnes, Alfred propose aussi la série « Batman : The Office » puisque la majorité de ses enquêtes se déroulent, in fine, « devant des écrans comme des employés en open-space ». Outre ses petites répliques, l’homme de main n’hésite pas à utiliser la violence et adopter un comportement aussi radical et étonnant que celui de Batman de temps à autre.

Les fans de jeux vidéo apprécieront probablement l’aspect « enquête » mettant Batman à la place de la victime, recréant le décor virtuel de la scène de meurtre autour de lui, un peu comme dans Arkham Origins notamment (même si cela génère un côté confus de temps à autre). Comme évoqué, James Gordon est le second et unique allié du justicier tout le long de l’aventure. En résulte, là aussi, de beaux moments : quelques échanges bien imagés et une incroyable séquence de survie à l’asile d’Arkham. Les scènes d’action sont particulièrement bien découpées, très dynamiques, lisibles et fluides.

Le dessinateur Bryan Hitch prend son temps, gourmand en utilisation de cases ou pleine page pour croquer ses combats et sauvetages, dans un mutisme certain bienvenu et nécessaire. C’est là l’autre point fort du livre : les traits de Hitch (Justice League – Ascension, Justice League Rebirth…) servent à merveille les plans iconiques de la ville (principalement nocturnes) et, comme déjà dit, les affrontements. Bien aidé par la colorisation du fidèle Alex Sinclair, le dessinateur confère une fragilité physique très plausible à son héros, couplé à son évolution et son écriture de Warren Ellis – en très petite forme au demeurant, on ne reconnaît pas des masses « sa patte » et on était légitimement en droit d’attendre une narration plus qualitative. C’est du Ellis assez paresseux mais ça se lit bien et vite.

Alors, pétard mouillé ou non ? Difficile de trancher… si les dessins vous séduisent et sans être trop exigeant (le fameux prisme du divertissement honorable « sympa sans plus »), alors The Batman’s Grave devrait vous ravir. Si vous attendez un titre plus novateur dans sa forme ou son fond, surtout pour du Black Label, aucun doute que vous serez déçu… Complètement dispensable donc ; à découvrir principalement pour les planches de Hitch et à acheter en connaissance de cause des affaires sur Ellis (voir paragraphe ci-après l’image).

La fameuse tombe (Grave en VO) ouvre et ferme le livre de façon abrupte, sans forcément être mise davantage en avant. Un petit côté étrange donc (mensonger ?), de même que la couverture choisie par Urban Comics, certes assez élégante, mystérieuse et alléchante mais qui n’est pas très représentative de la BD et différente de celle du chapitre qui la propose à la base (contenant un gantelet de Batman autour d’une flaque de sang). Comme souvent chez Urban, des couvertures alternatives concluent le livre (avec deux biographies).

Ces trente dernières années, Warren Ellis a écrit divers épisodes de super-héros, aussi bien chez DC Comics/Vertigo (Batman, Justice League, Hellblazer/John Constantine…) que chez Marvel (Iron Man, Daredevil, Thor, X-Men, Ultimates…) mais ses travaux les plus marquants sont chez Wildstorm avec ses excellentes séries The Authority / Stormwatch (déjà avec Bryan Hytch) et Planetary par exemple. On lui doit également le chouette triptyque Black Summer, No Hero, Supergod (disponible en un seul volume en France). Son chef-d’œuvre est sans conteste Transmetropolitan (publié de 1997 à 2002 et toujours aussi puissant de nos jours) où l’auteur ne s’est fixé aucune limite dans sa critique de la société, son style d’écriture trash et ses scènes explicites. Pour les curieux, une partie de sa bibliographie (en anglais) est disponible ici. On note aussi son écriture sur des séries d’animations japonaises adaptant Marvel (!) : Iron Man, X-Men, Blade et Wolverine (disponibles en coffret DVD chez nous, on conseille surtout celle des X-Men, résultat hybride assez captivant entre les comics et les mangas).

Warren Ellis est plus discret depuis 2020 car il a été accusé par plusieurs dizaines de femmes d’avoir un comportement « toxique » et d’abuser de son influence pour coucher avec des personnes plus jeunes que lui (mais toujours majeures – rien de répréhensible aux yeux de la loi stricto sensu mais moralement très limite). Ces accusations n’ont pas entaché la fin de son travail sur The Batman’s Grave au moment de sa publication (elles sont survenues en juin 2020, peu avant la mise en vente du huitième chapitre, sur les douze prévus). L’histoire a été bien récapitulée sur comicsblog.fr avec les faits puis la réponse de l’intéressé (à chacun en son âme et conscience donc d’acheter, lire ou soutenir Warren Ellis désormais). C’est probablement à cause de cela qu’Urban Comics a peu communiqué sur la sortie de la bande dessinée, favorisant un certain mutisme plutôt qu’une publicité mi-prestigieuse (« L’auteur de Transmetropolitan sur du Batman ! ») mi-polémique, forcément.

[A propos]
Publié en France le 7 mai 2021 cher Urban Comics

Scénario : Warren Ellis
Dessin, encrage et couvertures : Bryan Hitch
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Laurent Queyssi
Lettrage : Moscow Eye

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