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Batman – Les derniers jours du Chevalier Noir

Se déroulant à la fois après Final Crisis (dans lequel Batman trouve une supposée mort, tué par Darkseid) et en parallèle du run de Grant Morrison (juste après le premier opus de l’intégrale et au début de la deuxième), ce récit complet s’étale uniquement sur deux chapitres : Batman#686 et Detective Comics #853 – publiés en avril 2009. C’est le grand Neil Gaiman (Sandman, American Gods…) qui écrit cette étrange épopée onirique et Andy Kubert (à l’œuvre sur le début de la saga de Morrison justement) qui la dessine. C’est aussi de cette histoire qu’est tirée la superbe couverture variante d’Alex Ross avec Alfred et le costume de Batman dans ses mains.

Réédité en librairie en mai 2019 par Urban Comics, Les derniers jour du Chevalier Noir contient la version crayonnée pour gonfler le nombre de pages… Quelques années plus tôt, Panini Comics avait proposé ces deux chapitres dans le premier numéro kiosque de Batman Universe (juin 2010) puis dans une version librairie l’année suivante sous le titre Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ?, accompagné de quatre courts récits de Gaiman. Découverte.

 

[Résumé de l’éditeur]
Batman est mort. Darkseid l’a tué. Et pour sa veillée funèbre, amis comme ennemis sont invités. En sa mémoire, tous se prêtent au jeu et se remémorent l’immense Chevalier Noir. Mais Batman est-il vraiment mort ?

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Attention, proposition clivante ! Le célèbre Neil Gaiman (Sandman, Good Omens, Coraline, American Gods, Stardust…) offre sa vision un peu spirituelle autour du Chevalier Noir en seulement deux chapitres (Batman #686 + Detective Comics #853), dessinés par Andy Kubert (Flashpoint, Grant Morrison présente Batman, Dark Knight III…) – on y reviendra. Sans aucune contextualisation (ni de l’auteur britannique, ni de l’éditeur), on apprend que Batman est mort et qu’une veillée funèbre a lieu en sa mémoire, ses anciens alliés et adversaires sont conviés…

Cette absence de conjoncture permet d’ancrer le récit dans une certaine dimension intemporelle, ce qui fonctionne plutôt bien, puisque les épisodes datent de 2009 et passent admirablement bien l’épreuve du temps. En réalité (éditoriale), Bruce/Batman a été tué par Darkseid dans Final Crisis, écrit par Grant Morrison qui ajoutait ce funeste sort à son run en parallèle : évidemment, le justicier n’est pas décédé mais a été propulsé dans le temps, amnésique. Ce qui explique (possiblement) cette situation de départ des Derniers jours du Chevalier Noir.

Gaiman déroule sa fiction onirique sur deux axes, l’un se déroulant devant le cercueil de Batman où se recueillent différents protagonistes phares de l’univers Batman, l’autre évoquant les souvenirs de certains d’entre eux (notamment Selina Kyle et Alfred – on en parle plus loin). C’est là où le récit s’affaiblit : les différents personnages (amis et vilains) sont relégués à de la figuration à de rares exceptions. C’est donc sympathique à voir mais on aurait aimé avec les témoignages davantage développés de plusieurs d’entre eux (chacun a droit a une ou deux cases néanmoins, connectés à l’historique patrimoine de DC sur Batman donc réservés aux fins connaisseurs pour une meilleure appréciation) plutôt que celui de Catwoman, un peu faible et convenu, et du célèbre majordome – remarquable au demeurant, très original et surprenant (mais pouvant offusquer des puristes malgré l’évidence onirique), on ne le dévoilera pas ici.

Si la bande dessinée s’était étalée sur cinq à six épisodes, entretenant un flou volontaire sur le passif de Batman et ses relations historiques, le titre aurait été bien plus marquant et, probablement, qualitatif. Ici, tout va très vite (forcément) et n’avoir mis en avant que deux personnages est dommage. Heureusement, la voix interne et les pensées de Bruce découvrant cette situation tel un narrateur omniscient un peu fantôme apporte un côté plus palpitant – promettant aussi une sorte de conclusion « épique » ou avec un retournement de situation qui… n’arrivera pas vraiment. Ne pas s’attendre d’ailleurs à un récit d’action, ou autre, c’est avant tout une sorte d’ambiance cotonneuse, sensible, une atmosphère atypique.

Difficile d’en dire davantage sans gâcher le plaisir de découverte et de lecture. Par ailleurs, Les derniers jours du Chevalier Noir peut se savourer ou se lire sans aucun plaisir ou bien… les deux. L’auteur de ces lignes le confesse : la première lecture en 2010 n’était pas terrible, la seconde en 2023 nettement meilleure. Cela n’est pas lié au bagage culturel Batman considérablement augmenté durant ces années mais peut-être une évolution ou maturité plus en adéquation avec le propos. Attention, cela ne veut pas dire que cette création de Neil Gaiman est un chef-d’œuvre ou même un coup de cœur, c’est une curiosité à découvrir (certes, c’est un peu « facile » de dire ça mais c’est très « vrai »). On peut aussi le voir comme le pendant de l’homme chauve-souris du traitement similaire instauré en 1986 par Alan Moore sur l’homme d’acier dans… Les derniers jours de Superman (à quand une édition qui rassemblerait les deux pour un prix plus abordable ?).

Problème justement : à quel prix découvrir Les derniers jours du Chevalier Noir ? 17 € (15,50 € en 2019 à sa sortie)… C’est beaucoup trop cher pour 64 pages d’une histoire aussi singulière, peu accessible (un nouveau venu risque d’être perdu et ne pas accrocher) et vite lue. On l’a déjà évoqué plusieurs fois sur ce site (récemment à propos de la collection One Bad Day ou des Batman/Spawn par exemple) : le nombre de pages n’a aucun impact sur le côté qualitatif d’une œuvre – et ce n’est pas Killing Joke qui viendra prouver le contraire (même si – déjà à l’époque – on critiquait le prix pour y accéder) MAIS quand on a un budget limité où l’on peut avoir à des titres de 200 pages vs. 60 pour un prix presque similaire, cela fait réfléchir.

Pour justifier cela, Urban Comics ajoute les crayonnés noir et blanc et, chose assez rare, avec la traduction en français. Une aubaine pour les fans des traits d’Andy Kubert, dont l’art perd un peu de sa superbe parfois en fonction de la colorisation. Il est vrai que cela ajoute un cachet non négligeable puisque la version en couleur (d’Alex Sinclair) est parfois inégale, conférant un aspect artificiel sur certains visages, gommant l’ambiance « film noir » (volontaire ou non) de la version en… noir et blanc. Autres compléments, une postface de Gaiman (où il clame son amour pour le super-héros et la conception du comic book), des couvertures alternatifs et un carnet de croquis de Kubert.

L’illustrateur se livre à un exercice habile et élégant (finement encré par Scott Williams) reprenant différents styles de Batman (Kane, Sprang, Mazzucchelli, Adams, Bolland…) et, donc, d’artistes qui ont traversé les âges et les pans mythiques du super-héros iconique (la planche qui ouvre le deuxième épisode avec Batman dans le cercueil qui est revêtu d’un costume mythique différent à chaque case est un régal). Néanmoins, pour 17 €, à part les aficionados de Gaiman ou de Kubert, on aurait tendance à déconseiller Les derniers jours du Chevalier Noir. Empruntez le plutôt en médiathèque ou feuilletez-le en librairies/grandes surfaces (possiblement entièrement vu la durée) afin de voir si ça vous branche.

On peut aussi se tourner vers le marché de l’occasion pour retrouver le premier numéro du magazine Batman Universe de Panini Comics, sorti en juin 2010, qui compilait, entre autres, les deux épisodes. Vendu à l’époque 4,60 €, ce format souple peut suffire… La version librairie de Panini Comics de 2011 coûtait 19 € (déjà hors de prix pour l’époque, comme souvent avec cet éditeur) mais incluait quatre récits de Neil Gaiman pour compenser : Pavane (Secret Origins #36, 14 pages), Péchés originels (8 pages) et Quand une porte (13 pages, ces deux segments proviennent de Secret Origins Special #1) – et ces trois épisodes datent 1989 – et Un monde en noir et blanc (Black and White #2, 7 pages) en 1996. Dommage qu’Urban n’ait pas repris cela (d’autant que Gaiman les cite tous dans sa postface).

Pavane se concentre sur les origines de Poison Ivy et a été republié dans le tome de Batman Arkham dédié à l’empoisonneuse. Presque pareil pour Quand une porte, centré sur le Sphinx et également proposé dans le Batman Arkham sur l’homme-mystère. Un monde en noir et blanc est évidemment dans Batman Black & White d’Urban Comics (dans le premier opus — pas encore chroniqué sur le site). Seul Péchés originels reste encore « inédit » en réédition, il s’agit simplement de l’introduction de Quand une porte, centrée sur l’équipe de journalistes qui va interviewer le Sphinx. Le segment en noir et blanc montre le Joker et Batman en tant qu’acteurs de cinéma jouer les rôles que l’on connaît de façon méta !

En somme, Les derniers jours du Chevalier Noir est une proposition élégante (dans son traitement, dans ses dialogues – la participation de Joe Chill en tenancier et ses quelques mots sont parfaits –, dans sa cohérence visuelle – un brin moins dans sa colorisation des visages et expressions faciales parfois), un peu inégale (la caractérisation de Selina Kyle semble bizarre), beaucoup trop courte mais qui redonne un souffle évidemment poétique, un hommage sur une légende « qui ne meurt jamais » (où chacun a sa propre vision et image de la mort de Batman mais aussi de son mythe).

Une écriture intelligente de Neil Gaiman et un exercice de style pour l’auteur britannique globalement réussi (frustrant par sa durée), qui livre un chant du cygne autour de Batman envoûtant et mélancolique. Pour tout cela, évidemment on aurait tendance à dire qu’il faut passer à l’achat MAIS, comme on l’a martelé, entre cette approche très singulière et, de facto, clivante, et le prix, il faut absolument connaître l’œuvre avant de passer à la caisse…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 31 mai 2019.
Contient : Batman #686 + Detective Comics #853 + version crayonnée tirée de Batman Unwrapped by Andy Kubert
Nombre de pages : 152

Scénario : Neil Gaiman
Dessin : Andy Kubert
Encrage : Scott Williams
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cyril Bousquet (studio MAKMA)

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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 4/4

Quatrième et dernière intégrale du très long run de Grant Morrison (cf. index dédié), celle-ci regroupe simplement deux séries (titres VO) : Batman, Incorporated en dix épisodes (les deux derniers étant la conclusion nommée Batman, Incorporated : Leviathan Strikes !) et Batman Incorporated (sans la virgule entre les deux mots, correspondant simplement à la suite de la série précédente mais après le relaunch Renaissance/New 52). Cette dernière se compose de treize chapitres, incluant un prologue (#0) et sans un épisode non écrit par Morrison (le #11). Au total donc, 23 chapitres pour cette dernière ligne droite et (enfin !) la conclusion d’une histoire entamée en juillet 2006 (dans Batman #655) et s’achevant pile sept années après, en juillet 2013.

[Historique de publications]
Avant de détailler tout cela, un point sur la parution française, un brin complexe, pour guider les collectionneurs ou simplement les curieux. Si l’intégrale regroupe les deux anciens tomes simples 7 et 8 (Batman Incorporated et Requiem – cf. couvertures juste ci-dessus), les épisodes du tome 7 furent proposés avant dans le dixième et dernier numéro de Batman Universe par Panini Comics en décembre 2011 (Batman Incorporated #1-4 ainsi que Batman – The Return pour les ouvrir), le premier de Batman Showcase en mars 2012 (Batman Incorporated #5-8 – dans ce premier magazine kiosque d’Urban Comics composé de seulement deux numéros ; on reviendra sur la composition du second plus tard) et les Batman Saga #11 et #12 en mars et avril 2013 (Batman, Incorporated : Leviathan Strikes ! #1 et #2) ; cf. les quatre couvertures ci-après.

Enfin, l’équivalent du tome 8 fut, lui, publié dans trois hors-séries de Batman Saga, les #2, #3 et #4, sortis respectivement en juillet 2013, novembre 2013 et février 2014. On retrouve très logiquement quatre à cinq épisodes de Batman Incorporated (la seconde série, sans la virgule entre les deux mots) par numéro : #0 et #1-4 puis #5-9 et enfin #10-13 ainsi qu’un chapitre Special #1. À noter que le #11 (écrit par Jorge Lucas) et le Special #1 (signé Chris Burnham) n’ont pas été repris dans les tomes librairies (simples et intégrales) de Grant Morrison présente Batman car l’auteur écossais ne les avait pas scénarisés. Ils ne sont donc disponibles que dans Batman Saga – Hors-série #4 (mais ne sont pas très intéressants donc ce n’est pas très grave).

[Résumé de l’éditeur]
Enfin de retour à son époque, Bruce Wayne reprend la destinée de Batman, de façon pour le moins inattendue. À la légende du justicier solitaire, il substitue une nouvelle organisation internationale financée par sa multinationale : Batman Incorporated ! Recrutant à travers le monde différents alliés pour sa croisade contre le crime, Bruce se prépare également à croiser le fer avec un nouvel ennemi : Léviathan !

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Enfin un retour à une narration linéaire et plus intelligible ! Malheureusement, la première partie/moitié n’est pas forcément la plus palpitante. On y suit Batman à différents pays afin de recruter différents justiciers locaux pour qu’ils deviennent des Batmen internationaux et intègre l’organisation Batman Incorporated – financée par Bruce Wayne. Le but est simple de constituer des super-héros  dans le monde entier. Aparté « éditorial », la plupart des chapitres de cette intégrale furent chroniqués dans différents articles du site il y a une dizaine d’années et ont désormais été supprimés pour se concentrer sur ces nouvelles critiques (cf. index) à l’exception de Batman Saga Hors-Série #4.

Les deux premiers chapitres (Monsieur Inconnu est mort et Resurrector) se déroulent donc au Japon à la recherche de M. Inconnu, vedette locale que cherchent à recruter Batman et… Catwoman. On ignore pourquoi Selina l’accompagne, elle n’apporte pas grand chose si ce n’est d’être ultra sexualisée voire en sous-vêtement durant cette introduction. L’épisode s’ouvre sur la mort du fameux M. Inconnu par un mystérieux Lord Death Man, encore un énième méchant oubliable pioché dans une création de 1966 et qui semble immortel et lié à l’occultisme. À ce stade, c’est un running gag tellement c’est redondant et peu marquant. Seul intérêt : M. Inconnu avait un complice, le jeune Jiro Osamu qui, sans surprise, devient évidemment le Batman du Japon. On ferme les yeux aussi sur le côté « WTF » de l’ensemble avec un appartement rempli d’eau et une pieuvre géante dedans… Pire, Osamu ne réapparaîtra quasiment plus de tout le reste de la fiction…

Place ensuite à l’épisode Le tango du scorpion, centré sur El Gaucho, déjà vu dans la première intégrale. On retrouve Batman en Argentine qui s’allie avec El Gaucho à la poursuite de Papagayo puis Wayne et Santiago (nom civil d’El Gaucho) flirter avec des femmes pour mieux enquêter sur l’une d’elle (en réalité Scorpiana), liée au concept d’Oroboro (plus connu chez nous par Ouroboros – ce serpent qui se mord la queue indéfiniment), potentiellement à un Dr. Dédale et encore une énième organisation mystérieuse. L’intrique (confuse) se poursuit directement dans L’affaire Kane. Alternant le passé (sur Kathy Kane – première Batwoman) et le présent avec la « nouvelle » Batwoman (Kate Kane, déjà apparue dans la seconde intégrale). L’on découvre que Kathy aurait été tuée par El Gaucho, agent de Spyral à l’époque et que Dédale est un ancien criminel nazi.

La conclusion de ce mini-arc en trois épisodes se déroule dans Maître Espion où toute la troupe d’alliés (Batman, El Gaucho, Batwoman) retrouve Le Masque, justicier britannique et affronte Scorpiana et d’autres ennemis, découvrant dans la foulée la force de frappe dangereuse de Léviathan (oui, une autre organisation maléfique et énigmatique), qui est dirigée par une personne opérant aux côtés du Dr. Dédale. À ce stade, si l’ont met de côté les deux premiers épisodes sur le Batman du Japon, les trois chapitres suivants sont déjà plus intéressants bien qu’assez complexes dans leur écriture mais on comprend l’essentiel et c’est agréable de voir des pièces du puzzle narratif s’emboîter au fil de la fiction.

Le titre du sixième épisode n’est révélé qu’à sa fin, Nyktomorph, qui replace enfin Bruce Wayne à Gotham City (on en viendrait même à conseiller de débuter la lecture à cet endroit, nettement mieux rédigé et passionnant). Cette fois, c’est le milliardaire qui prend les devants, expliquant le concept de Batman Incorporated aux journalistes avec ses alliés justiciers dans tous les pays du monde et des androïdes Batmen (les Bat-bots) pour protéger les villes et citoyens à tout moment avec une démonstration fortuite très efficace (aussi bien graphiquement que narrativement – voir la toute dernière image de cette critique en bas de la page).

En parallèle, le Chevalier Noir monte une autre équipe (encore !) : Red Robin (Tim Drake – un peu délaissé depuis l’arrivée de Damian) et les Outsiders (même si on ne les reverra plus trop ensuite). Côté Bat Inc., le recrutement intensif continue avec le Parkoureur à Paris (Nightrunner en VO), Blackbat en Chine, Dark Ranger (II) en Australie, Batwing au Mtamba et un nouveau Wingman (son identité sera révélée plus tard). Tous arrêtent des actions commises par Léviathan (trafic d’enfants, meurtres…).

Wayne prend également un malin plaisir à écrire sur Internet différentes théories quant à son identité secrète ou celles de ses alliés – une parfaite transposition des tendances complotistes à l’ère des fake news sur Internet dès la publication de l’épisode en 2011 où fleuraient déjà ce fléau numérique. Le rythme de ce chapitre est soutenu, l’ensemble assez dense, tout avance assez vite avec, en fil rouge, une rencontre entre un certain M. Nykto et des malfrats. En conclusion, l’armée de Batmen prospère au même titre que celle de Léviathan, annonçant un affrontement probablement dantesque et épique !

On retrouve ensuite Frère Chiroptère et Corbeau, père et fils, eux aussi déjà aperçu dans Le club des héros de la première intégrale. Soldats-médecine montre leur difficulté à combattre le crime dans un coin reculé des États-Unis, proche d’une réserve indienne et plutôt pauvre. Entre la corruption basique et l’infiltration de Léviathan, Grand aigle (le père) fait fi des conventions et n’hésite pas à être plus offensif pour combattre le crime au détriment de l’idéalisme de son fils. Ce dernier clamera plus tard à Batman (sur place et séduit par cette équipe aux ressources limitées) qu’ils sont « dans le tiers-monde de l’Amérique, là où tout se fait à petit budget ».

C’est précisément là que Morrison loupe le coche d’amorcer une réflexion sur la puissance économique d’un Wayne dans ces cas particuliers où le lieu en manque cruellement. Cela avait pourtant bien démarré mais n’est pas consolidé après. De même, les protagonistes auraient pu mourir de façon héroïque avec une portée émotionnelle non négligeable mais l’auteur les sauve de justesse de façon simpliste, c’est fort dommage. Le chapitre est un brin déconnecté des autres tant le statu quo est différent mais il est coincé entre les obligations narratives qui gravitent autour de lui alors qu’il y aurait tout une extension à écrire autour de ces sujets !

Dernier chapitre de la série (en VO) Batman, Incorporated, Cauchemars en numérique est très particulier, souhaitant moduler sa patte visuelle en adéquation avec son propos. On y retrouve Oracle et Batman dans une réalité virtuelle à la rescousse de Wayne et des investisseurs. Le résultat est en demi-teinte, un voyage graphique parfois séduisant (cf. Oracle/Batgirl ci-dessous), parfois digne de cinématiques de PlayStation 1 ou 2 (rappelant l’affreux Clown de minuit de la première intégrale). Scott Clark et Dave Beaty s’occupent de ces illustrations atypiques (on reviendra plus loin sur le reste de la distribution des dessinateurs, plus commune). Côté scénario, outre cet anti-virus atypique, on remonte aux sources de Léviathan au Mtamba où il y a Batwing, croisé plus tôt, et où Jezabel Jet opérait également avant d’être tuée par Talia (comme on le pensait depuis le début et que ce sera confirmé ensuite – par décapitation en plus !).

Place ensuite à un mix entre conclusion de la (première) série Batman, Incorporated (titre VO donc) et de transition avant la suite (sans la virgule) via un long chapitre d’une micro-série conçue pour l’occasion : Batman Incorporated : Leviathan Strikes ! Celle-ci est divisée en deux épisodes distincts, L’école de la nuit et un second qui n’a étonnamment pas de titre mais il était appelé Léviathan frappe ! lors de sa publication en kiosque en France (dans Batman Saga #12).

Stéphanie Brown rejoint L’école de la nuit, institution prisée pour jeunes femmes qui s’avère un repaire de Léviathan à base de manipulations cérébrales et contrôles mentales… Une paresses d’écriture rabâchée ad nauseam dans trop de comics, incluant sur Batman, pour justifier les comportements de soldats de figurants. Ce procédé est, une fois de plus, dommageable et contribue à l’inégalité de l’ensemble depuis le début du run. La suite et fin est plus palpitante bien qu’elle mette en avant une sorte d’illusion et hypnose collective (là aussi une faiblesse scénaristique beaucoup trop utilisée – ne manque que la partie rêve/cauchemars mais qu’on a déjà eu auparavant et qu’on retrouve à moitié ici (on ne sait pas trop) et aurait eu tout ce qui est « trop facile » comme outil scénaristique).

Néanmoins, cette dernière ligne droite convoque plusieurs des alliés croisés auparavant, confirme quelques pistes, achève la partie avec le Dr. Dédale et ouvre un dernier acte en dévoilant qui se cache derrière Léviathan (attention à la révélation) : Talia al Ghul. À ses côté, un autre mystérieux allié. À ce stade, on ne comprend pas trop si la mère de Damian aime toujours son fils puisqu’elle met sa tête à prix. Si la lecture (depuis le début de l’opus) était inégale (ni désagréable, ni excellente), cette première « conclusion » (équivalent de celle du septième tome simple) relance l’intérêt de l’ensemble, avec beaucoup de promesses.

Côté dessins, on retrouve pour ces dix premiers chapitres deux habituels : Yannick Paquette (#1-3 et #5) et Chris Burnham (#4, #6-7, #10). Le style de Paquette est efficace bien que l’encrage et les jeux d’ombre trop appuyés, causant une certaine disproportions dans certains visages aux traits bien trop épais voire gras. Son découpage est fluide et dynamique, les scènes d’action plutôt lisibles. Burnham est peut-être plus clivant, avec son style plus singulier, presque granuleux, rendant les expressions faciales à la limite de la caricature. Son sens du détail et les éléments assez sanglants dans certaines cases confèrent néanmoins une ambiance atypique et globalement séduisante. Ajoutons Cameron Stewart pour l’avant-dernier chapitre (#9), très convenu, lisse et artificiel malgré quelques cadrages sympa et Pére Perez en complément de Paquatte (pour le #3).

Après cette salve de dix épisodes, la quatrième et dernière intégrale enchaîne avec la seconde série Batman Incorporated avec une reprise au numéro #1 (et même un #0 ajouté ensuite). On pourrait penser à une série différente et plus accessible mais c’est simplement car à l’époque (2011), le relaunch DC Comics New 52/Renaissance opérait sur absolument toutes leurs séries. Batman et Detective Comics n’y échappent pas mais – contrairement aux séries de leurs alliés comme Aquaman, Wonder Woman, Justice League et quelques autres – ne sont pas vraiment remises à zéro.

En effet, l’univers du Chevalier Noir ne reprend pas « depuis le début » et poursuit l’existant (Damian fait partie de la BatFamille, etc.) mais cela n’empêche pas la série d’être un point de départ possible (avec le tome un de la série Batman de Scott Snyder, La cour des hiboux). On retrouve toutefois quelques incohérences : Barbara Gordon n’est plus handicapée ni Oracle mais redevient Batgirl, Stephanie Brown est absente, le costume de Nightwing devient rouge au lieu de bleu, etc. Pour Morrison, cela ne change pas grand chose au global malgré ces chamboulements de personnages assez secondaires. Il était de toute façon impossible qu’il ne termine pas son run à cause de cette obligation de restructuration (afin de séduire l’éternel et hypothétique « nouveau lectorat »).

Rassemblés sous le titre Requiem, la saga se poursuit avec un prologue (Batman Incorporated #0, publié après les douze premiers chapitres comme une sorte d’anniversaire – système appliqué à toutes les autres séries DC de l’époque). De quoi s’attarder sur Dark Ranger II (Australie), Le Chevalier et l’Écuyer (curieusement absent des épisodes précédents) et retrouver Jiro, le Batman du Japon découvert au début de l’opus. On découvre ensuite que James Gordon arrête Bruce Wayne ! Pourquoi ? Aucune idée de suite, retour en arrière un mois plus tôt, de quoi stimuler le lecteur pour savoir comment l’on va aboutir à cette situation, c’est plutôt malin (mais risqué car cela peut être décevant).

On retrouve donc un binôme « inédit » : Batman/Bruce et Robin/Damian, père et fils désormais duo dynamique ! Talia ayant mis la tête de son enfant à prix, beaucoup de criminels veulent en profiter et les justiciers s’en donnent à cœur joie vu les rassemblements à Gotham que cela génère. D’autres malfrats poursuivent leurs activités (incluant « Les Mutants », ce gang créé par Frank Miller dans The Dark Knight Returns auquel Morrison rend donc brièvement hommage ici – et rejoue une scène, plus loin, de Killing Joke d’Alan Moore). En parallèle, l’on découvre l’épopée de Talia (depuis qu’elle était petite fille jusqu’au présent) et, de facto, son point de vue. Cela se reconnecte avec tout ce qu’on a(vait) vu lointainement aux moments des premiers chapitres de ce run (l’armée de Man-Bat, etc.). Une bonne idée pour se remémorer le chemin parcouru (sauf quand on lit tout à la suite mais ce n’était pas le cas du rythme de publication donc pas de quoi être sévère sur ce point).

Léviathan n’est pas en reste et continue de se déployer également « discrètement » dans Gotham City avec différents employés (de la police par exemple) corrompus. Pour Bruce, c’est l’occasion de reprendre son alias de petite frappe, Malone l’Allumette. Sans trop en dévoiler, les treize épisodes se lisent très bien (nettement mieux que la première partie) avec différentes intrigues qui se télescopent puis se connectent de façon cohérente (il faudra compter – encore – sur une mystérieuse personne en guise de Deus Ex Machina ainsi qu’un étrange MacGuffin).

Grant Morrison s’illustre davantage dans le relationnel entre les (trop nombreux) protagonistes. Entre l’empathie envers Damian et la tragédie qui va suivre (ne pas lire le paragraphe suivant si jamais), le duo Tim/Dick, la relation Bruce/Talia et quelques membres de Batman Inc., on apprécie grandement tous les échanges qui fusent (en dialogue ou en action) ! Si pendant toute la lecture du run on pouvait rouspétait à raison tant l’impression de se « forcer » était prédominante, la dernière planche laisse une œuvre totalement ouverte qu’on a, réellement, envie de connaître… Il est difficile de savoir si Morrison avait prévu une suite et le relaunch l’a empêché de réellement déployer tout ce qu’il souhaitait…

Attention à la semi-révélation : le point d’orgue de cette quatrième intégrale et de l’entièreté du run est bien évidemment la mort de Damian, pile au moment où on commençait à l’apprécier davantage. On a du mal à y croire de prime abord (surtout pour un Ghul) et la fin annonce un possible retour (comme la majorité des personnages de DC Comics) mais à l’époque, et même en lecture simple, ça fonctionne très bien. Entre chagrin et colère, l’évolution de Bruce qui en découle est assez « juste » bien que la suite (et conclusion) soit assez courte et rapide. Au-delà de cette tragédie, Grant Morrison fait de Talia al Ghul une méchante désormais emblématique et cruelle.

La fiction est admirablement bien rythmée (à l’exception, peut-être, du segment dans le futur montrant à nouveau le Damian opérant seul, déjà montré dans la première intégrale et intervenant ponctuellement en flash-forward). Avoir enlevé le chapitre #11 écrit Jorge Lucas contribue à ne pas casser l’immersion (une aventure ridicule du Batman japonais croisé en début d’ouvrage) – il est dommage de ne pas avoir laissé le Special #1 de Chris Burnham en revanche, pas le plus pertinent mais sympathique quand même et enrichissait les séquences sur les membres de Bat Inc., à découvrir (uniquement) dans le Batman Saga Hors-Série #4 (chroniqué à l’époque sur le site).

Côté dessin, on note une succession graphique hyper homogène et agréable grâce à Chris Burnham, qui officie sur tous les épisodes, couplé à la colorisation de Nathan Fairbairn. Seul le prologue est signé Frazer Irving (#0) et trois artistes épaulent Burnham le temps de quelques planches : Andres Guinaldo (#6), Jason Masters (#7-10) et Andrei Bressan (#10). Bien entendu, le style si atypique et clivant de Burnham peut rebuter mais s’il est apprécié, ça contribue au plaisir de lecture de cette seconde moitié d’intégrale !

Ce quatrième opus (gonflé d’une tonne de bonus appréciables – couvertures, textes, making-of… sur près de 60 pages !) est donc plutôt conseillé, principalement pour sa deuxième partie comme on vient de le voir. Si cette ultime salve est très inégale (à l’image de l’entièreté du run), elle aboutit enfin à l’assemblage des multiples axes narratifs balancés (et parfois « bricolés ») depuis le tout debut de l’histoire. Cela donne un sentiment de satisfaction au fidèle lecteur, complété par une dimension plus « humaine » agréable.Si Grant Morrison propose une évolution puissante via Batman Inc., son travail dessus laisse pantois : on ne s’attache à aucun des membres en particulier et on l’impression de voir quelques figurants un peu héroïque par ci par là [1].

L’auteur gagne quand il resserre son action autour du traditionnel entourage de Batman. En somme, cette dernière virée du titre est satisfaisante, en produisant quelques coups d’éclat qui auraient pu être condensés en deux intégrales (ou quatre à cinq tomes simples) avec une écriture plus limpide, gommant les nombreux défauts du run (sur lesquels on s’est longuement attardé dans les trois critiques précédentes, cf. index). Une seconde synthèse de l’entièreté de la saga est disponible un peu après.

[1] Un organigramme de Batman Incorporated est proposé dans Batman Showcase #2 (couverture tout en haut). L’organisation est divisée en quatre équipes, elles-mêmes parfois avec des sous-catégories, sous l’égide de Batman/Bruce Wayne et ses Bat-Bots :
Branche Gotham : Dick Grayson/Batman, Damian Wayne/Robin, Commissaire Gordon + Oracle | Batgirl
Branche « Blacks Ops » : Red Robin + Les Outsiders : Katana, Halo, Metamorpho, Looker, Freight Train [ceux qui seront le moins mis en avant dans la série]
Les Indépendants : Wingman, Le Masque, Batwoman, Catwoman, Huntress
Le Club des Héros – Les Batmen de tous les nations
> Europe : Parkoureur, Le Chevalier & L’écuyer
> Asie : Black Bat, Batman Japan (Mr Unknow)
> Afrique : Batwing, Spydra, Traktir
> Amérique : El Gaucho, Frère Chiroptère, Corbeau Rouge
> Océanie : Dark Ranger

Pour lire des « suites » plus ou moins corrélées au run de Morrison, on conseille en priorité la série Batman & Robin sur Bruce et Damian, écrite par Peter Tomasi (sept tomes simples – tous chroniqués sur ce site – réédités en trois intégrales). Elle démarre pendant la troisième intégrale de Grant Morrison présente Batman ou au début de la quatrième (ça ne change pas grand chose) et remet en scène la tragédie de Requiem au milieu de la série puis, bien sûr, le retour de Damian dans sa conclusion (impactant rétroactivement la portée émotionnelle éventuelle visée par Morrison).

Damian est devenu un personnage récurrent apparaissant dans pas mal de titres et a même eu le sien (Robin Infinite en trois volumes et, surtout, Batman – Shadow War). On apprécie davantage son parcours dans le monde alternatif d’Injustice mais surtout Injustice 2 où il se range du côté de Superman puis du clan Ghul et où, chose inédite, il grandit et n’est plus un enfant. Une évolution passionnante signée Tom Taylor qui renouvelait un peu l’archétype du personnage, cadenassé dans son caractère capricieux à peu près partout où différents auteurs l’ont repris.

 

Les Batmen de tous les pays seront présents (quasiment muets mais indispensables à la narration) dans Batman Infinite – Tome 4 : Abyss, qui peut se lire de façon indépendante. À part cela, on ne les reverra quasiment plus ensuite, encore moins en France (contribuant à se dire que « tout ça pour ça ? ») sauf… depuis 2022. En effet, une série intitulée – suspense… – Batman Incorporated, constituée de douze chapitres, a été publiée aux États-Unis en deux volumes compilés (le premier, No More Teachers, est en vente depuis septembre 2023). C’est Ed Brisson qui l’écrit et la place dans la continuité « actuelle » avec, entre autres, Ghost-Maker et Clown Hunter très présents (introduits dans Joker War).

De façon plus anecdotique, peu après la « mort » de Batman, on pouvait suivre les aventures de Dick (avec Tim dans un premier temps) à la fin du second tome de Paul Dini présente Batman et, surtout, dans le troisième avec Damian. Dini a également écrit Harley Quinn et les Sirènes de Gotham se déroulant aussi durant l’absence/le voyage dans le temps de Batman (sans oublier quelques épisodes dans Batman Showcase #2 centrés sur Bruce et Damian en Batman et Robin). Ceux qui ont aimé le Batman Zur-en-Arrh peuvent le retrouver à nouveau « modernisé » dans le run de Zdarsky et sa récente série Dark City. Enfin, pour les quelques récits complets (plus ou moins longs) se déroulant en marge de Grant Morrison présente Batman, se référer aux liens en bas de l’index dédié (avec, par exemple, La lutte pour la cape/Battle for the Cowl montrant comment Nightwing endosse le costume de son mentor disparu).

   

Alors, faut-il lire l’intégralité de Grant Morrison présente Batman ? Et bien… si vous avez cent vingt euros à dépenser et qu’une lecture un peu pénible ne vous fait pas peur, oui bien évidemment. D’autant qu’on assiste aux premiers pas de Damian, la création de Batman Inc. (même si cela ne sera pas repris ensuite) et un duo inédit efficace (Dick et Damian en Batman et Robin). L’auteur écossais décrit aussi une Talia al Ghul plus redoutable que jamais et la hisse au panthéon des ennemis mythiques. On suggère principalement la deuxième et quatrième intégrale (que sa seconde moitié suffit) ; la troisième à quelques pages près (mais importantes) est totalement dispensable et seul le début de la première est pertinent (donc équivalent du premier tome de l’ancienne édition simple voire du bon plan à 4,90 € Le Fils de Batman – passant donc le total à 64,90 € pour ne lire que les parties les plus passionnantes, pas négligeable !). En somme, si vous trouvez le bon plan à 4,90 €, la deuxième intégrale et le huitième et dernier tome de la précédente édition (Requiem) en occasion à bas prix, c’est globalement suffisant (gain de temps et d’argent).

Il est indéniable que Morrison a marqué l’histoire du Chevalier Noir avec son run, principalement grâce/à cause de l’ajout de Damian. Tout le reste n’aura pas été si « révolutionnant » que cela à terme (moins que la saga No Man’s Land par exemple) – peu mémorable, encore moins remarquable malgré les reprises dans le patrimoine DC qui ont certainement fonctionné chez certains. Le rejeton de Wayne a le mérite d’être très clivant, adoré par certains pour sa fougue, son audace, sa radicalité, détesté par d’autres pour son côté peu empathique, insupportable, vulgaire et impulsif.

Chacun juge(ra) en fonction de l’évolution de Damian. Ce qui est dommage est d’avoir encore produit un Robin jeune et masculin, quatre à la suite en plusieurs décennies, c’est un peu redondant et peu original… Paradoxalement, Morrison l’a introduit « comme un cheveu sur la soupe » puis Damian a naturellement et étrangement intégré le reste de la Bat-Famille, de façon soudaine et pas spécialement bien détaillée. Dans sa dernière ligne droite, on apprécie l’ajout d’animaux (une vache, un chien et un chat) et un Damian plus touchant et empathique. Au-delà des comics, il est apparu dans le jeu vidéo Injustice 2, quelques films d’animation (dont Le Fils de Batman, très librement du premier tome de Morrison justement) et il fera ses premiers pas au cinéma dans le DCU chapeauté par James Gunn dans le film The Brave & the Bold (titre provisoire), probablement en 2026, qui sera réalisé par Andy Muschietti (The Flash).

In fine, le résumé le plus proche de cette saga est à lire au détour d’un dialogue, initié par le Chevalier Noir, de cette ultime intégrale qui évoque la création de Batman Inc. et correspond étrangement à celle de Morrison également. C’est ce qu’on a pu ressentir à de multiples reprises en se forçant à lire de nombreux segments confus, où l’on ne savait pas trop ce qui était réel ou non, des résolutions d’intrigues un peu étranges, trop d’apartés abscons. « Nous fabriquons un fantôme, un croque-mitaine trop gros pour qu’on le voit clairement. Ses contours sont flous, son étendue et ses buts incertains. […] Où s’arrête la rumeur ? Où commence la réalité ? »

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 01 février 2019.
Contient : Batman, INC #1-8 + Batman INC: Leviathan Strikes + Batman INC (New52) #1-10 + #12-13
Nombre de pages : 600

Scénario : Grant Morrison, Chris Burnham
Dessin : Frazer Irving, Yanick Paquette, Cameron Stewart, Chris Burnham, Pere Pérez, Scott Clark, Andres Guinaldo, Jason Masters, Andrei Bressan
Encrage : Michel Lacombe, Bit, Dave Beaty
Couleur : Nathan Fairbairn, Frazer Irving, Scott Clark, Dave Beaty

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Simona Maccaroni, Christophe Semal et Laurence Hingray (Studio Myrtille)

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Grant Morrison présente Batman • Intégrale – Tome 3/4

Après une première intégrale assez inégale et une deuxième plus passionnante, place à l’avant-dernière de la longue saga Grant Morrison présente Batman (cf. index dédié) ! Ce troisième opus est l’un des plus conséquents (600 pages !) et probablement le plus « fourre-tout » de la série. Il compile et s’ouvre sur le tome 5 de l’ancienne édition Le retour de Bruce Wayne (déjà publié en 2011 par Panini Comics dans deux fascicules kiosque hors-série de leur magazine Batman Universe – voir couvertures ci-dessous) et se conclut par le tome 0 (Gothique) qui s’était greffé rétroactivement à ce run (avec du contenu initialement et majoritairement publié en 1990 !).

Également au programme, deux épisodes conclusifs et de transition (un de la série Batman & Robin et un du one-shot Batman : The Return), qui étaient dans le tome 6 de la précédente édition (Batman contre Robin, couverture orange). Enfin, les deux deniers tiers du tome 4 (Le dossier noir) sont inclus au milieu de cette intégrale (son premier tiers étant dans la deuxième intégrale rééditée pour une lecture plus cohérente). Tout le monde suit ? Oui ? Alors c’est parfait. Non ? Alors pas de problème, on va prendre le temps d’expliciter tout cela et décrire ce qu’il se déroule dans des nouvelles montagnes russes d’aventures pour Bruce/Batman !

   

[Résumé de l’éditeur]
Bruce Wayne a été envoyé à l’aube de l’humanité par le tyran Darkseid. Amnésique, il va devoir user de toutes ses ressources pour retrouver son chemin dans le temps, se projetant à chaque fois plus en avant dans les époques, pourchassé par un monstre créé par Darkseid.

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Une fois de plus, cette intégrale de Grant Morrison présente Batman enchaîne différents segments complètement inégaux. Le premier se compose donc des six épisodes de la mini-série Le retour de Bruce Wayne, le dernier épisode de Batman & Robin (#16) couplé au chapitre unique (one-shot) de Batman : The Return #1 – rassemblés sous les titres Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. Dans un second temps, le conséquent Le Dossier Noir compile d’anciennes publications principalement des années 1950, mais aussi 1960 et 1990 et (re)vient sur quatre « sujets » (ils sont nommés ainsi) : Le club des héros, Zur-en-Arrh, Dr Hurt et Barbatos. Enfin, dans sa dernière ligne droite, cette avant-dernière intégrale propose Gothique, cinq épisodes de Legends of the Dark Knight plus de quinze ans avant que Grant Morrisson entame son run (et peu après sa première incursion chez l’homme chauve-souris avec son implacable Arkham Asylum).

Le retour de Bruce Wayne est malheureusement (et une fois de plus) un beau bordel. Le renvoi dans le temps causé par Darkseid (en conclusion de Final Crisis) est un prétexte simpliste qui permet de faire voyager Bruce à différentes époques mais ce dernier est amnésique et, pourtant, comprend qu’il n’est pas à sa place. Il enchaîne donc des sauts à différents moments fleuves : la préhistoire, l’époque des premiers colons, la piraterie, le Far West, l’ère de la mafia et évidemment le présent aux côtés de ses alliés de la Justice League. Ces derniers (dont Superman et quelques autres) se retrouvent « au point de fuite » géré par « l’autorité linéaire » (bon courage pour comprendre ce labyrinthe verbeux – un extrait en image tout en bas de cette critique).

Ce qui aurait pu être particulièrement passionnant est une succession de brèves histoires guère passionnantes, à l’exception du segment s’orientant du côté des films noirs et un peu des gangsters (pas sans rappeler le chouette Gotham City – Année Un). On reconnaît à peine Bruce Wayne (visuellement parlant), chaque épisode met en scène des personnages éphémères auxquels on ne s’intéresse pas. C’est dommage car le précédent opus sous-entendait quelques traces du passé et indices laissés par Bruce pour alarmer sa Bat-Famille coincée « dans le futur » afin qu’elle vienne l’aider. C’est plus ou moins le cas mais on a du mal à savoir si c’est volontaire ou non… Comme toujours avec Morrison, on ne sait pas très bien si la narration et les dialogues – globalement confus – sont maîtrisés pour mieux surprendre plus tard. De même, il semble que Bruce créé sans le savoir son propre héritage et influe sur ses ancêtres mais c’est mal narré et peu intelligible…

L’évolution de Bruce s’accompagne heureusement de quelques éléments familiers. Ainsi, la figure déifique de Barbatos, Dieu chauve-souris adulé par des peuples, le Dr. Hurt et le chasseur de primes Jonah Hex croisent donc le milliardaire paumé qui rend service ou combat quelques injustices à l’occasion. L’ensemble du titre aurait pu être tiré vers le haut grâce à une jolie proposition graphique (on parle quand même d’un proto-Batman à la préhistoire ou face à Barbe Noire !) mais chaque épisode bénéficie d’un dessinateur différent. Là aussi, ça pourrait être cohérent (une époque correspondrait à un voyage visuel) mais, hélas, chaque artiste a un style peu marquant, ni foncièrement mauvais, ni drastiquement joli, à quelques séquences près. Faute aussi à une colorisation toujours lisse et sans réel éclat.

Se succèdent ainsi aux pinceaux quelques noms plus ou moins prestigieux : Chris Sprouse (Tom Strong, Ocean, Midnighter…), Frazer Irving (image juste au-dessus, artiste déjà sur trois épisodes – les plus hideux – de l’intégrale précédente), Yanick Paquette (Swamp Thing période New 52/Renaissance, Wonder Woman – Terre Un et il assurera les deux séries Batman Incorporated au cœur de la quatrième et dernière intégrale), Georges Jeanty (Buffy contre les vampires…), Ryan Sook (Arkham Asylum : Living Hell, Hawkman…) et Lee Garbett (Midnighter, Dreamwar…) – tous deux accompagnés de Pere Pérez (Harbinger, Action Comics, Batgirl…)

On retient les planches de Paquette et celles de Sook qui sauvent un peu la fiction. En synthèse, les six épisodes du retour de Bruce Wayne se lisent sans réel plaisir. Ce n’est pas désagréable, on comprend l’ensemble mais fort de ce concept, on pouvait légitimement s’attendre à quelque chose d’encore plus original et mieux écrit ; un traitement plus épique et palpitant était visiblement trop simpliste pour Morrison qui préfère perdre son lectorat sous couvert de discours complexe et pénible.

La titre s’offre une sorte d’interlude avec Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour narrant tous deux, évidemment, le retour de Batman. Le premier chapitre est dessiné par Frazer Irving, Cameron Stewart et Chris Burnham, rien que ça ! Si, graphiquement, la fiction n’est pas très marquante, on apprécie la confrontation entre Batman et Hurt qui reprend et, surtout, les retrouvailles entre Bruce/Batman avec Dick/Batman et Damian/Robin. Puis, surtout, on apprécie (et retient) carrément le second épisode, magnifiquement croqué par David Finch (Justice League…) et montrant un Wayne requinqué, plein d’assurance (cf. les deux premières illustrations après la section À propos).

Révolution dans l’univers de Batman : le philanthrope Bruce Wayne confesse devant les médias et le public qu’il finance la croisade de Batman depuis des années ! Une évidence vu les moyens technologiques usités par le justicier dont le combat a touché Wayne. L’entrepreneur annonce même la création de « Batman Incorporated », promettant une armée de Batmen dans différents pays ! Un concept fort alléchant qui se déploiera principalement dans la quatrième et dernière intégrale puisque toute la suite de cette troisième se concentre (à nouveau) sur le passé de Batman (par Morrison et d’autres). Léger spoiler : Batman Inc. sera – comme pas mal de choses du run de Morrison – une proposition intéressante mais tellement mal exploitée… On y reviendra dans la dernière critique.

Au programme également, une (nouvelle) organisation mystérieuse, Léviathan, un ennemi énigmatique (un de plus) et de belles promesses narratives (qui seront globalement tenues – comprendre trouveront une résolution, plus ou moins satisfaisantes en fonction des exigences de chacun). Ce retour au présent, à la modernité et à un Batman plus classique est paradoxalement une vraie bouffée d’air frais tant ce qui l’a précédé était peu passionnant.

Le Dossier Noir est le nom donné au fameux dossier qui renferme les aventures les plus étranges de Batman, qu’il consigne lui-même dans… un dossier noir donc. En réalité, c’est une appellation éditoriale prétexte à publier de vieux épisodes datant d’il y a plusieurs décennies qui permettent de se rafraîchir la mémoire mais surtout découvrir des éléments de patrimoine qu’a réutilisé évidement Morrison dans son travail (il contextualise d’ailleurs cette compilation en avant-propos). Cette plongée nostalgique est évidemment plutôt kitch et a parfois mal vieilli. Néanmoins elle permet de (re)découvrir, pour la première fois en français, d’étranges pépites à l’intérêt variable, peut-être davantage historique. Une curiosité pour aficionados et complétistes peut-être, une lecture « forcée » pour les autres, probablement.

C’est toujours difficile de critiquer ce genre de (très) vieilles aventures, qui montrent plutôt les obligations de DC Comics de l’époque : des récits légers, complets en dix pages, volubiles et avec une narration omniprésente. Chaque épisode est introduit par Morrison lui-même et sont classés par « sujet ». Le premier est Le club des héros. On découvre ainsi la première apparition du club des héros dans Les Batmen de tous les pays (Detective Comics #215, janvier 1955) puis Le club des héros (World’s Finest Comics #89, juillet-août 1957), tous deux écrits (et donc créés) par Ed Hamilton. Le premier est dessiné par Sheldon Moldoff (ancien assistant de Bob Kane), le second par Dick Sprang, deux artistes prolifiques de cette période.

Le premier épisode montre les différents Batman se rassemblent à Gotham City, tous heureux de rencontre leur modèle et héros, et s’unissent pour combattre un criminel. Le second les regroupe à nouveau avec un certain John Mahew et Superman. L’homme d’acier et l’homme chauve-souris se disputent le titre de président du fameux club d’une étrange façon, chacun étant trop modeste pour l’occuper. En parallèle, un nouveau justicier débarque, Le Fulgurant. Ces deux récits apportent rétroactivement un complément non négligeable au récit du premier tome (et de la première intégrale), également appelé Le club des héros. C’est donc très bien de le proposer mais ça arrive un peu tard, rendant moins complexe la compréhension de la version modernisée, ou plutôt la rendant plus cohérente.

Deuxième sujet : Zur-en-Arrh. Deux récits vont mettre en scène le fameux Batman Zur-en-Arrh puis le…Bat-Mite ! Dans Batman, surhomme de la planète X (Batman #113, février 1958), France Ed Herron créé ce Chevalier Noir plus coloré et étrange que l’original, fruit d’une vision ou d’une planète extraterrestre, on ne sait pas trop ; sous les traits de Dick Sprang (encore). L’aventure est loufoque à souhait, complètement psychédélique et tournée dans de la science-fiction un peu cheap. MAIS… une fois encore, cela permet de mieux comprendre d’où venait le Zur-en-Arrh qu’a repris Morrison ensuite (puis Zdarsky dans son Batman – Dark City). On aurait donc aimé lire cela bien plus tôt…

Dans Le baroud du Bat-Mite (Detective Comics #267, mai 1959), le célèbre Bill Finger (véritable créateur de Batman), conçoit une version Batmanesque de M. Myxyzptlk, mythique ennemi de Superman assez populaire. Cette transposition d’un farfadet magique, facétieux et dévastateur dénote totalement avec l’univers habituel du Chevalier Noir mais rencontre un certain succès chez les plus jeunes lecteurs. C’est Sheldon Moldoff (encore) qui croque donc pour la première fois le Bat-Mite, un peu ridicule mais déboulant donc dans la galerie des nombreux protagonistes de la mythologie de Batman.

Troisième sujet : Dr Hurt ! Cela devient (enfin) un peu plus passionnant. On a droit à deux récits de Bill Finger, toujours dessinés par Sheldon Moldoff et publiés à sept ans d’intervalle ! Le premier Batman (Detective Comics #235, septembre 1956) est d’une importance capitale : on y apprend que Joe Chill, l’assassin des parents de Bruce, n’était pas un banal voleur mais un tueur à gages engagé par un autre criminel, Moxon. Pourquoi ? Parce que Thomas Wayne, vêtu d’un costume de chauve-souris pour un bal masqué thématique, s’était fait kidnapper par les hommes de Moxon afin de soigner ce dernier, blessé par balles. Le père de Bruce put s’échapper et les livrer à la police mais Moxon, dix ans plus tard à sa sortie de prison, décida de se venger.

Le premier Batman change rétroactivement un pan culte des origines de Batman ! Cela pourrait être mal accueilli mais comme c’est sous la plume de Bill Finger lui-même, c’est tout à fait acceptable voire cohérent pour « boucler la boucle » de la thématique chauve-souris. En revanche, cela remet en question le meurtre des Wayne, qui n’était donc plus lié « au hasard » (ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment) car cela sous-entend que tout était prémédité… À chacun d’y voir sa version favorite. Le Dr. Hurt n’apparaît pas ici mais Morrison reprendra ce souvenir par la suite – comme on a pu le lire plus tôt dans son run.

Robin meurt à l’aube (Batman #156, juin 1963) démarre comme une énième aventure kitch et psychédélique – Batman et Robin sur une planète face à des créatures et un robot rose géant – avant de révéler une illusion féroce réalisée par le Dr. Hurt mais sans méchanceté derrière. Au contraire, cette première mouture d’Hurt est d’ailleurs innocente, l’itération Morissonesque sera bien plus machiavélique (même si – a posteriori –, l’ennemi ne rentrera pas dans le prestigieux panthéon des vilains charismatiques de l’univers de Batman ; faute à une écriture étrange et des ambitions confuses).

Quatrième et dernier sujet de ce dossier noir : Barbatos. L’œuvre est plus récente cette fois (août-septembre 1990), écrite par Peter Milligan, scénariste proche de Morrison. Dans Chevalier Noir, ville ténébreuse (Batman #452-454 – donc trois chapitres de 20 pages, soit le récit le plus long de cette session), l’on suit deux arcs narratifs. L’un se déroule en 1764, Jacob Stockman s’apprête à exercer un sacrifice humain pour convoquer Barbatos, lors d’un rituel avec d’autres membres d’une sorte de secte. L’autre se déroule « dans le présent » (et occupe la majorité de l’ensemble) où le Sphinx enchaîne des épreuves délicates pour le Chevalier Noir. Les énigmes ne sont pas très compliquées mais le Sphinx a carrément mis quatre bébés en danger pour arriver à ses fins !

De quoi être en adéquation avec le Chevalier Noir durant sa lecture : tout comme lui on ne comprend pas (dans un premier temps) la finalité de tout ceci, aussi bien la corrélation entre les deux époques que l’objectif de Nygma, bien plus virulent qu’à l’accoutumée. Les épisodes sont dessinés par Kieron Dwyer dans une veine délicieusement rétro de la fin des années 1980, un style brut, une atmosphère lugubre, des scènes sanglantes, etc. Pas de doute, on surfe toujours sur la période post The Dark Knight Returns (1986). Impossible de ne pas penser à Le Culte (publié peu avant, en 1989) également ! Le titre est plus abordable (que ceux d’avant et, paradoxalement, que ceux d’après de Morrison) et se connecte au Retour de Bruce Wayne à nouveau puisqu’il était question de Barbatos dedans (mais, une énième fois, ça aurait été bien de lire ça avant pour mieux capter le puzzle narratif et bordélique de Morrison).

Ce « Dossier Noir » est donc inégal mais pas déplaisant pour autant, suffit de fermer les yeux sur le ridicule de quelques segments propres à leur époque. On le martèle : on se demande surtout pourquoi elle n’a pas été proposée plus tôt ! Comme Morrison a pioché dans tout cela et l’a injecté directement dès le début de son run, on aurait préférer connaître ces vieilles aventures à ce moment-là… Néanmoins, ça a le mérite de rendre les précédentes aventures signées Morrison moins obscures et plus accessibles (compréhensibles ?) pour le commun des mortels.

On ne peut pas reprocher à l’auteur de puiser dans l’énorme galerie de personnages qui ont existé dans l’univers dantesque et hétérogène du Chevalier Noir. Toutefois, reprendre des protagonistes aussi peu captivants pour leur apporter un traitement un brin superficiel reste dommage (déjà observé avec le club des héros dans la première intégrale et se confirmera, hélas, par la suite avec la plupart d’entre eux au sein de Batman Inc.). On apprécie en revanche la matière des pages, davantage granuleuses et solides de ces pastilles nostalgiques, qui tranchent avec le papier glacé moins épais des autres aventures, plus contemporaines, également au sein de l’opus. Fermeture des sujets du dossier noir, place à la suite !

Quatrième et dernier ajout à cette intégrale : Gothique, une histoire en cinq chapitres (Legends of the Dark Knight #6-10) publié en 1990 ! Il s’agit du troisième travail de Grant Morrison sur Batman après une nouvelle (très anecdotique) de trois pages sur Catwoman qui s’introduit dans la Batcave (inclut après Gothique), intitulée La traque (The Stalking) et datant de 1986, initialement parue dans les pages du magazine anglais Batman Annual. Son deuxième jet sur l’homme chauve-souris est nettement plus célèbre et réussi : le récit complet incontournable Arkham Asylum (L’Asile d’Arkham), de 1989. Il y a ensuite eu ce Gothique puis, presque quinze plus tard, son début de run en 2006 qui dura pile sept années !

Si Gothique est proposé rétroactivement dans son run, c’est parce qu’il met en avant un ennemi inédit, M. Murmure, dans une fiction qui flirte avec l’occultisme et les malédictions, les sacrifices, etc. Sans oublier qu’on retrouve (un peu) chez Murmure un peu du futur Dr Hurt. En somme, un titre totalement en phase avec qu’a injecté plus tard Morrison dans sa fresque, principalement ce qu’on retrouve justement dans cette troisième intégrale avec le segment sur Le retour de Bruce Wayne puis Que meurent Batman et Robin puis Batman : Le Retour. On ressent aussi une sorte de prolongation (autant visuelle que narrative) des trois épisodes de Chevalier Noir, ville ténébreuse qu’on vient de découvrir (mais écrits par Peter Milligan attention).

Bien évidemment, Gothique peut se lire indépendamment de tout le reste – il est d’ailleurs dommage qu’Urban ne le propose plus en tome simple unique même s’il sera, en toute logique, présent dans le probablement troisième opus de l’année 1990 de Batman Chronicles. La force de Gothique réside dans ses planches incroyablement dynamiques de la ville de Gotham auquel rend hommage le dessinateur Klaus Janson (encreur mémorable de The Dark Knight Returns et artiste accompli, prolifique et multitâche chez Marvel puis DC Comics) et le coloriste Steve Buccellato (en moyenne forme – surtout dans les flash-backs).

Du terme « gothique » résulte évidemment l’architecture globale qu’on perçoit dans l’urbanité de l’ensemble (principalement au début et à la fin) mais aussi différents éléments de la fiction qui montrent la croisade d’un Batman confiant, voire prenant un malin plaisir à en découdre avec des ennemis. Dans sa quête, l’homme chauve-souris cherche un mystérieux homme normalement mort des années plus tôt et tuant des mafieux. Ces derniers réclament même l’aide du justicier ! En parallèle, Bruce Wayne se remémore des pans de son passé, mélangés à d’étranges rêves et perd parfois pied… Un polar teinté d’un peu de surnaturel donc.

Une fois de plus, ou plutôt « déjà à l’époque », Grant Morrison ne cesse de jouer sur les faux semblants avec des passages abscons. C’est plus limpide que ce qu’il présentera plus tard mais cela reste un peu étrange et pas réellement passionnant non plus. Heureusement, la force graphique impulsé tout le long hisse la fiction vers le haut (la couverture initiale du tome est simplement la reprise d’une pleine page par exemple). Il est cohérent d’avoir ajouté ce titre à cet endroit précis des intégrales mais il n’est pas non plus « réellement » relié au reste… Cela ne change pas le prix de l’intégrale et permet d’avoir l’ensemble des travaux de Morrison au même endroit alors pas de quoi se plaindre. Néanmoins, Gothique n’est pas incontournable, au contraire… Au moins il se lit rapidement, contrairement au reste du pavé, c’est déjà ça.

Cette troisième intégrale est donc sans aucun doute la plus faible, on peut même la dire dispensable, malgré le milieu du titre sympathique (le retour de Bruce/Batman à Gotham dans le présent et l’annonce de l’organisation Batman Inc. – soit deux chapitres au total seulement) et quelques curiosités « vintages » (celui de Bill Finger sur Le Premier Batman et celui sur le Sphinx de Peter Milligan). Grant Morrison se vautre (encore) dans une écriture inintelligible. Ce n’est pas « complexe », dans le sens où ce serait exigeant, intellectuellement stimulant et force de réflexion, d’analyse poussée, c’est juste « compliqué » car pas limpide, peu compréhensible, parfois prétentieux, trop verbeux, inutilement bavard, etc. On l’avait déjà constaté dans la seconde moitié de la première intégrale et un tout petit peu à la fin de la deuxième. Ici, c’est tout le segment du Retour de Bruce Wayne qui l’est puis, un petit peu à nouveau, Gothique.

Malgré tous ces défauts (surtout en rédigeant une critique tant d’années après la mise en vente), force est de constater la puissance populaire du run de Morrison mais elle est à nuancer : c’est avant-tout le personnage de Damian qui marque les esprits et continue de vivre dans la chronologie du Chevalier Noir. Comme on le soulignait plus haut, le Dr Hurt (dont c’est la fin de son arc dans ce troisième opus) n’est pas resté au panthéon des ennemis inoubliables . Tout le voyage dans le temps et le passé n’aura pas d’incidences par la suite, un véritable coup manqué après cette aubaine. Enfin, il en sera de même pour l’organisation Batman Inc. (pourtant une excellente idée) mais c’est à découvrir dans la suite et fin avec la quatrième intégrale !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 26 octobre 2018.
Contient : The Return of Bruce Wayne #1-6, Batman and Robin #16, Batman: The Return #1, Legends of the Dark Knight #6-10, Batman: The Black Casebook, Dark Knight, Dark City (Batman #452-454)
Nombre de pages : 592

Scénario : Grant Morrison (sauf les « dossiers noirs »)
Dessin : Collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif (voir article)

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Christophe Semal et Laurence Hingray

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