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Heroes in Crisis

Nouvelle « crise » de DC Comics (cf. index des « crisis ») et – surtout – récit complet accessible, Heroes in Crisis n’atteint pas la maestria et l’émotion d’Identity Crisis (Crise d’identité) mais s’avère assez original malgré tout, offre une enquête passionnante et reste une proposition visuelle soignée et agréable (non sans défauts). Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
Au cours de leurs nombreuses aventures et combats, il n’est pas rare que des événements catastrophiques surviennent dans la vie des plus grands super-héros. Ceux-ci peuvent avoir alors besoin d’une période de convalescence afin de se reconstruire autant physiquement que psychologiquement et le Sanctuaire, un endroit secret où ils peuvent se réfugier, symbolise ce havre de paix pour des héros traumatisés. Mais ce secret se retrouve exposé au grand jour après qu’une violente tuerie s’y produit.

[Histoire]
Les super-héros ont créé un lieu de repos isolé au fin fond du Nebraska : le Sanctuaire. Dans cet havre de paix pour héros traumatisés, les tourments et confessions de chacun sont anonymes ; le stress et la violence du quotidien y sont évacués.

Un jour, plusieurs super-héros sont retrouvés morts dans cet endroit : Roy Harper, Wally West, Poison Ivy… La Trinité (Batman, Superman et Wonder Woman) arrive trop tard…

L’enquête se tourne vers deux suspects : Booster Gold et Harley Quinn.

Lois Lane reçoit les vidéos de confession au Sanctuaire de plusieurs super-héros par une source anonyme et décide de les mettre en ligne sur le site du Daily Planet.

[Critique]
Tom King aime aborder l’approche « psychologique » et (post)traumatique de ses personnages – probablement car il a lui-même vécu cela lors de sa carrière à la CIA (sept ans dans le contre-terrorisme en Afghanistan et en Irak) ou via des retours de ses collègues. Il l’a injecté dans d’autres de ses œuvres récentes : brillamment dans Mister Miracle, inégalement dans son run de Batman Rebirth. Ici, il s’est attaqué ici au même filtre de fragilité et failles humaines à travers plusieurs héros de DC. Le résultat est plutôt convaincant même s’il manque d’une certaine solidité dans ses fondations. En effet, le fameux Sanctuaire – excellente idée au demeurant – n’avait pas été évoqué en amont alors qu’il aurait pu être un socle narratif alléchant s’il avait été mis en place depuis plusieurs années (un peu comme la Forteresse de solitude de Superman).

Il est mentionné pour la première fois par Poison Ivy et Booster Gold dans Batman Rebirth – Tome 06 : Tout le monde aime Ivy (auquel Heroes in Crisis propose quelques échos). Cela reste donc bien maigre d’une part et réservé aux lecteurs complétistes d’autre part. Toutefois, un avant-propos éditorial contenant des citations du scénariste permet de comprendre la création et la notion symbolique et carthathique du Sanctuaire. Le Sanctuaire, proche d’un joli pavillon de campagne, est pourvu d’une IA et d’une famille d’androïdes pour accueillir les fragiles surhommes mais il n’y a « rien » de concret pour les aider, à part ce confessionnal moderne. C’est donc un peu dur à « accepter » mais bon… pourquoi pas.

On suit plusieurs axes narratifs plus ou moins intéressants durant neuf chapitres. L’enquête de la Trinité pour retrouver le coupable dans un premier temps, corrélés aux fuites communes des deux suspects activement recherchés, Booster Gold et Harley Quinn. Chacun est en plus persuadé d’avoir vu l’autre accomplir le massacre ! On ignore pourquoi ces deux figures de DC ont été autant mises en avant mais ça fonctionne bien, surtout quand ils sont rejoints par deux autres héros secondaires pour former deux duos inédits avec Blue Beetle pour le premier et Batgirl pour la seconde. Enfin les témoignages « face caméra » de bon nombre de personnages lorsqu’ils étaient dans le Sanctuaire (et dont les enregistrements sont aussitôt supprimés – même Batman l’avoue) ponctuent la narration (cassant parfois une certaine immersion).

Ces confessions sont toujours développées en neuf cases sous formes de gaufrier, une mise en page qui rappelle volontairement Watchmen (cité d’ailleurs dans le fameux avant-propos) et, plus récemment, Doomsday Clock. Ces segments sont à la fois passionnants mais aussi un peu frustrants car ils gâchent un certain rythme imposé et ne sont jamais « complets » (comprendre qu’on pourrait avoir un monologue de vingt pages sur les désillusions et la culpabilité de Batman (au hasard) mais qu’on est toujours cadenassé dans ce format de neuf cases…). Quelques exemples ci-dessous (cliquez pour agrandir).


Néanmoins l’ensemble se lit plutôt bien avec un bon équilibre (surtout dans sa première partie, la seconde étant plus soutenue et bavarde – parfois moins palpitante, quand elle se concentre sur des têtes vraiment trop secondaires, comme Gnarrk). On a par contre un peu de mal à imaginer que tous les  héros de DC Comics sont passés dans le Sanctuaire (et que tous ont joué le jeu de parler à une caméra) et, surtout, qu’ils ont parfois porté une tenue blanche et un masque pour préserver leur anonymat (façon secte !) – un détail qui dénote furieusement avec l’idée d’une paix commune, d’un non jugement et d’une solidarité entre les justiciers (on a presque l’impression qu’ils ont tous quelque chose à cacher…). Il ne faut pas non plus s’attendre à de l’action épique, on est davantage dans un registre à hauteur d’homme, sans réels conflits violents.

Qu’est-ce qui pose foncièrement problème ? Deux choses qui sont liées uniquement en fonction des connaissances et attentes du lecteur. C’est certes cliché d’avancer cela, surtout pour une critique d’un comic book, mais Heroes in Crisis est sans doute le meilleur exemple pour le justifier. Tout d’abord, il y avait « l’évènement » annoncé. Marketé, teasé, sublimé. Une nouvelle « crise ». Après Crisis on Infinite Earths, Crise d’identité, Infinite CrisisFinal Crisis, Flashpoint, DC Universe Rebirth, Doomsday Clock (cf. cet index)… cette histoire fut indiquée avant sa mise en vente comme un (grand) bouleversement dans la chronologie de DC, au même titre que les exemples cités. In fine, on se rapproche davantage vers un Crise d’identité (Identity Crisis) plutôt qu’un réel chamboulement extraordinaire, cosmique ou autre. L’avenir nous le dira… Comme souvent : si le lecteur n’a pas d’attente particulière, il n’aura donc pas de déceptions et sera sans doute conquis par ce récit singulier (le cas de l’auteur de ces lignes).

Enfin, le second point qui a fait polémique est l’identité du coupable. Attention, ce paragraphe et le suivant vont en parler, allez à celui sous l’image (de Batman) pour ne pas lire la révélation. Le « simple » connaisseur de l’univers du Chevalier Noir et un peu de DC, via la Justice League ou quelques « crises » évoquées plus haut ne sera pas forcément décontenancé (dans le sens où le personnage ne sera pas un pur inconnu) de découvrir que Wally West est responsable des morts dans le Sanctuaire. En revanche, la justification de ses actes peut paraître maladroite (voire illogique, surtout quand on parle de quelqu’un qui peut voyager dans le temps, comme… Booster Gold – n’y avait-il pas autre chose à produire ?). L’homme a pété les plombs et causé accidentellement sa tuerie ; puis il a rassemblé les cadavres (incluant le sien en allant dans le futur) pour faire croire à une mise en scène macabre, tout en laissant deux suspects derrière lui (Booster et Harley donc). Cet aspect ne colle pas avec la personnalité « bienveillante et altruiste » (même s’il n’est pas un saint – ça n’a jamais été un psychopathe) du neveu de Barry Allen et, surtout, trahit d’autres promesses laissées entendre par l’éditeur (et donc à nouveau des attentes/déceptions pour ceux qui les suivent assidument). En effet, Wally avait disparu durant l’ère New 52 (Renaissance en VF) et est revenu au début de Rebirth (il était même au cœur de DC Univers Rebirth) mais… il n’a pas du tout été utilisé ensuite (ou très peu) si ce n’est pour cette tragédie qui le place dans un sale rôle.

Autant dire que les fans de l’univers Flash ont déchanté (inutile de dire que si vous aimez Wally, vous n’aimerais pas Heroes in Crisis – c’est un peu comme si du jour au lendemain Tim Drake tuait ses amis involontairement puis maquillait l’accident en meurtre tout en faisant accuser Dick Grayson ou Damian Wayne, une aberration donc !). Néanmoins, la description de la solitude extrême de West par Tom King puis sa rage extrême accidentelle sont relativement bien écrites pour que le lecteur « y croit ». De plus, dans une situation similaire, en stress total, il est possible de réagir de la sorte (ne pas paniquer et « ré-organiser » les meurtres pour y échapper), tout en gardant donc paradoxalement un sang-froid exemplaire pour ne pas se faire prendre. Le débat fait rage chez les fans, certains crient à la trahison suprême, d’autres à l’audace. Personne ne reste indifférent en tout cas ! On ignore si c’est suite aux critiques mitigées et négatives ou aux polémiques sur Wally mais plus tard, on apprendra que ce sont des ennemis des bolides écarlates qui auraient manipulé Wally West, cf. la deuxième partie de l’article sur Le prix, aventure commune de Flash et Batman qui eu des « extensions » dans Flash Rebirth et Infinite, cassant ou réhabilitant ce qui était proposé dans Heroes in Crisis !

Outre la résolution de l’intrigue, un brin rapide et, comme vu, assez clivante, la plume de Tom King sonne « juste » dans ses dialogues et dans ses expositions d’enjeux et d’enquêtes. On regrette que la Trinité soit mise de côté au bout de quelques chapitres, se recentrant sur Harley Quinn et Booster Gold (les « deux vrais personnages principaux » du titre) et leurs acolytes. La lecture est aisée et ne s’éparpille pas trop, à l’exception (comme vaguement évoqué plus haut) des explications longues et un brin complexe en fin de récit. Ce n’est pas bien grave. Le scénariste arrive à injecter une certaine émotion et, chose de plus en plus rare dans les comics, une sincère empathie pour l’ensemble de sa galerie d’humains déifiés ou tristement « normaux ». Ce n’est pas le meilleur travail de King mais ce n’est pas non plus le pire. Il y a tout de même une forme de cynisme (imputable à l’éditeur Dan Didio) voulant se débarasser de têtes très secondaires, de désacraliser quelques figures mythiques et de moduler radicalement l’ADN de personnages – c’est en cela que le titre, au-delà des polémiques – séduit davantage des connaisseurs moins aguerris que des passionnés de longue date ; c’est le jeu d’une certaine manière, toujours draîner un public plus large…

Heroes in Crisis aurait probablement gagné à être allongé de quelques épisodes (un introductif sur l’origine du Sanctuaire, un entièrement constitué des confessions et un conclusif mieux équilibré) – c’est pourtant ce qu’a visiblement imposé l’éditeur suite au succès des ventes, la fiction a bénéficié d’un voire deux chapitres supplémentaires, ajoutant diverses confessions sous forme de caméo (un peu fourre-tout et moins pertinentes il est vrai) et étirant sa conclusion inutilement. Ça contribue à avoir ce rythme en demi-teinte mais, encore une fois, ce n’est pas très grave, ça n’empêche pas le titre d’être vraiment singulier et se démarquer du reste des productions du genre. L’exploration d’une certaine fragilité, l’obligation de « prendre sur soi » ou encore d’être simplement « mal » sont des points cruciaux et assez rares dans le domaine, c’est donc très agréable de suivre tout cela, même si c’est parfois maladroit, survolé, conceptuel… Une introspection atypique peu abordée en général (on pourrait écrire des analyses multiples sur Heroes in Crisisqui garde nos gardiens dans Watchmen (encore), qui aide nos super-héros en proie aux doutes et à la fragilité ?) qui fait pencher la balance vers le positif malgré ses problèmes évidents (ceux évoqués et ceux ci-après).

Graphiquement, Clay Mann livre une belle performance, oscillant entre des cases et planches contemplatives et d’autres pas forcément portées sur l’action mais dont les découpages permettent d’avoir une dynamique fluide entre les interactions des personnages et l’avancement de l’investigation. Il est rejoint le temps de quelques flash-back par d’autres talentueux artistes (aux dessins et à l’encrage) comme Travis Moore, Lee Weeks, Mitch Gerads et Jorge Fornés.

Les couleurs sont assurées par l’inépuisable Tomeu Morey, livrant une palette épurée conférant une atmosphère très « comic book » (plein de variantes chromatiques) mais en restant dans une certaine retenue, en phase avec le deuil. L’introduction d’Heroes in Crisis jette aussi un froid, le massacre est balancé sans filtre, de façon brute et sans retenue ; à l’image de « l’échec » de cette construction de la Trinité, prise au dépourvu et impuissante (King évoquait s’être inspiré des tueries en milieu scolaire (le Sanctuaire) où les parents tentent de se relever ensuite (la Trinité) et où la société subit ses terribles actes sans initiative de résolution).

En revanche, on peut pointer du doigt des icônes féminines sexualisées gratuitement par Clay Mann (Lois Lane, Batgirl et Harley principalement). Entendons-nous bien, il n’y a aucun problème à croquer de façon « sexy » un protagoniste (masculin ou féminin) mais le dessiner dans des poses aguichantes avec des costumes extrêmement moulants casse complètement la dramaturgie recherchée. Par exemple, dans les deux premiers tomes de Catwoman (La règle du jeu et La maison de poupées) cela faisait partie du « package » de la femme fatale féline mais dans Heroes in Crisis ça ne va pas du tout avec la tonalité du registre abordé, plus sombre et triste.

Ici pour Batgirl, montrer sa blessure qui l’a rendu handicapée (dans Killing Joke) relève davantage d’une contribution presque érotique où la poitrine et les fesses sont mises en avant… Sans parler de Lois Lane en petite culotte qui se demande à Clark comment elle peut « l’aider ». Tom King a réussi à faire modifier une couverture de Poison Ivy qui la montrait morte mais avec poitrine légèrement apparente et son fessier relevé (!) – cf. images tout en bas de l’article, un peu tronquées pour éviter un indice majeur, et ses tweets de l’époque. Le but de cette critique n’est pas de parler de la représentation des femmes dans des univers fictifs (l’art doit-il être corrélé à un certain progressisme sociétal ? vaste débat…) ou d’éveiller des consciences mais dans le cas présent, impossible de ne pas remarquer cet aspect gênant (si le sujet intéresse, il y a eu un bon billet argumenté et imagé chez les confrères de DC Planet).

Heroes in Crisis bénéficie d’une homogénéité visuelle alléchante qui ajoute un cachet non négligeable à une œuvre imparfaite qui divise inéluctablement son lectorat (principalement en fonction de ses attentes/connaissances). Malgré les défauts évoqués, on apprécie ce titre et le classons même dans les coups de cœur du site. Pour l’anecdote, entre chaque chapitre on retrouve le logo du Sanctuaire ensanglanté, étonnamment le sang ne coule pas au fil de l’aventure (il s’agit de la même image à chaque fois), renforçant encore l’hommage à Watchmen. Ce logo au propre est d’ailleurs apposé au dos du livre.

Chaque épisode s’ouvre aussi sur une image d’un dossier revenant sur des évènements mythiques de DC : la mort de Superman, la colonne brisée de Batman par Bane, le meurtre de Jason Todd… (cf. ci-dessous, cliquez pour agrandir). Là aussi un enrichissement textuel voire une connexion avec le Sanctuaire n’auraient pas été de refus.

Entre les morts (même s’il y a eu des retours/résurrections depuis), un coupable clivant (plus ou moins réhabilité tardivement), un carnage et une nouvelle tragédie, le terme de crise/crisis est-il approprié ? Oui, plutôt. Même si le crossover semble parfois forcé et que les conséquences n’impacteront que deux ou trois titres/séries, Heroes in Crisis marque tout de même à sa façon l’univers DC – mais bien moins que les précédentes citées plus haut (initialement, la bande dessinée devait banalement s’appelait Sanctuary). On pourrait hiérarchiser les crises en deux catégories : les majeures et les mineures (cf. index des « crisis »). Celle-ci appartiendrait à la seconde mais permet d’être accessible à un large public – il semble d’ailleurs que c’est davantage le lectorat non connaisseur de DC qui a prisé Heroes in Crisis, là où les fans habituels ont déchanté – et d’offrir une approche « mature » et inédite au genre (comme Crise d’identité – nettement plus réussi au demeurant). C’est toujours ça de pris, on aurait tort de s’en priver !

Avec le temps, plusieurs « suites » ou en tout cas extensions de cette histoire ont été publiées, principalement dans des séries sur Flash. Cela a réhabilité certains éléments de la fiction tout en interrogeant sur la « réelle » véracité de quelques révélations apportées à posteriori, et donc rétroactivement (étaient-elles réellement prévues ou c’est suite aux retours critiques d’Heroes in Crisis ?). C’est à découvrir dans la seconde partie de l’article sur Le prix, aventure commune de Flash et Batman.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 15 novembre 2019
Contient : Heroes in Crisis #1-9

Scénario : Tom King
Dessin et encrage : Clay Mann, Travis Moore, Lee Weeks, Mitch Gerads, Jorge Fornés
Couleur : Tomeu Morey, Arif Prianto, Mitch Gerads

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye

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Avez-vous lu le titre dans l’image ci-dessus ?

Ci-dessous la première version de la couverture du septième chapitre avec une Poison Ivy morte,
qui n’a pas plu à Tom King et a demandé une seconde version à Clay Mann.

Justice League – Crise d’identité (Identity Crisis)

Chef-d’œuvre intemporel, Crise d’identité est probablement l’un des titres de DC Comics qui met le plus « l’humain » au cœur de son récit. En explorant le deuil, les relations familiales et, entre autres, les dilemmes moraux derrière le filtre des super-héros, la fiction emporte son lecteur dans une enquête-fleuve palpitante (et peu prévisible) et une révolution dans la mythologie et la chronologie de DC. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
Sue Dibny la femme d’Extensiman, l’un des membres de la Ligue de Justice, a été assassinée. Le meurtrier a pu déjouer les systèmes de sécurité installés par les plus grands héros de la Terre. L’enquête menée par les justiciers va mettre à jour un complot au sein même de la Ligue et un terrible secret concernant leur traitement des super-vilains !

[Début de l’histoire]
Opal City. Firehawk et Extensiman, alias Lorraine Reilly et Ralph Dibny surveillent un coffre à l’abandon, lieu de rendez-vous potentiel de malfrats. Le justicier vétéran raconte à la jeune femme sa relation amoureuse avec sa femme Sue.

Quand une agression a lieu entre criminels peu après, Ralph est appelé par Sue, en train de se faire agresser. Le super-héros arrive trop tard à son domicile : sa femme a été tuée, son corps à moitié carbonisé.

En marge de l’enterrement, tous les super-héros enquêtent sur le coupable. Pour une poignée d’entre eux, Green Arrow, Extensiman, Hawkman, Atom, Black Canary et Zatanna, le doute n’est pas permis : le responsable du meurtre est forcément le Dr. Light. Ce dernier avait violé Sue Dibny il y a des années et, pour oublier ce douloureux épisode, une action radicale avait été commise…

[Critique]
S’il y avait une rubrique « les indispensables Justice League » sur ce site, aucun doute que Crise d’identité trônerait fièrement en haut du classement (à défaut il est dans les coups de cœur) ! Ce titre coche (quasiment) toutes les cases d’une excellente bande dessinée : elle est accessible pour tous (même si on ne connaît pas la vaste galerie de personnages en scène), elle tient en haleine (qui est le coupable ?) et arrive à toucher plusieurs fois le lecteur avec des émotions fortes.

Pour cause : plusieurs morts ont lieu, mécaniquement le deuil est au centre du scénario, d’autres drames sont montrés (dont un viol), le discours à répétition sur la proximité et l’amour entre proches et familles fonctionne bien, les émouvantes typologies de relations (amoureuses, père/fils, amicales…) parsèment le titre avec justesse. En ajoutant le danger « réel » d’une menace inéluctable qui échappe à la logique des meilleurs enquêteurs, la fiction se lit d’une traite.

Parmi les nombreux protagonistes de Crise d’identité (seule lecture du premier chapitre peut être un peu déconcertante pour un néophyte), Green Arrow est peut-être celui qui revient le plus. On suit tour à tour son point de vue, celui d’Atom, Batman, etc. mais l’archer d’émeraude joue un rôle important. Car si Extensiman introduit l’ouvrage par sa tragédie (sa femme est tuée et – on l’apprendra plus tard – avait été violée dans le passé), il reste en recul durant la suite. Il faut dire que ce super-héros, Ralph Dibny de son identité civile, n’est pas très connu des fans de DC (surtout en France).

Ses pouvoirs (il peut étendre sa peau) rappellent ceux de Plastic Man. Normal, ce dernier était né en 1941 chez Quality Comics et DC Comics l’a racheté en 1956 avant de l’injecter dans de nouvelles aventures sur papier à partir de 1966. Entre-temps, l’auteur John Broome et le dessinateur Carmine Infantino créent Elongated Man (le nom VO d’Extensiman) dans les aventures de Flash en 1960, sous l’impulsion de l’éditeur Julius Schwarts (à qui on attribue la co-création du héros) – qui ignorait que Plastic Man avait rejoint l’écurie DC. Depuis, entre Red Richards des Quatre Fantastiques (chez Marvel – et dont la compagne se nomme aussi Sue) et le pirate Luffy (en manga), les pouvoirs d’élasticité ne manquent pas !

Malgré tout, impossible de ne pas s’attacher à Ralph et Sue, un couple enjoué, amoureux et sympathique. Une dimension humaine qu’on retrouvera martelée dans de nombreux dialogues entre des parents et leurs enfants, des conjoints séparés ou ensemble, etc. En frappant « là où ça fait mal », comprendre chez les proches des super-héros, le coupable sème un sentiment d’effroi et de terreur chez ces êtres faillibles – car les super-pouvoirs ne permettent pas de protéger tout le monde, tout le temps. Il y a une vague de « vulnérabilité » qui s’abat sur chacun. Clark Kent s’empresse de passer davantage de temps chez ses parents par exemple, Tim Drake (Robin) hésite à laisser son père seul lorsqu’il agit en costume, Atom ne veut plus non plus s’éloigner de son ex-femme, etc.

Et quand Lois Lane reçoit un avertissement, le doute n’est plus permis : le mystérieux responsable des crimes odieux connaît les identités des différents justiciers. De quoi semer le trouble et éliminer un à un tous les suspects (différentes équipes poursuivent des vilains, peu importe leur degré de dangerosité), tous se mobilisent mais toutes les pistes tombent à l’eau. Dans l’ombre, le Calculateur semble tirer quelques ficelles mais tout est plus compliqué qu’il n’y paraît… L’angoisse et la tension sont palpables et ne laissent aucun répit aux protagonistes (et au lecteur).

Au-delà de la « simple » enquête criminelle (palpitante, enchaînant fausses pistes et rebondissements), le récit se permet de questionner les limites d’intervention des super-héros. On l’apprend bien vite (dans le second chapitre), les « réservistes » de la Justice League (les membres secondaires, pas toujours présents ou qui restent en retrait ou sur place une fois une mission terminée) ont franchi une ligne rouge il y a quelques années. Retour en arrière.

Après le viol de Sue par le Dr. Light (ennemi normalement de cinquième zone), une scission s’est produite : Green Arrow, Black Canary et Green Lantern (à l’époque Hal Jordan – avant les évènement liés à Parallax, Emerald Twilight et Zero Hour) ont fait face à Hawkman, Atom et Zatanna. Flash (Barry Allen) apporta son soutien à l’une des deux équipes et… il fut décidé à la fois de rendre amnésique le Dr. Light mais aussi de moduler discrètement son cerveau afin de modifier sa personnalité. Un choix radical et dangereux, assimilé à de la lobotomie, qui met à mal l’éthique du camp du Bien.

Un secret bien gardé qui remet en cause le combat (et l’honneur) des justiciers. Pire : il se pourrait que la manipulation mentale eut lieu d’autres fois, et pas que sur des ennemis mais inutile d’en dévoiler davantage, le titre étant déjà fort en surprises. En synthèse : pas de manichéisme ici mais une réalité crue et insondable. De quoi faire vaciller les héritiers de Flash et Green Lantern, Wally West (sorte de boussole morale de l’équipe) et Kyle Rayner, et peut-être même Superman et Batman… Un point de non retour tabou complètement inédit dans l’évolution de DC Comics et qui aborde une couche de maturité à un titre déjà bien sombre dont il convient de dévoiler une autre victime (révélation au paragraphe suivant, passez à celui d’après sous l’image de Deathstroke sinon).

En plus de la mort de Sue Dibny, Firestorm décède également ainsi que Captain Boomerang (son fils lui succède et reprend son alias, avec des pouvoirs de super-vitesse en complément de son agilité et maniement des boomerangs). Mais on retient surtout Jack Drake, le père de Tim (le troisième Robin), qui succombe durant le récit… Pour Bruce Wayne et Tim Drake, c’est donc une nouvelle tragédie qui surgit, comme un écho (guère original) à ce qui était arrivé à Dick Grayson avant et bien sûr au célèbre milliardaire. Orphelin, Drake sera adopté par la suite par Bruce (comme Dick en son temps). Crise d’identité aura donc un impact très important dans la mythologie de Batman et, d’une manière générale de DC. Ajoutons la disparition d’Atom après l’aventure et quelques autres changements plus ou moins primordiaux.

Initialement romancier de polars (Délit d’innocence, Mortelle défense, Chantage, Les millionnaires, Jeu mortel et Mort avec retour), le scénariste Brad Meltzer avait fait ses armes chez DC Comics juste avant Crise d’identité sur Green Arrow en 2002 (The Archer’s Quest, inédit en France) – ce n’est donc pas anodin qu’il ait repris Oliver Queen ensuite. Le jeune artiste (trente-quatre ans durant la publication du comic book) avait été marqué à l’âge de sept ans par le sauvetage de la Ligue par Extensiman dans Justice League of America #150 (publié en 1978) ! Spécialiste du thriller juridique et politique, il est même consultant pour le FBI et la NSA pour anticiper des attaques contre les États-Unis en 2006, tout en poursuivant l’écriture de quelques chapitres spéciaux chez DC Comics ou plusieurs séries (sur Justice League of America notamment et la huitième saison de Buffy contre les vampires).

En somme, Meltzer est un auteur venant typiquement du « milieu littéraire hors comics » avec une spécialisation dans un genre qu’il maîtrise à la perfection et qu’il injecte à sa manière chez des super-héros populaires en réussissant un coup de maître, noir et captivant (qu’il ne réitérera jamais) ! Même si, étonnamment, Crise d’identité est tout de même clivant chez certains lecteurs, considérant la fiction soit trop triste et sombre (meurtres, viols, lobotomies, tragédies multiples – et pour ajouter un peu de pathos, une des victimes attendait un enfant…), soit trop éloignée de l’ADN de l’éditeur (fini la légèreté et l’angélisme global qui primait durait des décennies) – sans compter la complexité (d’apparence seulement) d’y faire évoluer des personnes parfois peu connues ou oubliées. Malgré tout, le titre possède quelques moments un peu plus légers qui apporte une pause salutaire. Certains comparent l’œuvre à Watchmen, c’est un peu présomptueux même s’il y a des thématiques communes voire des segments graphiques (la fameuse photo de la ligue brisée).

Côté dessin, Ralph « Rags » Morales s’est échauffé sur plusieurs épisodes de la JSA et Hawkman avant d’attaquer Crise d’identité. C’est peut-être là le seul « point faible » du titre (on insiste sur les guillemets). Non pas que les coups de crayon de Morales soient mauvais mais les gros plans sur des visages et l’aspect « figé » de quelques scènes d’action cassent un peu l’ensemble. Bénéficiant d’un encrage de Michael Blair et d’une colorisation inégale d’Alex Sinclair, les planches sont parfois magnifiques mais, hélas, parfois un peu « cheap ».

Si la richesse chromatique est à saluer (pas de doute, nous sommes bien dans un comic book – l’orgie de couleurs dénote d’ailleurs avec la tonalité du propos mais c’est ce résultat hybride qui est si singulier et plaisant, comme pour Mad Love d’une certaine façon), elle est à déplorer sur les faciès et des ombrages de peau un peu étranges… Bien sûr, ces quelques défauts visuels n’entachent pas la qualité de l’ensemble mais évitent peut-être au livre d’être LE chef-d’œuvre ultime universel. On retient quelques moments iconiques : la mort de Sue dans les bras de Ralph, la scène de l’enterrement (cf. bas de la critique), Batman et Robin soudés, etc. De même, aussi bien graphiquement que scénaristiquement, il y a une sorte de déification (assumée) de Superman et Wonder Woman (et même Batman) : on les voit moins, parfois que leurs symboles, pour mieux faire comprendre qu’ils sont presque hors-jeux de tout cela. En résulte de superbes séquences et planches.

L’édition d’Urban Comics est relativement garnie. En plus des sept chapitres de la série principale, un épisode provenant de JSA (le #67) est intercalé entre les chapitres cinq et six. Interlude – L’autopsie est scénarisé par le prolifique Geoff Johns (avant qu’il signe Infinite Crisis et de nombreux titres phare chez DC : Doomsday Clock, Trois Jokers, Batman – Terre Un, Flashpoint, Justice League, Flash, Superman…) et dessiné par l’immense Dave Gibbons (Watchmen…) – malheureusement l’encrage et la couleur ne sont pas à la hauteur du talent de Gibbons mais ce n’est pas très important (cf. image ci-dessous).

Ce complément, comme son titre l’indique, revient sur l’autopsie de Sue et la première « révélation » de l’identité du coupable (dont le nom n’est pas révélé à ce moment-là). Pas forcément indispensable dans l’entièreté de l’histoire, ce chapitre permet d’offrir une sorte de « répit » avant la dernière ligne droite et complémente bien le reste.

Durant Crise d’identité, l’on rappelle au lecteur une ancienne péripétie durant laquelle « la société secrète des super-vilains » (sic) a réussi à se retrouver dans le corps des super-héros de la Justice League (et vice-versa) ! Cette histoire, intitulée Mascarade, avait réellement été publiée, dans trois chapitres de Justice League of America (#166-168), en 1979 ! Écrit par Gerry Conway (très productif chez DC et Marvel – la mort de Gwen Stacy chez Spider-Man, c’est lui) et dessiné par Dick Dillin (décédé peu après, en 1980, après une longue décennie à carburer pour tous les super-héros de DC Comics), cf. image ci-dessous. Clairement, Mascarade s’accorde mal après la lecture d’un récit nettement plus moderne, c’est un bonus sympathique mais qui n’a pas vraiment d’intérêt, peut-être qu’en l’enlevant ça aurait rendu le livre encore plus impactant, débarrassé du superflus peu pertinent en se concentrant sur l’essentiel ?

Enfin, Dans les coulisses de Justice League – Crise d’identité, revient longuement et textuellement sur l’envers du décor. Les deux auteurs derrière l’œuvre dévoilent foule de détails. On apprend quels acteurs ont inspiré Morales pour ses visages et corps (Brad Pitt par exemple !) mais, surtout, le processus de création, les envois de script, les inspirations pour certaines cases, les détails cachés mais cruciaux, et ainsi de suite. Une seconde lecture passionnante en quelques sorte ! La préface du livre a été rédigée par Joss Whedon, à l’époque où il n’était pas encore blacklisté du milieu.

Un point (anecdotique) à propos de la couverture. C’est Michael Turner (le sympathique Fathom, et l’incontournable Witchblade…) qui signe les couvertures des épisodes. Urban a choisi celle qui met en avant des super-héros qu’on peut juger de prime abord « secondaires » (il manque la célèbre trinité) mais qui sont au cœur du récit et, surtout, qui semblent cacher quelque chose – ce qui correspond bien à l’intrigue de Crise d’identité, in fine. C’est la favorite de Meltzer d’ailleurs, où l’on peut voir les yeux fermés de Barry et « les autres qui crèvent le quatrième mur en nous défiant avec leur secret ».

Néanmoins, trois autres couvertures, peut-être davantage plus « commerciales » sortent du lot (et, subjectivement parlant, sont plus soignées et jolies – cf. ci-dessous), sans compter celles reprises avec un filtre écarlate pour les nombreuses réimpressions en 2004 et 2005 face au succès du comic et aux ventes exceptionnelles (près de 300.000 préventes uniquement pour les deux premiers épisodes !). Toutes sont également proposées à la fin du livre.

Crise d’identité est donc un récit complet et accessible, incontournable pour n’importe quel fan de DC Comics. Malgré la grande galerie de protagonistes, la solide histoire – touchante voire bouleversante – peut se savourer qu’on soit néophyte ou passionné de longue date (on l’apprécie forcément davantage dans ce second cas mais ce n’est pas freinant). Haletante course contre la montre et habile crossover inaugurant une nouvelle « crise » mémorable et poignante, la bande dessinée enchaîne les tragédies et marque à jamais aussi bien ses héros de papier que son lecteur. Culte.

Les « suites » (et conséquences) d’Identity Crisis sont à trouver dans Flash mais surtout dans Countdown to Infinite Crisis, JSA et The OMAC Project. Ça tombe bien, tout ça est compilé dans le premier tome d’Infinite Crisis – Le projet O.M.A.C. (cf. le guide des crises DC Comics). Inutile de préciser que les relations seront tendues entre certains…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 25 janvier 2013.
Contient : Identity Crisis #1-7, JSA #67 et Justice League of America #166-168

Scénario : Brad Meltzer, Geoff Johns, Gerry Conway
Dessin : Rags Morales, Dave Gibbons, Dick Dillin
Encrage : Michael Blair, James Hodgkins
Couleur : Alex Sinclair, John Kalisz, Jerry Serpe

Traduction : Edmond Tourriol (Studio MAKMA)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Illustration de Morales qui recouvrait le coffret de l’édition US Absolute avec Extensiman au centre
et donc au dos du recueil qui fait la jonction entre les « réservistes » et la ligue (en couverture et en quatrième de couverture).

Heure Zéro – Crise temporelle (Zero Hour : Crisis in Time)

Publié en France chez Semic en juillet 2004 (jamais réédité depuis), Heure Zéro – Crise temporelle, alias Zero Hour : Crisis in Time est initialement en vente en 1994 et se veut marquant, renouant avec le grand crossover Crisis on Infinite Earths (1985-86) – et cherchant maladroitement à s’inscrire dans les crises DC Comics (cf. guide). Écrit et dessiné par Dan Jurgens, cette crise temporelle est incompréhensible et peu passionnante. Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Hank Hall
était un terrien normal jusqu’au jour où il devint Hawk, le faucon, un héros courageux et aimé de tous qui combattait le crime au sein du duo Hawk & Dove. Fragilisé et déséquilibré depuis la mort du premier Dove lors de la « Crise [en] terres multiples », Hank Hall a basculé du mauvais côté lorsqu’il a découvert que son double venu du futur, Monarch, était l’assassin de la seconde Dove. Fou de rage, il n’abattit Monarch… que pour prendre sa place et devenir un despote temporel dont les exactions menaçaient le continuum espace-temps. Arrêté par les Linear Men et enfermé au « Point de fuite », Monarch parvient à s’évader et à damer le pion de Rip Hunter et Waverider. Nourri des énergies de ce dernier, Monarch devient Extant, et se met en tête de reconstruire le temps, de réécrire l’histoire…

Quand le Time Trapper est abattu et que Darkseid, seigneur d’Apokolips, découvre que la trame de l’espace et du temps eux-mêmes est manipulée, les héros savent qu’il est temps de se liguer pour protéger l’univers. Mais rapidement, une question se pose… Qui est derrière Extant ? Qui manipule le manipulateur ? Qui veut réécrire l’histoire ?

[Critique]
Quelqu’un a compris le résumé de l’éditeur ? Il s’agit pourtant du seul extrait à peu près clair de cet immense foutraque que représente cette Heure Zéro – Crise temporelle… La première partie du résumé est d’ailleurs celle’une autre histoire, Armageddon 2001 (on y reviendra), afin d’avoir un peu de contexte dans cette nouvelle crise. Son concept était pourtant alléchant aussi bien sur la forme que le fond. Cinq épisodes publiés « à l’envers », comprendre du numéro #4 pour se conclure dans le #0 (la fameuse Zero Hour) et une intrigue dotée d’un compte à rebours. Ainsi, l’aventure commence « 32 heures plus tôt » puis « 27 heures plus tôt » et ainsi de suite. Confinant ainsi un resserrage temporelle et un horizon (que se passera-t-il arrivé à zéro ?).

Hélas, tout ce qui est proposé est incompréhensible et veut singer Crisis on Infinite Earths à bien des égards. Entre le charabia complexe (il est question « d’entropie » – dégradation de la matière – rappelant donc les vagues « d’anti-matières »), les multiples personnages (dont la moitié pas très connue) et parfois la même version de certains, les agissement de chacun et le manque flagrant de fluidité dans l’écriture et les dialogues, il est impossible de saisir pleinement les enjeux, de s’attacher aux protagonistes et d’être emmené par la narration (bavarde, lourdingue au possible). Comme dit, Heure Zéro évolue dans l’ombre de Crisis on Infinite Earths, elle-même compliquée et verbeuse, mais ici c’est un autre niveau : absolument rien ne permet de passer un agréable moment. Seul l’ultime chapitre apporte un peu de cohérence et relance plus ou moins bien le tout mais ça s’arrête là.

La plume de Dan Jurgens est donc catastrophique (bien aidé pourtant dans cette édition Semic par une introduction de Gérard Morvan, vulgarisant la continuité DC Comics). On aurait pu penser qu’après une décennie d’évolution de la bande dessinée super-héroïque états-unienne, l’artiste se serait adapté plus efficacement à un travail de lisibilité mais non… Heureusement que ses dessins sauvent un peu l’ensemble, proposant de jolis tableaux remplis de personnages emblématiques, richement colorés. Jerry Ordway est à l’encrage, ajoutant à nouveau cette sensation de « copie mal décalquée » de Crisis on Infinite Earths (que l’artiste avait déjà partiellement encrée).

À noter que Jurgens avait déjà dessiné un event quelques années plus tôt, en 1991 : Armageddon 2001 (cf. le résumé en quatrième de couverture). Ce dernier était écrit par Dennis O’Neil et Archie Goodwin et explorait déjà les crossovers et voyages dans le temps à la recherche de l’identité de Monarch, avec aussi Waverider à l’époque. Monarch étant donc Hank (au lieu de Captain Atom comme initialement prévu mais une fuite avait dévoilé cette identité mystérieuse). On peut imaginer que Zero Hour en est une sorte de suite spirituelle ou réinterprétation du titre avec, cette fois… Hal Jordan en Parallax. S’inscrivant après La mort de Superman et Green Lantern – Emerald Twilight (disponible chez Urban Comics dans leur collection DC Confidential), Zero Hour se « poursuit » (ou plutôt le parcours d’Hal) dans Final Night (trouvable en occasion, chez Semic à nouveau, dans JLA – Extinction) ; le tout formant donc une sorte d’arc autour d’Hal (même s’il est peu présent dans Zero Hour). Notons qu’on retrouve les « gardiens du temps » (Waveryder, Rip Hunter et Matthew Ryder), que Flash meurt à nouveau (dans les mêmes conditions que Crisis on Infinite Earths – quelle originalité !), mais qu’il s’agit cette fois de Wally West. De la même manière, Spectre apparaît dans une séquence assez semblable à celle de l’autre crisis. Metron joue, lui, plutôt le rôle de Monitor.

L’objectif de Time in crisis (renommé par la suite (A) Time in crisis afin de coller aux nomenclatures des crises DC) était une fois de plus de relancer de nombreuses séries (avec un impact aussi bien dans leur continuité et… une remise à zéro – beaucoup de titres ont bénéficié d’un #0, celui sur Green Lantern, Secondes Chances, est dans le tome cité plus haut) mais aussi d’unifier modestement l’univers, toujours bien encombré de plusieurs versions de justiciers (Hawkman en est le parfait exemple – cf. image ci-dessus) ou de leur passé plus ou moins chamboulé depuis Crisis in Infinite Earths.

De quoi modifier quelques éléments des fictions : Catwoman n’est plus une prostituée (à l’inverse de ce qui était montré dans Année Un – même si, paradoxalement, ce titre devient canonique dans la chronologie de Batman), le Chevalier Noir n’a jamais capturé le tueur de ses parents, Dick Grayson est adopté par Bruce Wayne, etc. Malgré tout, ce « nouveau départ » (des autres séries DC) ne rencontra pas le succès escompté et mis de côté une petite décennie l’idée d’un (autre) redémarrage complet – jusqu’à Infinite Crisis bien entendu.

À posteriori, l’intérêt se situe finalement pour les fans de Green Lantern qui auraient besoin d’une petite compréhension sur les desseins d’Hal Jordan, éventuellement ceux de la JSA (et notamment Starman), de Green Arrow (uniquement pour les dernières planches) ou pour les complétistes hardcore qui ont aimé Crisis on Infinite Earths (Heure Zéro doit se lire « juste après » idéalement pour conserver une certaine « cohérence » on va dire, avec l’enchaînement Armageddon 2001 entre les deux si possible…).

In fine, le meilleur résumé se trouve sur DC Fandom : « Hal Hordan, devenu Parallax, tente de restructurer l’univers et de corriger ses erreurs passées. Il est parasité par Extant qui veut profiter de cette situation pour recréer un monde à son image. Tout l’univers redémarre à zéro et le passé de Batman et de ses alliés est aussi remodelé ». Même si ça dévoile l’ensemble, c’est ce qu’il faut retenir.

On comprend mieux pourquoi Urban Comics n’a pas republié ce titre, tant il est rebutant… La faute à une traduction limitée ? Pas forcément, c’est un « tout » qui cause ce rejet (visiblement unanime), néanmoins il semblerait qu’accompagner de quelques chapitres tie-ins, ce soit plus limpide. Une fois de plus : c’est dommage car le pitch de départ était prometteur, l’idée générale pas mauvaise (repartir à zéro en refaçonnant un nouvel univers) et la conclusion un peu épique et surprenante ; pas trop mal.

Hélas, tout ce qui constitue ensuite cette crise temporelle est indigeste à un degré rarement atteint. Même les amoureux des personnages de DC Comics ne devraient pas profiter pleinement du titre tant tout s’enchaîne de façon étrange et peu claire… Si Urban décide à publier l’histoire, il faudrait une sorte d’intégrale Armageddon 2001, Crisis in Time et quelques épisodes annexes apparemment indispensables pour mieux comprendre l’ensemble.

Comme évoqué, aux États-Unis, l’évènement a impacté plusieurs séries dont certaines sur Batman (Detective Comics, Batman, Shadow of the Bat…) et Superman (Man of Steel, Action Comics, Adventures of Superman…), compilées quelques années plus tard dans Batman Zero Hour et Superman Zero Hour. À noter que les épisodes du Chevalier Noir de cette période devraient apparaître dans la collection Batman Chronicles quand elle aura atteint l’année 1994. Côté Superman, on retient un chapitre où l’homme d’acier rencontrait de multiples version de l’homme chauve-souris, incluant celle de la série télé des années 1960, du Detective Comics #27 de Finger et Kane de 1939 ou du Dark Knight Returns de Miller ! Le titre (Zero Hour) a également été repris à l’occasion de Convergence, en 2015. En France, Convergence est dans le dernier volume de la série Earth 2 – cf. index – mais ne contient pas les quelques séries disponible en VO dans Convergence : Zero Hour (Green Arrow, Catwoman, Justice League International…).

En synthèse (vous l’aurez compris), on déconseille fortement Heure Zéro – Crise temporelle, en attendant une éventuelle réédition mieux fournie et plus lisible…

[À propos]
Publié chez Semic le 5 juillet 2004.
Contient : Zero Hour : Crisis in time (#4-3-2-1-0)

Scénario et dessins : Dan Jurgens
Encrage : Jerry Ordway
Couleur : Grégory Wright

Traduction : Dan Fernandes • Edmond Tourriol / MAKMA
Lettrage : Studio Pascale Buffaut

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