Archives de catégorie : Critique

Catwoman – Lonely City

Récit complet centré sur Catwoman (mais pas que !) dans une Gotham City différente, dix ans après la mort de Batman et le Joker, Lonely City réussit là où Batman/Catwoman échouait parfois et propose une histoire passionnante.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a dix ans, le massacre connu sous le nom de Nuit du Fou coûta la vie à Batman, à Nightwing, au commissaire Gordon ainsi qu’au Joker… et a envoyé Catwoman derrière les barreaux. Une décennie plus tard, Gotham a changé et remisé l’héroïsme et autres phénomènes de foire au rayon des souvenirs encombrants. La nouvelle Gotham est plus propre, plus sûre… et désormais placée sous l’œil vigilant du maire Harvey Dent et de ses Batcops. C’est dans cette nouvelle ville que Selina Kyle revient, marquée, avec en tête un dernier gros coup : les secrets enfouis de la Batcave et une ultime promesse faite à Bruce Wayne !


[Critique]

L’artiste Cliff Chiang (dessinateur connu entre autres pour Human Target, Paper Girls – écrit par Brian K. Vaughan –, Wonder Woman – période Renaissance, avec Brian Azzarello) a tout géré sur cette œuvre : scénario, illustrations, colorisation, lettrage ! En quatre chapitres et près de deux cent pages, Chiang propose une version assez touchante de Selina Kyle mais aussi d’une grande foule de protagonistes. Hasard du calendrier, lire ce titre après le plutôt bon mais inégal Batman/Catwoman permet de « gommer » (involontairement) les deux défauts majeurs de cette autre déclinaison un brin futuriste de Catwoman.

On reprochait à Tom King d’avoir rendu Kyle parfois antipathique mais aussi ridicule en costume du fait de son âge avancé. Ici, dans Lonely City, c’est tout l’inverse. La femme féline émeut à plusieurs reprises, tiraillée entre son passé de criminelle, son deuil perpétuel et sa volonté de décrypter les derniers mots de Batman. Quand elle apparaît costumée, elle a du mal à être aussi agile qu’autrefois. Des problèmes aux genoux et quelques années de plus au compteur, Selina est une humaine avant tout.

Reprenons. Dans cette Gotham avancée d’une dizaine d’années, il n’y a pas de sursaut technologique improbable ou une évolution trop radicale de ce qu’est déjà la ville dite « moderne ». La principale surprise réside en Harvey Dent, définitivement guéri (même si toujours difforme au visage), qui est devenu le maire d’une métropole sûre et avec peu de criminalité. Bien aidé d’une milice surarmée et effrayante (ornée de casques et masques de chauve-souris !), Dent brigue un nouveau mandat.

C’est sans compter sur le peuple qui se soulève lentement mais sûrement face au fascisme ambiant (reconnaissance faciale, flicage…) et au milieu duquel Catwoman fait figure d’emblème révolutionnaire bien malgré elle. C’est probablement l’un des points les plus étranges de la bande dessinée tant il s’insère mal dans le reste de la fiction.

Lonely City conte le parcours avant tout d’une cambrioleuse, veuve et solitaire en semi quête de rédemption. Son obsession sera de comprendre ce que lui a dit Batman en mourant et, éventuellement, d’exaucer une possible dernière volonté. En cela, le fil rouge qui se dessine peut décevoir dans sa conclusion – difficile d’en dire davantage sans dévoiler. Comme le dit l’adage, ce n’est pas la destination qui importe mais le voyage (ou la compagnie, comme l’évoquait Brad Pitt à propos de David Fincher aux Césars 2023 – aparté improbable).

Ici, le parcours croisé d’une femme ainsi que ses anciens alliés et compagnons de route face à la férocité d’un maire et d’une ville en proie au chaos accompagnent le lecteur avec une narration très efficace. Entre les dessins soignés (on y reviendra) et le rythme « parfait », la lecture est fluide et agréable. Cliff Chiang parsème son ouvrage de têtes familières (pas forcément les plus attendues) en conservant une cohérence par rapport à la mythologie habituelle du Chevalier Noir. Eddie (Nygma) s’est rangé par exemple et a une fille, Waylon (Killer Croc) ressasse le passé en buvant et ainsi de suite.

Quand il faut monter un casse atypique (aller dans… la Batcave !), c’est une équipe imparfaite mais soudée qui se lance dans l’aventure. Une dimension presque « humaine » (à nouveau) et plaisante, avec des moments tragiques et sincèrement touchants (c’est tellement rare en bandes dessinées, encore plus dans les comics !). Malgré tout, il manque cet ingrédient mystère qui aurait pu faire de Lonely City une œuvre incontournable. Un univers – ou plutôt une dystopie – peut-être plus élargi (d’autres chapitres ? d’autres volumes ? une dimension politique plus poussée ?), un lien avec Batman usité différemment (une réflexion plus développée sur la pertinence des justiciers ?), une présence accrue de la Bat-Family (seule Barbara Gordon est encore très active) ? Etc. Difficile à expliquer. Le titre mérite d’être lu, assurément, mais peine à s’inscrire au-delà de son concept.

Il vaut le détour malgré tout (on l’ajoute volontiers aux coups de cœur du site), restant plutôt original pour un récit hors-continuité ! Par ailleurs, Cliff Chiang livre de belles planches, proches d’une bande dessinée indépendante européenne. On est loin de lire un comic book mainstream ! Entre la mégalopole über réaliste et les costumes (et clins d’œil à d’autres époques) de Catwoman, c’est un régal. Tout sonne « vrai » entre les relations des personnages, indéniablement la grande force de l’œuvre, une authenticité très bien écrite. Le tout dans un étrange mélange entre nostalgie (le temps s’est écoulé, plus personne n’est aussi puissant qu’auparavant) et une étonnante vivacité contemporaine. Le bel écrin du Black Label est idéal pour les épisodes qui composent le récit (Sale vieille ville, Le club des chats de gouttière, Une épopée à l’américaine, Le monde d’en bas).

L’ouvrage comporte plusieurs bonus et est introduit par un texte de l’éditeur Chris Conroy (disponible sur le site d’Urban) livrant quelques secrets de création. Pour une fois, le mot de la fin appartient à un ami et confrère, GriZZly, issu de sa critique (très élogieuse) de Lonely City (sur le site UMAC pour lequel je collabore de temps en temps).

Pourquoi ces gus en costumes se battent-ils comme des forcenés en habits de carnaval ? Leur action est-elle utile, n’est-elle pas contreproductive ? Une politique de fermeté mettant fin aux agissement de chacun de ces personnages, de quelque camp qu’il soit, ne serait-elle pas la solution ? Au final, c’est sans doute ça qui est impressionnant : Lonely City est autant la résurrection d’une question que l’on ne se pose plus qu’une réponse à une question que l’on ne se pose pas encore.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 10 février 2023.
Contient : Catwoman Lonely City #1-4

Scénario & dessin (& couleur) : Cliff Chiang

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Catwoman – Lonely City (21€)

 


Flashpoint Beyond

Nouvelle pièce du puzzle narratif complexe chapeauté par Geoff Johns depuis des années, Flashpoint Beyond s’insère « délicatement » dans un ensemble de comics. Il met en avant le Batman de l’univers Flashpoint, donc Thomas Wayne, le père de Bruce (son fils unique a été tué à sa place), comme le montre la couverture choisie. Suite indirecte de Flashpoint et du Monde de Flashpoint (celui sur Batman notamment, éventuellement ceux sur Aquaman et Wonder Woman) mais aussi de Doomsday Clock (!), ce Flashpoint Beyond prolonge également et très brièvement DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, dans lequel Thomas mourrait. C’est ce qu’explique brillamment l’avant-propos de l’éditeur, à lire impérativement pour mieux contextualiser l’œuvre.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir tout sacrifié pour aider Flash à remodeler l’univers et sauver la vie de Bruce Wayne, Thomas Wayne se réveille dans un monde qu’il croyait disparu. Contraint d’enfiler à nouveau le masque de Batman, il arpente les rues de Gotham à la recherche de réponses. Une quête qui pourrait bien l’envoyer aux quatre coins du monde ; notamment en Europe.

[Début de l’histoire]
Dans l’Univers-Prime (« l’habituel »), Batman cherche la montre de Janey Slater (Watchmen) avec l’aide du Mime et Marionnette. Cela empêcherait-il Thomas Wayne de mourir dans l’univers de Flashpoint ?

Dans ce dernier justement, Thomas Wayne se réveille malgré son ancienne « mort », ne comprenant pas pourquoi il a survécu dans son monde. Il part enquêter…

De son côté, Barry Allen investigue sur les victimes de l’Horloger et rencontre Thomas Wayne, qui lui explique toute la modification temporelle que le futur Flash a causé. Allen ne s’en souvient plus…

[Critique]
Comme évoqué en introduction, Flashpoint Beyond poursuit un vaste univers mais – heureusement – il n’y a pas besoin de trop de lectures en amont pour le comprendre et le savourer. Par exemple Doomsday Clock n’est pas très pertinent (uniquement pour les rares apparitions du Mime et de Marionnette et les deux ultimes pages de Flashpoint Beyond), idem pour Le Badge, les Batman Rebirth où intervenait Thomas Wayne ou les DC Infinite Frontier, nul besoin de réellement les connaître.

Il faut surtout avoir lu Flashpoint et le récit (en trois chapitres) sur le Batman de Flashpoint (disponible à l’époque en trois numéros en kiosque puis dans Batman – Cité Brisée (et autres histoires…) et désormais dans Le Monde de Flashpoint – Tome 1 : Batman). Étonnamment, l’œuvre ne s’appelle pas Flashpoint – The Dark Knight ou quelque chose du genre alors qu’il se concentre exclusivement sur Thomas Wayne (donc Batman). Les différents Flash apparaissent à peine, le titre suit avant tout la quête de vérité du père de Bruce.

Pour cela, Beyond se décompose en sept chapitres, un premier qui contextualise (le #0) puis six autres. Le numéro d’introduction (#0) est dessiné par Eduardo Russo, qui avait signé (et donc quasiment « créé ») le fameux Batman du Flashpoint (cf. liens plus haut) – en petite forme ici (cf. les deux images ci-dessous). Cela permet de conserver une homogénéité, ou plutôt une passation graphique. En effet, c’est ensuite l’artiste Xermánico qui illustre la majorité de l’œuvre. Alejandro Germánico Benito González de son vrai nom, un espagnol au style élégant, encré suffisamment pour proposer un monde brutal et différent, avec une colorisation de Romulo Fajardo Jr. pour un résultat sublime, alternant vivacité chromatique et ténèbres mystérieuses (en témoignent les images d’illustrations de cette critique).

Ça tombe bien, la poignée de scènes se déroulant dans le monde du Batman « classique » (Univers-Prime) sont, elles, composées par Mikel Janin (qui opérait déjà sur les Batman Rebirth où intervenaient ponctuellement Thomas Wayne – tout le monde suit ?). Enfin, les deux dernières planches du livre sont de Gary Frank, connectant ainsi Flashpoint Beyond à Doomsday Clocks. Chaque dessinateur s’occupe donc d’un monde en particulier, ne dénotant pas la cohérence graphique de l’ensemble. Un très bon point en somme. Passons au reste.

Le scénario est écrit par Geoff Johns évidemment mais aussi par Jeremy Adams (auteur de quelques chapitres de Flash et de différentes productions d’animation DC plus ou moins notables) et Tim Sheridan (scénariste, entre autres, des excellents films d’animation La mort et le retour de Superman, Le règne des Supermen et Batman – Un long halloween). Trois auteurs pour une histoire pas forcément compliquée mais parfois exigeante tant elle est référencée à d’autres choses. Une fois de plus, en ayant une connaissance un peu familière de l’univers Flashpoint ça devrait aller.

On se plaît donc à suivre plusieurs axes narratifs particulièrement passionnants dont l’investigation de Thomas Wayne pour savoir « pourquoi il est vivant et dans quel but ». On apprécie aussi de naviguer dans un monde où plusieurs rôles sont inversés ou différents de qu’on a l’habitude de lire (la femme d’Harvey Dent, Gilda, est Double-Face, Martha Wayne la Joker,Aquaman et Wonder Woman sont des rivaux, Sofia Falcone est commissaire, etc.). Forcément, les amoureux de Wayne Senior et son côté radical vont aussi y trouver leur compte (il y a un petit côté Punisher qui ne fait pas dans la dentelle dans ce Batman Flashpoint !). Il y a également des choses un peu plus légères, par exemple l’étonnante prise d’affection du Pingouin envers le jeune garçon Dexter recueilli dans le Manoir Wayne (où Thomas et Oswald officient). L’enfant y voit carrément un modèle de paternité de substitution, un rôle qui semble plaire au Pingouin !

Tout cela se révèle plutôt original et palpitant. Il y a bien des passages ardus, quand on dérive sur des explications du Divin Continuum (les initiales de… DC) et les rédactions sans fin autour de l’omnivers, l’espace, l’hypertemps, le multivers, etc. (à l’avant-dernier épisode notamment) mais ils sont plutôt rares donc la lecture globale reste assez fluide et l’ensemble intelligible. Flashpoint Beyond est une réussite en tous points mais s’intercale dans un schéma tellement singulier qu’il ne s’adresse qu’au lectorat bien à jour (soit au minimum deux titres à connaître).

C’est à la fois sa force et sa faiblesse, il enrichit habilement un univers alléchant mais demeure moins abordable pour les autres. Il est à peine auto-contenu car sa conclusion ouverte laisse quelques questions en suspens (notamment avec les Maîtres du Temps et l’étrange connexion à Doomsday Clock). Enfin, en VO le sous-titre de la BD est The Clockwork Killer (L’horloger en français), laissant sous-entendre qu’il pourrait y avoir un autre Flashpoint Beyond ?

Difficile après tant d’années de savoir si l’architecte Geoff Johns a encore des choses à raconter dans sa construction atypique. On a déjà cité la plupart des comics plus ou moins rattachés à Flashpoint Beyond, ajoutons rapidement Trois Jokers qui n’est pas du tout relié mais dont un élément est important (et a fait grand bruit outre-Atlantique). En effet, lorsque la Joker du monde de Flashpoint évoque le Joker de l’Univers-Prime, elle parle d’un homme père de famille (cf. Killing Joke avec un dessin repris en noir et blanc) et donne son identité ! Jack Oswald White. Voilà. Le véritable nom du Joker est ainsi dévoilé, plus de quatre vingts ans après sa création. Au détour d’une case et d’un dialogue presque anodin. C’est très étrange… Et difficile de savoir si c’est une information officielle et canonique (elle n’a jamais été reprise ensuite).

En somme, Flahspoint Beyond est une proposition très originale, un brin « bordélique » (on insiste sur les guillemets – nous sommes loin des délires de Scott Snyder et son Multivers Noir par exemple), superbement illustrée, plaisante à suivre et inédite. Reste (à l’instar de Catwoman – Lonely City, chroniqué en même temps) qu’il manque quelque chose qui le rendrait davantage culte. La faute sans doute a son statut un peu bâtard : pas vraiment un récit sur Batman, pas du tout un titre sur Flash, pas non plus une fiction s’insérant dans la « chronologie officielle du Chevalier Noir », pas un one-shot indépendant, pas vraiment lié à une seule œuvre mais à plusieurs petits bouts ici et là… C’est une belle récompense pour les complétistes mais c’est probablement moins enthousiasmant pour les autres.

(Deux autres critiques intéressantes : celle des Toiles Héroïques et celle d’UMAC.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 mars 2023.
Contient : Flashpoint Beyond #0-6

Scénario : Geoff Johns, Jeremy Adams, Tim Sheridan
Dessin : Eduardo risso, Xermánico, Mikel Janin, Gary Frank
Couleur : Trish Mulvihill, Romulo Fajardo Jr., Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Yann Graf
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Maurine Denoual, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.fr : Flashpoint Beyond (21 €)



   

Batman : Gotham Knights – Gilded City

(Faux) prologue du jeu vidéo Gotham Knights, la série Batman : Gotham Knights – Gilded City a été proposée en France sous forme de six numéros (contenant chacun un code pour télécharger un bonus) entre novembre 2022 et mars 2023. Aux État-Unis, la publication a été similaire avec, en plus, la compilation de l’ensemble qui sortira le 25 juillet 2023.


[Résumé de l’éditeur – numéro #1 uniquement]
Une toxine semblable à celle de l’Épouvantail semble s’être emparée de Gotham. Tous les habitants, fans de sport, de jeux vidéo, de mode, semblent dopés à la sérotonine et cherchent à obtenir tous les goodies possibles liés à leur passion, quitte à s’en prendre violemment aux autres. L’enquête de Bruce Wayne le mène vers Blüdhaven, la ville protégée par Nightwing, mais ce dernier ne semble pas ravi de voir son ancien mentor débarquer sur ses terres…

[Critique]
Entre le résumé officiel de Gilded City, le jeu vidéo Gotham Knights très inégal – auquel ces comics ne sont pas tant que ça rattachés – et le prix élevé de l’ensemble des six numéros (29,40 € – on y reviendra), on serait tenté de faire l’impasse sur cette série de comics assez singulière. Même si c’est oubliable et assez bizarre, Batman : Gotham Knights – Gilded City possède quelques qualités (graphiques notamment). L’œuvre est très étrange, elle embarque le lecteur dans une ligne temporelle familière (la Bat-Family coexiste habilement et enquête dans Gotham) tout en donnant la furieuse impression de ne pas livrer toutes les clefs de compréhension. On débarque comme un cheveu sur la soupe et, par exemple, on ne comprend pas pourquoi Nightwing en veut à Batman. Chez les héros justement, Batman et Nightwing sont assez présents, Robin (Tim Drake) et Batgirl campent leurs habituels seconds rôles, Red Hood n’apparaît qu’à la fin, c’est dommage. Le virus qui sévit est à la fois ridicule (s’inspirant de multiples maux modernes comme le fomo (fear of missing out, la « peur de manquer » une information, une publication sur un réseau social…)) et à la fois redoutable bien qu’aucun combat ne soit mémorable ou particulièrement dangereux pour les héros.

Une seconde histoire se dessine et prend place en 1847, plus passionnante que la contemporaine. On y découvre un mystérieux justicier, Le fugitif (en couverture du premier numéro), qui combat pour la liberté à une époque où règne encore l’esclavage et où le racisme est omniprésent. De quoi suivre un couple de femmes noires dans un quotidien difficile et de croiser la route de l’immortel Vandal Savage (en couverture du sixième numéro) ! L’antagoniste semble jouer sur deux tableaux et – sans surprise – la Cour des Hiboux s’en mêle. C’est dans cette partie que le scénariste, Evan Narcisse, livre une proposition moins convenue qu’il n’y paraît.

En résulte une palpitante narration où l’on souhaite que les deux récits se connectent (vers la fin) et où l’on désire « en savoir plus » sur Le Fugitif. Problème : ce spectacle conclusif n’est clairement pas à la hauteur (on en parle dans le paragraphe suivant, à ne pas lire pour éviter les révélations). Si Gilded City surprend en utilisant un ennemi peu connu (à l’instar du jeu vidéo Gotham Knights), il propose une fiction pas vraiment auto-contenue. Comme déjà évoqué, on a l’impression qu’il manque une véritable introduction ou des éléments explicites. La double aventure est conçue étrangement, épousant un rythme efficace mais survolant un peu tout et ne prenant pas le temps d’apprécier ses (nombreux) protagonistes. Le titre ne sert même pas vraiment de prologue au jeu vidéo car il peut se dérouler plein d’autres choses après et – pire ! – aucun des nouveaux personnages présentés ici n’apparaît dans le jeu !

C’est là la principale « incompréhension » (absurdité dirons les plus sévères) de Gilded City. Il n’y a aucune connexion avec le jeu vidéo : Ra’s al Ghul n’est pas présent (lui qui ouvrait le jeu), l’armée de Fugitifs non plus, Vandal n’est jamais évoqué et ce fameux virus trouve juste un écho dans une enquête sur un barrage mais c’est bien maigre. Bien sûr il y a la dynamique d’équipe qu’on retrouve ainsi que les Hiboux (même s’ils n’apparaissent que dans le passé dans le comics), Jada Thompkins (fille de Leslie), Harley Quinn à Blackgate, etc. mais c’est clairement insuffisant ! Il n’y a absolument aucune raison de vendre ces comics sur la base du jeu vidéo, c’est presque une publicité mensongère ! Mais c’est aussi une force : cela veut dire qu’un non connaisseur du jeu peut le lire s’en problème. Attention, s’il espère y trouver une sorte de « suite directe » dans le jeu, ce ne sera pas le cas. Sachant qu’à date il n’y a pas d’autres comics prévus autour de cet univers, on ne sait pas trop où veut en venir l’auteur. D’un point de vue narratif, on est aussi dubitatif sur la longévité du Fugitif qui traverse les âges sans justification cohérente. Cela fait beaucoup…

Il faut donc se tourner vers les graphismes pour apprécier un peu plus l’histoire. C’est relativement beau et soigné. Les couvertures sont signées Greg Capullo, qu’on ne présente plus (la série Batman avec Scott Snyder) et les dessins d’Abel (qu’il encre également). Les couleurs sont de John. Abel et John donc, pas très connus pour l’instant. Abel est (visiblement) portugais et avait œuvré sur des chapitres de Harley Quinn et Catwoman (cf. son site). Ses traits rappellent ceux de Capullo, c’est donc très fin, aéré, épuré, lisible et soigné. Couplé à la colorisation de John (à priori le diminutif de l’artiste John Rauch, cf. son compte Twitter), jouant beaucoup sur les palettes sépia pour le Gotham de 1847 avec d’élégants effets de lumière. L’ensemble est donc relativement joli (à défaut de pouvoir feuilleter les numéros car ils sont tous scellés dans un sachet plastique – pour que le code de téléchargement ne soit pas volé).

À l’écriture, Evan Narcisse fait du mieux qu’il le peut. Côté comics, il n’avait rien écrit auparavant pour DC mais uniquement pour Marvel (sur Black Panther notamment). Narcisse est également journaliste et aussi concepteur narratif de jeux vidéo mais… il semblerait qu’il n’a pas travaillé sur Gotham Knights ! Il était impliqué, toujours côté Marvel, dans les jeux Spider-Man et Avengers, c’est-à-dire l’excellence et le très moyen. Étrangement il a donc atterri sur cette série Gilded City, outil marketing mi-figue mi-raisin. En effet, chaque fascicule offre un code de téléchargement (à activer depuis ce site) pour un bonus cosmétique à récupérer dans le jeu vidéo. Six sont donc disponibles et un septième est également gratuit si on a cumulé tous les précédents. Il s’agit par exemple d’un skin du Batcycle pour le premier numéro ; des bâtons d’escrime et Tonfa de l’Âge d’or des comics et ainsi de suite (cf. image récapitulative en fin de cet article – les codes sont masqués par la barre grise). Cela a donc très très peu d’intérêt, in fine

C’est là où la somme totale des comics frôle l’aberration : 29,40 € pour 144 pages de comics et ces fameux codes… Si tous les chapitres avaient été compilés dans un recueil, on serait à un prix autour d’une quinzaine d’euros. Notons qu’aux États-Unis cette version complète est prévue pour juillet prochain (cela n’a pas été annoncé pour la France et ne devrait pas arriver en principe). Pour précision, le gros carré rouge sur les couvertures n’est pas un autocollant, il est imprimé ainsi… Cela empiète donc sur les beaux dessins (de Capullo) et ajoute une autre certaine déception…

En synthèse et sans réellement de surprise, Batman : Gotham Knights – Gilded City n’est pas très utile malgré ses jolies planches et son récit dans le passé de Gotham. Elle n’apporte rien de plus au jeu vidéo contrairement à ce qu’on pourrait penser (faute d’avoir, pour l’instant, une éventuelle suite) et n’est pas suffisante comme récit indépendant. À réserver aux complétistes ou ceux qui voudraient bénéficier des codes de téléchargement pour un jeu vidéo lui aussi moyen.

[À propos]
Publié chez Urban Comics de novembre 2022 à mars 2023.
Contient : Batman : Gotham Knights – Gilded City #1-6

Scénario : Evan Narcisse
Dessin et encrage : Abel
Couleur : John
Couvertures : Greg Capullo & Jonathan Glapion

Traduction : Benjamin Viette
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

Acheter sur amazon.fr :
Batman : Gotham Knights – Gilded City #1 (4,90 €)
Batman : Gotham Knights – Gilded City #2 (4,90 €)
Batman : Gotham Knights – Gilded City #3 (4,90 €)
Batman : Gotham Knights – Gilded City #4 (4,90 €)
Batman : Gotham Knights – Gilded City #5 (4,90 €)
Batman : Gotham Knights – Gilded City #6 (4,90 €)
Intégrale relié (en anglais) (24,69€)