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Batman – Outre-tombe (Gotham County Line)

Une aventure où Batman et Deadman font équipe, voilà qui est original ! Que vaut Batman – Outre-tombe (sous-titré par son appellation en version originelle, Gotham County Line) ? Découverte et critique de ce comic publié initialement en 2005 (aux États-Unis) puis en 2007 en France chez Panini Comics et jamais réédité depuis.

[Résumé de l’éditeur]
Batman s’aventure rarement dans la banlieue de Gotham, mais une série de meurtres laisse la police de la ville impuissante. Les rimes macabres ressemblent à de véritables cérémonies et l’habile tueur entraîne le héros dans un dédale de ténèbres inextricables.

[Début de l’histoire]
Batman combat le Joker une énième fois. Suite à une réflexion du Clown, le Chevalier Noir s’interroge sur l’existence ou non de « l’au-delà ».

De retour à la Bat-Cave, le justicier est contacté par Gordon, à la retraite. Dans la banlieue de Gotham, une série de cambriolages affole la population car de sordides meurtres ont lieu dans la foulée…

Le Chevalier Noir se rend sur place et enquête.

[Critique]
Outre-tombe appartient au registre fantastique et horreur. Batman y côtoie des zombies (sans qu’on sache s’ils sont « réels » ou issus d’hallucinations) et de nombreuses scènes sont choquantes, glauques et sanglantes. Quand le Chevalier Noir évolue dans un univers éloigné de l’approche urbaine souvent « réaliste » (action, thriller…), c’est toujours délicat… Ça livre souvent des histoires oubliables (Les patients d’Arkham, Damned, La nouvelle aube…) mais, de temps en temps, quelques pépites sortent du lot (La malédiction qui s’abattit sur Gotham, Batman Vampire apparemment – toujours pas chroniqué). Outre-tombe appartiendrait plutôt à la seconde catégorie, tant mieux, sans pour autant être incontournable.

Découpé en trois chapitres d’une cinquantaine de pages, le récit va droit au but. D’abord dans une fiction proche du film Seven, une enquête méticuleuse dans une ambiance poisseuse et mystérieuse. Ensuite dans sa dimension plus morbide, avec différents « morts-vivants » et êtres repoussants, puis l’arrivée de Deadman à la rescousse. Enfin dans sa conclusion, plus ou moins épique, et éclairant les évènements survenus. Malgré tout, l’ensemble aurait gagné à être allongé d’un ou deux épisodes avec une cohérence plus fluide.

Le scénariste Steve Niles apporte certaines nouveautés plus ou moins pertinentes à divers degrés. Par exemple, Bruce Wayne se repose et se remet de ses blessures dans un spa de la Bat-Cave, un concept très banal mais pourtant jamais vu avant ou après. Autre élément assez inédit : une sorte de jet-pack permettant au Chevalier Noir de voler (façon Boba Fett de Star Wars). Ça fait bizarre au début mais le dessinateur Scott Hampton arrive à rendre l’ensemble plausible, ajoutant des petits détails singuliers, comme la cape du justicier roulée au-dessus des propulseurs permettant de ne pas être brûlée une fois dans les airs – même s’il y a un côté cheap pour ne pas dire ridicule de temps en temps…

Si on retrouve l’aspect détective au début du titre (ce qui est toujours plaisant), c’est ensuite un voyage horrible entre figures familières ressuscitées (Jason Todd…) ou transformées (Alfred…) qui a lieu. On navigue dans une banlieue fantôme, à tous points de vue. Il semblerait en effet que les créatures déambulant soient des fantômes ou des zombies – les explications volontairement floues de Deadman n’aident pas vraiment Batman ni le lecteur (dans un premier temps en tout cas) ; il s’agirait d’une dimension entre la vie et la mort. De même, les fonds de cases relativement pauvres voire unis confèrent cette idée désertique (difficile de savoir si là, en revanche, c’est fait exprès).

Pourtant, Scott Hampton signe un travail de haute qualité (attention, quelques images de cette critique sont plus saturées que la version imprimée auxquelles elle ne rendent pas grâce), délivrant une atmosphère lugubre tout du long. La colorisation de José Villarrubia accentue cette incarnation très sombre et les rares éléments qui s’en détachent revêtent une certaine important : un téléphone rouge pour échanger avec Gordon, le costume écarlate de Deadman, celui de l’ancien Robin, etc. Du reste, les teintes brunâtres parsèment le titre à la lecture froide, globalement aisée mais parfois déstabilisante. Le tout offrant une aventure hors-norme dans la mythologie de Batman. Disons que la forme l’emporte sur le fond.

Steve Niles est un habitué du genre horrifique ; on lui doit l’univers de 30 jours de nuit en comics (adapté ensuite en film), 28 jours plus tard (dont il a enrichit les longs-métrages avec ce titre se déroulant en marge), Criminal Macabre, Simon Dark, Octobre Faction et… Minuit à Gotham ! Un récit clivant (pas encore chroniqué sur ce site) avec une « seconde » vision assez inédite (le comic est sorti en 2008, soit trois ans après Outre-tombe). Quant à Scott Hampton, il avait déjà traité Batman bien avant, en 1994, dans le moyen Des cris dans la nuit – mais dont l’esthétisme pictural était particulièrement alléchant – Hampton s’éloigne donc de ce style pour Outre-tombe.

À l’instar d’Absolution et Secrets, Outre-tombe a été publié par Panini Comics dans les années 2000 dans leur gamme DC Icons et n’a pas été réédité par Urban Comics. Peut-être qu’il sera inclus dans un volume de la collection Batman Chronicles quand celle-ci atteindra l’année 2005 ? Loin de faire l’unanimité, cette incursion « horrifique » du Chevalier Noir (souvent jugée trop confuse, trop sale et trop éloignée de l’ADN habituel du justicier) est pourtant une curiosité à découvrir, imparfaite mais étrange et insolite.

Son prix initial (à l’époque) de vingt euros était en revanche trop élevé pour justifier l’achat (comme souvent chez Panini Comics pour cette collection – et même à l’heure actuelle, c’est l’un des plus gros défauts de l’éditeur avec ses traductions approximatives et sa communication numérique laborieuse, mais c’est un autre débat…). On trouve aujourd’hui le titre sur le marché de l’occasion à partir de vingt euros en moyenne (laissant donc un coût assez onéreux malgré tout pour une BD devenue « un peu » recherchée visiblement).

[À propos]
Publié chez Panini Comics le 5 février 2007.
Contient : Batman : Gotham County Line

Scénario : Steve Niles
Dessin : Scott Hampton
Encrage :
Couleur : José Villarrubia

Traduction : Sophie Viévard
Lettrage : Studio Vianney • Jalin

Acheter sur amazon.frBatman – Outre-tombe (Gotham County Line) (20€)






Batman – Absolution

Publié aux États-Unis en 2002 puis en France en 2006 chez Panini Comics, Absolution n’a jamais été réédité depuis. Ce récit complet, qualifié de « roman graphique », emmène Batman en Inde dans une superbe odyssée graphique – entièrement en peinture – au détriment d’un scénario peu palpitant, dommage. Explications.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a dix ans, une bombe a explosé à Wayne Enterprises. La femme responsable de cet attentat a plusieurs fois échappé à Batman, mais le Chevalier Noir a enfin retrouvé sa trace en Inde. Le chasseur va débusquer sa proie, mais il sera aussi confronté à ses démons intérieurs, à ses propres contradictions… Quand la justice devient vengeance, mérite-t-on l’absolution ?

[Critique]
En moins d’une centaine de pages, à la lecture rapide (beaucoup de cases voire planches muettes), Absolution ne fait ni chaud ni froid… La traque du Chevalier Noir ne passionne guère, faute à une écriture de J.M. DeMatteis assez maladroite d’un côté (peu d’empathie pour tous les nouveaux personnages) et plutôt convenue d’un autre et paradoxalement éloignée de la nature de Batman (l’éternel discours sur la rédemption – l’absolution en l’occurrence, dont le dictionnaire propose deux définitions : terme qui désigne une décision de justice constatant l’impossibilité de prononcer une condamnation lorsque l’infraction n’est pas prévue par la loi pénale, lorsqu’elle est prescrite ou amnistiée, ou bien encore lorsque l’accusé ou le prévenu bénéficie d’une excuse absolutoire ou bien acte par lequel le prêtre pardonne les péchés).

En somme, un titre qui colle bien à l’histoire sans trop de surprises. Comme souvent chez Batman, le suivre le temps d’une aventure en récit complet avec un nouvel antagoniste, au lieu de piocher dans la grande galerie de vilains légendaires, est quitte ou double. Parmi les comics récents, on pense à One Dark Knight qui se loupait en partie à cause de cela (le « méchant » E.M.P.) ou à Imposter qui, à l’inverse, se hissait au rang des indispensables grâce à son écriture subtile et sa passionnante enquête fleuve.

Dans Absolution, on découvre donc la fanatique et terroriste Jennifer Blake, responsable d’un attentat dans les entreprises Wayne (une idée de départ intéressante). Quand son ancien partenaire de crime revient à Gotham, Batman – obsédé par la tragédie ayant eu lieu il y a une dizaine d’années et implacable dans sa quête – l’interroge et se lance sur une piste. D’abord Londres, puis l’Inde (en passant par Chicago dans un flash-back). Il est déjà surprenant de voir l’homme chauve-souris quitter Gotham mais aussi – et surtout – le faire pour une sorte de vengeance personnelle pour mettre la main sur une simple « humaine » (impossible de croire que le détective n’avait pas réussi cela plus tôt) ; mais bon… pourquoi pas (encore une fois : face à un ennemi « habituel », ça passerait mieux, comme Gueule d’Argile par exemple).

Comme le montre la bande dessinée dès ses premières planches (ce n’est donc pas une surprise ni une révélation), Blake est devenue sœur dans un couvent et se repend (le titre de l’œuvre l’indiquait également). La femme sauve même Batman (qu’elle apprécie – il avait sauvé son fils jadis si on a bien compris) mais vouait une haine à Wayne (et, d’une manière générale, aux élites richissimes de la ville). Pour le soigner, elle lui enlève son masque… La confrontation aura-t-elle lieu ? De quelle manière ?

Ce point de jonction apparaît bien tard dans la lecture et était l’occasion parfaite d’écrire un beau discours sur « l’humanité » (ce qui en découle : la justice, le pardon, la rédemption… – un petit peu ce qu’on trouvait en fin d’ouvrage du clivant Trois Jokers). Malheureusement ici le scénariste DeMatteis loupe l’occasion de marquer la mythologie de Batman avec un récit fort, mature et bouleversant. Ses réflexions avaient déjà été vues et revues (et le seront sans cesse par la suite) sur le « masque » que l’on porte tous, les actions que l’on effectue sur lesquels nous sommes jugés, l’ajout de nuances par rapport aux premières impressions qu’on se fait d’une personne en fonction de ses actes et son comportement, la psyché du justicier, etc. Bref, l’écriture est assez poussive et effleure son sujet (dans le même genre, on lui préfère nettement Batman – Ego, sur lequel on était pourtant déjà sévère) sans compter les autres défauts déjà évoqués et la confusion de l’ensemble (une navigation constante entre passé et présent qui n’aide pas, des personnages secondaires peu reconnaissables ou dont on ne comprend pas les motivations).

DeMatteis est pourtant une pointure et très prolifique chez DC et Marvel. On lui doit, entre autres, le cultissime Spider-Man – La Dernière Chasse de Kraven par exemple ou encore de longs runs sur la Justice League (cf. en France Justice League International) ou Dr. Fate. Il avait signé également Sain d’esprit, une histoire (assez moyenne) sur le Joker à retrouver avec le segment (excellent lui) L’avocat du diable dans Joker – Fini de rire. Dans sa dernière ligne droite d’Absolution, DeMatteis décrit un Batman étrangement éloigné de son ADN (encore…), dont l’ambiguïté morale ne lui sied guère. Si le justicier était dans ses premières années, on pardonnerait cet écart, là après une décennie d’expérience, on est dubitatif sur cette « vision » (il se murmure que DeMatteis avait cette idée à la base pour une aventure du Punisher et qu’il l’a recyclé pour le Caped Crusader…).

Heureusement, les dessins, l’encrage et la colorisation de Brian Ashmore sur Absolution offrent une lecture visuelle bien agréable. Il faut dire que son style assez réaliste et entièrement en peinture à l’aquarelle dénotent avec les productions habituelles de l’industrie ; d’où l’appellation de « graphic novel ». Entre les visages d’effroi, les segments d’action plutôt lisibles (mais tristement figés), les paysages urbains ou dépaysants à l’étranger, il y a de jolis moments qu’on se plaît à contempler plusieurs fois (comme évoqué plus haut, les passages mutiques sont légion et probablement les meilleurs). Étonnamment, le lettrage de la version originelle, assurée par Sean Konot (cf. sur certaines images de cette critique) est nettement moins bien que celui de la version française, opéré par Gianluca Pini. L’utilisation d’une police d’écriture plus lisible et moins « scolaire » confère une lecture plus aisée.

Ashmore est peu fructueux dans le milieu (on ne lui attribue pas d’autres comics de super-héros) mais on pense aux deux autres artistes avec une patte similaire : l’immense Alex Ross (Kingdom Come, Justice League – La promesse…) et le plus discret Scott Hampton (Des cris dans la nuit – dont les graphismes se prêtaient bien à l’histoire, il est vrai –, Outre-tombe, American Gods…). Si Batman – Absolution n’a toujours pas été réédité, à l’instar d’Outre-tombe et Secrets (tous trois provenant de la gamme DC Icons de Panini Comics dans les années 2000), peut-être qu’il sera inclus dans un volume de la collection Batman Chronicles quand celle-ci atteindra l’année 2002 ? Néanmoins, la BD se trouve assez facilement en occasion entre dix et vingt euros (son prix initial était de 15,50 € à l’époque en 2006). Mais, vous l’aurez compris, on a tendance à le déconseiller…

[À propos]
Publié chez Panini Comics en octobre 2006.
Contient : Batman – Absolution

Scénario : J.D. DeMatteis
Dessin, encrage & couleur : Brian Ashmore

Traduction : Jérémy Manesse
Lettrage : Gianluca Pini

Acheter sur amazon.fr : Batman – Absolution (15,50 €)

 

Batman : Detective – Tome 5 : Briser le miroir

Cinquième et dernier tome de Batman : Detective, Briser le miroir propose une histoire éponyme en six chapitres (dont un prologue déconnecté) suivi d’une foule d’épisodes Detective Comics #1027 (dont un inédit non publié auparavant), numéro emblématique de la célèbre série (on explique plus loin pourquoi). Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Un nouvel adversaire, se faisant appeler le Miroir, rode dans les rues de Gotham. Mais est-il réellement aussi mauvais que ce qu’il laisse à penser ? Ou est-il simplement le reflet de la perversion du monde qui l’entoure ? Pendant que la Bat-Family doit lutter contre la véritable armée qu’il a levée, Damian Wayne se cache dans l’ombre, planifiant son prochain mouvement dans la traque qu’il mène contre son père, le Chevalier Noir.

[Début de l’histoire]
Pas besoin de détailler davantage, se référer à la critique ci-après pour l’ensemble des histoires.

[Critique]
Encore un volume très décousu mais tout de même plus intéressant que le précédent. Le premier chapitre (Detective Comics #1028, intitulé Sang neuf dans Batman Bimestriel et Interlude ici) n’a aucun intérêt. Il montre la vengeance d’un mystérieux homme qui tue des personnes corrompues. En quelques planches, on découvre l’identité du criminel (un inconnu) et ses victimes. Les rares cases avec Batman à cheval permettent de montrer une situation un peu inédite (dessinées par Nicola Scott plus ou moins inspiré)… Difficile de comprendre pourquoi l’éditeur inclut systématique ces morceaux d’épisodes complètement anecdotiques. Même les plus complétistes devraient faire l’impasse dessus.

Heureusement, les cinq chapitres suivants (Detective Comics #1029-1033), forment un arc narratif à peu près complet. On y suit dans un premier temps l’arrivée d’un antagoniste peu connu, le Miroir. Se réclamant du peuple, il mène une vendetta contre les super-héros masqués qui engendrent trop de dégâts selon lui. Son masque réfléchissant se voulant renvoyant la violence envers ceux qui le regardent… Il y a un côté Anarky dans cet ennemi, qui était déjà apparu dans le premier volet de la série Batgirl de l’ère New 52 – créé par Gail Simone. Jonathan Mills de sa vraie identité (on ne sait pas trop s’il s’agit du « même Miroir » ici) a une vision étrange de la justice et estime que des personnes ayant échappé à la mort doivent être tués…

Mais dans Briser le miroir, ce n’est pas cet aspect là qui est mis en avant, le Miroir n’est d’ailleurs pas mentionné sous son identité civile et le scénariste Peter Tomasi (toujours à l’œuvre sur la série depuis le début) le survole plus qu’autre chose… Tout se déroule après le deuxième tome de Joker War mais on ne s’y perd pas. Le Miroir arrive carrément à rassembler la Bat-Famille dans un même lieu, à l’exception de Robin, alias Damian Wayne, qui semble détaché des activités nocturnes de son père et lui-même ne portant plus le costume du jeune justicier.

On ne sait pas trop pourquoi même s’il est sous-entendu que le décès d’Alfred (cf. douzième tome de Batman Rebirth) pourrait avoir causé cette émancipation. L’enfant est en revanche concentré sur le Dossier Noir de Batman, vaguement mentionné dans le tome précédent, afin de suivre une piste prometteuse (où l’auteur Peter Tomasi cite sans aucune subtilité Ed Brubaker et Greg Rucka pour un hommage aux artistes qui ont signé, entre autres, Gotham Central). La fiction prend un tournant à mi-chemin qu’il convient de dévoiler. Passez au septième paragraphe et ne regardez pas les dernières images de cette critique pour ne pas voir de révélations (celles sous les citoyens de Gotham qui arborent des masques de justiciers).

En effet, en marge de Miroir, le fameux Silence (Hush en VO), alias Tommy Elliot sévit dans l’ombre. Il arrive même à kidnapper sans sourciller l’ensemble des alliés du Chevalier Noir ! Le célèbre ennemi est apparu dans Silence puis dans quelques arcs à droite à gauche avec du bon (Paul Dini présente Batman – Tome 2, Batman Eternal…) et du moins bon (Hush Returns, inédit en France chez Urban Comics mais fut publié par Panini Comics en mensuel). Elliot rejoue sa sempiternelle jalousie au détriment d’une amitié d’enfance sacrifiée.

Proposer Silence est une chose plaisante (il est souvent sous-utiliser voire sous-estimer) mais cela arrive un peu tard, a un côté déjà-vu, peu original et la situation est vite réglée malheureusement… Et comme on sait qu’il s’agit du dernier tome de la série sous l’égide de Tomasi, on doute d’une réutilisation proche connectée à ce qu’on vient de voir, c’est assez dommage (comme l’entièreté des volumes de Batman : Detective de toute façon, cf. conclusion de l’ensemble plus loin).

En parallèle, on suit l’ascension du nouveau maire de Gotham, Christopher Nakano qui avait déjà un rôle assez avancé dans Joker War et se poursuivra dans Batman Infinite (qui en est la suite directe). Là aussi, on peine à s’attacher à ce protagoniste et on a l’impression d’être face à une « conclusion » de son parcours et paradoxalement son « introduction ». Heureusement, les dessins de Kenneth Rocafort puis Bilquis Evely et enfin Brad Walker confèrent au récit un voyage graphique plutôt séduisant et coloré. L’action est dynamique, les séquences s’enchaînent à un bon rythme, c’est toujours ça de pris malgré la conclusion un peu abrupte et la déception de savoir qu’il n’y aura jamais de suite sur tout ce que Tomasi avait (maladroitement) mis en place.

Passé cette aventure « sympathique mais sans plus », c’est un festival d’histoires courtes autour du Chevalier Noir qui sont offertes au lecteur. En effet, Batman est apparu dans Detective Comics #27 en 1939 (en vente le 30 mars de cette année mais daté au mois de mai 1939). Mille numéros plus tard (!), une myriade d’artistes prestigieux lui rendent hommage à travers des tranches de vie du justicier et diverses illustrations généreusement compilées en fin d’ouvrage. Tom King, Greg Rucka, Brian Michael Bendis, Marv Wolfman, James Tynion IV, Grant Morrison, Scott Snyder et quelques autres se succèdent donc pour célébrer l’évènement. Un anniversaire de près de quatre-vingt-une années plus tard (à l’époque de la publication, donc en 2020) qui s’étale sur douze épisodes inédits, d’une douzaine de pages chacun et passés en revue ci-après.

 

Notons qu’onze d’entre eux ont été publiés dans les quatre derniers numéros de Batman Bimestriel, donc du #13 au #16. Le treizième avait même bénéficié d’une couverture alternative (provenant de la série Joker War). Enfin, à l’instar des multiples épisodes de Detective Comics #1000 (bientôt compilés dans un article), ceux du #1027 sont sortis dans un recueil aux États-Unis. Étonnamment, la lecture via les Batman Bimestriel est plus agréable que celle de la version librairie car les chapitres étaient séparés par une note éditoriale et une présentation des artistes opérant dessus. Dans la compilation ressortie, tout s’enchaîne à la suite, manquant d’une certaine respiration (narrative) bienvenue.

Dans Reflux (le dernier chapitre écrit par Peter J. Tomasi et dessiné par Brad Walker, relativement actif tout au long de la série), Batman est enfermé dans une cuve et se remémore tous les ennemis qu’il a affronté au long de sa croisade, chacun lui ayant appris quelque chose dont il pourrait se servir pour s’en sortir. Si la fin est soudaine (on ne comprend pas qui a piégé le Chevalier Noir), c’est l’occasion d’admirer de jolies planches rendant hommage à une grande galerie de vilains (manque curieusement Killer Croc et Bane).

Cours magistral (Brian Michael Bendis / David Marquez) montre tous les alliés de Batman se retrouver au même endroit d’un cadavre. S’agit-il d’une épreuve ou d’une coïncidence ? Tout le monde collabore et permet au Chevalier Noir de se remémorer le talent de détective de ses protégés. Là aussi l’intérêt se situe dans les dessins montrant la Bat-Famille complice. Ces deux épisodes sont vaguement connectés avec le « suivant », c’est-à-dire le #1028 qui… ouvrait le tome (avec notamment les flics ripoux et corrompus). S’il semble logique de les placer en seconde moitié du livre pour conserver une certaine cohérence éditoriale, il manque une certaine note d’intention pour clarifier tout cela (à l’exception d’un banal renvoi « voir Detective Comics #1027 » lu au tout début).

Un bien bon anniversaire (Matt Fraction / Chip Zdarsky) met en avant le Joker et ses fameux « cadeaux d’anniversaire » envoyés religieusement chaque mois depuis la première rencontre entre le Chevalier Noir et le Prince Clown du Crime. Mais au bout d’une vingtaine d’année, arrivé à la fin du mois, Batman n’a pas reçu son cadeau et s’inquiète. Il imagine le pire et cherche son ennemi juré… qui connaît son identité réelle. C’est probablement ce qu’il faut retenir de ce segment, le Joker s’adresse à Bruce et la carte d’anniversaire est envoyée au Manoir Wayne. Cela relance le débat sur le fait que le Joker se moque de qui est Batman et le sait depuis longtemps…

Dans Bleusaille (Greg Rucka / Eduardo Risso), une nouvelle recrue du GCPD découvre la corruption au sein de la police et la dangerosité de Gotham. Mais la jeune femme ne faiblit pas et comprend que quelques collègues, Gordon et bien sûr Batman sont légion face la criminalité. Un segment qui permet d’enrichir (modestement) la célèbre série Gotham Central, déjà scénarisée par Rucka à l’époque. Histoire de fantômes (James Tynion IV / Riley Rossmo) met en avant l’improbable alliance entre Batman, Robin et… Deadman, alias Boston Brand, le justicier de l’au-delà capable de prendre possession des vivants. Un récit un peu à part qui offre une élégante connexion avec la mort des parents de Bruce.

À l’avant (Kelly Sue DeConnick / John Romita Jr.) suit cette fois Bruce Wayne, en tant qu’homme d’affaire, dans un échange tendu avec un potentiel acheteur, en pleine partie de golf. Le milliardaire travaille en réalité avec Gordon pour piéger son hôte corrompu… Probablement l’épisode le plus faible jusqu’à présent. Odyssey (Marv Wolfman / Emanuela Lupacchino) conte la destruction du navire éponyme au sein duquel le grand-père de Bruce Wayne avait caché des œuvres d’art pour échapper aux nazis. Des années plus tard, l’épave semble avoir été trouvée et une expédition plonge pour y retrouver ces trésors. Si l’ensemble se lit bien, on a l’impression de lire l’introduction à une histoire plus grande qui mériterait d’être enrichie. Dommage.

Dans Détective n°26 (Grant Morrison / Chris Burnham), on découvre « Le Spectre d’Argent », un justicier qui s’apprête à nettoyer Gotham de la criminalité. Mais un homme revêtant un costume de chauve-souris fait également ses premiers pas dans la ville et semble plus efficace que lui… Encore une fois, le récit et trop court et ferme une promesse inédite intéressante (un nouveau super-héros ou un antagoniste ?). Testament (Tom King / Walt Simonson) met en avant le Docteur Phosphorus face à Batman, interrogeant vaguement l’impact des combats sur l’équilibre mental des deux protagonistes.

Comme toujours (Scott Snyder / Ivan Reis) se met du point de vue de Gordon qui s’interroge sur les actions du Chevalier Noir et son inextricable espoir. En l’occurrence la disparition du soleil (!) et la solution pensée par Batman et ses alliés de la Justice League. L »épisode le plus coloré et « cosmique » de la sélection dont les actions des justiciers tranchent visuellement avec la noirceur de Gotham et Gordon.

Générations : fracturées (Dan Jurgens / Kevin Nowland) est le chapitre « inédit » car il n’avait été pas proposé dans les Batman Bimestriel. Dans un premier temps, il semble s’agir d’un prologue à Future State. En effet, Batman poursuit quelques ennemis dans un musée le soir d’Halloween puis est projeté dans le passé (en 1939 très exactement) et rencontre Kamandi, envoyé par Booster Gold. Un épisode un peu cryptique qui donne surtout envie de découvrir la suite (annoncé en dernière case avec la mention « à suivre »). Pourtant, en lisant l’avant-propos d’Urban Comics, c’est le dernier chapitre, Un Cadeau (voir ci-dessous) qui semble ouvrir Future State (alors – qu’à chaud – rien n’y est connecté, au contraire). Bizarre…

Un cadeau (Mariko Tamaki / Dan Mora) se déroule durant Joker War et là aussi aurait mérité d’être publié plutôt dans un volume de Joker War qu’ici tant il ne se prête pas vraiment à la célébration commune des ces numéros #1027. Difficile d’imaginer (comme l’indique l’éditeur) que cela va se poursuivre dans Future State (pas encore lu et chroniqué) alors que l’épisode précédent mentionnait des voyages dans le temps et appelait une suite…

En synthèse, les douze chapitres sont, sans surprise, inégaux mais restent une lecture plaisante, sans investissement de durée malgré une certaine frustration de ne pas avoir de suite (existante ou non). Étrangement, Urban Comics n’a pas mis en avant cet anniversaire en couverture ou, idéalement, via une sortie à part – et pourquoi pas rassembler les Detective Comics #1000 et #1027 ? Les premiers sont déjà dans Batman 80 ans, les seconds sont donc jetés ici dans le cinquième et dernier volume d’une série peu mémorable, ce qui est, une fois de plus, assez dommage – surtout vu les prestigieux noms associés à ces épisodes.

Heureusement, une tonne de couvertures alternatives clôturent l’ouvrage (appelée « pin-up de Detective Comics #1027 » !). Une trentaine dont une bonne partie signées Lee Bermejo, qu’on aurait adoré avoir en poster. Briser le miroir est une conclusion de run décevante avec des promesses non tenues, des pistes ouvertes qui ne seront jamais terminées (l’auteur Peter Tomasi a quitté la série après ces derniers chapitres). Ce cinquième volume reste néanmoins le second « meilleur » de la série (après le troisième) pour son histoire autour de Miroir assez intéressante et la célébration des Detective Comics #1027.

[Conclusion de l’ensemble de la série Batman : Detective]
Encore une série très moyenne, fortement inégale et relativement mal découpée. Peter Tomasi ne parvient pas à insuffler des émotions, des moments épiques ou tragiques… Pire : il fractionne ses tomes avec une personnalité (ou un enjeu) indépendant qu’on ne revoie jamais. Le Chevalier d’Arkham, Nora Fries, Double-Face, le Miroir, un autre ennemi emblématique et les multiples antagonistes éphémères arrivent aussitôt qu’ils repartent et c’est bien dommage. On retient surtout le troisième tome et son affrontement avec Mr Freeze et ce cinquième pour les raisons évoquées dans la critique.

Malgré tout, impossible de conseiller les cinq volumes pour cette série complètement dispensable, éventuellement les trois et cinq donc, et encore… C’est un des paradoxes des aventures du Chevalier Noir, celles qui restent en mémoire et passent habilement l’épreuve du temps sont des volumes uniques (ou enrichis d’un ou deux tomes), comme la plupart des incontournables, ou bien les séries longues, inégales mais proposant des choses singulières (Grant Morrison présente Batman, Batman de Scott Snyder, Batman Rebirth de Tom King, etc.).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 2 avril 2021.
Contient : Detective Comics #1027-1033

Scénario : Peter Tomasi, collectif (voir article)
Dessin : Brad Walker, collectif (voir article)
Encrage : Collectif
Couleur : Collectif

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Stephan Boschat (studio MAKMA)

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