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Batman – The Knight

Souvent évoquée, rarement narrée, la période où Bruce Wayne quitte Gotham pour se forger et devenir un puissant détective et combattant hors-pair est enfin modernisée et compilée dans un beau volume. Batman – The Knight explore aussi bien les pays que l’évolution d’un jeune homme fragile. Ce récit complet est-il pour autant indispensable ? Découverte et critique (avec quelques révélations mineures).

[Résumé de l’éditeur]
Est-ce de la tristesse ou de la colère ? Ou les deux mêlés l’un dans l’autre, à travers les méandres de la psyché complexe de son nouveau patient ? Le Docteur Hugo Strange cherche les réponses à ces questions, en essayant de comprendre les mécanismes de défense psychologiques que l’adolescent a pu construire pour se protéger d’un événement traumatique de son enfance. Mais ce nouveau patient n’est pas exactement comme les autres… Ce nouveau patient est le jeune homme le plus riche de la ville, un certain Bruce Wayne !

[Critique]
Enfin une aventure qui met en avant Bruce Wayne (malheureusement pas dans ses « affaires économiques quotidiennes ») et non Batman. Encore un récit sur les origines du futur justicier ? Oui et non. Ce n’est pas un secret : le jeune milliardaire a parcouru le monde quelques années avant de revenir à Gotham et devenir l’homme chauve-souris. On a déjà vu des bribes de ce voyage initiatique avec quelques flash-backs ici et là ou diverses mentions – la plus courante étant l’entraînement aux arts ninja (dans des temples enneigés) et la rencontre avec Ra’s al Ghul (toutes deux seront en effet dans The Knight mais pas d’une façon qu’on imagine de prime abord).

En près de trois cent pages, le scénariste Chip Zdarsky imagine une épopée à la fois passionnante mais terriblement frustrante. En somme : complètement inégale. Dès le départ, l’auteur envoie Wayne à Paris où il se perfectionne à l’acrobatie (et au vol) grâce à une femme un peu plus âgée, rappelant terriblement Selina Kyle/Catwoman… Pour l’originalité, on repassera. Plus improbable : l’homme conserve constamment son costard pour ses missions nocturnes… Heureusement, il croise Henri Ducard (rappelant plus ou moins le récent (et moyen) Batman – La Dernière Sentinelle dans lequel un Batman âgé allait en France et retrouvait également cet antagoniste mentor).

En étirant ce premier arc sur deux voire trois épisodes, on songeait à une mise en place lente et progressive du protagoniste mais il n’en est rien. Chaque autre chapitre se résumera à un autre pays, un mentor éphémère, une sous-intrigue souvent artificielle et un ou deux personnages secondaires revenant de temps en temps. On pense au dénommé Anton notamment – tour à tour ami ou ennemi de Bruce. Il s’avère (on ne le sait pas forcément en lisant le comic book même si les connaisseurs le devinent aisément surtout à partir d’un certain moment « graphique ») qu’il s’agit de Ghost Maker, créé par James Tynion IV dans le troisième opus de Joker War (le moins bon), avant de devenir un allié récurrent !

Effectivement, ce semi-vilain débarquait de nulle part à l’époque – une aberration – et trouve donc ses origines dans une maxi-série écrite par une autre personne… Il est fort probable que Zdarsky ait des plans pour lui, puisqu’il signe la série actuelle Batman (cf. la critique du premier tome de Dark City, ainsi que les autres œuvres de l’artiste listées dedans) et souhaite peut-être le réutiliser (connectant ainsi son one-shot à la série régulière). Intrinsèquement parlant, le lecteur non familier avec Ghost Maker ne loupera rien en particulier en ne sachant pas qui il sera « dans le futur ».

Dans The Knight, on navigue donc dans différentes contrées, permettant un dépaysement plutôt efficace (notamment pour les décors : l’urbanisme de Paris laisse place à de la neige, de la verdure, du désert… en Russie, Canada, à Shanghai, etc.) et on croise quelques têtes connues comme Zatanna et, sans surprise, Ra’s al Ghul et sa fille Talia. C’est d’ailleurs la dernière ligne droite de The Knight, consacrée à La Ligue des Assassins, qui est plus familière et demeure un point d’accroche importante, à défaut de proposer de réelles surprises ou une aventure un peu inédite (après tout, on sait très bien comment ça va se terminer).

Zdarsky réussit habilement son travail pour montrer l’évolution mental (et physique) de Bruce mais peine à croquer les autres figures qui gravitent autour de lui, cantonnés à des archétypes ni originaux, ni attachants. On oublie(ra) vite les noms de ses créations une fois le livre terminé. En résulte donc une certaine frustration, parfois l’impression d’en faire trop (le segment parisien), parfois pas assez (on survole l’entraînement à la magie, à l’espionnage, au mental, aux armes à feu…). Trop de personnages secondaires gravitent éphémèrement auprès de Wayne pour qu’on les apprécie à leur juste valeur (Lucie, Oblonvsky, Jungo, Skyspider, Captio, Kirigi…).

On pourrait se laisser aller à la réflexion analytique sur la croisade de Wayne, entamée bien plus tôt qu’on ne le pense, s’attelant à combattre l’injustice dès qu’il le pouvait. Le travail du jeune homme était profondément encré en lui dès le début, entre son mental d’acier et son abnégation à combattre le crime, peu importe les sacrifices qu’il doit/devra faire, de même qu’il a toujours mis un point d’honneur à ne jamais franchir la ligne rouge – élément revenant plusieurs fois ici. Ce n’est pas une écriture très poussée ou complexe mais elle reste efficace dans ce qu’elle a à proposer, bien aidée et servie par les illustrations (on y revient juste après).

La trame de The Knight est néanmoins sympathique pour peu qu’on aime voir un Wayne encore perfectible (même s’il on craint rarement pour lui et qu’il a déjà ce côté abîmé et « immortel »), foncièrement humain et « maladroit » (dans ses combats, ses pensées ou ses errances romantiques). Cet apprentissage est le point fort de l’œuvre, dont on sent la sincérité à travers la plume d’un scénariste oscillant entre le bon et le moins bon.

Heureusement, l’ensemble des dessins permettent aussi de tirer le titre un peu plus vers le haut. Parce qu’ils sont globalement « beaux », servi par le talent de Carmine Di Giandomenico (Flash Rebirth…), croquant un Wayne reconnaissable et une grande variété de fonds de cases fournies, sans oublier une action plutôt lisible et fluide, ainsi qu’une palette d’expressions faciales plutôt variée et qui sonne « juste ». La colorisation d’Ivan Plascencia (La Nuit des Monstres…) ajoute une dimension bienvenue notamment sur le travail des lumières intérieurs ou naturelles en extérieur (funfact : à ne pas confondre avec son cousin Fco, également coloriste chez DC Comics, notamment sur la série Batman de Snyder, Last Knight on Earth).

Conserver un seul illustrateur tout le long permet d’avoir une homogénéité visuelle appréciable et, in fine, un one-shot pas indispensable mais pas trop trop mal si on sait ce qu’on vient chercher en tout état de cause (ça se lit bien, le rythme est bon). L’avantage est aussi son accessibilité (de quoi l’ajouter dans la rubrique « par où commencer » sur les origines) ; en cela The Knight satisfera davantage les nouveaux lecteurs  que les fans de longue date qui pourront faire l’impasse sur une histoire pas forcément « mise en image » auparavant mais dont tous les tenants et aboutissants avaient déjà été explorés d’autres façons.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023.
Contient : Batman : The Knight #1-10

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Carmine Di Giandomenico
Couleur : Ivan Plascencia

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

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Batman Dark City – Tome 1 : Failsafe

Après le run de James Tynion IV en six volumes (Joker War puis Batman Infinite – et les chapitres de transition de Joshua Williamson dans Abyss), place à une nouvelle ère chapeautée par Chip Zdarsky ! Pour ce premier tome, le scénariste propose Batman face à lui-même (!) façon Terminator (!!) dans une course effrénée et complètement improbable, délicieusement mise en image par un Jorge Jiménez en grande forme ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Il est rassurant de penser que le protecteur de Gotham est un maître tacticien inébranlable ayant toujours dix coups d’avance sur ses ennemis. Mais, si c’était le cas, le crime à Gotham aurait été éradiqué il y a déjà bien longtemps. L’homme derrière le masque fascine car il n’est finalement qu’un simple mortel, et le propre de l’homme est d’être faillible. Tandis que les milliardaires les plus influents de Gotham se font assassiner les uns après les autres, Bruce Wayne broie du noir. Arrivera-t-il à s’extirper à temps de ses tourments personnels pour affronter une vieille connaissance et venir en aide à ceux qu’il s’est promis de protéger ?

[Début de l’histoire]
En remontant la piste de deux cadavres trouvés à Gotham, Batman et Robin (Tim Drake) se retrouvent dans un gala de charité où le Pingouin est également de la partie.

Sérieusement blessé, Robin est emmené par Batman/Bruce aux urgences puis va voir le Pingouin, lui aussi entre la vie et la mort dans un lit d’hôpital. Lorsque ce dernier se suicide, le Chevalier Noir est considéré comme le coupable idéal !

Peu après, un mystérieux robot, Failsafe, s’active dans la Batcave. Créée par le justicier lui-même, cet androïde n’a qu’un seul but : tuer Batman !

[Critique]
Ce premier tome de Dark City bénéficie d’un rythme haletant porté sur l’action ! Si c’est ce que le lecteur vient chercher, aucune doute qu’il sera ravi (d’autant plus que c’est visuellement somptueux – on en reparlera), s’il s’attendait à un récit plus mesuré, psychologique ou original, il sera probablement déçu. Reprenons. Failsafe contient les chapitres #125 à #130 de la série Batman (relancée et numérotée à #001 depuis l’ère Rebirth en 2016). C’est donc toujours « la suite » de Batman Rebirth mais surtout de Joker War puis Batman Infinite. Pas de panique : aucun besoin d’avoir lu tous ces volumes (quasiment vingt !) pour comprendre Dark City.

La fiction s’insère bien « chronologiquement » après les deux dernières séries citées et cela est contextualisé dans un avant-propos (et un peu dans la BD). Bruce Wayne est ruiné, sa croisade habituelle bénéficie donc de moins de moyens technologiques et financiers (même si cela ne s’est jamais fait sentir) et son Robin actuel est redevenu Tim Drake (Damian Wayne étant occupé à d’autres affaires, notamment depuis Robin Infinite et Shadow War). On apprécie grandement le retour de Drake, bien plus intéressant ici et dont la relation avec son mentor/père est bien construite. Pas grand chose d’autre à préciser, le reste est l’habituel et éternel statu quo de Batman quand il est en pleine relance… C’est donc accessible mais un peu « référencé » comme on le verra plus loin.

Dans ce premier opus de Dark City, le Chevalier Noir est accusé de la mort du Pingouin et Tim Drake est sévèrement blessé lors d’une sortie nocturne. Passé ce point de départ, c’est le fameux Failsafe qui s’illustre. Qui ça ? Failsafe, un robot surpuissant créé par… Batman. Dans quel but ? Arrêter… Batman. Le justicier a conçu un programme pour le stopper en cas de dérive, exactement de la même manière qu’il avait efficacement mis en place plusieurs plans pour arrêter les membres de la Justice League des années plus tôt (cf. La tour de Babel, citée dans l’ouvrage). La caractérisation du Batman paranoïaque est, quant à elle, dans la droite lignée de Crise d’identité puis Infinite Crisis (cf. index des Crises DC Comics).

S’ensuit une course contre la montre où Failsafe poursuit Batman jusqu’à pouvoir l’atteindre, le blesser, l’achever. Une bonne partie des alliés de l’homme chauve-souris tente de s’interposer et de l’aider (aussi bien la Bat-Famille que d’autres justiciers comme Green Arrow, le Limier Martien, Superman…). Rien à faire, Bruce Wayne, l’un des hommes les plus intelligents de la Terre, est beaucoup trop malin pour avoir bâti un être artificiel « facilement arrêtable ». Le Chevalier Noir fait donc appel au Batman de Zur-En-Arrh !

Entre science-fiction assumée et aventure musclée, Failsafe ajoute une dimension d’action un peu inédite : la personnalité du Batman de Zur-En-Arrh est « banalement » une sorte de personnalité agressive et invincible de Bruce Wayne. Il faut remonter à 1958 pour sa première apparition (Batman #113) où ce Batman au costume coloré provient d’un autre univers. Toutefois, la fin de l’histoire reste ambigüe quant à la nature de cet autre Chevalier Noir, possiblement issu d’un rêve de Bruce. Grant Morrison l’exhume et l’utilise ensuite dans son célèbre run (Batman #673, 2008) et… c’est à peu près tout. Comme pour le titre de Zdarsky, le Zur-En-Arrh fait partie de la psyché de Bruce et se déclenche quand ce dernier est à bout de force et doit passer « en mode survie » (en gros). Une solution de facilité scénaristique un peu étrange mais efficace sur le papier.

Malgré toutes ces descriptions, il y a beaucoup de choses à découvrir et lire dans le volume (en vrac, attention aux révélations (mineures), passez au paragraphe suivant sinon : Batman dans l’océan, Batman dans l’espace (!) et ainsi de suite…). De « l’improbabilité » à tous les niveaux donc… Deux séries back-ups se déroulent en parallèle : la première suit Catwoman à la recherche des enfants (!) du Pingouin (dont les traits dans l’histoire principale sont calqués sur ceux du film de Tim Burton) – une investigation passionnante et inattendue, complémentant habilement la fiction mère – la seconde nous en montrent davantage sur le Batman de Zur-En-Arrh, face au Joker notamment. Toutes deux sont dessinées par deux autres artistes, Belén Ortega et Leonardo Romero, et auraient méritées d’être en fin du livre pour ne pas gâcher l’immersion et le rythme haletant des chapitres principaux mais ce n’est pas très grave.

Batman – Dark City : Failsafe rappelle immédiatement la saga Terminator avec cet androïde « immortel » qui poursuit sans relâche sa cible (en vérité, la source matricielle est plutôt à trouver dans le film Mondwest, désormais mieux connu grâce à son adaptation moderne en série, Westworld). L »écriture des premières pages est réjouissante (la « mort » du Pingouin, la blessure « mortelle » de Robin…) avant de revenir à des choses plus convenues et habituelles. Une sorte de zone de confort à peine émancipée pour y revenir.

Chip Zdarsky était plus inspiré sur Batman – The Knight (sorti le même jour). On doit à cet auteur d’autres livres chez Urban (et donc DC, chez qui il est fraîchement arrivé) : le fameux The Knight donc, mais aussi Red Hood – Souriez ! et des titres indépendants (Newburn, Public Domain – qu’il dessine également…). Zdarsky vient surtout de Marvel, où s’est surtout fait connaître sur son très long et très bon run de Daredevil ainsi que quelques travaux sur Spider-Man, Devil’s Reign… Sur Failsafe, Zdarsky poste des bases intéressantes mais il devra se montrer à la hauteur par la suite (et plus original) car le récit n’est pas spécialement auto-contenu (il appelle à une autres histoire – à date constituée de deux épisodes nettement moins bons) ; il faut donc apprécier davantage la forme que le fond pour se satisfaire du comic.

Ça tombe bien, Jorge Jiménez est en très grande forme, il dessine merveilleusement bien cette épopée explosive qui se déroule dans une foule de lieux différents. Les traits sont précis, l’action lisible et « vivante », les scènes sont dynamiques (on apprécie un hommage à Matrix Reloaded également), fluides… c’est clairement un sans faute ! L’illustrateur est aidé de Tomeu Morey à la colorisation (déjà à l’œuvre sur Batman Infinite et Joker War – où officiait également Jiménez – et sur divers titres comme Batman/Catwoman, Heroes in Crisis…) pour un résultat épatant, alternant habilement toutes les séquences diurnes ou nocturnes, urbaines, aquatiques ou même spatiales. Rien que pour l’aventure visuelle et chromatique, cette première pierre de la série vaut le coup !

Comme brièvement évoqué, Failsafe appelle à une suite (un tome deux donc) mais, comme souvent, si celle-ci n’est pas aussi bonne et idéalement meilleure, ce premier volet ne restera pas dans les annales… D’autant plus que la partie graphique n’est plus assurée par Jimenez dans l’immédiat, il va donc être difficile de faire mieux. À suivre probablement fin 2023 en France… MàJ octobre 2023 : L’homme chauve-souris de Gotham est disponible !

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 24 février 2023
Contient : Batman #125-130 + back-ups

Scénario : Chip Zdarsky
Dessin : Jorge Jiménez, Belén Ortega, Leonardo Romero
Couleur : Tomeu Morey, Luis Guerrero, Jordie Bellaire

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Coralline Charrier, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

Acheter sur amazon.frBatman Dark City – Tome 1 : Failsafe (21€)


Flashpoint Beyond

Nouvelle pièce du puzzle narratif complexe chapeauté par Geoff Johns depuis des années, Flashpoint Beyond s’insère « délicatement » dans un ensemble de comics. Il met en avant le Batman de l’univers Flashpoint, donc Thomas Wayne, le père de Bruce (son fils unique a été tué à sa place), comme le montre la couverture choisie. Suite indirecte de Flashpoint et du Monde de Flashpoint (celui sur Batman notamment, éventuellement ceux sur Aquaman et Wonder Woman) mais aussi de Doomsday Clock (!), ce Flashpoint Beyond prolonge également et très brièvement DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, dans lequel Thomas mourrait. C’est ce qu’explique brillamment l’avant-propos de l’éditeur, à lire impérativement pour mieux contextualiser l’œuvre.

[Résumé de l’éditeur]
Après avoir tout sacrifié pour aider Flash à remodeler l’univers et sauver la vie de Bruce Wayne, Thomas Wayne se réveille dans un monde qu’il croyait disparu. Contraint d’enfiler à nouveau le masque de Batman, il arpente les rues de Gotham à la recherche de réponses. Une quête qui pourrait bien l’envoyer aux quatre coins du monde ; notamment en Europe.

[Début de l’histoire]
Dans l’Univers-Prime (« l’habituel »), Batman cherche la montre de Janey Slater (Watchmen) avec l’aide du Mime et Marionnette. Cela empêcherait-il Thomas Wayne de mourir dans l’univers de Flashpoint ?

Dans ce dernier justement, Thomas Wayne se réveille malgré son ancienne « mort », ne comprenant pas pourquoi il a survécu dans son monde. Il part enquêter…

De son côté, Barry Allen investigue sur les victimes de l’Horloger et rencontre Thomas Wayne, qui lui explique toute la modification temporelle que le futur Flash a causé. Allen ne s’en souvient plus…

[Critique]
Comme évoqué en introduction, Flashpoint Beyond poursuit un vaste univers mais – heureusement – il n’y a pas besoin de trop de lectures en amont pour le comprendre et le savourer. Par exemple Doomsday Clock n’est pas très pertinent (uniquement pour les rares apparitions du Mime et de Marionnette et les deux ultimes pages de Flashpoint Beyond), idem pour Le Badge, les Batman Rebirth où intervenait Thomas Wayne ou les DC Infinite Frontier, nul besoin de réellement les connaître.

Il faut surtout avoir lu Flashpoint et le récit (en trois chapitres) sur le Batman de Flashpoint (disponible à l’époque en trois numéros en kiosque puis dans Batman – Cité Brisée (et autres histoires…) et désormais dans Le Monde de Flashpoint – Tome 1 : Batman). Étonnamment, l’œuvre ne s’appelle pas Flashpoint – The Dark Knight ou quelque chose du genre alors qu’il se concentre exclusivement sur Thomas Wayne (donc Batman). Les différents Flash apparaissent à peine, le titre suit avant tout la quête de vérité du père de Bruce.

Pour cela, Beyond se décompose en sept chapitres, un premier qui contextualise (le #0) puis six autres. Le numéro d’introduction (#0) est dessiné par Eduardo Russo, qui avait signé (et donc quasiment « créé ») le fameux Batman du Flashpoint (cf. liens plus haut) – en petite forme ici (cf. les deux images ci-dessous). Cela permet de conserver une homogénéité, ou plutôt une passation graphique. En effet, c’est ensuite l’artiste Xermánico qui illustre la majorité de l’œuvre. Alejandro Germánico Benito González de son vrai nom, un espagnol au style élégant, encré suffisamment pour proposer un monde brutal et différent, avec une colorisation de Romulo Fajardo Jr. pour un résultat sublime, alternant vivacité chromatique et ténèbres mystérieuses (en témoignent les images d’illustrations de cette critique).

Ça tombe bien, la poignée de scènes se déroulant dans le monde du Batman « classique » (Univers-Prime) sont, elles, composées par Mikel Janin (qui opérait déjà sur les Batman Rebirth où intervenaient ponctuellement Thomas Wayne – tout le monde suit ?). Enfin, les deux dernières planches du livre sont de Gary Frank, connectant ainsi Flashpoint Beyond à Doomsday Clocks. Chaque dessinateur s’occupe donc d’un monde en particulier, ne dénotant pas la cohérence graphique de l’ensemble. Un très bon point en somme. Passons au reste.

Le scénario est écrit par Geoff Johns évidemment mais aussi par Jeremy Adams (auteur de quelques chapitres de Flash et de différentes productions d’animation DC plus ou moins notables) et Tim Sheridan (scénariste, entre autres, des excellents films d’animation La mort et le retour de Superman, Le règne des Supermen et Batman – Un long halloween). Trois auteurs pour une histoire pas forcément compliquée mais parfois exigeante tant elle est référencée à d’autres choses. Une fois de plus, en ayant une connaissance un peu familière de l’univers Flashpoint ça devrait aller.

On se plaît donc à suivre plusieurs axes narratifs particulièrement passionnants dont l’investigation de Thomas Wayne pour savoir « pourquoi il est vivant et dans quel but ». On apprécie aussi de naviguer dans un monde où plusieurs rôles sont inversés ou différents de qu’on a l’habitude de lire (la femme d’Harvey Dent, Gilda, est Double-Face, Martha Wayne la Joker,Aquaman et Wonder Woman sont des rivaux, Sofia Falcone est commissaire, etc.). Forcément, les amoureux de Wayne Senior et son côté radical vont aussi y trouver leur compte (il y a un petit côté Punisher qui ne fait pas dans la dentelle dans ce Batman Flashpoint !). Il y a également des choses un peu plus légères, par exemple l’étonnante prise d’affection du Pingouin envers le jeune garçon Dexter recueilli dans le Manoir Wayne (où Thomas et Oswald officient). L’enfant y voit carrément un modèle de paternité de substitution, un rôle qui semble plaire au Pingouin !

Tout cela se révèle plutôt original et palpitant. Il y a bien des passages ardus, quand on dérive sur des explications du Divin Continuum (les initiales de… DC) et les rédactions sans fin autour de l’omnivers, l’espace, l’hypertemps, le multivers, etc. (à l’avant-dernier épisode notamment) mais ils sont plutôt rares donc la lecture globale reste assez fluide et l’ensemble intelligible. Flashpoint Beyond est une réussite en tous points mais s’intercale dans un schéma tellement singulier qu’il ne s’adresse qu’au lectorat bien à jour (soit au minimum deux titres à connaître).

C’est à la fois sa force et sa faiblesse, il enrichit habilement un univers alléchant mais demeure moins abordable pour les autres. Il est à peine auto-contenu car sa conclusion ouverte laisse quelques questions en suspens (notamment avec les Maîtres du Temps et l’étrange connexion à Doomsday Clock). Enfin, en VO le sous-titre de la BD est The Clockwork Killer (L’horloger en français), laissant sous-entendre qu’il pourrait y avoir un autre Flashpoint Beyond ?

Difficile après tant d’années de savoir si l’architecte Geoff Johns a encore des choses à raconter dans sa construction atypique. On a déjà cité la plupart des comics plus ou moins rattachés à Flashpoint Beyond, ajoutons rapidement Trois Jokers qui n’est pas du tout relié mais dont un élément est important (et a fait grand bruit outre-Atlantique). En effet, lorsque la Joker du monde de Flashpoint évoque le Joker de l’Univers-Prime, elle parle d’un homme père de famille (cf. Killing Joke avec un dessin repris en noir et blanc) et donne son identité ! Jack Oswald White. Voilà. Le véritable nom du Joker est ainsi dévoilé, plus de quatre vingts ans après sa création. Au détour d’une case et d’un dialogue presque anodin. C’est très étrange… Et difficile de savoir si c’est une information officielle et canonique (elle n’a jamais été reprise ensuite).

En somme, Flahspoint Beyond est une proposition très originale, un brin « bordélique » (on insiste sur les guillemets – nous sommes loin des délires de Scott Snyder et son Multivers Noir par exemple), superbement illustrée, plaisante à suivre et inédite. Reste (à l’instar de Catwoman – Lonely City, chroniqué en même temps) qu’il manque quelque chose qui le rendrait davantage culte. La faute sans doute a son statut un peu bâtard : pas vraiment un récit sur Batman, pas du tout un titre sur Flash, pas non plus une fiction s’insérant dans la « chronologie officielle du Chevalier Noir », pas un one-shot indépendant, pas vraiment lié à une seule œuvre mais à plusieurs petits bouts ici et là… C’est une belle récompense pour les complétistes mais c’est probablement moins enthousiasmant pour les autres.

(Deux autres critiques intéressantes : celle des Toiles Héroïques et celle d’UMAC.)

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 mars 2023.
Contient : Flashpoint Beyond #0-6

Scénario : Geoff Johns, Jeremy Adams, Tim Sheridan
Dessin : Eduardo risso, Xermánico, Mikel Janin, Gary Frank
Couleur : Trish Mulvihill, Romulo Fajardo Jr., Jordie Bellaire, Brad Anderson

Traduction : Yann Graf
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Maurine Denoual, Sarah Grassart et Stephan Boschat)

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