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Infinite Crisis – Tome 03 : Jour de vengeance

Après un excellent premier tome et un second un peu en-deça, le troisième nous emmène à la fois dans l’ère des magiciens de DC Comics puis dans la suite des évènements du Projet O.M.A.C. et de Crise d’identité ! Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Autrefois, le docteur Bruce Gordon était le possesseur du diamant d’Eclipso qui lui permettait de contrôler cet esprit maléfique ancestral. Aujourd’hui ce dernier est libre… libre d’investir n’importe quel esprit sur Terre, même celui du plus puissant des héros : Superman ! Un problème supplémentaire qui s’ajoute à la crise de confiance qui secoue les héros de la Ligue de Justice, sur le point de dissoudre l’équipe !

[Critique]
Comme dans les tomes précédents, on se retrouve ici avec trois récits. Les deux premiers sont connectés, Éclipsé (écrit par Judd Winick) puis Jour de Vengeance, qui met en avant une équipe de sorciers par l’auteur Bill Willingham, célèbre pour son travail sur Fables puis le dernier, Crise de conscience (par Geoff Johns et Allan Heinberg), prolonge (enfin) ce qu’on avait vu côté Ligue aussi bien à la fin du Projet O.M.A.C. mais aussi le titre culte Crise d’identité.

Éclipsé suit trois épisodes provenant de séries sur Superman (Action Comics #826, Adventures of Superman #639 et Superman #216). On y découvre le « parcours » d’Eclipso, un esprit démoniaque autrefois matérialisé dans un diamant, qui peut prendre possession de n’importe qui, y compris Superman ! Cette introduction du troisième tome permet de faire la jonction avec un univers pas encore vu dans Infinite Crisis : celui de la magie. En effet, Eclipso s’infiltre dans Jean Loring (responsable du meurtre de Sue dans Crise d’identité) et acquis ainsi une sorte de forme ultime. Eclipso rend fou le Spectre (dépourvu d’un hôte), esprit de la vengeance de la colère divine, qui veut annihiler toute trace de magie dans l’Univers. Un duo redoutable et surpuissant.

Face à cette double menace, Shazam (appelé Captain Marvel à l’époque) doit s’aider d’une équipe atypique composée notamment de plusieurs magiciens et appelé le Pacte des Ombres : L’Enchanteresse, le Nightmaster, le Loqueteux, Black Alice et le Diable Bleu. En plus de ces mystiques, le détective Chimp est de la partie. Les épisodes de Jour de Vengeance (Day of Vengeance en VO) alternent les points de vue de chaque membre.

Cette longue première partie (trois chapitres puis six) est plutôt réussie, faisant la part belle à des combats dantesques (parfois confus) et un danger supplémentaire après ceux rencontrés dans les volets précédents. Une fois de plus, l’accent est mis sur des personnages très très secondaires mais l’alchimie fonctionne et ils sont tous attachants d’une manière ou d’une autre. Ian Churchill signe les superbes dessins d’Éclipsé, plein de détails, vivants et aérés, un vrai régal couplé à une colorisation « riche » en palette et nuances par Norm Rapmund. L’artiste Justiniano (Josue Rivera de son vrai nom) s’occupe de Jour de Vengance (remplacé par Ron Wagner le temps d’un épisode), avec un style relativement propre et élégant, gâché par une colorisation des visages parfois trop « fades » mais l’ensemble reste plutôt séduisant.

Crise de conscience rassemble ensuite les chapitres #115 à #119 de la série JLA. C’est carrément la suite (plus ou moins) directe de Crise d’identité ! Si quelques conséquences des secrets dévoilés durant ce titre parsemaient déjà Le projet O.M.A.C., elles trouvent leurs réels impacts ici. Pour rappel, une poignée de super-héros avaient décidé de laver le cerveau à des ennemis suite aux actes barbares de Dr. Light (il avait violé Sue). La magicienne Zatanna avait commencé par faire oublier quelques éléments dans le cerveau des ennemis avant de passer à une lobotomie (donc modifier carrément la personnalité d’une personne). Problème : Batman les avait surpris et lui-même fut victime d’une manipulation de la part de Zatanna afin d’oublier cet évènement ! Le Chevalier Noir s’était éloigné de la ligue quand il avait compris cela…

Aujourd’hui, la question se pose à nouveau puisque des ennemis de la ligue (le Sorcier, Star Sapphire, l’homme floronique, Felix Faust, le maître de la matière et Chronos) se rappellent des identités civiles des justiciers, mettant à mal la difficile cohabitation entre vie privée, protection des siens et devoir moral et héroïque. Que faire ? Reproduire les « erreurs » du passé ? Trouver une alternative ? C’est l’épineuse question qui continue de diviser la Ligue de Justice, réduite à peau de chagrin.

Cette déconstruction est particulièrement palpitante et bien écrite car on arrive à comprendre chacun des points de vue. Entre ceux qui ont désormais fonder un foyer et sont parents et veulent, naturellement, faire courir le moins de danger possible à leur entourage, ceux qui souhaitent ne pas s’en mêler mais se retrouvent au cœur de ce dilemme, ceux qui agissent comme boussole morale ou campent sur leurs positions (Batman bien sûr !), le choix est cornélien et passionnant à suivre. Autour de toutes les figures de DC mises en avant dans Crise de conscience (on retrouve à nouveau Hawkman, Flash/Wally West, Green Arrow, etc.), le Limier Martien puis Superman sont un peu « au-dessus » des autres, conférant une stature quasiment divine (normal). Ils apportent sagesse sans non plus savoir quoi faire réellement. Le Chevalier Noir occupe une place relativement importante dans cet arc, rejoint par Catwoman à la fin.

Seule ombre au tableau : la présence d’un nouvel ennemi qui… manipule mentalement certains protagonistes (cf. dernière image de cette critique – sous Hawkman qui dit « Votons. » – pour le découvrir si jamais), de quoi ajouter encore ce sentiment de déjà-vu (après Max Lord et Dr. Psycho – cf. tomes un et deux respectivement). Du reste, les scénaristes Geoff Johns et Allan Heinberg s’en sortent plus bien. Johns était déjà intervenu dans le premier volet (comme Winick d’ailleurs) et sera aux commandes de la série à laquelle la saga donne son titre (à découvrir dans les tomes quatre et cinq). Chris Batista offre des planches inégales, faute à des visages parfois peu expressifs ou mal croqués (peu aidée par les traits de l’encrage de Mark Farmer) et des fonds de cases un peu vides. Toutefois, le titre bénéficié d’un éventail de colorisation très « comic book » effectué par David Baron conjuguant donc de jolis palettes avec la dureté du propos. Un mélange qui fait mouche.

Si Crise de conscience ne s’intercalait pas dans le long puzzle qu’est Infinite Crisis, le titre aurait carrément pu être publié à part tant il fait suite à Crise d’identité. Ainsi, le lecteur n’ayant pas le temps, l’envie ou l’argent d’investir dans les cinq volumes de la saga (144 € tout de même) mais ayant aimé Crise d’identité peut probablement se prendre ce troisième tome, Jour de vengeance, pour y découvrir les conséquences. Mais attention : la conclusion (à laquelle on ajoute volontiers celle, tragique, de Jour de Vengeance) risque fortement de donner envie de découvrir la suite !

Ce troisième tome d’Infinite Crisis est donc conseillé (qu’on lise l’entièreté de la saga ou non), bénéficie d’une solide identité graphique (parfois en baisse mais globalement de qualité) et de plusieurs segments bien écrits, passionnants. Comme le souligne Urban Comics dans son avant-propos, « les dernières miniséries et arches narratives sont [désormais publiées et mènent] au bouquet final, La crise infinie, qui occupera les tomes 4 et 5 ». On a hâte !

 

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 29 mai 2015.
Contient : Action Comics #826, Adventures of Superman #639, Superman #216, Day of Vengeance #1-6, JLA #115-119

Scénario : Geoff Johns, Allan Heinberg, Bill Willingham, Judd Winick
Dessin : Ian Churchill, Justiniano, Ron Wagner, Chris Batista
Encrage : Norm Rapmund, Walden Wong, Livesay, Dexter Vines, Mark Farmer
Couleur : Beth Sothelo, Chris Chuckry, David Baron

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Infinite Crisis – Tome 05 : Crise infinie (24 €)



Infinite Crisis – Tome 01 : Le projet O.M.A.C.

Après Crisis on Infinite Earths (1985-86) puis Crise d’identité (2004), la nouvelle « crise DC Comics » (cf. index) a été publiée en 2005-2006. En France, après une distribution un peu complexe par Panini Comics dès 2006, alternant kiosque et librairie, Urban Comics a proposé la série et ses nombreux titres annexes à partir de 2014 dans une saga en cinq volumes (Infinite Crisis donc) et une seconde en quatre tomes (52, constituée de la longue série éponyme qui se déroule après). Geoff Johns fut l’un des architectes de ce nouveau chamboulement avec en particulier Greg Rucka sur ce premier tome. Découverte d’un récit majeur et d’un crossover ambitieux ; incontournable ?

[Résumé de l’éditeur]
Quand Blue Beetle, justicier peu considéré par ses pairs de la Justice League, enquête sur la mise en faillite de sa compagnie, celui-ci découvre un complot visant à annihiler toute la population métahumaine de la planète. Pire, ce projet OMAC risque de porter un coup fatal aux liens unissant Superman, Wonder Woman et Batman, et de se répercuter sur l’ensemble des justiciers.

[Introduction d’Urban Comics]
Pour une meilleure compréhension, il convient de copier/coller l’introduction du premier tome proposée par Urban Comics (le résumé de l’éditeur est suffisant au demeurant car il revient déjà sur le début de l’histoire, c’est-à-dire l’épisode spécial Countdown to Infinite Crisis #1, renommé Compte à rebours en français. Le reste du volume est constitué de deux autres récits qui y font directement suite : la mini-série Le projet O.M.A.C. (OMAC Project #1-6) entrecoupée par Sacrifice, (compilant quatre chapitres principalement issus des séries sur Superman (Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642) et Wonder Woman #219).

Aux quatre coins de l’univers…

Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern… les nombreux super-héros de l’univers DC ont, depuis leur création, partagé des aventures communes, tout d’abord dans les pages d’All-Star Comics, au sein de la Société de Justicie, puis dans celles des séries World’s Finest (qui associait Superman et Batman), Justice League of America (la célèbre Ligue de Justice) ou The Brave and the Bold (où se succédaient différents tandems de héros). Au fil du temps et des évolutions éditoriales, ces récits d’alliances entre héros et vilains se sont faits plus riches et plus complexes, aboutissant à la création d’un véritable « univers DC » avec ses cités imaginaires, ses planètes extraterrestres et, surtout, son histoire, rythmée par les Crises (cf. index du site) que surmontèrent de concert l’ensemble de ces personnages.

En 2005, les scénaristes Geoff Johns, Judd Winick, Greg Rucka, Gail Simone, Dave Gibbons et Bill Willingham sont réunis sous la supervision éditoriale de Dan DiDio pour élaborer une vaste saga qui durera un an, se déroulera en plusieurs mini-séries et récits complets, et touchera l’ensemble des titres de la maison d’édition. Le récit, foisonnant, démarre le plus simplement du monde, par l’enquête d’un super-héros de second plan, Ted Kord dit Blue Beetle, qui découvre une machination visant la population surhumaine de la planète. Dans ce premier chapitre, narré en « compte à rebours », le lecteur explore, via l’enquête de Beetle, les méandres de l’univers DC : des bas-fonds des villes où se terrent les mystiques ou autres super-vilains, aux planètes lointaines où des armées de différents mondes se livrent une guerre sans merci.

Le fond de l’intrigue reste néanmoins résolument humain, et une  révélation dramatique va déclencher une prise de conscience au sein  de la trinité héroïque de Superman, Batman et Wonder Woman. Ces trois héros vont se retrouver face à leurs contradictions : la puissance de Superman, le code d’honneur de Wonder Woman  et l’esprit stratégique de Batman se retournant contre eux pour  devenir des armes aux mains d’ennemis mystérieux.

Les auteurs vont ainsi puiser dans l’histoire « post-Crisis » de DC Comics (après 1986 et la refonte de leur univers) les bases du confit qui va les animer. Les visions de Superman évoquent ainsi ses ennemis passés mais également son plus grand échec : quand il dut se résoudre à tuer trois Kryptoniens renégats d’une dimension parallèle. Wonder Woman, elle, garde tout son calme quand elle s’oppose à l’Homme d’Acier, mais cette confiance en soi inébranlable, héritage de son éducation amazone, la fera franchir une limite de façon irréversible. Quant à Batman, sa méfiance persistante envers ses équipiers va le conduire à l’irréparable, mettant en danger la vie même de ceux qu’il aime.
Enfin, la Ligue de Justice elle-même va devoir assumer ses exactions  passées : le lavage de cerveau du Dr Light et d’autres super-vilains,  suite à l’agression de leurs amie, Sue Dibny (voir Justice League – Crise d’identité).
Ce sont les doutes et les faiblesses de ces surhommes trop humains qui vont constituer le principal moteur de ces cinq tomes. Au terme de ceux-ci, les héros et leur univers se verront modifiés à jamais…

[Critique]
Ce premier tome d’Infinite Crisis réussit un sacré tour de force en brassant tous les genres (aventure, thriller, drame, science-fiction…) avec un rythme sans faille (on ne s’ennuie jamais) et de nombreux rebondissements (peu prévisibles) tout en mettant en avant une galerie de protagonistes assez vaste mais sans jamais perdre le lecteur – aussi bien fan de longue date que le nouveau venu. Bref, c’est une excellente bande dessinée qui inaugure une saga (et une crise) de façon alléchante !

L’introduction captive d’emblée en usitant des techniques simples mais efficaces. D’abord l’empathie envers Ted Kord (second Blue Beetle) – à l’instar de Ralph Dibny (Extensiman) dans Crise d’identité, qu’on conseille de lire de base mais qui permet de comprendre pourquoi les relations sont tendus entre certaines personnes ici – qu’une majorité de lecteurs va probablement découvrir dans ce titre. On s’attache aisément à ce justicier de seconde zone (délaissé voire méprisé par les demi-dieux qui l’entoure) qui plonge au cœur d’une énigme. C’est justement le second point passionnant : les mystères, les meurtres… Qui se cache derrière tout cela ? On le sait assez rapidement : Max Lord à la tête de l’organisation Checkmate (qu’il a détourné de ses buts initiaux). Mais les apparences sont trompeuses et tout n’est pas aussi simple que cela.

Brillant homme d’affaires, Maxwell Lord cache un pouvoir surpuissant : il peut manipuler mentalement n’importe qui (ce qui lui cause des saignements de nez). Pourtant, le leader de Checkmate voue une haine envers les méta-humains et prévoit leur mort multiple grâce au fameux projet O.M.A.C. Derrière cet acronyme (Organisme Métamorphosé en Armée Condensée) se cache en réalité « l’Œil », un puissant satellite d’espionnage conçu par… Batman (et bien sûr l’inspiration du titre éponyme de Jack Kirby) ! Tout ceci est assez vite révélé dans le comic book. Fruit d’une réflexion (notamment car Bruce Wayne a découvert ce qu’il s’était passé durant Crise d’identité – on y revient toujours – et sait qu’une partie des justiciers a franchi une limite) et d’une conception technologique extraordinaire, « l’Œil » est détourné par Max Lord qui avance avec ses soldats (les fameux « pions » de l’échiquier / Checkmate) et son pouvoir en complément !

Une triple menace extrêmement dangereuse qui cause donc du tort aux super-héros. Si Blue Beetle est assassiné (ce qui est dévoilé sur la couverture du livre (illustrée par Jim Lee et Alex Ross) et dans les résumés [1] – c’est un peu dommage mais on le sent venir assez vite), c’est qu’il commençait à découvrir la vérité… De quoi rendre fous les meilleurs détectives qui ne comprennent pas ce qu’il se passe réellement. Incluant Batman lui-même qui peut peut compter sur la complicité de Sasha Bordeaux, son ancienne garde du corps et amante. Une femme créée et découverte dans New Gotham (rapidement dans le moyen premier tome et davantage dans le troisième et au cœur de la chouette saga Meurtrier et Fugitif – pas encore chroniquée sur ce site). Il n’est absolument pas important de ne pas connaître Sasha en amont.

Cette longue histoire (et investigation) est donc au cœur de ce premier tome où les personnages principaux sont surtout Blue Beetle puis Batman, Sasha et Max Lord, complémentés par Superman et Wonder Woman (Booster Gold et quelques Green Lantern sont de la partie aussi – l’héritage de la Justice League International en somme avec Guy Gardner, Fire…). L’homme d’acier est d’ailleurs au centre d’un récit intercalé, Sacrifice, qui le suit quelques jours durant lesquels il semble ne plus être lui-même. Pire : Superman a combattu Batman et l’a gravement blessé ! Clark Kent ne se souvient de rien…

Le puzzle (cérébral notamment, vaguement émotionnel) s’assemble au fil des chapitres, étalés sur près de trois cent pages. Entre une certaine audace (et prise de risque), le titre peut décontenancer par ce qu’il ose mais aussi par son absence de moments plus légers – même Crise d’identité avec quelques remarques humoristiques pour désamorcer un peu les situations, ce n’est pas le cas ici où la tonalité globale est sombre. Les menaces sont multiples et dangereuses, imprévisibles ; la fiction est jonchée de plusieurs cadavres et de tournures dramatiques inéluctables, des choix extrémistes, qui mettent à mal l’ADN de la figure héroïque.

Seule une partie de la conclusion semble un peu trop rapidement exécutée, un brin soudaine et manquant d’une dimension épique mais ce n’est pas très grave. Le récit arrive à emporter le lecteur aisément qui n’a qu’une envie : lire la suite une fois la dernière page tournée (même si la BD trouve une certaine « extension » à la fin grâce à des fiches de personnages fournies, sur Blue Beetle, Booster Gold, Green Lantern III, Fire, Sasha Bordeaux et Max Lord – sans compter les habituels bonus comme les couvertures alternatives, etc.).

À ce stade, Infinite Crisis n’a pas (encore) de réels enjeux cosmiques ou liés au multivers, on sent la ramification mais ce n’est pas dérangeant. On est davantage dans un polar de science-fiction voire un « techno thriller » (intelligence artificielle, nanotechnologies, satellite d’espionnage, conspiration…) enrobé par les traditionnels figures de DC Comics, à commencer par la Trinité, de plus en plus déshumanisée (ou désenchantée, c’est selon) – là aussi un aspect peut-être clivant pour certains.

Même si le titre remonte à 2005 il n’a pas pris une ride (à deux ou trois rares exceptions près) et demeure intemporel, résolument moderne (voire toujours tristement d’actualité) ! Il faut bien sûr savoir suspendre sa crédulité pour apprécier pleinement tous ces enjeux et des séquences un peu « faciles » (la manipulation mentale, une solution toujours un peu aisée pour justifier ce que l’on veut, l’avancée technologique parfois improbable, etc.). Il ne s’agit pas vraiment de défauts tant l’écriture est maîtrisée – haletante – avec une (petite) réflexion sur les limites héroïques (une introspection plus ou moins prononcée – à nouveau la morale mais aussi les erreurs d’icônes déifiés). Les seuls réels « points faibles » (on insiste sur les guillemets) seraient plutôt à trouver du côté des graphismes (on en parle plus loin).

Au niveau des crédit, c’est un sacré festival. Sur Compte à rebours on retrouve au scénario Geoff Johns, Greg Rucka et Judd Winick. Un trio de valeurs sûrs. Johns est devenu incontournable en parallèle de cette saga et également par la suite sur ses nombreux travaux : Geoff Johns présente Green Lantern / Superman / Flash, Batman – Terre Un, Flashpoint, DC Universe Rebirth, Doomsday Clock, Trois Jokers, Justice League… Rucka avait notamment magnifié l’univers du Chevalier Noir dans Gotham Central (on lui doit aussi plusieurs chapitres de No Man’s Land et ses suites dont New Gotham et Meurtrier et Fugitif, déjà évoqué plus haut, cf. cet index, mais aussi Joker – L’homme qui rit par exemple). Winick a signé, entre autres, L’Énigme de Red Hood et les premiers tomes de Catwoman. Trois auteurs habitué à Batman donc, et ça se ressent tant il occupe une place importante.

Comme annoncé plus haut, les dessins sont inégaux mais globalement de bonne facture, malgré un manque flagrant d’homogénéité graphique et des visages parfois peu élégants. Rags Morales, Ed Benes, Jesus Saiz, Ivan Reis et Phil Jimenez en sont les responsables pour cette introduction d’environ soixante-dix pages ! Heureusement, la mini-série Le projet O.M.A.C. conserve une cohérence visuelle. Greg Rucka signe l’intégralité des textes et Jesus Saiz les dessins, épaulé par Cliff Richards pour les trois derniers chapitres (tous colorisés par Hi-Fi). En revanche, les quatre épisodes de Sacrifice provenant de quatre séries différentes, on enchaîne sur (presque) quatre équipes artistiques différentes… Dans l’ordre (avec chaque fois le scénariste puis le dessinateur) : Mark Verheiden et Ed Benes (Superman #219), Gail Simone et John Byrne (Action Comics #829), Greg Rucka et Karl Kerschl ainsi que Derec Aucoin (Adventures of Superman #642), Greg Rucka et Rags Morales, Davis Lopez, Tom Derenick, Georges Jeanty et Karl Kerchl (cinq au total pour un seul chapitre !). Total de l’ensemble : douze dessinateurs, quinze encreurs additionnels et huit coloristes…

Cela n’empêche pas de reconnaître « qui est qui » (merci les costumes côté super-héros et le peu de têtes différentes côté humain) ni d’avoir quelques segments graphiques enlevées (souvent éclatées sur une double page) mais ça reste un brin dommage. Néanmoins, ce solide premier tome remplit toutes ses promesses (tout en en annonçant de nouvelles) et se relève donc incontournable dans la mythologie de DC (donc dans notre rubrique coups de cœur). Attention tout de même, à voir ce que donneront les quatre prochains volumes qui formeront donc l’entièreté d’Infinite Crisis. En attendant, cette salve d’ouverture est prometteuse et on en redemande !

[1] Le premier tirage de la couverture de Countdown to Infinite Crisis (vendu 1 $ les 80 pages) masquait l’identité du corps défunt que porte Batman. Dès le second tirage (passé à 1,99 $) la victime est révélée (Blue Beetle donc), cf. images ci-dessous. C’est la seconde qu’a choisi Urban pour son édition.

Le récit ouvrait sur quatre autres mini-séries : The OMAC Project (présent dans le même tome), Rann-Thanagar War et Villains United (inclus dans le second volume) et Day of Vengeance (dans le troisième). La « vraie » série Infinite Crisis (Crise infinie) est dispatchée dans les deux derniers opus.

   

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 12 septembre 2014.
Contient : Countdown to Infinite Crisis #1, OMAC Project #1-6, Superman #219, Action Comics #829, Adventures of Superman #642 et Wonder Woman #219.

Scénario : Greg Rucka, Geoff Johns, Judd winick, Gail Simone…
Dessin : Jesus Saiz + collectif (voir critique)
Encrage : Collectif
Couleur : Hi-Fi + collectif

Traduction : Edmond Tourriol (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Batman : Terre-Un (tome 03)

Enfin ! Après huit ans et demi d’attente, le troisième et dernier volume de la série Batman Terre-Un, initiée par le scénariste Geoff Johns et le dessinateur Gary Frank, sera en vente à partir du 4 mars 2022. Rappelons que la gamme Terre-Un (Earth One en VO) est composée de récit elseworld (monde parrallèle) en marge de la continuité dite « classique », c’est-à-dire une revisitation des univers des héros de DC Comics (Superman, Green Lantern et Wonder Woman y ont droit aussi – cf. fin d’article) qui ne nécessite aucun pré-requis pour se plonger dedans. Mais attention, les différences avec la mythologie « officielle » de chaque justicier y sont légion, à commencer par celle du Chevalier Noir bien sûr. Rappel des tomes précédents et critique de cette conclusion tant attendue.

[Contexte : rappel des deux premiers volets]

Le premier tome, sorti en août 2013 chez nous, nous présentait un Bruce Wayne impulsif faisant ses premiers pas en tant que Batman inexpérimenté, violent, arrogant voire antipathique. Vaguement épaulé par un Alfred ancien militaire, Bruce/Batman tentait de résoudre le mystère de la mort de ses parents. Est-ce le maire Copplebot qui l’avait commanditée pour ne pas avoir d’opposant à la réélection municipale ? De son côté Gordon se rachetait une conduite en arrêtant de fermer les yeux sur des délits mineurs et stoppant nette la corruption qui gangrenait son service. Il avait embarqué la pétillante star de la télévision (!) Harvey Bullock bon gré mal gré dans sa croisade. Ce dernier, découvrant l’horreur absolu d’un tueur en série de jeunes filles tomba alors en dépression et dans l’alcoolisme.

La critique est toujours disponible sur le site (elle aurait peut-être besoin d’être remaniée/réécrite vu l’époque de sa mise en ligne…). Mais, en synthèse, nous avions droit aux fondations communes du Chevalier Noir sous un nouvel enrobage über réaliste et violent. Un univers familier donc, mais paradoxalement différent. Une réussite en tous points. En le relisant en 2022, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il a nourri l’inspiration des scénaristes du film The Batman, du moins pas rapport aux premières images dévoilées (même si les auteurs ont évoqué sept autres comics comme matrice de leur long-métrage).

Le second volume, proposée en février 2016, prolongeait évidemment le récit de ce « nouveau » Batman. Encore à ses débuts, il doit cette fois faire face à plusieurs menaces. Tout d’abord un mystérieux homme crocodile vivant dans les égouts (Killer Croc donc – in fine ni un ennemi, ni une brute sanguinaire, presque un allié !), ensuite Harvey Dent, colérique et ayant Wayne dans le viseur (c’est finalement sa sœur, Jessica – la maire de Gotham et flirt de Bruce – qui pourrait muter en Double-Face, son frère étant à priori mort !) et enfin le Sphinx. Un terroriste énigmatique tuant plusieurs personnes (pour n’en cibler en réalité qu’une parmi ces foules) et mettant à rude épreuve le Chevalier Noir. Celui-ci peut toujours compter sur l’aide de Gordon, tous deux établissent bien vite une coopération mutuelle, apprenant l’un de l’autre efficacement. Alfred est toujours de la partie, alternant les sages conseils et la virulence (verbale et physique) nécessaire à la quête de son protégé. Bullock en retrait restait profondément empathique, Barbara était simplement évoquée (alors qu’elle croquait son costume de Batgirl à la fin du tome précédent – donc on s’attendait à la voir), Lucius Fox s’occupe des gadgets et équipement de Betman et Catwoman croisée dans un appartement (sans savoir qu’il s’agissait d’elle dans un premier temps – elle devrait en toute logique figurer dans le troisième livre).

Là aussi, la critique complète est en ligne pour ce second volume tout aussi excellent que le premier, si ce n’est davantage ! Une course contre la montre effrénée, brutale et intelligente. Clairement un sans-faute qui continue de nourrir cette itération maline du Dark Knight sous des traits réalistes et sans concession. Une fois de plus, la série est accessible à n’importe qui et propose de solides bases qui mérite un enrichissement brillant et une conclusion à la hauteur. C’est la promesse du troisième et dernier tome, en vente dès mars 2022. Découverte.

[Résumé de l’éditeur]
Après la mort de son frère, le nouveau maire de Gotham, Jessica Dent se remet de ses blessures et est décidée à faire de la ville un endroit à nouveau sûr. De son côté, Batman continue sa croisade contre le crime, s’associant avec de nouveaux alliés surprenants comme Killer Croc ou une voleuse d’exception : Catwoman !

« Dans ce troisième volet de leur relecture moderne et réaliste de la légende de Batman, Geoff Johns et Gary Frank replongent l’apprenti justicer dans les complexités de la politique urbaine et les tréfonds de l’âme humaine. L’héritier de deux lignées, les Wayne e les Arkham, devrai faire face à la folie et aux fantômes du passé… »

[Histoire]
Un mois après la mort de Harvey Dent (voir fin du tome 2), Bruce, Alfred et Waylon (Killer Croc – au courant de l’identité de Batman donc) creusent des tunnels dans les égouts de Gotham, surnommés le Labyrinthe d’Arkham, afin de trouver un espace suffisamment grand pour cacher « la voiture » (la Batmobile, créée par Lucius Fox et ses ingénieurs) et une base d’opérations (la Batcave).

De son côté, Jessica Dent se remet de sa blessure au visage et reprend ses fonctions de maire, épaulée par Bruce. La ville est moins dangereuse depuis que la police, emmenée par Gordon, est moins corrompue et que le Batman combat l’injustice. Mais quand Adrian Arkham, homme fou à la rue est retrouvé dans un asile abandonné, Bruce Wayne est dépassé : il s’agit de son grand-père, normalement mort !

Dans l’ombre, les gangs de la ville obéissent à une mystérieuse personne qui va commanditer une guerre civile. Heureusement, le Chevalier Noir peut compter sur ses outsiders, rejoints par Catwoman.

[Critique]
Drôle de « conclusion ». Le livre s’achève sur une fin ouverte (sans surprise) qui frustre par ce qu’elle montre tant cela donne envie de prolonger à nouveau cet univers de Terre-Un ! Néanmoins, tout ce qui précède cet aboutissement comporte son lot de qualités et de défauts. La bonne surprise réside dans l’alliance inattendue avec Waylon qui fonctionne à merveille, surtout ses échanges avec Alfred. L’altruisme de Bruce, envers Jessica, envers Gotham City, envers ses ennemis… parsème le récit, couplé à de nombreux plans sur les yeux (déjà dans le deuxième tome), accentuant avec sincérité cette humanité (et parfois avec une pointe d’émotions). Le rythme est toujours aussi haletant, cette impression de course contre la montre effrénée dont on distingue mal de prime abord tous les enjeux.

La faute à de multiples intrigues plus ou moins bien narrées. D’un côté les mystères autour de Jessica Dent, avec des rebondissements plus ou moins prévisibles mais qui restent intéressants. D’un autre la dimension un peu étrange avec le grand-père de Bruce, évoquant une malédiction de trois siècles sur sa famille – ce qui n’est pas sans rappeler Curse of the White Knight et donc un élément qui s’insère moyennement dans cette itération de Batman, profondément encrée dans le « réel » et l’urbain. Heureusement Geoff Johns rattrape brillamment ces égarements sur ce sujet avec une pirouette scénaristique plutôt habile bien qu’un peu tardive et « facile ». Au moins, le mystère autour de la mort de la mère de Martha Wayne (donc la grand-mère de Bruce) est levé ; il était abordé dès le premier tome.

Du reste, on suit tout de même avec un certain plaisir l’évolution de Bruce et de Batman. Catwoman est à la fois proche de l’ADN du personnage mais éloignée par son costume un peu ridicule. Ce troisième volume est aucun doute le moins bon des trois mais ça ne veut pas dire qu’il est mauvais. Un peu mitigé à la lecture il est vrai, surtout après les deux excellents précédents tomes qui avaient placé la barre très haut. Néanmoins, en enchaînant les trois titres, on apprécie la cohérence globale de l’œuvre (une intégrale pourrait voir le jour dans quelques années tant l’ensemble s’enchaîne brillamment et sur une courte durée). À défaut d’un scénario de Geoff Johns plus haletant, on apprécie les traits de Gary Frank, très en forme. Les deux artistes venaient d’achever l’immense Doomsday Clock et Johns une foule de projets divers (cf. le récapitulatif de Trois Jokers qu’il a écrit aussi), retardant cette troisième salve de Batman : Terre-Un.

Gary Frank est une fois de plus entouré de Jon Sibal à l’encrage et Brad Anderson à la colorisation, conférant une fois de plus des planches somptueuses lors des pleines pages et toujours un travail de l’ombre particulièrement soigné (voir les nombreuses images en fin de critique). Des traits toujours réalistes, épousant la volonté d’une série d’être « plausible » dans notre propre monde. Graphiquement, il y a peu à redire et ceux qui ont aimé les deux premiers tomes n’ont pas de raison de faire l’impasse sur ce dernier, même s’il lui manque un côté plus épique ou avec des ennemis plus « célèbres » pour terminer en beauté… Ces « nouvelles origines » ont été séduisantes et sont particulièrement accessibles, c’est une série qu’on conseille donc et qui faisait déjà partie des coups de cœur du site dès son premier tome (on inclut volontiers le second dans la sélection).

On notera également que le 8 juin prochain, dans sa nouvelle opération estivale, entièrement dédiée au Chevalier Noir (article à venir), Urban proposera le premier tome de Terre-Un pour 4,90€ seulement ! De quoi lire l’intégralité de la série pour 36,90€ au lieu de 48€ (si avoir une collection dépareillée ne vous dérange pas, bien entendu).

La gamme Terre-Un/Earth One touche d’autres super-héros de DC Comics. Accessible, originale et souvent signée par des artistes de renom, elle est bien sûr recommandée. En France, on peut lire les deux tomes sur Superman, les deux sur Wonder Woman, les deux sur Green Lantern et les trois sur Batman bien sûr. Deux sur les Teen Titans existent en anglais. Aquaman et Flash n’ont pas encore eu l’honneur d’apparaître dans cet univers mais c’est normalement en cours de réalisation.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 4 mars 2022.

Scénario : Geoff Johns
Dessin : Gary Frank
Encrage : Jonathan Sibal
Couleur : Brad Anderson

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Sabine Maddin et Stephan Boschat (Studio Makma)

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