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Batman Arkham – Le Sphinx

Ce cinquième volume (sur six) de la collection Batman Arkham se concentre sur Le Sphinx, alias The Riddler en VO, ou encore L’homme-mystère en français ou E. Nigma (de son vrai nom Edward Nigma). Comme les précédents tomes, celui-ci reprend une partie du contenu de son homologue US. Découverte et critique des neuf histoires qui composent le titre, depuis l’apparition du Sphinx en 1948 à son évolution moderne des dernières années, de Bill Finger à Scott Snyder, en passant, entre autres, par Neil Gaiman et Chuck Dixon.

 

Le SphinxDetective Comics #140 (1948)
Scénario : Bill Finger | Dessin : Dick Sprang

Un nouvel ennemi fait son apparition dans Gotham : le Sphinx ! Féru de devinettes, il n’hésite pas à provoquer Batman et Robin pour annoncer ses crimes. Mais Edward Nigma triche pour réussir ses défis et s’assurant la victoire.

La toute première apparition du Riddler ! Forcément, il y a un petit aspect vintage qui prête à sourire en lisant les échanges entre Batman et Robin, entre les protagonistes qui expliquent bien ce qu’ils sont en train de faire pour ne pas dérouter le lecteur. Le charme nostalgique des comics de l’époque… Du reste, au-delà d’être un récit important qui a façonné un ennemi entré au panthéon de la galerie de vilains de Gotham, le chapitre réussit à tenir en haleine et proposer une certaine originalité (surtout au moment de sa publication) avec moins de violence, pas d’armes à feux mais simplement de la ruse. Indispensable pour découvrir les origines du Sphinx !

Le concours de casse-tête criminels !Detective Comics #142 (1948)
Scénario : Bill Finger | Dessin : Dick Sprang

Le Sphinx promet des récompenses pour ceux qui résoudraient ses énigmes. Citoyens, malfrats et policiers se ruent donc dès qu’ils réussissent à trouver la solution des énigmes (peu compliquées) du criminel. En réalité, Nigma profite de ses mouvements de foule pour commettre des vols et faciliter sa fuite grâce aux attroupements !

Suite quasi directe de l’épisode précédent, on reste dans la même veine sur la forme et le fond (avec un travail de traduction à souligner, cf. conclusion générale). En deux épisodes, le (pas encore) célèbre ennemi est croqué et incarné. Mais à ce stade de publication, il pourrait être un énième vilain aléatoire ou interchangeable. C’est d’ailleurs presque ce qu’il se produit car le Sphinx disparaît du parcours éditorial de Batman chez DC Comics pendant presque dix-sept ans puisqu’il réapparaîtra uniquement en 1965, juste à temps pour gagner en popularité et être choisi pour faire partie de la distribution de la série TV des années 1960.

La mort de Batman !The Brave and the Bold #183 (1982)
Scénario : Don Karr | Dessin : Carmine Infantino

Le Sphinx reçoit une mystérieuse aide pour s’évader du pénitencier de Gotham. En parallèle, un vieil auteur de romans est kidnappé, un jeu de cartes est laissé pour Batman qui va devoir suivre un jeu de pistes, aidé par… le Sphinx ! L’improbable alliance va devoir se serrer les coudes pour savoir qui se cache derrière cette mise en scène rappelant, forcément, celle du Riddler…

Après deux chapitres de l’Âge d’Or des comics, place à (la fin) de l’Âge de Bronze et son tournant « moderne », déjà un peu sombre et avec une approche « réaliste ». Ici, le Chevalier Noir s’allie avec le Sphinx, dans un récit hautement bavard, parfois compliqué en terme de logique mais, in fine, plutôt habile et original avec une vraie relation inédite entre le héros et son ennemi. Nigma conserve toujours son justaucorps vert moulant pourvu de points d’interrogations mais a troqué ses éléments vestimentaires violets pour du noir. Un épisode efficace, qui tranche avec les deux précédents, inaugurant un tournant dans ce recueil.

« Quand » est une porte ? – Les origines secrètes du SphinxSecret Origins Special #183 (1989)
Scénario : Neil Gaiman | Dessin : Bernie Mireault

Une équipe de télévision est conviée dans un entrepôt où se situent tous les accessoires et ustensiles géants qu’a utilisé le Sphinx durant sa carrière. Le célèbre Riddler les accueille même pour répondre à leur question et narrer ses origines.

À l’époque de la publication de ce chapitre (octobre 89), la veine « Grim and gritty » est entamée dans le parcours éditorial du Chevalier Noir qui a enchainé les succès critiques et commerciaux, les désillusions mythiques et les virages radicaux : The Dark Knight Returns (1986), Année Un (1987), Killing Joke (1988), Un Deuil dans la Famille (1988-89) – Arkham Asylum (1989) arrivera quelques semaines après « Quand » est une porte ? écrit par le célèbre Neil Gaiman. Pourtant ici, pas d’approche sombre, pas de Batman violent ; il est même absent de l’épisode. Nigma revisite ses origines en les contant lui-même, mentionnant quelques anecdotes lues juste avant dans l’ouvrage. Jouant aussi bien avec les mots et les fausses énigmes que l’approche graphique, très « arty/indépendante » et extrêmement colorée, ce chapitre sonne à la fois comme une conclusion à une longue ère du Sphinx dans les comics et un nouveau départ. In fine, on ne comprend pas trop où veut en venir l’auteur… Pétard mouillé ? Plus ou moins, le chapitre a le mérite de proposer un parti pris singulier mais clivant. On note aussi l’utilisation du nom Nashton, parfois emprunté ou échangé à Nigma. En synthèse, l’épisode le plus étrange de la bande dessinée, à la fois frustrant (on y apprend rien et il ne débouche sur rien) mais hypnotisant.

Questions à choix multiples !Detective Comics Annual #8 (1995)
Scénario : Chuck Dixon | Dessin : Kieron Dwyer

Enfermé à Arkham, Nigma raconte à ses interlocuteurs (derrières un miroir sans tain) son histoire. Son passé, ses envies, son désir vital d’être respecté…

On revisite (encore) les origines du Sphinx – en VO le surtitre du chapitre se nomme Year One – mais cette fois à travers un peu plus d’une cinquantaine de pages et sous le prisme un plus « dark » pré-annoncé et collant davantage à l’époque. Ici, Nigma convoque son enfance banale, brimée par d’autres écoliers d’un côté, assoiffé de connaissances d’un autre, cherchant «simplement » à être respecté à défaut d’être (re)connu. Il martèle qu’il n’a aucun talent, si ce n’est sa fascination et facilité à résoudre des devinettes et, quand il n’y arrive pas, à tricher pour gagner. En somme, rien de très nouveau (surtout après avoir lu les histoires précédentes) mais clairement la meilleure origin story qui n’a pas vieilli. Cet épisode est publié en juillet 1995, soit quelques jours après la sortie du film Batman Forever où le Riddler était incarné par Jim Carrey, dans une veine nettement plus proche de la série TV des années 1960 (et, de facto, des premiers comics sur le célèbre vilain). D’autres comics surferont sur ce regain de popularité, comme le chapitre ci-après, mis en vente également en juillet 1995 pour accompagner le long-métrage.

La boîte aux devinettesBatman : Riddler #1 (1995)
Scénario : Matt Wagner | Dessin : Dave Taylor

Le Sphinx est extrêmement populaire : il anime chaque semaine une émission clandestine qu’il diffuse à la télévision. Dans celle-ci, il soumet son public à des devinettes et jeux trash afin de colporter des rumeurs sur une personnalité de Gotham. Les risques sont extrêmes : Nigma dévoile des secrets morbides, changeant radicalement la réputation de ses cibles. La prochaine ? Bruce Wayne… En parallèle, Batman et Gordon enquêtent pour trouver le lieu d’enregistrement de l’émission et arrêter une bonne fois pour toute le maître des devinettes, toujours assoiffé de reconnaissance.

Voilà un nouvel épisode long (une cinquantaine de pages à nouveau) particulièrement palpitant. Le récit tient aisément en haleine son lecteur tout en proposant des énigmes qu’on peut découvrir soi-même (à l’inverse de certaines autres précédentes, pas toujours compréhensibles). Si les dessins sont parfois sommaires (faute à une colorisation criarde), l’alternance entre les séquences sombres de Batman/Gordon et celles, très vives et colorées, de Nigma et ses sbires forme un ensemble plutôt agréable. On tient le premier titre du livre (pile à sa moitié) qui propose enfin une véritable enquête moderne sans flash-backs ou narrant les origines du Sphinx. L’ennemi ne semble pas très dangereux (de prime abord) mais c’est, une fois de plus, son ego – et son pathos – qui servent le titre. Le célèbre ennemi alterne ses deux costumes principaux : un élégant smoking vert et pourpre ou son historique justaucorps moulant pourvu de points d’interrogations.

L’énigme première !Batman : Legends of the Dark Knight #109-111 (1998)
Scénario : Steve Englehart | Dessin : Dusty Abell

Batman chute après un affrontement avec le Sphinx et s’électrocute. Sous le choc, il s’en sort péniblement mais semble différent. Pendant ce temps, Nigma continue d’annoncer ses méfaits à travers des énigmes…

Composée de trois chapitres (… dangereuse, animale et brève, … sans doute la seule énigme qui nous diminue quand on s’avoue vaincu et … comme une âme en peine), L’énigme première ! est le récit le moins réussi jusqu’à présent (et de l’œuvre complète). En tombant dans le vide après un combat contre le Sphinx, Batman se fait électrocuter et y perd une partie de « son âme ». On ne comprend pas très bien si c’était volontairement souhaité par Nigma ou un heureux hasard pour lui. Quoiqu’il en soit il se retrouve plus ou moins en possession de l’esprit du Chevalier Noir (!). Wayne, quant à lui, est profondément perturbé par son expérience de mort imminente et dans un état presque léthargique. Ajoutez un gamin sans intérêt dans l’histoire, des femmes avides de relations charnels avec Bruce Wayne et/ou son alter ego en cape et vous aurez les pires ingrédients pour servir un récit globalement mal dessiné (l’impression de voir du cell-shading loupé)… Confus mais pas totalement raté, le titre gagne en intérêt dans sa seconde moitié, Batman y est piégé comme dans la saga Saw (voir planche tout en bas de l’article). Un des rares passages passionnants mais qui ne sauve pas l’ensemble. Dommage de ne pas avoir pioché dans le contenu VO sacrifié en VF avec soit un autre chapitre un peu vintage, comme When Riddled by the Riddler de Doug Moench publié en 1983 (Batman #362), ou les plus récents E. Nigma, Consulting Detective et Honor Among Thieves, tous deux signés Paul Dini (Detective Comics #822 et #837, en 2006 et 2007) – déjà proposé en VF dans Paul Dini présente Batman. Certes cela aurait « doublonné » deux épisodes, mais ils auraient également pu être remplacés (ou complémentés) par deux autres, toujours issus de la version US : The House the Cards Built (Joker’s Asylum II : The Riddler #1 de 2010) et Riddler in the Dark (Legends of the Dark Knight 100-page super spectacular #2 de 2014).

Une nouvelle aubeBatman Confidential #26-28 (2009)
Scénario : Nunzio DeFillipis et Christina Weir | Dessin : José Luis Garcia-Lopez

Un nouvel ennemi sévit dans Gotham : Tut. L’homme caché derrière se dit être la réincarnation d’un pharaon et tue certaines personnalités en clamant des… énigmes ! Impossible que le Sphinx soit derrière ce nouveau criminel puisqu’il est enfermé. Gordon et Batman décident de le libérer pour requérir son aide. Le Chevalier Noir s’allie donc avec Edward Nigma pour comprendre qui est derrière Tut et comment anticiper ses crimes.

Nettement plus réussi que le récit précédent, Une nouvelle aube (également en trois parties/chapitres), apporte une certaine originalité entre l’antagoniste pharaonique (malheureusement peu mémorable) et l’alchimie du binôme Batman/Sphinx qui fonctionne particulièrement bien – on en veut encore ! La propreté des dessins et l’efficacité du découpage des planches confèrent un rythme qui tient en haleine, bien équilibré entre action et réflexion. Probablement un des meilleurs titres du comic.

SolitaireBatman #23.2 (2013)
Scénario : Scott Snyder et Ray Fawkes | Dessin : Jeremy Haun

Le Sphinx s’introduit en plein jour durant des manifestations violentes au siège des Entreprises Wayne. Un lieu familier qu’il arpente sagement, entouré de certains de ses complices ou apte à affronter les gardes…

Déjà publié dans Batman Saga – Hors-Série #05 (Forever Evil) en mai 2014, ce chapitre fait écho à L’An Zéro, segment important également signé Scott Snyder qui modernisait les origines de Batman et proposait le Sphinx en l’un des trois ennemis principaux du double titre (tome 4 et tome 5 de la série Batman). Ici, c’est peut-être le récit qui a le moins d’intérêt de façon intrinsèque mais entre les planches hyper soignées et les énigmes efficaces, on apprécie cet ultime épisode en guise de conclusion.

Conclusion générale :

Sans surprise, les fans du Sphinx doivent absolument se procurer ce volume. Un seul loupé dans la sélection (qui s’étale sur trois chapitres, aisément remplaçables par d’autres – cf. critique et paragraphe suivant). Si les segments sur l’homme-mystères sont, forcément, inégaux, on balaye efficacement son évolution « burlesque » à « dangereuse » avec des récits majoritairement inédits en France et plus ou moins originaux. Malgré quelques redites (sur ses origines entre autres), on se plaît à suivre un criminel souvent relegué au second plan. Bien sûr on aimerait en lire davantage, dans une fiction plus connectée, pour cela il y a d’autres titres à conseiller (voir plus loin).

En texte d’introduction, Urban Comics rappelle le parcours éditorial du cher Edward. Étonnamment, après ses deux apparitions en 1948 (toutes deux sous la plume de Bill Finger), le Sphinx ne réapparaît dans les comics qu’en 1965 ! Juste à temps pour regagner un peu de popularité et être choisi pour accompagner la galerie d’ennemis de Batman dans la célèbre série TV de 1966-68. Nigma bénéficie de la solide interprétation excentrique de Frank Gorshin (un temps remplacé par John Astin, moins convaincant). Urban Comics fait l’impasse sur cette période des bandes dessinées en sautant directement à 1982. Curieux choix par rapport au contenu US/VO qui incorporait quelques épisodes de 1965 (Remarkable Ruse of the Riddler !Batman #171), 1966 (The Riddle-less Robberiesof the RiddlerBatman #179), 1968 (The Riddler’s Prison-Puzzle Problem !Detective Comics #377), 1977 (The Testimony of the Riddler !Batman #292) et 1979 (The 1.001 Clue Caper or Why Did the Riddler Cross The Roas ?Batman #317). Cinq chapitres « manquants » (et quelques autres) remplacés plus ou moins au pied levé par des segments plus modernes (mais pas forcément plus accessibles).


Il faut souligner la qualité de la traduction, pas toujours aisée avec les jeux de mots en anglais. Le traducteur doit parfois préciser avec un astérisque le mot à mot « littéral » pour faire comprendre l’enjeu d’une devinette. Ou annonce carrément qu’un rébus est « en anglais » afin de faciliter sa logique – parfois un peu tirée par les cheveux (coucou le Gotham Museum) mais pas des masses de choix en français. Outre des notes en bas de page, il y en a aussi une après un chapitre pour expliquer les références à son titre et sa traduction (When is a door / Quand est une porte) ; c’est peut-être le plus frustrant dans l’ouvrage, on perçoit qu’on passe peut-être à côté de références plus subtiles et intelligibles en ne le lisant pas dans sa version initiale. Du reste, l’ensemble reste globalement palpitant et divertissant, zoomant sur une figure iconique en mal de reconnaissance : un type, in fine, pathétique malgré sa grande intelligence et rapidité de réflexion. Un ennemi sous-estimé car imaginé comme peu nocif (ce qui était vrai fut un temps), attaché à une certaine forme d’élégance et d’honneur (sauf quand il triche pour arriver à ses fins). On aurait le voir manipuler le Chevalier Noir dans une longue enquête fleuve mais ce n’est pas le but de la collection, et cela existe déjà ailleurs.

En effet, pour les amoureux du Sphinx, on ne peut que conseiller l’excellent Batman – Silence et Paul Dini présente Batman. On est moins dithyrambique sur la version du spin-off d’Amère Victoire : Catwoman à Rome (où il tient le deuxième rôle) – disponible dans le recueil Des ombres dans la nuit et bientôt réédité en one-shot – et sur son passif avec le Joker dans le médiocre quatrième tome de Batman Rebirth : La Guerre des Rires et des Énigmes. On l’apprécie davantage dans L’An Zéro où il campe un des premiers ennemis de Batman dans cette revisitation des origines de Batman (il est d’ailleurs étonnant qu’Urban Comics ne propose pas en fin d’ouvrage une sélection de comics pour suivre l’homme-mystère dans d’autres comics).  Enfin, après le loufoque Jim Carrey dans Batman Forever, le Sphinx a retrouvé un peu ses lettres de noblesse dans la série Gotham, brillamment incarné par Cory Michael Smith, un des rares points forts de la fiction. L’acteur Paul Dano lui prête ses traits dans le film The Batman, prévu en mars 2022, où il sera une dangereuse menace face à un Chevalier Noir débutant et impulsif (Robert Pattinson).

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 3 décembre 2021.

Scénarios et dessins : collectif (voir critique)
Traduction : Xavier Hanart et Jérôme Wicky
Lettrage : Moscow Eye et Makma

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Enfin, une petite vidéo sur le Sphinx par la très bonne chaîne Captain Maks qu’on recommande 🙂