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Des ombres envahissantes (Long Shadows) + La Grande Évasion (The Great Escape) • Batman Universe #3-5

Après la mort présumée de Batman à la fin de Final Crisis et (à peu près) pile entre la première et la deuxième intégrale de Grant Morrison présente Batman (cf. index), Nightwing a repris le flambeau en tant que Chevalier Noir. Juste après La lutte pour la cape, le chaos continue dans Gotham City et le nouveau Batman compte bien arrêter Black Mask, le Pingouin et Double-Face dans un récit en quatre chapitres : Des ombres envahissantes (Long Shadows en VO – Batman #688-691). Un titre publié en France uniquement dans les magazines Batman Universe #3 et #4 (octobre et décembre 2010) par Panini Comics.

Autre épisode chroniqué ici, afin d’éviter un autre article dédié à seulement un chapitre, le court récit La Grande Évasion qui montre une aventure de Damian et Dick durant leur période Batman et Robin (dans Batman Universe #9).

 

[Début de l’histoire]
Batman (Dick Grayson) reprend sa croisade contre les malfrats de Gotham City.

Le premier Robin gère à la fois ses nouvelles responsabilités et son deuil entouré, entre autres, par Alfred.

Double-Face observe les nouveaux agissements du Chevalier Noir et en déduit bien vite qu’il ne s’agit pas du « vrai » Batman et concocte un plan pour remonter jusqu’à son remplaçant !

Du côté du Pingouin, les affaires ne vont pas forts et va devoir nouer une alliance imprévue…

[Critique]
Suite directe de La lutte pour la cape, Des ombres envahissantes est moins marquant par plusieurs aspects (notamment des scènes d’action soit expéditives, soit un peu inutiles – Gueule d’Argile et Lyle Blanco) mais brille par d’autres. On apprécie notamment le parcours de Double-Face, particulièrement malin dans son investigation et son habileté à se confronter à Batman au fil de l’eau. La personnalité de Dick, ses échanges avec Alfred et son nouveau rôle sont particulièrement soignés, Judd Winick (L’Énigme de Red Hood…) livre un travail tout à fait correct et qui suffit à être palpitant et vouloir connaître la suite. Ce qui, à ce stade, pour une histoire en quatre épisodes, est déjà pas mal (bien aidé par les dessins – on y reviendra).

L’aventure (Long Shadows en VO) se termine, en effet, sur deux ouvertures intéressantes (passez au paragraphe suivant pour éviter les révélations) : pour être pleinement Batman, Dick doit investir dans un nouveau QG pour s’émanciper (au-revoir la traditionnelle Batcave donc) et, surtout, il découvre les éléments d’une enquête sur… ses parents ! De quoi vouloir lire absolument la suite, La vie après la mort, en six épisodes (toujours la série Batman et toujours publiée dans Batman Universe – les #5-6). Malheureusement, celle-ci ne reprendra pas ce sujet te Winick, même s’il a continué d’écrire pour DC Comics (Justice League – Generation Lost, entre autres) n’expliquera jamais tout ça… Une frustration donc !

Des ombres envahissantes prolonge aussi, sporadiquement, l’arc initié autour de Black Mask dans La lutte pour la cape ; ce qui permet d’être moins sévère avec ce dernier où on pouvait reprocher d’avoir mis de côté cet antagoniste un peu abruptement. In fine, ce nouveau récit semble être une sorte de courte aventure « intermédiaire », efficace et suffisante sur Double-Face et quelques autres évènements, mais débouchant sur une nouvelle intrigue prometteuse.

Pas grand chose d’autre à signaler, si ce n’est qu’Urban ne l’a jamais réédité, si La lutte pour la cape mériterait une réédition, il faudra juger sur la suite (La vie après la mort, donc) afin de voir si l’entièreté de ce run commun de Tony Daniel (qui signait la précédente aventure et la prochaine) et de Judd Winick vaut le coup mais c’est déjà nettement supérieur à bon nombre de production récentes des années 2020, surtout de la continuité.

Les dessins sont assurés par Mark Bagley, livre une prestation correcte, partiellement gâchée par une colorisation (Ian Hannin) trop lisse, comme souvent durant cette période éditoriale, dans les prémices d’assistance par ordinateur. Fonds de cases vides ou colorés en aplat, effets de brillance ou relief un peu ratés et inutiles, ce n’est pas très élégant mais ça passe quand même… Rien d’horrible, rien d’extraordinaire non plus.

Comme annoncé en début d’article, l’épisode plus ou moins indépendant La Grande Évasion (Batman #703) est chroniqué rapidement ici. Il a été publié dans Batman Universe #9 et montre Dick et Damian en Batman et Robin, époque parallèle de Grant Morrison présente Batman quand ces deux justiciers travaillaient ensemble (cf. intégrale 2). Écrit par Fabian Nicieza, A Great Escape (son titre VO) montre une courte enquête autour d’un ennemi oubliable qui fait écho à une ancienne investigation à l’époque où Dick était Robin. Le seul intérêt réside dans l’utilisation de Vicky Vale, très peu utilisée ces dernières années. Les dessins de Cliff Richards sont assez oubliables (illustration ci-dessous), comme le scénario. Anecdotique donc.

[À propos]
Publié dans Batman Universe #3-4 (octobre et décembre 2010) chez Panini Comics
Contient : Batman #688-691 (septembre-décembre 2009) + #703

Scénario : Judd Winick, Fabian Nicieza
Dessin : Mark Bagley, Cliff Richards
Encrage : Rob Hunter
Couleur : Ian Hannin, Pete Pantazis

Traduction : Khaled Tadil
Lettrage : Christophe Semal

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La lutte pour la cape / Battle for the Cowl • Batman Universe #1-2

Battle for the Cowl est le titre (VO) d’un event se déroulant peu après la mort (supposée) de Batman à la fin de Final Crisis et (à peu près) pile entre la première et la deuxième intégrale de Grant Morrison présente Batman (cf. index). C’est aussi le nom de la série principale (en trois chapitres), écrite et dessinée par Tony Daniel, qui montre comment Dick Grayson endosse le costume (et donc la cape) de son ancien mentor pour le remplacer.

Aux États-Unis, il y a eu plusieurs épisodes gravitant autour (on en reparlera) et en France on a pu découvrir ces trois chapitres corrélés à un quatrième (de la série classique de la continuité Batman) – annoncé comme un épilogue – sous le titre La lutte pour la cape. Ils furent publiés dans les deux premiers numéros de Batman Universe, édités par Panini Comics à l’époque (juin et août 2010). Urban Comics ne les a pas reproposés jusqu’à présent.

 

En haut, les couvertures en français des deux numéros qui ont publié La lutte pour la cape
et la version librairie US qui compile la série. En bas, les trois numéros US en single issues.

[Début de l’histoire]
Gotham City est en plein chaos. Les criminels ont pris conscience que Batman avait disparu et sèment la destruction et la violence dans la ville. Le GCPD est dépassé et les alliés du Chevalier Noir peinent à s’en sortir.

Dick Grayson refuse de prendre la cape de son mentor. Tim Drake est hésitant. Alfred, dernière boussole morale, essaie de convaincre les fils de Bruce Wayne de la nécessité de perdurer la croisade du justicier…

Profitant de la catastrophe, Black Mask accroit sa mainmise sur Gotham City, tandis qu’un mystérieux personnage revêt un costume proche de celui de Batman mais aux méthodes bien plus radicales…

[Critique]
Voilà un récit très bien rythmé, avec un départ ultra efficace puis une suite (et conclusion) un peu en dessous mais qui reste globalement très satisfaisante, aussi bien graphiquement que scénaristiquement. Pour cause : Batman est donc mort (en réalité a été propulsé dans le passé, cf. Grant Morrison présente Batman – Intégrale 3) et Dick Grayson/Nightwing ne veut pas reprendre le rôle du justicier. Tim Drake hésite aussi et un usurpateur du Chevalier Noir aux méthodes bien plus violentes s’en accapare. Il s’agit bien sûr de Jason Todd (cela est vite révélé et, de toute façon, une évidence pour quiconque connaît un peu l’univers de Batman).

Il faut dire qu’on n’a pas le temps de se poser (ni le lecteur, ni le citoyen fictif de Gotham) : la ville est à feu et à sang, les criminels ont compris que Batman n’intervenait plus et s’en donnent à cœur joie. Black Mask en profite pour délivrer d’autres fous et les force à travailler pour lui façon Suicide Squad (implant mortel en eux qui explose s’ils désobéissent). Double-Face et le Pingouin augmentent aussi leur différents traffic. De cet état des lieux très « urbain » et, surtout, passionnant débute cette fameuse « lutte pour la cape » interne, au gré des combats et séquences d’action très bien emmenées.

Tony Daniel (la série Detective Comics période Renaissance/New 52, Justice League vs. Suicide Squad…), à l’écriture (et aussi au dessin) maîtrise parfaitement son sujet. Le titre n’est d’ailleurs pas pour les nouveaux venus, compte tenu du contexte et des nombreux protagonistes (incluant Damian). On apprécie le rôle non négligeable d’Alfred dans cette histoire où, effectivement, le quatrième chapitre sert véritablement d’épilogue (les trois principaux auraient laissé un goût d’inachevé). À noter que Judd Winick (Under the Red Hood…) s’occupe du dernier épisode sans dénaturer le style de Daniel.

Quelques défauts toutefois dans la seconde moitié où les malfrats de Gotham passent au second plan voire disparaissent (ils reviendront dans la suite directe, Des ombres envahissantes, au détriment d’enchaînements et combats entre Todd et les différents Robin. Une partie plus faible qui enlève la dimension chaotique globale (géographique) qui prédominait, un peu dommage.

Néanmoins, les fans des trois Robin y trouveront leur compte, Dick en premier mais aussi Tim et bien sûr Jason ; tous trois apparaissent plutôt équitablement avec des moments intéressants. Damian est également présent, ajoutant un peu d’humour dans un contexte assez austère. L’idylle naissante entre Drake et L’Écuyer est également une bonne chose prometteuse mais, malheureusement, vite esquivée par la suite. C’est le point faible de cette lutte pour la cape : les quatre chapitres auraient gagné à être étendus à six pour mieux développer les relations et la montée en puissance du Réseau (nom donné à tous les alliés de Batman) et bien sûr la relève par Dick.

Visuellement, tout est superbe, Tony Daniel livre des planches aérées, dynamiques et iconiques. On identifie sans mal les protagonistes (bien aidés par les costumes), les traits sont fins, élégants, les héroïnes parfois sexualisées mais sans tomber dans la vulgarité. Ed Benes gère le dernier chapitre dans un style proche de celui de Daniel, conservant ainsi une homogénéité bienvenu. Bref c’est un joli voyage graphique et très divertissant. On le conseille donc aisément si vous arrivez à le trouver d’occasion !

En France, La lutte pour la cape a été disponible dans les deux premiers opus du magazine Batman Universe (juin et août 2010).  Étonnamment, Urban Comics ne l’a jamais reproposé, soit en marge du run de Grant Morrison, soit en épilogue de Final Crisis, soit – tout simplement – en récit complet sur Nightwing ou sur « les Robin ». Aucun doute que cela fonctionnerait ! Peut-être que ce titre sera dans le (potentiel) Batman Chronicles 2009 (année de publication du chapitre #687 de la série Batman qui aurait peu d’intérêt sans les trois précédents connectés) ?

Aux États-Unis, Battle for the Cowl s’est poursuivi dans d’autres one-shots ou mini-séries créés pour l’occasion : Gotham Gazette (Batman Dead ? #1 et Batman Alive ? #1) – la version US contient d’ailleurs ces deux épisodes spéciaux –, Man-Bat, Arkham Asylum, Commissioner Gordon, The Network, Oracle : The Cure, Azrael : Death’s Dark Knight… Tous ces autres récits n’ont pas été publiés chez nous, mais celui qu’on a eu et chroniqué dans ici se suffit à lui-même (couplé à sa suite assez directe, à découvrir dans cet autre article).

[À propos]
Publié chez Panini Comics dans Batman Universe #1-2 en juin et août 2010.
Contient : Batman – Battle for the Cowl #1-3 + Batman #687

Scénario : Tony S. Daniel, Judd Winick
Dessin : Tony S. Daniel, Ed Benes
Encrage : Sandu Florea, Rob Hunter
Couleur : Ian Hannin, Jo Smith

Traduction : Khaled Tadil
Lettrage : Christophe Semal

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Batman – Les derniers jours du Chevalier Noir

Se déroulant à la fois après Final Crisis (dans lequel Batman trouve une supposée mort, tué par Darkseid) et en parallèle du run de Grant Morrison (juste après le premier opus de l’intégrale et au début de la deuxième), ce récit complet s’étale uniquement sur deux chapitres : Batman#686 et Detective Comics #853 – publiés en avril 2009. C’est le grand Neil Gaiman (Sandman, American Gods…) qui écrit cette étrange épopée onirique et Andy Kubert (à l’œuvre sur le début de la saga de Morrison justement) qui la dessine. C’est aussi de cette histoire qu’est tirée la superbe couverture variante d’Alex Ross avec Alfred et le costume de Batman dans ses mains.

Réédité en librairie en mai 2019 par Urban Comics, Les derniers jour du Chevalier Noir contient la version crayonnée pour gonfler le nombre de pages… Quelques années plus tôt, Panini Comics avait proposé ces deux chapitres dans le premier numéro kiosque de Batman Universe (juin 2010) puis dans une version librairie l’année suivante sous le titre Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ?, accompagné de quatre courts récits de Gaiman. Découverte.

 

[Résumé de l’éditeur]
Batman est mort. Darkseid l’a tué. Et pour sa veillée funèbre, amis comme ennemis sont invités. En sa mémoire, tous se prêtent au jeu et se remémorent l’immense Chevalier Noir. Mais Batman est-il vraiment mort ?

Inutile de détailler le début de l’histoire, le résumé officiel de l’éditeur suffit.

[Critique]
Attention, proposition clivante ! Le célèbre Neil Gaiman (Sandman, Good Omens, Coraline, American Gods, Stardust…) offre sa vision un peu spirituelle autour du Chevalier Noir en seulement deux chapitres (Batman #686 + Detective Comics #853), dessinés par Andy Kubert (Flashpoint, Grant Morrison présente Batman, Dark Knight III…) – on y reviendra. Sans aucune contextualisation (ni de l’auteur britannique, ni de l’éditeur), on apprend que Batman est mort et qu’une veillée funèbre a lieu en sa mémoire, ses anciens alliés et adversaires sont conviés…

Cette absence de conjoncture permet d’ancrer le récit dans une certaine dimension intemporelle, ce qui fonctionne plutôt bien, puisque les épisodes datent de 2009 et passent admirablement bien l’épreuve du temps. En réalité (éditoriale), Bruce/Batman a été tué par Darkseid dans Final Crisis, écrit par Grant Morrison qui ajoutait ce funeste sort à son run en parallèle : évidemment, le justicier n’est pas décédé mais a été propulsé dans le temps, amnésique. Ce qui explique (possiblement) cette situation de départ des Derniers jours du Chevalier Noir.

Gaiman déroule sa fiction onirique sur deux axes, l’un se déroulant devant le cercueil de Batman où se recueillent différents protagonistes phares de l’univers Batman, l’autre évoquant les souvenirs de certains d’entre eux (notamment Selina Kyle et Alfred – on en parle plus loin). C’est là où le récit s’affaiblit : les différents personnages (amis et vilains) sont relégués à de la figuration à de rares exceptions. C’est donc sympathique à voir mais on aurait aimé avec les témoignages davantage développés de plusieurs d’entre eux (chacun a droit a une ou deux cases néanmoins, connectés à l’historique patrimoine de DC sur Batman donc réservés aux fins connaisseurs pour une meilleure appréciation) plutôt que celui de Catwoman, un peu faible et convenu, et du célèbre majordome – remarquable au demeurant, très original et surprenant (mais pouvant offusquer des puristes malgré l’évidence onirique), on ne le dévoilera pas ici.

Si la bande dessinée s’était étalée sur cinq à six épisodes, entretenant un flou volontaire sur le passif de Batman et ses relations historiques, le titre aurait été bien plus marquant et, probablement, qualitatif. Ici, tout va très vite (forcément) et n’avoir mis en avant que deux personnages est dommage. Heureusement, la voix interne et les pensées de Bruce découvrant cette situation tel un narrateur omniscient un peu fantôme apporte un côté plus palpitant – promettant aussi une sorte de conclusion « épique » ou avec un retournement de situation qui… n’arrivera pas vraiment. Ne pas s’attendre d’ailleurs à un récit d’action, ou autre, c’est avant tout une sorte d’ambiance cotonneuse, sensible, une atmosphère atypique.

Difficile d’en dire davantage sans gâcher le plaisir de découverte et de lecture. Par ailleurs, Les derniers jours du Chevalier Noir peut se savourer ou se lire sans aucun plaisir ou bien… les deux. L’auteur de ces lignes le confesse : la première lecture en 2010 n’était pas terrible, la seconde en 2023 nettement meilleure. Cela n’est pas lié au bagage culturel Batman considérablement augmenté durant ces années mais peut-être une évolution ou maturité plus en adéquation avec le propos. Attention, cela ne veut pas dire que cette création de Neil Gaiman est un chef-d’œuvre ou même un coup de cœur, c’est une curiosité à découvrir (certes, c’est un peu « facile » de dire ça mais c’est très « vrai »). On peut aussi le voir comme le pendant de l’homme chauve-souris du traitement similaire instauré en 1986 par Alan Moore sur l’homme d’acier dans… Les derniers jours de Superman (à quand une édition qui rassemblerait les deux pour un prix plus abordable ?).

Problème justement : à quel prix découvrir Les derniers jours du Chevalier Noir ? 17 € (15,50 € en 2019 à sa sortie)… C’est beaucoup trop cher pour 64 pages d’une histoire aussi singulière, peu accessible (un nouveau venu risque d’être perdu et ne pas accrocher) et vite lue. On l’a déjà évoqué plusieurs fois sur ce site (récemment à propos de la collection One Bad Day ou des Batman/Spawn par exemple) : le nombre de pages n’a aucun impact sur le côté qualitatif d’une œuvre – et ce n’est pas Killing Joke qui viendra prouver le contraire (même si – déjà à l’époque – on critiquait le prix pour y accéder) MAIS quand on a un budget limité où l’on peut avoir à des titres de 200 pages vs. 60 pour un prix presque similaire, cela fait réfléchir.

Pour justifier cela, Urban Comics ajoute les crayonnés noir et blanc et, chose assez rare, avec la traduction en français. Une aubaine pour les fans des traits d’Andy Kubert, dont l’art perd un peu de sa superbe parfois en fonction de la colorisation. Il est vrai que cela ajoute un cachet non négligeable puisque la version en couleur (d’Alex Sinclair) est parfois inégale, conférant un aspect artificiel sur certains visages, gommant l’ambiance « film noir » (volontaire ou non) de la version en… noir et blanc. Autres compléments, une postface de Gaiman (où il clame son amour pour le super-héros et la conception du comic book), des couvertures alternatifs et un carnet de croquis de Kubert.

L’illustrateur se livre à un exercice habile et élégant (finement encré par Scott Williams) reprenant différents styles de Batman (Kane, Sprang, Mazzucchelli, Adams, Bolland…) et, donc, d’artistes qui ont traversé les âges et les pans mythiques du super-héros iconique (la planche qui ouvre le deuxième épisode avec Batman dans le cercueil qui est revêtu d’un costume mythique différent à chaque case est un régal). Néanmoins, pour 17 €, à part les aficionados de Gaiman ou de Kubert, on aurait tendance à déconseiller Les derniers jours du Chevalier Noir. Empruntez le plutôt en médiathèque ou feuilletez-le en librairies/grandes surfaces (possiblement entièrement vu la durée) afin de voir si ça vous branche.

On peut aussi se tourner vers le marché de l’occasion pour retrouver le premier numéro du magazine Batman Universe de Panini Comics, sorti en juin 2010, qui compilait, entre autres, les deux épisodes. Vendu à l’époque 4,60 €, ce format souple peut suffire… La version librairie de Panini Comics de 2011 coûtait 19 € (déjà hors de prix pour l’époque, comme souvent avec cet éditeur) mais incluait quatre récits de Neil Gaiman pour compenser : Pavane (Secret Origins #36, 14 pages), Péchés originels (8 pages) et Quand une porte (13 pages, ces deux segments proviennent de Secret Origins Special #1) – et ces trois épisodes datent 1989 – et Un monde en noir et blanc (Black and White #2, 7 pages) en 1996. Dommage qu’Urban n’ait pas repris cela (d’autant que Gaiman les cite tous dans sa postface).

Pavane se concentre sur les origines de Poison Ivy et a été republié dans le tome de Batman Arkham dédié à l’empoisonneuse. Presque pareil pour Quand une porte, centré sur le Sphinx et également proposé dans le Batman Arkham sur l’homme-mystère. Un monde en noir et blanc est évidemment dans Batman Black & White d’Urban Comics (dans le premier opus — pas encore chroniqué sur le site). Seul Péchés originels reste encore « inédit » en réédition, il s’agit simplement de l’introduction de Quand une porte, centrée sur l’équipe de journalistes qui va interviewer le Sphinx. Le segment en noir et blanc montre le Joker et Batman en tant qu’acteurs de cinéma jouer les rôles que l’on connaît de façon méta !

En somme, Les derniers jours du Chevalier Noir est une proposition élégante (dans son traitement, dans ses dialogues – la participation de Joe Chill en tenancier et ses quelques mots sont parfaits –, dans sa cohérence visuelle – un brin moins dans sa colorisation des visages et expressions faciales parfois), un peu inégale (la caractérisation de Selina Kyle semble bizarre), beaucoup trop courte mais qui redonne un souffle évidemment poétique, un hommage sur une légende « qui ne meurt jamais » (où chacun a sa propre vision et image de la mort de Batman mais aussi de son mythe).

Une écriture intelligente de Neil Gaiman et un exercice de style pour l’auteur britannique globalement réussi (frustrant par sa durée), qui livre un chant du cygne autour de Batman envoûtant et mélancolique. Pour tout cela, évidemment on aurait tendance à dire qu’il faut passer à l’achat MAIS, comme on l’a martelé, entre cette approche très singulière et, de facto, clivante, et le prix, il faut absolument connaître l’œuvre avant de passer à la caisse…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 31 mai 2019.
Contient : Batman #686 + Detective Comics #853 + version crayonnée tirée de Batman Unwrapped by Andy Kubert
Nombre de pages : 152

Scénario : Neil Gaiman
Dessin : Andy Kubert
Encrage : Scott Williams
Couleur : Alex Sinclair

Traduction : Alex Nikolavitch
Lettrage : Cyril Bousquet (studio MAKMA)

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