Batman Nocturne – Tome 1 : Ouverture

Nouvelle série sur le Chevalier Noir, Batman Nocturne reprend les chapitres de Detective Comics publiés aux États-Unis depuis septembre 2022. Elle arrive donc après les différents runs des ères éditoriales précédentes : celui des New 52 (Renaissance en VF) – partiellement disponible en librairie – puis Rebirth et Infinite, sobrement intitulées Batman Detective Comics (7 tomes), Batman : Detective (5 tomes) et Batman Detective Infinite (4 tomes). Découverte d’un nouveau segment chapeauté par Ram V.

[Résumé de l’éditeur]
Il y a quelque chose de pourri au royaume de Gotham. Peu importe les épreuves que Bruce surmonte, et les pistes qu’il poursuit, le plus grand détective du monde n’arrive pas à trouver la source de la peur rampante qu’il ressent – comme si ses démons intérieurs s’emballaient et lui annonçaient sa mort imminente. Pendant ce temps, de vrais démons rôdent dans l’ombre et enveloppent la Cité de leurs ténèbres alors qu’une mélodie séculaire hante la nuit de Gotham. Le rideau se lève, la complainte sinistre s’élève… et Batman pourrait cette fois rester à terre.

[Début de l’histoire]
Le Chevalier Noir
arpente Gotham et se heurte face à un criminel qui se transforme en créature démoniaque. Au loin, Talia al Ghul semble être liée à la métamorphose du monstre humain.

Shavhod et son fils Arzen préparent leur arrivée dans la ville, comptant bien revendiquer une partie de Gotham (anciennement Gathome – sic), qui leur appartiendrait (notamment le territoire où fut fondé l’Asile d’Arkham!).

Harvey Dent semble revenir sur le droit chemin mais c’est sans compter sur un certain M. Gael qui pourrait le faire redevenir Double-Face d’un moment à l’autre.

Bruce Wayne est régulièrement affaibli par un mécanisme sonore et psychique, voire… mystique.

[Critique]
De mystérieuses créatures, des pouvoirs liés à la musique (!), des revendications de territoires par d’anciennes figures historiques de Gotham… bref le programme de Batman Nocturne est un joli bazar un peu trop bavard et confus, à l’image du Chevalier Noir dans cette œuvre à la fois accessible (c’est le point de départ d’une nouvelle série/ère) et paradoxalement compliquée (difficile de tout comprendre et d’adhérer entièrement à la vision de Ram V). Heureusement, la majorité de la partie graphique – signée Rafael Albuquerque – est sublime, conférant une ambiance à la fois sombre, gothique et cohérente avec le propos. On détaille tout cela.

Ouverture s’étale sur quatre chapitres (Detective Comics #1062-1065), un interlude centré sur James Gordon – devenu détective privé à son compte avec Bullock et recueillant un jeune homme un peu sauvage mais attachant et puissant (back-ups des #1062-1064) – et un épilogue (Detective Comics Annual 2022). Ne pas se fier aux apparences, il y a peut-être peu d’épisodes mais la partie textuelle est assez conséquente, noyée dans de nombreuses interactions entre de nouveaux et anciens personnages (dont Double-Face, redevenu « gentil »), ainsi qu’une narration obscure ou des pensées vaguement poétiques (mention spéciale à l’intermède particulièrement plombée par un rythme décousue et une écriture trop verbeuse et pénible – de Simon Spurrier, on y reviendra).

Ram V (Justice League Dark Infinite, Swamp Thing Infinite, Toutes les morts de Laila Starr…) peine à rendre son récit « lisible », comprendre que c’est inutilement alambiqué, ça manque de limpidité, de fluidité. On a du mal à se passionner pour ses créations (la fameuse dynastie Orgham, débarquée de nulle part – ce côté « famille secrète puissante » rappelle, forcément, un peu la Cour des Hiboux) et voir où l’auteur veut en venir ; il pose des jalons pour une suite qui s’annonce déjà fatigante avec de multiples intrigues – rappelant la pénibilité des structures de Grant Morrison, pas étonnant que Barbatos soit mentionné d’ailleurs, un des exemples ci-après en illustration –, proposant littéralement une pièce de théâtre gothique où il avance ses pions/personnages à sa guise.

L’auteur se positionne d’entrée de jeu (et c’est très bien) : son œuvre s’inscrit dans le registre fantastique/surnaturel – assez rare chez Batman –, va revisiter (une énième fois) les fondations/origines de Gotham et introduit de nouveaux protagonistes (pour l’instant peu empathiques). Il faut donc complètement adhérer à cette dimension pour profiter de Nocturne. Évidemment, si le lecteur est davantage familier et féru d’un Batman urbain, plus terre-à-terre, portée sur l’action et la réflexion, il ne devrait pas accrocher. Pour ceux qui aiment ce genre de prises de risques et cette démarcation somme toute originale, il faut essayer.

Si le scénario ne tient pas spécialement en haleine – malgré le travail soigné autour de la psyché de Bruce/Batman, particulièrement affaibli et touchant, oui, encore et toujours mais cette fois ça passe mieux, l’introspection est particulièrement réussie –, il a le mérite de donner envie de connaître la suite une fois arrivée à sa conclusion. Heureusement, le voyage graphique qui accompagne l’histoire vaut assurément le coup et se marie à merveille avec les enjeux singuliers. Ainsi, Rafael Albuquerque (American Vampire…) livre de superbes planches.

Tour à tour, il puise dans les emprunts de mysticisme, de créatures, d’étonnante mélancolie et/ou y mélange élégamment des choses plus conventionnelles (affrontements, infiltrations, échanges, expositions…). Sa mise en scène, son découpage et ses traits précis, couplés à un encrage (qu’il assure lui-même) et à une colorisation de Dave Stewart forment une cohérence visuelle époustouflante. Un véritable régal pour les yeux, surtout sur les doubles planches ! Les cauchemars du Chevalier Noir n’auront jamais été si distingués.

L’interlude est dessinée par Dani, radicalement éloignée du reste car dans une veine polar plus proche de la BD franco-belge (rappelant lointainement Gotham Central) mais souffre – on l’a dit plus haut – d’une omniprésence de bulles de pensées et d’interminables phrases, plombant le rythme et l’intérêt (cf. avant-dernière image de cette critique). C’est plus ou moins la suite de Joker Infinite avec le retour de Gordon. C’est Simon Spurrier qui signe cela et non Ram V, qui revient en revanche pour l’épilogue avec trois dessinateurs, Albuquerque à nouveau mais aussi Christopher Mitten et Hardyen Sherman pour un résultat globalement convaincant et homogène d’un point de vue graphique. En revanche, côté histoire, on se situe en 1776 dans la colonie de Gotham… Il y a déjà un Batman en action et une Poison Ivy (équivalente de chasse aux sorcière de l’époque – cf. dernière image de cette critique). Pénible.

Parenthèse sur les sublimes couvertures entre les épisodes et celle du comic book, elles sont signées Evan Cagle (et d’autres, alternatives et par différents artistes sont compilées en fin d’ouvrage comme toujours chez l’éditeur). Cet(te) Ouverture de Batman Nocturne porte bien son nom : longue introduction plus ou moins réussie (ou ratée c’est selon), digne d’un opéra baroque, d’un conte noir à l’ambiance tantôt envoutante, tantôt repoussante. Si l’on est peut-être trop sévère avec le scénario (rythme, exposition, narration, dialogues, enjeux, complexité…), on accorde volontiers le bénéfice du doute en espérant une suite mieux dirigée et calibrée (spoiler : c’est le cas, ouf !). Dans tous les cas, cette nouvelle série se démarque aisément des précédentes (en partie grâce à son atmosphère unique), et dans une industrie souvent consensuelle, c’est déjà ça de pris.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 7 juillet 2023.
Contient : Detective Comics #1062-1065 + back-ups (#1062-1064) + Detective Comics Annual 2022

Scénario : Ram V, Simon Spurrier
Dessin & encrage : Rafael Albuquerque, Dani, Christopher Mitten, Hayden Sherman
Couleur : Dave Stewart, Lee Loughridge

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Sarah Grassart, Lorine Roy et Stephan Boschat)

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