Ça y est ! La série Batman Nocturne arrive enfin à son terme. Les quatre précédents volumes ont mis à l’honneur de somptueuses planches mais un scénario assez médiocre et vite oubliable (cf. chronique du quatrième). Les neufs chapitres de la série Detective Comics (#1081-1089) achèvent ce run de Ram V dans Finale. Critique d’une conclusion attendue avant le renouveau de la série (Ghosts of Gotham, chapeauté par Tom Taylor – disponible le 27 juin).
[Résumé de l’éditeur]
Exilé d’une ville qui le croit mort, Batman a été emmené loin de Gotham jusqu’à un désert de légendes, à la frontière du mythe et du réel. Toujours possédé par un démon Azmer et perdant peu à peu sa propre identité, il erre dans ce paysage hostile, guidé seulement par ses visions. Et sans eau, sans vivres et sans personne pour le sauver, seules deux options se profilent : venir à bout du démon qui le ronge de l’intérieur, ou se résigner à mourir et laisser ses os blanchir à jamais dans le sable. Pendant ce temps, le plan des Orgham est bel et bien lancé : ils utilisent le moteur de réalité pour faire oublier à tout Gotham que Batman a bel et bien existé…
NB : Au-delà de résumé, il est certainement judicieux de reprendre le texte en début de livre proposé par Urban Comics pour bien tout avoir en tête avant la lecture du tome ou de la présente critique. Le voici donc juste ci-après.
[Dans le tome précédent]
Le plan des Orgham a bel et bien fonctionné : ils sont parvenus à prendre le contrôle total de Gotham en s’immisçant dans les hautes sphères du pouvoir gothamien, en transformant ses laissés-pour-compte en une armée de monstres à leur service, et surtout en y excisant celui qu’ils considèrent comme une anomalie dans l’histoire de la cité : Batman. Capturé par Arzen Orgham, le justicier s’est vu emprisonné et inoculé un démon Azmer, dévorant de l’intérieur ses souvenirs comme sa santé mentale et le rendant plus vulnérable que jamais.
Après avoir mis l’homme à genoux, il ne leur restait qu’à détruire le symbole: dans une mise en scène macabre, l’homme Chauve-Souris fût conduit à la potence sous les yeux de la population de Gotham, et pendu haut et court.
Mais c’était sans compter sur une alliance aussi efficace que contre-nature pour organiser son sauvetage, réunissant aussi bien des alliés historiques du Chevalier Noir comme Jim Gordon, Catwoman ou Batgirl, que des ennemis d’hier comme Mister Freeze, Double-Face ou Azrael. Ayant transmis à Bruce, par un baiser, un poison concocté par Ivy permettant aux yeux des Orgham de simuler la mort du héros au moment où la sentence tombe, Catwoman parvient tout d’abord à lui éviter le pire. Par la suite, cet escadron improvisé réussit à récupérer le corps de Bruce et à s’extirper des rues de Gotham avec fracas, avant de le confier à Talia al Ghul pour qu’elle puisse le mettre en sûreté… et le confronter à son destin
Car si l’homme fût sauvé in extremis, il n’en demeure pas moins dans un état catatonique proche de la mort, sa psyché continuant d’être ravagée par le démon Azmer et par Barbatos, personnification monstrueuse de la Chauve-Souris. Pire encore, tout Gotham a vu son protecteur se balancer au bout d’une corde, et le souvenir du mythe s’érode déjà alors que les Orgham utilisent le moteur de réalité pour réécrire une Gotham ou Batman n’aurait jamais existé…
[Critique]
Finale est scindée en plusieurs parties distinctes et inégales. On y trouve ainsi Une élégie de sable en trois chapitres puis un interlude Son nom était Dr Hurt (composé de trois back-ups). La suite se compose de Crescendo en quatre épisodes, chacun coupé par un interlude (un back-up à chaque fois) : Terrain de chasse, Aud-Daj-Jé, Habeas Corpus et Bonk. Enfin, Finale conclut le tome en deux épisodes, eux aussi entrecoupés un interludes back-up, Enfant chéri. Alors qu’est-ce que ça vaut tout ça ?
Le plus dur est de commencer… Une élégie de sable est le récit le moins intéressant et le plus insupportable à lire, il rappelle les pires moments du run de Grant Morrison, à mi-chemin entre le rêve et la réalité, dans un style décousu, une narration complexe et un propos, in fine, qui n’avait pas besoin d’occuper autant de place (en gros : Batman va « se réveiller / se ressourcer / revenir plus fort »). Cette errance « sépia chromatique » est trop longue et on décroche facilement.
L’omniprésence de Barbatos et Hurt se veut à la fois un hommage à d’anciens moments cultes de Batman (comme Morrison l’avait fait avant lui – avec la même impression désagréable et non limpide) et à la fois une somme soi-disant logique de ce qui a été montré auparavant (on cherche encore le pourquoi du comment). Bref, Une élégie de sable, malgré son joli titre poétique renou malheureusement avec tous les travers désagréables de Batman Nocturne, à peine sauvée par ses quelques planches élégantes (de Riccardo Federici, Stefano Raffaele – qui n’opèreront plus ensuite, laissant place à une myriade d’autres dessinateurs, tous talentueux – cf. rubrique À propos plus bas). C’est un parti pris clivant qui semble plaire à certains et fortement agacer à d’autres (dont l’auteur de ces lignes, vous l’aurez compris depuis le temps). Ce n’est pas l’idéal pour débuter sa lecture, ça ne motive pas à vouloir poursuivre…
Heureusement, le complément Son nom était Dr Hurt est plus intéressant, bien qu’anecdotique eu égard de la grande fresque qu’est la série de Ram V mais sympathique tout de même. Et, heureusement (bis) la suite est d’un meilleur acabit. En effet, Crescendo et Final se lisent avec une excellente fluidité rythmique – peut-être pour la première fois dans toute la série – et rétablit une action efficace avec une double équipe (les alliés de Batman, dont Nightwing, Batgirl, Azrael… ET ses ennemis/antagonistes comme Double-Face, Catwoman, Talia al Ghul, Freeze… face aux ennemis communs – on en parle plus loin).
Le gros problème est la multitude de courtes histoires en back-up qui s’intercalent maladroitement dans les chapitres parentaux. Des courts récits qui ajoutent une certaine importance non négligeable pour « comprendre » ce qu’on va découvrir ensuite, mais il aurait fallu tout proposer en début ou milieu d’ouvrage pour avoir ensuite un enchaînement quasiment sans faute. La dernière ligne droite de Batman Nocturne voit un enchaînement de combats (loup-garou, démon, créature…) mais, surtout, une conclusion plutôt correcte et cohérente avec tout ce qui a été instauré depuis le premier tome. Et en cela, c’est déjà très très bien.
Comprendre : la fin de règne des Orgham et Azmer, se réclamant héritiers de Gotham après avoir montré l’homme chauve-souris déchu et (théoriquement) mort. Mais, on le sa(va)it, rien de tout ça ne fonctionnait jamais vraiment, faute à une écriture confuse, des personnages nouveaux peu empathiques ni charismatiques, des concepts abscons, des moments inintelligibles et peu passionnants… Se targuant de constituer un véritable « opéra » urbain et nocturne (forcément), l’évidence pointe son nez en fin de lecture : et si tout cela n’aurait pas été mieux directement en animation et… en musique ? Dans un médium statique et silencieux, Nocturne passe peut-être plus difficilement avec ce côté figé (si tant est que c’était le souhait de son auteur Ram V).
Au-delà des souvenirs pénibles de l’entièreté de la série, on retient positivement quelques éléments (concentrons nous sur les rares réussites). Principalement la partie graphique (couvertures comprises et la plupart des planches – ce qu’on a mis en avant régulièrement dans les chroniques associées) et quelques parcours singuliers voire intrigants de protagonistes. Renee Montoya muée en (The) Question par exemple (avec de belles promesses pour l’avenir). Bien entendu, Batman reste aussi « palpitant », malmené une énième fois (déconstruit ?) avant de revenir (littéralement) d’entre les morts, plus puissant que jamais (comme dans la série parallèle Dark City). Le tout débouchant sur une énième « remise à zéro » (en vérité : la suite de Detective Comics se poursuit et est chapeauté par Tom Taylor dans Ghosts of Gotham).
Conseille-t-on Batman Nocturne ? Honnêtement non (mais visiblement – et je permets une rare subjectivité – je suis le seul à le penser). Rien de vraiment original : des nouveaux ennemis – oubliables – pour un plan classique puis déjoué… Un bourbier manquant de limpidité et qui peinait cruellement à susciter de l’intérêt. En somme pour les curieux n’osant franchir le pas, espérez une réédition en format Nomad pour découvrir à bas prix.
[À propos]
Publié chez Urban Comics le 28 mars 2025.
Contient : Detective Comics #1081-1089
Nombre de pages : 312
Scénario : Ram V
Dessin & encrage : Riccardo Federici, Stefano Raffaele, Javier Fernandez, Guillem March, Christian Duce, Hayden Sherman, Christopher Mitten, Jorge Fornés, Robbi Rodriguez, Lisandro Estherren, Francesco Francavilla
Couleur : Lee Loughridge, Dave McCaig, Luis Guerrero, Triona Farrell, Patricio Delpeche, Francesco Francavilla
Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard, Emmanuel Touset, Morgane Rossi et Bryan Wetstein)
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