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Batman Rebirth – Tome 8 : Noces Noires

Le mariage entre Batman et Catwoman annoncé à la fin du troisième tome a (enfin !) lieu dans ce huitième volume. Il contient, entre autres, le 50ème chapitre de la série Batman (ère Rebirth) centré justement sur l’union du couple.

[Histoire]
Selina vole sa robe de mariée et le couple compte se dire oui sur un toit de Gotham. La féline se rappelle aussi ses rencontres passées avec le Chevalier Noir.

Plus tard, Bruce Wayne est convoqué pour être juré citoyen dans un procès contre… M. Freeze !

[Critique]
Voilà un tome atypique : deux chapitres sur le mariage (#44, Voleuse de mon cœur et #50, Le mariage de Batman & Catwoman — ce dernier extrêmement long et dessiné par une incroyable galerie d’artistes qu’on détaille plus loin), un d’avril 1983 (The Brave and the Bold #197) — résonnant avec les évènements du comic-book et de l’aparté one-shot À la vie, à la mort — puis trois formant la mini-histoire La chambre froide ramenant M. Freeze au (presque) premier plan. Un contenu particulier pour une histoire particulière.

Voleuse de mon cœur montre Catwoman voler sa future robe de mariée (à 28.000$ tout de même) tout en se remémorant ses différentes rencontres avec Batman au cour des dernières années (des décennies pour le lecteur donc, puisqu’on voit les différents costumes de la féline des plus grandes périodes de publications).

On retrouve Joelle Jones pour les dessins correspondants au récit principal et Mikel Janin pour remodeler quelques scènes d’antan à sa sauce, sans trahir le matériel originel puisqu’il s’inspire de scènes ayant réellement été publiées (le lecteur pourra même les comparer grâce aux bonus situés en fin de livre).

Un chapitre à la fois moderne et nostalgique, d’une réussite évidente et qu’il est en effet plus judicieux de publier  dans ce recueil et non plus tôt comme ce fut le cas aux États-Unis.

Le mariage a enfin lieu dans le second chapitre du tome. Pour l’occasion, le nombre de planches est plus conséquent et certaines d’entre elles sont des dessins de Batman & Catwoman en pleine page, illustrées et colorisées par de grands noms de l’industrie : Jason Fabok, Frank Miller, Lee Bermejo, Neal Adams, Tony S. Daniel, Paul Pope, Tim Sale, Andy Kubert, David Finch, Jim Lee, Greg Capullo, etc. parmi les plus connus (cf. huit planches en fin d’article). Ce sont eux les « vrais » invités du mariage !

Au-delà de cette majestueuse galerie qui donne évidemment un cachet unique au chapitre (et au livre), le scénario n’est pas en reste : les déclarations d’amour entre Selina et Bruce font mouche, les réflexions aussi, celles qui découleront sur la conclusion plus ou moins anticipée (qui sera dévoilée dans le paragraphe suivant) sont pertinentes et, somme toute finalement, assez « logiques ».

Cinq tomes après la demande en mariage, ce dernier a donc enfin lieu ! En comité extrêmement réduit — un témoin chacun, Alfred est celui de Bruce, l’occasion d’une petite saynète muette et touchante — sur un toit de la ville, lieu de rencontre habituelle du couple. Sans réelle surprise, Selina/Catwoman fait marche arrière… Attention à la déception violente pour certains lecteurs. Elle comprend qu’en rendant heureuse son futur mari, cela trahirait ce qu’il est vraiment et pourrait peut-être même le couper de son essence vitale, son « carburant » (c’est-à-dire les tourments, la solitude…), qui l’anime en tant que justicier. Écrit ainsi, cela sonne peut-être un peu ridicule mais c’est nettement mieux développé au fil des pages et fait grandement sens.

Clairement, la fin du tome précédent et le début de celui-ci sont extrêmement bons et resteront fortement ancrés dans la mythologie de Batman. L’ultime case vient (enfin aussi) reconnecter l’histoire avec les différentes directions scénaristiques entamées depuis le premier tome et plus ou moins abandonnées ; plaisant et surprenant ! À l’issue de ce chapitre se situe un aparté textuel du dessinateur Mikel Janin en guise de bonus et de transition.

L’Autobiographie de Bruce Wayne prolonge étrangement cette fin de romance. Ce titre de 1983, issu de la série The Brave and the Bold, est écrit par Alan Brennert et dessiné par Joe Staton et George Freeman. Des noms sans doute peu connus aujourd’hui mais dont le travail de l’époque apporte une résonance évidente avec le « mariage » que nous venons de découvrir. Se plaçant dans un futur lointain où Bruce écrit son autobiographie, celui-ci se rappelle un combat compliqué face à l’Épouvantail qui fait disparaître (en illusion) les êtres chers de Batman. Seule Catwoman peut l’aider à retrouver la « réalité », cette dernière étant amnésique et ayant oublié ses années de criminelle…

« Il m’est venu le sentiment que le temps me manque :
à mon âge, les adieux et les dernières fois se font plus fréquents.
Aussi je ressens le besoin d’offrir à la postérité le portrait des compagnons remarquables dont la vie m’a fait don. […] À présent je dois parler de celle qui a littéralement bouleversé mon existence. D’abord adversaire puis alliée… elle est devenue ma femme.
»

Si ce one-shot s’avère sympathique, avec un petit côté vintage agréable (beaucoup de texte, cases colorées avec un fond parfois uni…), on ne comprend pas pourquoi il s’intercale après l’échec du mariage entre Bruce et Selina. Un placement en début de tome aurait été plus judicieux tant il casse une certaine immersion présente. Néanmoins, il s’agit là d’un matériel inédit en France, agréable à découvrir.

Retour au « présent » avec La Chambre Froide. Bruce Wayne est désigné juré du procès de Victor Fries, alias M. Freeze. Dick le remplace sous la cape de Batman en attendant. Freeze est accusé d’avoir tué trois femmes pour des expériences. La police de Gotham l’a arrêté grâce au Chevalier Noir mais ce dernier n’avait pas habilité à effectuer des autopsies par exemple. La majorité des jurés votent pour la culpabilité de Freeze, seul Bruce Wayne s’y oppose, jugeant qu’on ne doit pas prendre Batman pour un bon samaritain voire un Dieu. Par une épatante démonstration, le milliardaire évoque un nouvel angle de jugement, un prisme critique où il se juge lui-même indirectement, aussi bien sur son identité réelle que secrète. Tout bonnement excellent.

Encore une fois, ce sont ici les textes, dialogues et réflexions, qui brillent par leur pertinence et tranchent avec les habituelles aventures de Batman. Tom King est à son meilleur durant tout ce volume, qui rejoint aisément les « coups de cœur » du site. Accompagné par Lee Weeks pour la partie graphique (au lieu des traditionnels Mikel Janin et/ou Joelle Jones, qui se sont occupés des deux premiers chapitres du livre), ce dernier apporte un réalisme proche de certaines BD franco-belges (on pense, par exemple, aux traits de William Wance) tout en gardant un aspect « comic-book », plus fantaisiste, par petites touches.

Un sans-faute tant sur le fond que sur la forme. Le récit place le civil et citoyen Bruce Wayne en protagoniste — un aspect encore trop rare dans les productions du genre —, sous un angle singulier (juré dans un procès !), tout en dressant une salutaire prise de conscience à propos de son alter ego et, in fine, en poursuivant sa tristesse et colère post-échec marital. Brillant et prenant.

Une flopée de bonus très très conséquente clôt l’ouvrage : le script du 44ème chapitre entre-coupées des dessins auxquels font référence de nombreuses cases (qui reprennent peu ou prou le même angle en l’ayant modernisé bien sûr), le design de la robe de mariée, des esquisses de couvertures et, surtout, une grande galerie de couvertures alternatives qui est un pur régal pour les yeux !

Ce huitième tome est l’un des meilleurs du run de King (avec le second) ; il peut lui aussi se lire comme un volume unique d’ailleurs et fera date dans la mythologie de Batman. Seule ombre au tableau : les interminables histoires qui l’ont précédées. À l’exception de quelques-unes, on imagine sans trop de difficultés une restriction en trois ou quatre tomes pour aboutir à ce résultat, plus condensé, plus qualitatif, mieux équilibré. En attendant, Noces noires, devient (presque) un must-have.

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 17 mai 2019.

Contient : Batman Rebirth #44 + #50 à #53 + The Brave & The Bold #197 (équipe artistique mentionnée plus haut).
Précédemment publié partiellement dans le magazine Batman Rebirth #24 (mai 2019).

Scénario : Tom King
Dessins : Mikel Janin, Lee Weeks et collectif
Encrage additionnel : Andrew Henessy, Mick Gray, José Marzan Jr.
Couleur : Jordie Bellaire, Tamra Bonvillain, John Kalisz, Jessica Kholine, June Chung, Otto Schmidt

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Quelques planches pleine page d’artistes de renom (cliquez pour agrandir)

 

 

Batman Rebirth – Tome 7 : Sur la route de l’autel

Suite du run de Tom King dans ce septième tome un peu particulier qui contient majoritairement des chapitres centrés sur la Bat-Family (plutôt en retrait depuis le début de la série) créés spécialement pour le fameux mariage à venir de Batman et Catwoman. Que valent ces « Preludes to the Wedding » (leur titre originel), intrinsèquement et regroupés dans leur ensemble ?

[Histoire]
Le Joker est vexé : il a appris le mariage de Batman et Catwoman mais n’est pas convié. Il attend chez un illustre inconnu que l’invitation arrive par courrier.

L’occasion de suivre différents alliés et ennemis du Chevalier Noir dans cette période pré-mariage. L’ombre du Clown du Crime n’est jamais loin…

[Critique]
Les chapitres apparaissent dans l’ordre suivant après leur introduction commune (celle-ci intitulée Prélude en VF et provenant de DC Nation #0) : Robin vs. Ra’s al Ghul, Nightwing vs. Hush, Batgirl vs. l’Homme-Mystère, Red Hood vs. Anarky, Harley Quinn vs. Joker puis les Batman #48 et #49.

Le chapitre d’introduction permet de renouer ENFIN avec le Joker. En effet, sur les six tomes précédents, le Clown du Crime n’était apparu que durant le quatrième (le plus mauvais) et il était… antipathique au possible, bien loin de sa folie habituelle (il ne riait pas et était de mauvaise humeur tout le temps). On retrouve donc un Joker plus proche de l’imagerie collective et cela est clairement agréable — les deux chapitres finaux sont d’ailleurs le point d’orgue de l’hystérie meurtrière du Joker ; on y revient plus tard.

Le récit sur Damian est sympathique au début (sa relation avec Selina) avant de tomber dans quelques absurdités : un ennemi ridicule d’une part, l’envie de jouer à un jeu vidéo d’arcade en pleine nuit d’autre part. La réelle identité de son adversaire est prévisible au possible et à part un bref retour du Damian du futur sous forme d’hallucination (celui apparu dans Batman #666, dans Grant Morrison présente Batman), il n’y a pas grand chose d’autre à sauver. On retient surtout la complicité entre Selina et Damian et le fil rouge à propos du Joker évoqué en épilogue.

Nightwing qui prépare avec Superman l’enterrement de vie de garçon de Batman ? Sur le papier, c’est un grand oui. Mais c’est malheureusement trop court : le premier Robin se trouve piégé dans une autre dimension face à Silence (Hush). Forcément, l’évocation du meilleur ami est au premier plan et là aussi on se retrouve avec un chapitre « sympathique sans plus », à l’exception — à nouveau — de la fin qui connecte chaque récit avec la folie meurtrière du Joker.

Quand Batgirl suit les énigmes du Riddler pour sauver des innocents, on a du mal à suivre… Les énigmes sont confuses, elles n’ont aucun rapport avec ce qu’on connaît (et/ou la traduction était sans doute difficile) et l’ensemble sonne « faux ». S’il y avait une certaine logique dans les chapitres précédents entre le rapport de l’ennemi ou de l’allié à Batman ou son mariage, ici ça ne prend pas du tout. Une parenthèse hyper anecdotique…

Le chapitre sur Red Hood se déroule juste avant puis en même temps que ceux de Robin et de Nightwing — principalement durant l’enterrement de vie de jeune fille de Selina cette fois. Batman charge Todd de surveiller discrètement et protéger si besoin Selina. C’est le même soir (et au même endroit tant qu’à faire) qu’Anarky a décidé d’organiser une rencontre « chaotique ». Une fois de plus, l’ensemble reste quelconque et sans réel intérêt.

Une interrogation du lecteur est mise en avant (elle l’était déjà dans le récit sur Nightwing) : le mariage de Batman et Catwoman est « public » mais quid de Bruce Wayne et Selina Kyle ? Impossible pour eux de se marier dans le civil. C’est un point important qui mériterait une réflexion nettement plus poussée au lieu d’être survolée…

Un dernier segment, consacré à Harley Quinn qui kidnappe le Joker, ferme cette longue parenthèse consacrée aux alliés (et anti-héros). Sans aucune doute l’histoire la plus intéressante car elle évoque la frustration du Joker mais aussi son couple avec Quinn. Les connexions annoncées en amont (le « parcours » du Clown du Crime à la recherche d’une invitation pour le mariage) permettent d’apprécier davantage ce chapitre, où l’émancipation d’Harley est plutôt bien mise en avant. À ce stade, on favorise grandement le premier court chapitre introductif et celui-ci, à eux deux ils suffisent amplement. Par ordre de préférence, on ajouterait ceux de Nightwing, Red Hood, Damian puis Batgirl mais clairement ils sont tous passables.

Enfin, les deux ultimes chapitres de la bande dessinée reprennent la suite de la série Batman Rebirth : le premier est glaçant et le second conclut magistralement l’ensemble. Le Joker y apparaît meurtrier (et cette fois on voit tout, pas comme dans le tome 4), complètement fou et imprévisible. Son monologue face à un Batman mutique est l’aboutissement dramatique et épique de tout le livre, qui tranche d’ailleurs avec la légèreté de certaines aventures lues peu avant… Même chose pour le dialogue entre le Clown et Selina, fort en métaphores avec le couple que forment Batman et le Joker.

Clairement, ces deux derniers chapitres sont excellents, largement au-dessus du lot de tout le comic-book et peut-être même l’apothéose de la série. Sans aucun doute ce qu’on a lu de mieux dans Batman Rebirth ! Malheureusement, cela est plombé par tout ce qu’on lit avant. Comme déjà évoqué dans les critiques précédentes, il y aurait clairement quelque-chose à jouer pour une réédition, en ne conservant que les meilleurs chapitres de l’histoire. Même si cela revêt d’une subjectivité certaine, on peut avoir confiance en Urban Comics pour  proposer les indispensables histoires de tout son arc narratif. Car à ce stade, en bientôt 50 chapitres, on a perdu Gotham Girl (introduite dans le premier volume) et on s’est éternisé dans des sentiers narratifs peu palpitants (les tomes 4, 5 et 6 à quelques exceptions près et presque l’intégrale de ce 7ème sauf son introduction et sa fin).

In fine, comme beaucoup de « longs run » (Morrison, Snyder, Dixon…), la qualité est hétérogène oscillant du médiocre au parfait, en passant par le passable ou le fameux « sympathique sans plus ». Sur la route de l’autel n’est pas forcément le bon exemple car co-écrit avec Tim Seeley mais on constate trop de difficulté la l’évolution du travail de Tom King — qui laisse une certaine place au dialogue et à la « seconde lecture » qui rehausse l’intérêt selon certains. Malgré tout, on conseille tout de même cette septième salve pour sa conclusion. Du reste, à part l’introduction et le chapitre sur Harley Quinn (et encore), rien ne restera marqué dans la mythologie profonde du Caped Crusader. Les affrontements entre les alliés de Batman et ses célèbres ennemis sont assez expéditifs, comme très souvent dans ce genre de compilation. Niveau dessin, c’est un festival où personne ne sort réellement du lot (cf. session à propos) à part Mikel Janin, habitué de la série. En synthèse, c’est mieux que les trois tomes précédents mais uniquement pour un tiers du comic-book (qui fourmille de nombreux bonus : couvertures alternatives, croquis préparatoires, planches encrées, crayonnés…).

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 1 mars 2019.

Contient : Batman Rebirth #48-49, Prelude to the Wedding: Robin Vs. Ra’s al Ghul #1, Prelude to the Wedding: Nightwing Vs. Hush #1, Prelude to the Wedding: Batgirl Vs. The Riddler #1, Prelude to the Wedding: Red Hood Vs. Anarky #1, Prelude to the Wedding: Harley Quinn Vs. The Joker #1 + pages from DC Nation #0

Précédemment publié partiellement dans le magazine Batman Rebirth #24 (mai 2019).

Scénario : Tom King, Tim Seeley
Dessins : Mikel Janin, Clay Mann, Brad Walker, Travis Moore, Minkyu Jung, Javier Fernandez, Hugo Petrus, Sami Basri, Otto Schmidt
Encrage additionnel : Andrew Henessy, Mick Gray, José Marzan Jr.
Couleur : Jordie Bellaire, Tamra Bonvillain, John Kalisz, Jessica Kholine, June Chung, Otto Schmidt

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Batman Rebirth – Tome 03 : Mon nom est Bane

 

Batman Rebirth – Tome 6 : Tout le monde aime Ivy

Après deux tomes décevants voire complètement ratés, que vaut la sixième salve du run de Tom King ? Bruce et Selina vont-ils enfin se marier comme annoncer depuis trois volumes ?

[Histoire]
Wonder Woman allume le Bat-Signal et convie Batman à remplacer « le gentil homme » (Julian de son véritable prénom), puissant guerrier piégé dans une dimension (« l’autre réalité ») où il affronte sans relâche des hordes de monstres. Le duo accepte le temps d’offrir du repos à leur camarade (dont on n’avait jamais entendu parler auparavant…). Dans cet autre monde, le temps s’écoule plus lentement : quelques heures sur la Terre des super-héros équivaut à plusieurs années là-bas. De quoi mettre à rude épreuve la fidélité de Bruce, seul avec Diana, et la (potentielle) jalousie de Selina, accompagnant « le gentil homme » durant son court séjour à Gotham.

Plus tard, Poison Ivy réussi à contrôler la sève mondiale et, par extension, les êtres humains. Elle souhaite rendre le monde meilleur mais seules deux personnes sont hors de sa portée : Catwoman et Batman.

[Critique]
Une fois n’est pas coutume, ce tome est composé de plusieurs histoires : Pour les siècles des siècles (#39 et #40), Tout le monde aime Ivy (#41 à #43) puis Le cadeau (#45 à #47). Le #44 est réservé au huitième tome (Noces Noires).

Après Superman dans le tome précédent, c’est Wonder Woman qui est mise en avant cette fois (en VO les chapitres #39 et #40 sont inclus dans la continuité des #36 et #37 intitulés Super Friends). Si cette courte histoire (Pour les siècles des siècles) semble improbable à tous niveaux (même en acceptant la part mystique et fantasy), elle n’en demeure pas moins réussie et étrangement drôle. La Reine des Amazones et le Chevalier Noir passent en effet 37 ans (!!!!) dans « l’autre réalité » sans vieillir et en combattant sans cesse des créatures. Outre l’aspect surréaliste de la chose (comment se nourrissent-ils par exemple), cette itération de « la tentation » est singulière et bien trouvée, tout comme l’attente de Selina à Gotham qui lui montre aussi de nouveaux points de vue. Graphiquement, Joëlle Jones continue de faire des merveilles. À ce stade, on se dit qu’il aurait été plus judicieux de ne conserver pour le cinquième tome que les segments avec Clark, Lois et désormais Diana (l’histoire Super Friends donc). Peut-être lors d’une réédition du run ?

Tout le monde aime Ivy donne son titre à l’ouvrage. On y retrouve Mikel Janin aux dessins avec son style mi-réaliste, mi-épurée, délicatement mis en couleur (par June Chung) qui livrent une atmosphère proche des contes pour enfants, tant la végétation trône fièrement sur la plupart des cases. Côté scénario, c’est un peu confus : Poison Ivy parvient à contrôler le monde entier, rien que ça. On ne sait pas trop comment, si ce n’est l’utilisation des plantes, son réseau via la sève. Pourquoi pas… Elle rend donc le monde meilleur, le crime n’y existe plus.

Seuls Bruce et Selina ne sont pas sous son emprise (sans qu’on comprenne à nouveau vraiment pourquoi et comment). Alfred, Superman, Flash… tous ces autres proches du couple obéissent à Poison Ivy. L’intérêt se situe — comme beaucoup des chapitres précédents — dans les dialogues de couple entre les deux tourtereaux. Des questions, des situations, des doutes, des moments de joie, etc. très humains et quotidiens appliqués sans réel filtre au monde super-héroïque. Sur ce point, King fait mouche, indéniablement. Pour le reste, c’est une fois de plus mitigé.

Le récit fait plusieurs fois référence à La Guerre des Rires et des Énigmes, comme si King se répondait et s’auto-corrigeait après-coup pour justifier un segment qui fut clairement raté. La résolution de l’intrigue a lieu majoritairement par le dialogue et la présence de… Harley Quinn, qui connecte l’ancienne muse du Joker à ses propres histoires où elle est en couple avec Ivy. Enfin, c’est la première fois que le Sanctuaire est mentionné, lieu où se repose les super-héros et antagonistes, au cœur de l’ouvrage Heroes in Crisis (une curiosité recommandé malgré ses défauts — critique bientôt en ligne).

Les trois derniers chapitres forment Le cadeau et sont dessinés par Tony S. Daniel, souvent à l’œuvre sur plusieurs séries sur le Caped Crusader. Dans cette histoire, Booster Gold et son robot Skeet (qui est une machine à voyager dans le temps) viennent d’un futur peu reluisant, où Copplebot est président des États-Unis, Al Ghul règne sur l’Eurasie, le Joker est omniprésent sous diverses formes, Jason Todd est à la tête d’une fabrique de pneus qui électrocutent mortellement une personne qui essaierait de les voler et, surtout, le Chevalier Noir est Dick Grayson, lourdement armé et n’hésitant pas à tuer. Cela s’explique aisément : dans ce monde chaotique, les parents de Bruce Wayne ne sont pas morts et la situation est pire que s’ils l’étaient… Mais le milliardaire ne semble guère s’en soucier. Booster Gold va devoir se tourner vers Catwoman pour ramener Wayne « à la raison ».

C’est avec cette dystopie radicale que la bande dessinée trouve son meilleur moment, sans trop de difficultés ! Après deux tomes moyens, ce sixième volet retrouve « un peu » de sa superbe : graphiquement tout est sublime malgré les trois styles des artistes bien différents (cf. les images d’illustration de cet article et celles à retrouver en bas de page) et scénaristiquement, bien qu’inégal, on revient petit à petit à un niveau plus élevé que la moyenne.

Grâce à la dernière histoire (Le cadeau) mais aussi grâce à l’humour à la fois léger et ciselé qui parsème l’ensemble des récits. Enfin, les nombreux dialogues « de couple » sonnent juste et apportent une originalité bienvenue dans le monde de Batman. En synthèse, un tome pas indispensable mais quand même mieux que les deux précédents.

Ceux qui s’attendaient à voir le fameux mariage rapidement seront en revanche déçus car sur ce sujet, l’histoire n’avance pas d’un iota. Cela traîne en longueur de façon plus ou moins utile et si l’angle de la romance reste assez inédit et (parfois) bien écrit, il reste paradoxalement pas encore assez poussé. À voir si la suite tient la route ou non et quels seront les tomes à lire une fois tout le run de Tom King terminé (ce qui fera l’objet d’une petite analyse).

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 11 janvier 2019.

Contient Batman Rebirth #39-43 et #45-47
Précédemment publié dans les magazines Batman Rebirth #20 à #24 (janvier à mai 2019).

Scénario : Tom King
Dessins : Joëlle Jones, Mikel Janin, Tony S. Daniel, Hugo Petrus
Encrage additionnel : John Livesay, Sandu Florea, Danny Miki
Couleur : Jordie Bellaire, June Chung, Tomeu Morey

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Stephan Boschat (Studio MAKMA)

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Batman Rebirth – Tome 02 : Mon nom est Suicide
Batman Rebirth – Tome 01 : Mon nom est Gotham