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Batman & les Tortues Ninja [Tomes 1 & 2]

Fort du succès (surprise) des ventes des deux premiers tomes de Batman & les Tortues Ninja, Urban Comics les a réédités fin mai 2020 dans un volume en édition limitée, dans la collection DC Deluxe, agrémenté de nombreux bonus (près de 140 pages !). L’équivalent du tome 3 (Fusion), a également rejoint ce format avec une mise en vente deux semaines plus tard en juin 2020. En effet, Amère Pizza (le tome 1) et Venin sur l’Hudson (le 2) sont d’abord étrangement sortis (début 2017 puis fin 2018) dans la collection Urban Kids : un format souple et plus petit que les DC Deluxe (qui ne rendait pas forcément « honneur » au travail des artistes) et qui visait un public très jeune alors que de nombreux adolescents et adultes s’y retrouvaient aussi (d’autant plus surprenant que l’ensemble reste assez violent et comporte même quelques cases plutôt gores comme un corps décapité par exemple !). Critique donc de cette compilation de deux volumes grâce à cette réédition. Cowabunga !

    

(La couverture de gauche qui rassemble les deux tomes de droite — couvertures de leur ancienne collection.)

LIVRE I (anciennement Amère Pizza)

[Histoire]
Le clan des Foot, de terribles ninjas qui travaillent pour Shredder cambriolent des laboratoires scientifiques à Gotham City. Les Tortues Ninja et leur maîtres Splinter occupent les égouts de la ville pour tenter d’arrêter leur ennemi juré.

De son côté, Batman a vent de l’existence des tortues qu’il imagine être des mutants responsables des vols.

Killer Croc s’aventure aussi dans les égouts de la métropole pour désosser la Batmobile et revendre ses pièces !

Le Chevalier Noir va croiser le fer avec les célèbres Chevaliers d’écailles !

[Critique]
Cet improbable et génial crossover mêle habilement les genres et propose un parfait équilibre des meilleurs ingrédients d’un comic-book ! Le récit est extrêmement accessible, bien qu’il parlera évidemment davantage aux connaisseurs de l’univers de Batman et/ou de celui des fameuses Tortues. En effet, d’autres personnages populaires (en complément de ceux cités dans le résumé) s’ajoutent au fil des six chapitres : le Pingouin, Robin/Damian Wayne et Ra’s al Ghul (forcément, lui aussi étant ninja) côté Chevalier Noir, Splinter, Casey Jones et April O’Neil côté Chevaliers d’écailles. La galerie d’Arkham joue aussi un beau rôle, avec une forme étonnante et amusante vers la fin. Aussi bien le novice que le connaisseur sera agréablement servi !

L’histoire reste, in fine, assez simpliste : le monde des Tortues se retrouve dans celui de Batman (comme un multivers), les ninjas veulent retourner chez eux, Shredder a le pouvoir d’inverser leur mutagène pour les rendre animaux en restant à Gotham et, tant qu’à faire, autant bâtir un nouvel empire dans la ville de l’homme chauve-souris en s’alliant à un de ses pires ennemis : Ra’s al Ghul. L’exécution scénaristique est parfaite, elle enchaîne sans temps mort les séquences d’action et de réflexion. Les enjeux sont vite posés, quelques surprises sont bienvenues, on rigole (souvent), on s’émeut (un peu), on est divertit (tout le temps). Rien à redire. Pour l’anecdote, il est fait mention de L’An Zéro, ancrant donc la fiction dans l’univers New 52 et, surtout, la chronologie « récente » du Chevalier Noir (continuité logique puisque Damian Wayne est Robin ici).

Batman est autant mis en avant que les quatre tortues et leur maître. Chez ces derniers, on retrouve les figures classiques de leur caractère : Michelangelo apporte humour et légèreté, entre punchlines, situations absurdes et échanges amusants avec Alfred, Raphael reste fidèle à son côté taciturne, impulsif et plus sombre (donc proche de Batman), Donatello jubile devant les gadgets du justicier et son intelligence (on retrouve donc là aussi un côté similaire à Batman), Leonardo — curieusement un peu en retrait par rapport à ses camarades — et Splinter se partagent la tâche du mentor (une fois de plus, comme Batman envers Damian par exemple), de la stratégie des combats et rigueur des entraînements (et oui, encore une autre part du Chevalier Noir).

Le mélange fonctionne à merveille, on sent la folle passion qui anime autant James Tynion IV à l’écriture que Freddie E. Williams II aux dessins. Dans ce qui semble être un « rêve de fans » mutuel, chacun y propose un travail de qualité. Outre les dialogues ciselés et l’intrigue globale (qui apporte son lot d’originalité malgré son cheminement classique et un climax peut-être un brin expéditif), les planches sont un régal pour les rétines. Les affrontements sont extrêmement bien rendus, toutes les phases d’action sont fluides et violentes à la fois. Quand Williams II peut s’éclater sur une double page, il s’en donne à cœur joie, donnant lieu à des associations inédites et assez jouissives. On est séduite par les bandeaux de couleur des Tortues Ninja, chacun avec un style précis, le genre de détails plaisant. Les amateurs de véhicules et de tenues/costumes/armures de Batman seront aussi (sans doute) comblés.

L’artiste donne vie au monde très « fantastique » des Tortues mêlé à celui, plus terre-à-terre et « réaliste » de Batman avec un élégant style rendant crédible l’ensemble (bien que déjà favorisé par l’incursion d’un Killer Croc par exemple ou encore la thématique ninja, fortement présente à la base). Seul l’encrage un peu trop prononcé assombri parfois l’ensemble (c’est d’autant plus flagrant en voyant les crayonnés initiaux, fins et précis, du dessinateur dans les bonus en fin du recueil). Poses iconiques, premiers plans et corps mis davantage en relief, noirceur et jeux d’ombre pour quelques cases de toute beauté et, surtout, colorisation hors-pair — assurée par Jeremy Colwell — confèrent l’essence voire la quintessence d’un comic-book façon blockbuster. C’est beau, c’est vivant, c’est plein de tons différents, ça se lit d’une traite, c’est marquant, un véritable coup de cœur !

C’est donc (presque) un sans faute pour cette première « fusion » des deux univers de ces monuments de culture populaire. Une seule envie : en découvrir d’autres. Ça tombe bien, il en existe déjà deux suites !

LIVRE II (anciennement Venin sur l’Hudson)

[Histoire]
A New-York, dans le monde des Tortues cette fois, le quatuor combat toujours le clan Foot. Karai, imminente ninja (et fille adoptive de Shredder visiblement, avec qui elle est en conflit), s’allie plus ou moins aux Tortues Ninja.

A Gotham City, les assassins de la Ligue des Ombres veulent destituer Ra’s al Ghul — jugé trop faible après son alliance avec Shredder et sa défaite — et cherchent un puits de Lazare. Batman et Robin enquêtent et tombent sur… Bane.

De son côté, Donatello active la machine pour aller dans le monde du Chevalier Noir pour lui envoyer un message mais suite à une erreur, il s’y retrouve et Bane atterrit à New-York face au clan Foot !

[Critique]
Encore une réussite ! Peut-être un peu moins « plaisante » que la précédente histoire suite à un récit assez convenu et prévisible (et l’effet de surprise passé). Toutefois, le divertissement est toujours assuré, jouissant d’un excellent rythme (à nouveau), de dessins agréables et du plaisir de retrouver deux univers bien distincts pour un rendu « cool ». Cette fois (toujours en complément de ceux déjà cités dans le résumé), ce sont Batgirl et Nightwing qu’on voit un peu plus côté mythologie de Batman et les fameux Bebop et Rocksteady côté monde des Tortues.

Niveau humour, on peut toujours compter sur Michelangelo mais aussi… Damian Wayne. Involontairement, ce dernier créé plusieurs situations cocasses (sans surprise, son arrogance face aux Tortues fait des étincelles, particulièrement contre Raphael). Le trio des mentors fonctionne bien, à savoir Splinter, Leonardo et Batman qui sévissent ensemble brièvement.

L’anti-héros Bane est limite le personnage principal du récit avec Donatello (!). La stature imposante de Bane propose une alternative nettement plus dangereuse et inquiétante que dans l’histoire précédente (même si, bien sûr, on sait qu’il perdra à la fin). Les mondes sont d’ailleurs inversés : après la visite des Tortues Ninja à Gotham City, c’est désormais Batman et Robin qui se retrouvent dans le New-York des chevaliers d’écaille. Simple mais efficace.

Au milieu du récit se déroule un combat spectaculaire et grandiloquent, pendant presque un chapitre entier. Si là aussi on y retrouve une certaine violence et lisibilité graphique hors-pair, on déplore un petit peu les enjeux qui restent (dès le début de l’histoire) d’un extrême classicisme. A savoir Bane qui devient surpuissant, lève son armée et veut « gouverner » sa nouvelle cité. Cela fonctionne toujours mais perd un peu du charme de la découverte et surtout d’originalité. Néanmoins, la culpabilité (et mise en avant) de Donatello, responsable du fiasco, apparaît comme un fil narrative très secondaire appréciable.

Le travail graphique reste identique au précédent, avec encore plus de pages éclatées et parfois même au format vertical ! Donc il faut tourner le livre pour en apprécier certaines mises en scène singulière du genre. Outre les illustrations de cette chronique, trois planches sont proposées en fin d’article pour apprécier la mise en page et le rendu saisissant de certaines scènes.

En synthèse, les fans des deux univers seront comblés à nouveau quoiqu’il arrive. C’est toujours aussi prenant bien qu’un peu plus convenu, on s’étonne aussi (quand on connaît les Tortues Ninja) de voir Leonardo un peu sous-exploité, cela sera peut-être corrigé dans le tome suivant (Fusion). Dans tous les cas, on reste sur un « blockbuster comic-book » qui ravira les passionnés.

Conclusion de l’ensemble

Sans surprise, le mix de deux univers comics incontournables est à découvrir si on les aime déjà séparément. Si on ne connaît que l’un ou l’autre, on ne sera pas perdu mais pas sûr d’être entièrement conquis (chaque monde reste assez survolé finalement). Néanmoins pour le prix et la qualité il serait dommage de passer à côté de cette pépite soignée. Pas besoin d’ajouter d’autres arguments, les critiques viennent de les mentionner.

Parmi la tonne de bonus additionnel, on retient des notes d’intentions de James Tynion IV, qui évoquait pour le premier récit l’absence logique du Joker pour ne pas parasiter Shredder, l’influence des travaux de Frank Miller (qu’on peine à retrouver dans le résultat final) et en filigrane une certaine frustration du format mini-série obligeant à aller très vite et se cantonner à six chapitres uniquement. Freddie E. Williams II commente ensuite ses croquis et designs puis une impressionnante galerie de couvertures classiques et alternatives ferme la section de bonus. On y retrouve celles de Kevin Eastman, l’un des deux créateurs des Tortues Ninja (avec Peter Laird), avec son style atypique et anguleux.

Seul problème de cette compilation : quasiment introuvable peu de temps après sa sortie ! Impossible d’envisager un nouveau tirage — pire : pourquoi avoir imprimé une édition si limitée ? Seulement 2.000 exemplaires ont été mis en vente (là où le premier tome de l’édition précédente s’est écoulé à… près de 20.000 exemplaires). Le marché des comics reste un secteur de niche. Les volumes « simples » des Tortues Ninja (chez Hi Comics — qu’on recommande fortement) s’écoulent à peine à 1.000 exemplaires (il en faudrait 1.500 idéalement pour sécuriser et pérenniser et rythme de sortie de la série). Les Batman sont la locomotive d’Urban Comics (avec Watchmen et Harley Quinn visiblement), la première réunion pour ce crossover improbable a eu bonne presse ET bonne vente. Difficile de comprendre un tirage si peu élevé là où 5.000 exemplaires semblait plus juste et équilibré sans pris de risque pour le titre. C’est pour cela qu’il semble inimaginable de ne pas envisager une réimpression vu le succès. Ou, à minima, une édition sans les bonus, un chouilla moins onéreuse (22,50€ par exemple) dans ce format similaire, pour s’ajuster parfaitement à la suite (Fusion donc) et ne pas frustrer les collectionneurs et potentiels nouveaux venus.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 29 mai 2020

Scénario : James Tynion IV
Dessin : Freddie E. Williams IV
Couleur : Jeremy Colwell

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Cromatik Ltée

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