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Que vaut l’intégralité de la série Batman Rebirth ?

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Les aventures de Batman se suivent et se ressemblent parfois plus ou moins, au grand dam des lecteurs. Après le run décrié de Scott Snyder, c’est Tom King qui a repris en main le personnage du Chevalier Noir — en bénéficiant du Relaunch Rebirth de 2016 — durant une longévité exceptionnelle (une centaine de chapitres publiés pendant quatre ans, au rythme de deux par mois !). En France, c’est sous l’appellation Batman Rebirth que la série a été proposée par Urban Comics, en 12 tomes (le dernier est sorti en juin 2020). Résumé et critique de l’ensemble (attention, l’article contient donc quelques révélations).

Une porte d’entrée moyenne… (tome 01)

Attirer de nouveaux lecteurs, proposer quelque chose de neuf pour les habitués ; l’éternel relaunch, reboot ou autres fresh start. Ici, la nouveauté porte sur deux nouveaux personnages : Hank et Claire, alias Gotham et Gotham Girl. Un frère et une sœur avides de justice, voulant rejoindre la croisade de Batman grâce à des pouvoirs achetés sur le marché noir mais qui les détruisent à petit feu. Une idée de départ plus ou moins novatrice (dans le milieu de l’industrie), débouchant sur un énième comic-book « mainstream » simple et efficace mais non dénué de défauts et, surtout, peu mémorable niveau scénario.
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Mon nom est Gotham (le titre de ce premier tome) est un semi-échec (ou semi-réussite c’est selon), avec un premier chapitre introductif déconnecté et inutile, et de superbes planches de David Finch (on parlera des dessins de la saga plus loin). Un départ moyen, ni réellement passionnant ni franchement déplaisant. Une production correcte qui est, de facto, un point d’entrée idéal pour de nouveau lecteurs, là-dessus ça fonctionne — malgré des allusions à diverses séries DC Comics, incluant le précédent run de Scott Snyder. Rétroactivement, on peut confirmer que Claire/Gotham Girl aura une certaine importance par la suite (notamment vers la fin) mais elle est écartée peu après et disparaît sans jamais être réellement mentionnée ou (re)mise en avant. De même pour le Psycho-Pirate, ennemi de seconde zone oubliable mais revêtant un certain intérêt tout le long de la fiction.

… puis des aventures fracassantes et originales (tomes 02 et 03) !

Mon nom est Suicide (titre du deuxième volume) peut limite se lire indépendamment et se démarque de son prédécesseur par de réelles qualités d’écriture (et de dessins — tout cet autre aspect, primordial dans une bande dessinée, sera évoqué plus bas).
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Le Chevalier Noir part en mission avec son propre escadron suicide (incluant Catwoman). L’ensemble est passionnant, très joli et original. On y retrouve un peu la patte Morrison tout en s’en émancipant habilement.
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Mon nom est Bane (le troisième) dévoile un incroyable affrontement entre Batman et Bane. Inversant presque le culte Knightfall (ici c’est l’ennemi qui combat les fous d’Arkham avant le justicier) et mettant en avant une longue galerie de personnages secondaires, notamment les alliés (les ennemis l’étaient dans le volume précédent).
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La conclusion du récit ? Une demande en mariage de Bruce à Selina ! Alléchant… mais (rétroactivement une fois de plus), ce mariage n’aura lieu que cinq tomes plus tard, pénible.
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Le premier vrai loupé (tome 04)

La guerre des rires et des énigmes donne son nom à l’album et évidemment à l’événement éponyme.  Plusieurs fois évoquée juste avant, souvent mentionnée ensuite, cette fameuse guerre est pourtant un ratage complet. Bruce partage son lourd secret avec Selina : il a failli dépasser sa limite et tuer un de ses ennemis… Ce qui était censé être un point d’orgue s’avère un pétard mouillé et surtout un conflit meurtrier entre les troupes du Sphinx et celles du Joker, complètement improbable et peu plausible.
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Faussement violent et grotesque, le récrit se vautre dans un survol des personnages, perd en réalisme ce qu’il avait réussi à gagner jusqu’ici en authenticité, et ne sert absolument à rien. Le concept, bon au demeurant, est mal exploité et n’apporte pas grand-chose au passé, au présent ou au futur de Batman (surtout maintenant que la série est terminée). Clairement un volume qu’on peut ne pas lire.

Les égarements… (tomes 05, 06 et une bonne partie du 07)

Sans doute la partie la plus inégale du run. Si rien n’était à sauver dans le tome 04, on retrouve ensuite des choses très moyennes à de rares exceptions, avec donc du bon et du moins bon. Les tomes 05 et 06, En amour comme à la guerre et Tout le monde aime Ivy, proposent des bouts d’histoires en marge du fameux mariage entre Bruce et Selina. On y trouve pèle-mêle un combat entre Selina et Talia al Ghul, dans le but de déterminer qui « mérite » le milliardaire (pfiouh, on en est là…), une sortie amusante entre couples (Loïs et Clark accompagnant Selina et Bruce), Wonder Woman et Batman, piégés dans une dimension où le temps s’écoule plus lentement et devant faire face à des hordes de monstres, Poison Ivy contrôlant les plantes (original…) mais ayant éradiqué le crime, Booster Gold venant du futur, etc.
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Ces chapitres sont tour à tour palpitants et ennuyants, parfois drôles, parfois invraisemblables. Presque hors-sujet aussi, tant l’ensemble stagne et n’avance pas vraiment. Heureusement, un aspect poétique et humaniste (servi par de jolis dessins toujours) contrebalance les défauts évoqués, auxquels on ajoute volontiers un côté parfois sexiste (tant dans la narration que dans les postures féminines hyper sexuées qui plombent des morceaux du run).
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Le tome 07, Sur la route de l’autel, aurait gagné à être divisé en deux parties pour laisser la première dans le volume précédent et s’en passer aisément, la seconde dans le suivant pour le rendre culte voire indispensable même pour un lecteur qui ne lirait que celui-ci. Le titre est en effet composé de cinq chapitres montrant un affrontement entre un allié et un ennemi de Batman (Robin vs. Ra’s al Ghul, Nightwing vs. Hush, Batgirl vs. l’Homme-Mystère, Red Hood vs. Anarky, Harley Quinn vs. Joker) puis de deux épisodes classiques de la série. Les combats sont peu mémorables, ils permettent de mettre brièvement en avant la Bat-Family, peu vue jusqu’ici, et quelques adversaires emblématiques. La vraie force de ce septième volume réside dans ses deux derniers épisodes, d’une écriture magistrale, avec un Joker d’anthologie, au sommet de sa forme. Du grand art !

… avant l’apothéose (fin du tome 07, tome 08, 09 et un volume unique publié en marge)

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Comme on vient de le voir, la fin du septième tome est une pépite. Le huitième, Noces Noires, est sans aucun doute le meilleur de tout le run. Le fameux mariage a enfin lieu, avec des conséquences inattendues. Pour l’occasion (et aussi car il s’agit du 50ème chapitre de la série, augmenté de plusieurs pages), une grande galerie de dessinateurs [1] clament leur amour pour les deux héros à travers des planches incroyables et des réflexions, signés Tom King évidemment, qui font mouchent, qui émeuvent ou touchent. C’est élégant, c’est incontournable pour la (nouvelle) mythologie de Batman. On peut lire en parallèle À la vie, à la mort, one-shot sur l’idylle entre les deux personnages dans un (trop) court récit qui se termine dans un futur plus ou moins lointain. Autre bijou mélancolique.
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La suite de l’histoire n’est pas en reste puisque Bruce Wayne se retrouve juré dans un procès concernant Mister Freeze. Il doit convaincre les autres citoyens de l’innocence de l’accusé et pourquoi Batman n’est pas forcément la représentation idéale de la justice ! Une situation inédite qui se poursuit dans L’aile meurtrière. Ce neuvième tome marque aussi le retour de Nightwing et KGBeast (lui aussi pioché dans la saga Knightfall), un touchant hommage à Alfred et la « renaissance » de… Bane ! Grand absent depuis plusieurs volumes, il revient d’une façon très intéressante.

Tome 10 et 11 – Poursuite en demi-teinte

Après l’interminable partie sur la romance entre Bruce et Selina, la série tombe dans un travers classique du genre : les illusions et rêves déments qui prennent un temps fou au lieu de faire avancer l’intrigue. C’est le cas de Cauchemars, dixième tome qui, comme son titre l’indique, voit le justicier coincé dans une machine à cauchemars. On a connu King plus inspiré même s’il en profite pour mettre en avant, une fois de plus, les démons et la fragilité de l’homme (de Bruce Wayne donc).
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Malgré de jolis moments d’écriture (des échanges entre Batman et Catwoman notamment), il en résulte à nouveau un sentiment de surplace narratif (l’histoire principale n’a quasiment pas avancé et l’on reste presque intégralement dans la psyché de Bruce/Batman tout le long du titre). On retient la présence de Constantine dans ce volume qui pourrait lui aussi se lire comme un one-shot indépendant.
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Le travail de déconstruction psychologique se poursuit dans La chute et les déchus, nettement meilleur mais non exempt de défauts. Bane est (vraiment) de retour cette fois ainsi que… Thomas Wayne ! La version Batman de Flashpoint, difficile de comprendre/suivre si l’on n’est pas familier de ces événements.
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Un voyage initiatique avec le père et le fils s’avère particulièrement émouvant. Mieux : les pièces du puzzle de tout ce qu’on a lu depuis le premier tome commencent à se rassembler pour former un tout cohérent.

Tome 12 – Conclusion réussie, épique et émouvante

Tom King avait-il tout prévu depuis la mise en place de son univers ? Il faut croire que oui (au moins dans les grandes lignes) tant tout se recroise avec une étonnante fluidité. La douzaine de chapitres aurait (une fois de plus) pu être réduite, notamment dans sa première moitié qui s’attarde trop sur Selina et Bruce hors de Gotham City et pas assez sur cette dernière et son statu quo inédit.
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La Cité de Bane (titre de cet ultime tome) enchaîne les séquences marquantes : une ville sous le joug de Bane, le Batman Flashpoint accompagné de Gotham Girl (rappelez-vous le tout premier volume) en guise de justiciers de l’extrême, les emblématiques ennemis incorporés aux forces de l’ordre (le GCPD est dirigé par Strange), une mort marquante par son exécution puis son testament romanesque touchant, une idylle renouée et une fin tout à fait satisfaisante, fermant ce qu’a instauré King et ouvrant habilement une suite [2].
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En somme, une conclusion épique et émouvante, réussie en tous points, et qui permet de conserver une note positive de l’entièreté de l’arc malgré ses égarements narratifs et son côté inutilement étiré.

Des dessinateurs prestigieux et une épopée graphique soignée

On ne l’avait pas encore évoquée pour se concentrer dans un premier temps sur le scénario mais la partie visuelle est évidemment très importante. Un artiste revient régulièrement (impossible d’en avoir un seul vu le rythme de parution de toute façon — deux chapitres de 20 pages chaque mois !) : Mikel Janin. Il aura su apposer son style doux si particulier et ses visages marquants tout au long de la série. D’autres prestigieux noms l’ont accompagné, comme David Finch, Tony S. Daniel, Jorge Fornes, Joëlle Jones et Clay Mann pour les plus importants. Chacun apportant une touche graphique soignée, dans une jolie succession de planches sans réel faux pas. Bien sûr la non homogénéité des styles pourrait déplaire, mais on ne ressort pas choqué de ce mélange des genres.
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Batman Rebirth joue donc sur deux tableaux principaux. Le très long plan de Bane, organisé dans l’ombre avec la complicité inédite du Batman Flashpoint. En ce sens, on est presque dans un remake de Knightfall et de la destruction physique et psychologique de Batman/Bruce. Rien de nouveau si ce n’est une modernité et crédibilité plus poussée, palpitante ! Second intérêt : la romance entre Bruce Wayne et Selina Kyle. Leur relation, particulièrement bien écrite, donne lieu à des scènes aussi touchantes qu’agaçantes. Le jeu du chat et de la (chauve) souris est parfois pénible, chacun se drapant derrière son masque au lieu de lâcher prise et savourer enfin un peu de répit et de bonheur. On retient le huitième tome, Noces Noires, qu’on peut même lire indépendamment du reste — comme les tomes 2 et 10 par exemple, une des forces de la série.
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Tom King réussit où Scott Snyder échouait : son travail est moins clivant, il déconstruit moins le mythe du Chevalier Noir. Il (ré)écrit à sa manière des sujets et thématiques déjà abordés. Mais à l’inverse de son confrère scénariste, il réussit à produire d’authentiques pépites et, à l’opposé, des navets sans nom. Snyder séduisait ou dérangeait mais n’arrivait jamais vraiment à se hisser au sommet sans pour autant tomber non plus dans les égouts, il arrivait à proposer quelque chose au pire vaguement divertissant. Pour vulgariser grossièrement, Snyder a produit du bon et du moins bon là où King a produit de l’excellent et du médiocre. Les deux souffrent d’une qualité hétérogène évidente vu la longueur de leurs runs respectifs (9 tomes pour Snyder, 12 pour King).
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Si Scott Snyder a marqué les esprits avec des créations qui occupent désormais une place plus ou moins importante dans la mythologie de Batman (sa fameuse et surestimée Cour des Hiboux, leurs ergots, la figure singulière du Joker…) ce ne sera pas forcément le cas du travail de Tom King, pourtant meilleur, paradoxalement. Un énième plan de Bane contre un Batman brisé et déchu ? Une idylle avec Selina Kyle, certes détaillée et enrichie ? Tout cela n’est,  in fine, pas réellement nouveau, seul son traitement l’est. Même s’il y a bien sûr des passages marquants et — on le répète — de superbes tomes.
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Les conséquences pour la suite seront probablement minimes. Il y a bien sûr la mort d’un personnage principal historique à prendre en compte. Mais, on le sait, il y a de fortes chances pour que ce dernier revive d’une manière ou d’une autre… Il y a par contre un élément crucial qui sera l’héritier de Batman Rebirth mais… celui-ci n’est bizarrement pas évoqué dans les derniers tomes de la série mais dans une autre production à venir, toujours signée par Tom King. Difficile d’en dire plus sans dévoiler le fameux élément crucial pour cette œuvre à venir. Finalement, c’est le nouvel ennemi, le Batman Flashpoint, Thomas Wayne donc, qui saura peut-être revenir dans un futur proche en tant qu’allié ou vilain de qualité, qui marquera davantage les esprits.

En synthèse, pour ceux souhaitant piocher le plus intéressant dans leur lecture (l’intégralité revient tout de même à presque 230 €, un investissement important donc !), on conseillera d’acheter les tomes 01, 02, 03, 08, 09, 11 et 12 (éventuellement le 07 pour sa dernière partie remarquable et À la vie, à la mort). On se plaît à imaginer une réédition supprimant les chapitres anecdotiques et tout le surplace narratif peu palpitant. Malgré les défauts et égarements divers, la tendance globale reste sur une note plutôt positive. Bravo donc à Tom King d’avoir réussi à mettre de jolis mots sur des maux particulièrement humains. Un travail appréciable, parfois clivant, parfois passionnant, qui laisse rarement indifférent. L’avenir nous dira si tout cela n’aura pas été vain…
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[1] Jason Fabok, Frank Miller, Lee Bermejo, Neal Adams, Tony S. Daniel, Paul Pope, Tim Sale, Andy Kubert, David Finch, Jim Lee, Greg Capullo… parmi les plus connus de l’industrie !

[2] L’épilogue ouvre sur une autre histoire, qui sera écrite par James Tynion IV, habitué depuis une petite dizaine d’année à signer ou co-signer diverses bandes dessinées sur le Chevalier Noir. Tout cela sera à découvrir dès septembre dans le premier volume (très réussi et accessible) de Batman : Joker War.
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Cet article — se voulant être un bon complément des critiques détaillées, analysant avec le recul l’entièreté du run et le présentant de manière plus synthétique — a initialement été publié sur UMAC (site sur lequel je contribue de temps en temps).

Les points positifs de la série Batman Rebirth :
  • Un ensemble cohérent, dont toutes les intrigues trouvent une résolution.
  • Les dessins majoritairement assurés par Mikel Janin, David Finch, Tony S. Daniel, Jorge Fornes. De jolies planches, un régal !
  • Deux histoires importantes : le plan de Bane et la romance entre Bruce et Selina.
  • Le côté humain et meurtri de Bruce Wayne, bien mis en avant tout le long.
  • Très bon travail éditorial d’Urban Comics (rapidité des sorties au plus près des versions US, contextualisation de l’ensemble, fiches personnages, choix de couvertures pertinents et galeries de bonus systématiques).
  • Des connexions à d’autres bons récits (Flashpoint et le segment sur le Chevalier Noir de cet univers, Le Badge, Heroes in Crisis, diverses séries sur Batman, etc.)…

Les points négatifs :

  • … qui peuvent perdre (un peu) les non connaisseurs.
  • Beaucoup trop long, l’essentiel aurait largement pu tenir en 7 tomes.
  • Un rythme en demi-teinte, parfois passionnant, parfois ennuyant, avec des épisodes inutiles ou de faible qualité.
  • Des passages pouvant parfois être perçus comme sexistes.
  • Moins marquant que d’autres sagas cultes (à part la mort d’un personnage important mais qui reviendra sans doute d’une manière ou d’une autre, comme toujours, même si on espère avoir tort).
  • (Un chapitre complémentaire qui aurait dû être intégré dans la série Rebirth au lieu de bénéficier d’un tirage à part.)

Gotham – Sans peur et cent reproches

Cet article a été écrit en juin 2018 et publié dans le magazine Séries Saga #13 peu après. Il s’attarde uniquement sur les quatre premières saison de la série et s’inspire partiellement d’une ébauche d’analyse mise en ligne sur ce site qui en est devenu le complément efficace. Rappel : tous les épisodes et critiques du show sont regroupés sur cette page.

Gotham est un vrai paradoxe : une série sur la ville de Batman et sur ses ennemis mais sans la présence du Chevalier Noir, un casting totalement inégal, une qualité (d’écriture et de réalisation) oscillant constamment entre le médiocre et le bon, des audiences en baisse alors que le show s’améliore… Décryptage.

En mai 2018, les fans de Gotham ont retenu leur souffle. La quatrième saison venait de se terminer et il était possible que ce soit la dernière car la série ne serait pas forcément renouvelée. Mais il y aura finalement davantage que 88 épisodes : elle a décroché de justesse une ultime saison, raccourcie de moitié (12 épisodes au lieu des 22 habituels, portant le total à 100). Cette cinquième salve, diffusée depuis début 2019, a la lourde tâche de conclure efficacement la fiction, surtout si Gotham veut passer la difficile épreuve de la postérité.

La série avait rassemblé plus de 8 millions de téléspectateurs lors de la diffusion du pilote, à l’automne 2014 sur la chaîne Fox, avant de tomber à un peu plus de 2 millions en mai 2018 lors du dernier épisode de la quatrième saison (No man’s land). Emmenée par Bruno Heller, créateur et showrunner de l’excellente mini-série Rome (2005) et de la célèbre mais plus moyenne The Mentalist (2008-2015), Gotham a en effet immédiatement divisé son public. Les épisodes initiaux empilaient maladresses et défauts. Et malheureusement, la série (qui a pris pour point de départ l’assassinat des parents de Bruce Wayne) a continué sur la même voie tortueuse, sans trouver le réel équilibre « parfait », entre action, drame et policier (et même fantastique) aux yeux des fans — toujours exigeants — de l’indémodable Batman, qui fête ses 80 en 2019. Reste tout de même des éléments fascinants. Et d’incontestables réussites. On récapitule.

Une galerie de vilains quasiment complète

Axer son récit sur des enquêtes de James Gordon à Gotham City, tout en montrant l’évolution d’un jeune Bruce Wayne endeuillé et la « naissance » de plusieurs ennemis emblématiques de Batman ? Sur le papier, le projet était ambitieux et audacieux. Très séduisant, aussi, forcément, pour les passionnés de la mythologie du Chevalier Noir. Mais à l’écran, le rendu est vite bancal car les scénaristes s’entêtent à vouloir tout montrer très vite au lieu de « prendre leur temps ». On suit donc l’ascension de James Gordon, campé par un Ben McKenzie peu charismatique, au sein du GCPD (la police de la ville, pas mal corrompue). Il est épaulé par son acolyte Harvey Bullock, bourru mais sympathique (Donald Logue, impeccable), l’une des bonnes idées de la série. Les forces de l’ordre ont beaucoup de travail entre les criminels de seconde zone et les fous qui « s’émancipent » dans la ville.

En parallèle, le futur milliardaire Bruce Wayne devient donc orphelin (le meurtre de ses parents ouvre la série) et débute un entraînement pour rendre la justice et combattre le crime et la pègre à sa manière. Bruce est joué par David Mazouz qui est « LA » principale erreur de Gotham tant l’enfant (puis adolescent) est agaçant et ne brille pas particulièrement par son jeu d’acteur. Ce double problème de casting (Ben McKenzie et David Mazouz) ne se résout malheureusement pas avec le temps mais on reconnaîtra volontiers quelques beaux moments à McKenzie. Les deux personnages principaux de la série souffrent à la fois d’une écriture maladroite (l’évolution de Bruce est parfois risible) et d’une performance d’acteur plutôt limitée. Dommage…

Certains personnages « gentils » sont plus réussis et charismatiques, comme Alfred Pennyworth (Sean Pertwee), autoritaire, violent mais protecteur, et Lucius Fox (Chris Chalk), figure paternaliste complémentaire, déjà portée sur les inventions. Mais il faut se tourner vers les criminels de Gotham pour apprécier de bonnes idées de casting (mais pas toujours, comme nous allons le voir). On se rend compte, d’abord, que Gotham s’éloigne de la chronologie plus ou moins officielle de Batman (celle des comics et des films) puisqu’une dizaine d’années avant que le justicier masqué ne signe ses premiers faits d’armes, quasiment tous ses ennemis sont déjà présents dans la ville ! La plupart sont même déjà adultes et « à l’œuvre » (en tant que méchants donc). Un aspect inédit qu’il faut se forcer à accepter pour apprécier pleinement Gotham (quitte à considérer la fiction comme un elseworld). Le show réussit donc l’exploit, en 88 épisodes (4 saisons de 22 épisodes), de présenter pêle-mêle le Pingouin, l’Homme-Mystère (le Sphinx), Le Chapelier Fou, L’Épouvantail, Hugo Strange, Victor Zsasz, Poison Ivy, Gueule d’Argile, la Cour des Hiboux, Mister Freeze, le Professeur Pyg, Ra’s Al Ghul, Carmine et Sofia Falcone, Salvatore Maroni, Firefly et deux versions du Joker (on y reviendra plus tard), ainsi que d’autres antagonistes très secondaires ou créés pour cette adaptation télé. Ne manquent donc que Killer Croc, le Ventriloque, Bane et Man-Bat, sachant que ces trois derniers seront (normalement) dans la cinquième et ultime saison (même si Man-Bat et Killer Croc ont déjà été brièvement aperçus en caméo ou rôle tertiaire).

Des réussites exemplaires…

Parmi cette galerie de criminels, certains excellent. Le  traitement des personnages est plus ou moins fidèles à leurs versions de papier et quand il propose une lecture totalement inédite, celle-ci se révèle parfois très réussie. C’est le cas d’Oswald Cobblebot, alias le Pingouin (excellent Robin Lord Taylor), qui débute comme homme de main avant de gravir les échelons de la pègre et se faire un nom, avec une cruauté « sans faille », une dimension théâtrale mais aussi un côté très torturé. On lui prête même un penchant amoureux pour… Edward Nygma ! Une situation sans précédent mais bien écrite. Oswald ne ressemble d’ailleurs pas à l’image collective nourrie par les comics, le film Batman, le Défi (de Tim Burton) et la série d’animation de 1992 puisqu’il est maigre et doté d’une coiffure atypique. Bien loin du « petit obèse » qu’on imagine.

Le personnage du Sphinx (The Riddler en VO), alias Edward Nygma, est également soigné. Il gagne en maturité et en charisme au fil des épisodes. Il est d’ailleurs collègue de Gordon au GCPD dans un premier temps ! Cet Homme-Mystère (parfait Cory Michael Smith) apporte une réelle plus-value au show puisque ses dernières apparitions à l’écran (Frank Gorshin dans la série Batman des années 1960 puis Jim Carrey dans le film Batman Forever de 1995, signé Joel Schumacher) étaient plutôt « comiques » et oubliables. Autres franches réussites : Jarvis Tetch, a.k.a. le Chapelier Fou (Benedict Samuel, aperçu dans The Walking Dead), qui rend « crédible » un ennemi plutôt discret habituellement dans les comics, jeux vidéo et films consacrés au Caped Crusader, et pourtant passionnant, le Professeur Pyg, alias Lazlo Valentin (Michael Cerveris), véritable boucher effrayant qui donne du fil à retordre aux héros durant plusieurs épisodes (de la quatrième saison), Sofia Falcone (Crystal Reed), rusée et ambitieuse, plus intéressante que son père (Carmine Falcone, joué par John Doman) et, enfin, la deuxième mouture de l’Épouvantail, Jonathan Crane de son vrai nom. Deux acteurs se succèdent dans ce rôle (Charlie Tahan puis David W. Thompson) et on retient surtout la version « définitive » de cet ennemi se nourrissant des peurs de ses victimes, celle costumée et effroyable (donc en quatrième saison principalement).

Impossible de ne pas parler du « proto Joker », de Jerome et Jeremiah Valenska, quand on analyse Gotham (et, surtout, quand on évoque ses atouts). Qui sont Jerome et Jeremiah Valenska ? Deux frères jumeaux qui seront tour à tour deux incarnations différentes du « Joker ». Mais attention, il ne s’agit pas de la version définitive du Joker : pour l’instant il s’agit du « proto Joker », surnom dont les fans ont affublé ce personnage en gestation. Les deux frangins sont magnifiquement campés par Cameron Monaghan, qui mystifie l’éternel Clown du Crime et s’avère être la véritable révélation de la série. On l’avait principalement vu dans la sixième saison de Malcom et, surtout, dans le rôle de Ian Gallagher dans la version américaine de la série Shameless (depuis 2011).

Dans un premier temps, Jerome est présenté comme une personne normale avant de dévoiler sa folie destructive et d’être enfermé à Arkham. De plus en plus déjanté et meurtrier, il est tué puis ressuscité (et mutilé) avant de mourir « à nouveau » et de transmettre son héritage par l’intermédiaire de son frère Jeremiah. Ce dernier, nettement plus sérieux et studieux mais tout aussi effrayant, poursuit la « mise en place » de l’anarchie dans Gotham. Une vision totalement inédite du Joker, rappelant aussi bien Jack Nicholson (dans le Batman de Tim Burton) que Heath Ledger (dans The Dark Knight de Christopher Nolan). Si Monaghan semble s’inspirer des deux, il apporte à son personnage une originalité rarement atteinte jusqu’ici et il a déjà rejoint les meilleures performances du Clown du Crime. Les téléspectateurs  les plus exigeants regretteront peut-être les pirouettes scénaristiques un peu trop faciles (la résurrection puis le frère jumeau qui débarque de nulle part). Les fans intransigeants, eux, déploreront peut-être une approche finalement trop semblable au Joker des autres médiums (comics, films…). Une amitié entre lui et Bruce Wayne, à la manière de ce qu’avait proposé le jeu Batman : The Telltale Series, aurait été davantage surprenante et singulière.

…et des loupés épiques

Malheureusement Gotham souffre de la présence d’une autre galerie d’ennemis complètement ratés. Il y a tout d’abord l’insupportable trio féminin composé de Barbara Kean (Erin Richards), Fish Mooney (Jada Pinkett Smith) et Tabitha Galavan (Jessica Lucas). On a ici à la fois un problème d’écriture et de casting. Les trois femmes jouent globalement mal et leurs rôles sont ridicules. On ne sait pas trop si Barbara Kean était censée être « LA » Barbara Gordon (elle est en couple avec James Gordon dans les premiers épisodes) mais sa trajectoire est surréaliste (elle devient la reine du crime, la protégée de Ra’s Al Ghul puis se retrouve à la tête de la Ligue des Ombres, etc.). Jamais le spectateur n’est effrayé par Barbara ou n’arrive à la prendre au sérieux. Idem avec Fish Mooney, créée spécialement pour le show : impossible de la trouver crédible malgré de beaux moments, trop rares pour être véritablement marquants. Quant à Tabitha, si son arrivée (en saison 2) a été bénéfique à la série, son histoire d’amour improbable avec Butch (cf. paragraphe suivant) et sa piètre évolution l’ont rapidement rendue inintéressante. Il est incompréhensible que les showrunners tardent à les tuer tant les trois sont décriées et conspuées sur la Toile (Mooney est enfin morte mais vu que la résurrection est monnaie courante dans  la fiction, on ne sait jamais). Selina Kyle (Camren Bicondova), future Catwoman, empiète sur les plates-bandes des trois mais son parcours reste un chouïa plus palpitant que celui de ses aînées (même s’il est aussi assez ennuyant quand il est corrélé à celui de Bruce — et c’est souvent le cas).

Butch Gilzean — in fine Solomon Grundy (Drew Powell) — a quelques belles envolées mais se montre le plus souvent peu passionnant et, lui aussi, plutôt ridicule. Même son de cloche pour Hugo Strange, pourtant interprété par B.D. Wong (Oz, Mr. Robot…). Ce n’est pas forcément l’écriture du personnage qui fait tâche mais ses mimiques et son côté « low-cost » bizarre… Victor Zsasz (Anthony Carrigan) a un problème inverse : le comédien est plutôt bon et particulièrement charismatique mais le criminel suit une voie totalement improbable, surtout par rapport à sa version comics. Gueule d’Argile (Brian McManamon) est complètement sous-exploité alors qu’il apportait une certaine originalité et de multiples possibilités d’histoires. Là aussi, c’est dommage. Victor Fries (Nathan Darrow) était un peu soigné au départ (la trame reprenant l’histoire de sa romance tragique) avant de devenir un antagoniste de seconde zone. C’est l’inverse aussi pour Ra’s Al Ghul (Alexander Siddig) : dans un premier temps plutôt pitoyable, le grand immortel revient, dans un second temps, sous forme spectrale et zombiesque terrifiante. Mais, hélas, de façon trop éphémère.

L’insoluble équation qualitative (1)

On l’a vu, le profond déséquilibre du casting (et encore, on n’a pas parlé de tout le monde ! — Azrael, Poison Ivy… (1)), que ce soit dans l’écriture et l’évolution des personnages ou le jeu des acteurs et actrices, a pour effet de priver Gotham d’un intérêt plus prononcé. On constate malheureusement la même chose pour tous les aspects techniques du show. Certains sont réussis, d’autres complètement ratés. On applaudit, par exemple, la photographie plutôt soignée de chaque épisode, ainsi que le rythme (on ne s’ennuie pas). On apprécie aussi les costumes, les maquillages et les effets spéciaux (mais pas tous). On doit aussi saluer un « certain respect » de la mythologie de Batman (voir encadré sur les comics en bas de cet article). Celle-ci est parfois bousculée intelligemment. Ou désacralisée risiblement… Le résultat, c’est qu’on a du mal, une fois de plus, à apprécier pleinement Gotham devant un scénario tantôt malin, tantôt affligeant. De même, les incohérences sont nombreuses et la crédibilité de l’ensemble est bien mise à mal. Enfin, une musique peu mémorable et divers petits défauts (trop de plans d’intérieurs de Gotham, etc.) plombent une série qui possédait pourtant un potentiel énorme.

Ne sachant jamais quel spectateur viser, la Fox a d’abord tenté le « grand public familial » en imposant une enquête par épisode. La production a revu sa copie pour améliorer le show et proposer des arcs narratifs s’étalant sur plusieurs épisodes, tout en ciblant un public plus « adulte » grâce à une veine plus sombre, voire franchement gore. Les errements sont peut-être aussi imputables à la Warner Bros qui a imposé des restrictions discutables à la Fox, comme le dévoilait l’acteur Cameron Monaghan sur son compte Twitter en mai 2018. L’utilisation du nom du Joker est ainsi prohibé dans Gotham ! Idem pour les cheveux verts iconiques du Clown du Crime ! Un comble pour une série sur Batman… Il se murmure d’ailleurs aussi que le nom « Batman » ne doit pas être utilisé (seul « Dark Knight » est affiché en promotion et, pour l’instant en tout cas, jamais prononcé dans le show). Le but serait de préserver ces prestigieuses appellations pour le cinéma, afin de ne pas embrouiller les spectateurs (les croit-on si stupides que cela ?). Du côté du grand écran, entre le Joker de Jared Leto (Suicide Squad) et celui de Joaquin Phœnix (dans le film de Todd Phillips, actuellement en post-production), on ne sera a priori pas perdus, donc les craintes paraissent quelque peu infondées.  Si l’on comprend la volonté de ne pas céder à la tentation d’un univers partagé entre petit et grand écrans (ArrowVerse, Gotham, DCEU, « Titans »…), cette suppression de termes officiaux au sein de la série la dessert plus qu’autre chose.

La dernière chance

Il reste une ultime occasion de se rattraper pour Bruno Heller (qui travaille en parrallèle sur une fiction centrée sur… la jeunesse d’Alfred ! — voir dernier encadré en bas de cette page) et ses scénaristes dans la cinquième et dernière saison. Pour cela, il faut gommer les défauts de la série évoqués plus haut, oser tuer tous les personnages inutiles, voire pathétiques, et proposer une ellipse temporelle de plusieurs années pour changer l’acteur principal qui joue Bruce Wayne (David Mazouz) et qui devrait, en toute logique, devenir l’homme chauve-souris en fin de show. Le jeune comédien pourrait intervenir dans les premiers épisodes avant de laisser place à une version plus adulte de lui, par exemple. Si cette saison 5 réussit le tour de force de balayer les (nombreux) problèmes qu’on a listés pour offrir une œuvre aboutie (donc « une forte proposition de série »), avec une vraie patte artistique et une écriture plus pointue, alors Gotham pourra se targuer d’avoir rejoint la courte liste des séries de super-héros incontournables (Daredevil trône sans peine tout en haut actuellement). On n’est pas très optimistes quand même et on craint que ce programme finira au cimetière des séries à fort potentiel exploitées maladroitement. Un objet vaguement divertissant et vite oublié. Début de réponse en janvier 2019.

(1) – Titre originel de cette analyse publiée sur ce site après la vision des quatre saisons dans laquelle sont effectivement listés TOUS les personnages sous forme de tableau. Ce présent article se veut la « suite et fin » qui le complémente aisément.

LES INSPIRATIONS COMICS

Gotham puise dans quelques séries de bandes dessinées de Batman pour alimenter ses épisodes. Impossible de ne pas penser à Gotham Central, une excellente histoire se concentrant sur le quotidien du GCPD (l’homme chauve-souris est relativement en retrait puisque le but est de s’attarder sur les policiers). Scénarisée principalement par Greg Rucka et Ed Brubaker, cette série est disponible en quatre tomes chez l’éditeur Urban Comics. Elle a obtenu un grand succès critique et de nombreuses récompenses, indispensable pour les fans ! On pense également à quelques histoires moins connues du « grand public », comme Batman – Terre Un (Earth One en version originale). Une version alternative de la mythologie de Batman dans laquelle Alfred est proche de la vision de Gotham : svelte, bagarreur, radical, autoritaire, etc. Batman – Terre Un compte actuellement deux tomes, tous deux en vente en France. Le troisième devrait sortir aux États-Unis en 2019 (sans doute la même année chez nous).

 

Enfin, la fin de la saison 4 (et surtout la 5 désormais) évoque l’immense arc narratif No Man’s Land. Cette très bonne saga s’éparpille sur six tomes ainsi qu’un autre introductif, Cataclysme, et se poursuit plus ou moins dans New Gotham (en trois volumes). On y retrouve principalement Greg Rucka à l’écriture des scénarios, ainsi qu’Ed Brubaker, comme pour Gotham Central, et Jeph Loeb. Soit trois valeurs sûres dans le milieu. Tous ces volumes sont disponibles en France, toujours chez Urban Comics. La  cinquième saison de Gotham s’inspire d’ailleurs davantage de No Man’s Land avec une ville coupée de tous les accès extérieurs, à l’instar du film The Dark Knight Rises (son réalisateur, Christopher Nolan, avait déjà pioché dans cette saga culte).

L’histoire L’An Zéro, qui correspond aux tomes 4 et 5 de la série Batman (qui en compte neuf au total), devrait elle aussi au cœur de la cinquième saison (même si son premier épisode éponyme n’a finalement pas du tout pioché dedans). D’une manière générale, le show de Bruno Heller se sert surtout des personnages de la mythologie du Chevalier Noir, très connus ou plus confidentiels, et non dans des arcs narratifs de bandes dessinées spécifiques. Comme le personnage de Sofia Falcone (brillamment jouée par l’actrice Crystal Reed), principalement puisée dans l’excellent Batman – Amère Victoire, suite du tout aussi indispensable Batman – Un Long Halloween, dans lequel elle apparaissait brièvement. À noter également que le visage du premier « proto Joker », lorsqu’il est mutilé et « enlevé », correspond à la version papier aperçue dans le troisième volume de la série de comics Batman (celle en neuf tomes). De même, l’un des looks du second « proto Joker » (en fin de saison 4, avec son chapeau notamment) est très semblable à celui du livre Killing Joke, autre comic-book incontournable.

UNE SÉRIE SUR… LA JEUNESSE D’ALFRED !

En mai 2018, Bruno Heller, tête pensante de Gotham, a dévoilé son nouveau projet : une série sur le passé du célèbre majordome des Wayne, Alfred Pennyworth ! Un autre préquel de l’univers de Batman qui s’intitulera tout simplement Pennyworth. Il comportera 10 épisodes et sera diffusé sur la chaine américaine Epix. Le show explorera les origines d’Alfred dans le Londres des années 1960. Avant d’être majordome, Alfred était soldat, ancien des forces spéciales des Forces armées britanniques, le SAS (Special Air Service). Il est ensuite devenu gérant d’une entreprise de sécurité, ouverte avec Thomas Wayne, le père de Bruce. Ce sont ces deux éléments qui seront mis en avant dans Pennyworth. On sait aussi, à travers les comics, qu’Alfred fut comédien et espion (et il a eu plusieurs histoires d’amour) mais on ignore si cela sera reprit dans la série qui, problème de droits entre les chaînes oblige, ne se déroulera pas officiellement dans le même univers que Gotham (diffusée par la Fox). On ne verra donc pas l’acteur Sean Pertwee reprendre son rôle, plutôt marquant et réussi au demeurant.

Gotham – S05E01 : Year Zero

Page récapitulative de la série Gotham.

Afin de coller à l’actualité du début d’année 2019 et en complément d’un long article sur la série Gotham publié en magazine en été 2018 (et fortement inspiré de l’analyse sur le site), voici la critique du premier épisode de la cinquième et dernière saison du show — sous-titrée Legend of the Dark Knight. Les suivants seront peut-être aussi chroniqués « un par un » et feront l’objet quoiqu’il arrive (et à l’instar de tous les autres), d’un papier global revenant sur l’entièreté de la saison (et, forcément, de l’analyse générale de toute la série).

No man’s land, 391ème jour. Plus d’un an après les évènements de la fin de la saison précédente (l’anarchie totale provoquée en partie par Jeremiah « le Joker » Valeska), Gotham City vit en no man’s land. Les connexions avec le monde extérieur n’existent plus, les ponts ont été détruits, la métropole est livrée à elle-même. Jim Gordon, Harvey Bullock, Le Pingouin et l’Homme-Mystère se préparent chacun dans leur coin en s’armant… pour mieux s’allier face à un groupe de mercenaires (ceux de Bane ?) !

Flash-back : 87ème jour. Quelques explications bienvenues (de quoi satisfaire les nouveaux spectateurs — s’il y en a ! — et un rappel pour les connaisseurs) grâce à un dialogue entre Gordon et visiblement une personne du gouvernement. Le policier explique que la ville est aux mains des criminels. Chacun régnant sur sa zone : le Pingouin, Barbara « et les sirènes », l’Épouvantail, Victor Fries, Firefly, Zsasz (lu sur une carte mais pas mentionné oralement)… Seul Jeremiah Valeska est introuvable. Reste évidemment des civils démunis, aidés par le GCPD  (incluant Lucius Fox et Harvey Bullock, en plus de Jim Gordon bien sûr) mais les vivres et les munitions manquent cruellement… Sans compter la difficulté de tenir un semblant d’ordre dans une communauté épuisée et énervée. De son côté, Selina Kyle doit être opérée de sa colonne vertébrale pour recouvrer l’usage de son corps (une variation de ce qui est arrivée à Barbara Gordon dans les comics ?). Edward Nygma semble toujours autant schizophrène (et si c’était lui la version télévisuelle de Double-Face ?). Quant à Bruce Wayne, il est déterminé à aider la ville à sa façon…

Sans dévoiler trop d’autres éléments de l’histoire — chaque protagoniste avance petit à petit avec plus ou moins d’intérêt et de situations classiques par rapport à leur caractère — on apprécie ce retour de Gotham, plus mature, plus inédit aussi. Bien sûr on s’étonne de certaines incohérences (beaucoup de citoyens ont l’air toujours aussi propre et bien habillé au bout de trois mois de cette situation par exemple) mais l’ensemble n’est franchement pas déplaisant, au contraire.

Côté technique, on retrouve ce qui fait les forces et faiblesses de Gotham. La photographie est particulièrement soignée — encore plus dans cet épisode qui joue énormément sur la lumière et les ombres —, les costumes et les décors réalistes sont un régal, l’ensemble a (enfin) une patte résolument violente et sombre. L’épisode pêche par ses classiques défauts à commencer par le casting. Pas l’ensemble de celui-ci, évidemment, mais toujours les têtes habituelles : David Mazouz en Bruce Wayne et Erin Richards en Barbara Kean. Le premier est devenu grand adolescent très très sérieux mais manquant toujours autant cruellement de charisme. Toutefois, le jeune acteur, pas forcément mauvais au demeurant, apporte une touche moins irritante à son personnage vu le contexte — il va bientôt faire ses premiers pas en tant que justicier.  La seconde (Barbara) souffre toujours d’une écriture maladroite qui s’ajuste mal au reste du show. Un problème récurrent depuis le première saison. Toutefois, les scénaristes ont enfin osé tuer un autre personnage peu fascinant (voire carrément inutile) ! Mais, on le sait, dans Gotham une mort n’est pas forcément définitive…

Il faut se tourner vers la galerie de vilains, à commencer par l’Épouvantail et le Pingouin, pour être davantage conquis par cet épisode qui inaugure (quand même) de belles choses et laisse planer l’espoir d’une conclusion satisfaisante de la série. Le maître du cauchemar et l’excentrique mafioso livrent les meilleures séquences de l’épisode. À titre anecdotique, on peut  supposer qu’un homme de main du Pingouin deviendra Le Ventriloque (il est prévu dans cette saison, au même titre que Bane et Man-Bat notamment). Selina et Alfred sont de passage pour des scènes peu marquantes et Gordon est au cœur de ce retour : pour l’instant, le « héros » c’est lui : roc et faillible mais déterminer lui aussi.

Les inspirations comics sont évidemment à piocher dans l’immense (et très réussie) saga No Man’s Land dont la série reprend exactement la même trame narrative (et qu’avait aussi abordé Christopher Nolan dans The Dark Knight Rises). Étrangement, le titre de l’épisode (Year Zero) n’a finalement pas grand chose à voir avec le livre éponyme (L’An Zéro — lui aussi réussi et modernisant les origines du Chevalier Noir).

Côté audience, cet épisode a rassemblé près de 2,6 millions de spectateurs, un score plutôt honorable (correspondant à la moyenne de la saison 4), loin des anciennes saisons mais cela ne jouera pas sur une éventuelle annulation puisque cette saison 5 sera la dernière (sauf si Netflix ou autre souhaite la racheter mais peu de chance que cela arrive). La fin de l’épisode laisse présager le retour de Jeremiah et la bande-annonce de l’épisode suivant annonce même le Chevalier Noir d’un plan furtif. De quoi imaginer une prémonition ou, sans doute, un flash-forward puisque l’introduction de cette nouvelle saison en était déjà un.