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Le Batman Qui Rit – Les Infectés

Après les évènements de Batman Metal qui introduisait « le Batman Qui Rit », nouvel antagoniste qui a eu droit à sa propre série dans un premier volume du même titre (sympathique mais inégal), voici un second tome (même s’il n’est officiellement pas numéroté) qui poursuit les aventures de la créature cauchemardesque née de la fusion de Batman et du Joker. Les Infectés se déroule également en parallèle des quatre premiers tomes de New Justice (elle-même née des cendres de Batman Metal et introduite dans le one-shot très dispensable No Justice). Toutes ces histoires convergent vers un autre volume unique (et « tournant fatidique » comme le stipule l’éditeur) : Justice League – Doom War. Compliqué ? Oui et non, car il y a encore Death Metal et foule de séries annexes qui vont suivre fin 2020 et tout au long de l’année prochaine ! Mais retour sur Le Batman Qui Rit – Les Infectés, cette fois écrit par Joshua Williamson (Flash Rebirth), qui succède à l’inénarrable Scott Snyder. Que vaut ce nouveau récit ? Peut-il se lire indépendamment du reste ? Doit-on lire le tome précédent pour comprendre celui-ci ? Critique.

[Résumé de l’éditeur]
Rescapé de l’affrontement final entre la Justice League et les Chevaliers corrompus du Multivers Noir, le Batman Qui Rit rassemble depuis les éléments d’un plan machiavélique visant à s’emparer de notre dimension. Utilisant les pouvoirs du Multivers noir, il parvient à corrompre six héros de la Terre qu’il ne va pas tarder à opposer aux deux plus grands protecteurs du monde : Superman et Batman !

[Histoire]
(Précédemment : le Batman Qui Rit s’était allié au Grim Knight, un Batman hyper violent utilisant des armes à feu provenant d’une Terre parallèle afin de combattre Bruce Wayne/Batman. Ce dernier s’entoura de Gordon et son fils pour s’en sortir. Après sa victoire, le Chevalier Noir enferma le Batman Qui Rit dans un lieu secret. Mais celui-ci avait réussi a infecté Gordon à l’insu de tous…)

Gordon demande l’aide de Superman en complément de celle de Batman. Un enfant a été enlevé et le coupable serait… « le Superman Qui Rit ». Le Batman Qui Rit a en effet réussi à concevoir une autre mutation cauchemardesque chez un super-héros. Mais ce n’est pas un homme d’acier infecté que croise le binôme de justiciers, c’est… Shazam ! Le super-héros le plus fort du monde est lui aussi devenu entité démoniaque sous l’égide du Batman Qui Rit !

En réalité, Gordon est corrompu par le métal Noir du Batman Qui Rit et œuvre en secret pour ce dernier. Lui et Shazam font partie des deux nouveaux infectés sur les six annoncés. Qui sont les quatre autres ?

Pour le découvrir, le Chevalier Noir propose à Superman de faire croire que le Kryptonien est manipulé par le Batman Qui Rit. Un plan très risqué…

[Critique]
Près de 300 pages d’histoire, onze chapitres provenant de sept séries différentes ou de chapitres spéciaux (incluant principalement Batman/Superman #1-5, reprenant l’arc Who are the Secret Six ? en VO et plusieurs interludes qu’on détaille plus loin), des collectifs d’auteurs et de dessinateurs, un récit enrichissant une grande saga complexe et semi-indigeste (Batman Metal)… voilà qui n’est pas censé être « accessible » de prime abord ! Malgré tout le bagage DC Comics plus ou moins récent à connaître idéalement pour se plonger dans cette histoire, on est surpris par la facilité narrative et les rappels — même très sommaires, comme les origines de l’homme chauve-souris et l’homme d’acier — qui parsèment le livre et permettent une lecture, in fine, plutôt abordable (à un ou deux épisodes près).

La narration est assez prévisible : on découvre au fur et à mesure qui sont les fameux héros devenus infectés, comment ils l’ont été et leur affrontement contre le Chevalier Noir épaulé du Kryptonien. Le tout, sous l’égide du fameux Batman Qui Rit. Action et dépaysement sont donc au rendez-vous dans une plongée vers différents héros de DC Comics (on est très loin d’être sur un comic ethnocentré sur Batman ou son ennemi qui rit !).

Concrètement, cela se traduit ainsi : après deux chapitres de la série Batman/Superman, les interludes se suivent. Les Infectés : Le Roi Shazam (écrit par Sina Grace et dessiné par Joe Bennett) montre évidemment le nouveau « Dark » Shazam. Les Infectés : Black Adam (Paul Jenkins/Inaki Miranda) la même chose au Kahndak face au célèbre antagoniste avec une incursion géo-politique un peu sommaire mais plaisante. Les Infectés : Le Commissaire (Paul Jenkins/Jack Herbert) se concentre bien sûr sur Gordon qui… libère tous les prisonniers d’Arkham. L’occasion de croiser Batgirl et de retrouver une certaine noirceur et ambiance polar voire hard-boiled de toute beauté (graphique et scénaristique).

Attention, quelques révélations sur lesdits infectés sont dans ce paragraphe et le suivant, difficile de ne pas les mentionner dans le cadre de cette critique. Après le troisième chapitre de Batman/Superman, place donc à de nouveaux interludes. Les Infectés : Le Scarabée (Dennis Hopeless Hallum/Freddie E. Williams II) met en avant un Blue Beetle corrompu, dans un récit court et simpliste mais à l’aspect graphique quasi horrifique, notamment lors de superbes planches où le bleu du scarabée affronte les tons orangés multiples du spectre ardent, ennemi de feu et de flammes. Les Infectés : La Faucheuse (Zoë Quinn/Brent Peeples) place Donna Troy, guerrière amazone et chef des Titans (alias Wonder Girl et Troia), au centre de la narration ; elle sera, sans surprise, infectée. Il s’agit de l’épisode le moins accessible à cause de la foule de justiciers d’une part, de l’ensemble un peu confus d’autre part et le tout servi par des dessins relativement moyens… Le quatrième chapitre de B/S lance le dernier acte de l’aventure (où l’on découvre, entre autres, le cinquième infecté qui, curieusement, n’a pas droit à son propre récit annexe). De belles séquences d’action et un assemblage de pièces de puzzle y sont les bienvenus. Vient l’ultime interlude via Les Infectés : Supergirl (Robert Venditti/Laura Braga — relativement long car il s’agit du chapitre annual #2) et, enfin, la conclusion de l’histoire avec le cinquième épisode de Batman/Superman. Ouf !

La singularité du titre réside dans plusieurs éléments : l’alliance entre Batman et Superman « à l’ancienne », juste tous les deux (la bande dessinée aurait clairement dû s’intituler Batman & Superman vs. les Infectés ou quelque chose du genre, pour être moins « trompeur » presque) ainsi que les six infectés qui ne sont pas des personnages particulièrement connus du grand public (Blue Beetle, Donna Troy…) ou dotés de super-pouvoirs (Gordon…). Autour d’eux gravite un Batman Qui Rit nettement plus en retrait que dans le tome précédent. Pas besoin de connaître d’ailleurs tout l’historique (de ce one-shot et des trois tomes de Batman Metal). La lecture est plutôt accessible comme on l’a vu mais difficile de savoir si un novice total y trouvera un intérêt tant la conclusion amène à se lancer dans la suite (Death Metal, prévu fin 2020).

On note justement de brèves allusions à Justice League – Doom War et Leviathan et le retour (le temps de quelques cases) de l’armure « Chappie », aka celle de Gordon dans la fin de série Batman du temps de Scott Snyder (La Relève). L’on comprend aussi, à peu près au milieu d’ouvrage, que le Batman Qui Rit affronte secrètement Lex Luthor, donnant envie de découvrir les autres titres liés à celui-ci (les quatre tomes de New Justice et le one-shot Doom War ,toujours — non lus par l’auteur de ces lignes à l’heure actuelle, la critique sera actualisée si besoin après).

Malgré tout, Les Infectés reste efficace dans son genre, servi par une toile narrative classique (des alliés deviennent des ennemis, les combats se succèdent, etc.) mais avec un traitement sympathique (le choix des protagonistes, leur petite histoire propre à chacun et ainsi de suite). On peut regretter le peu de place accordé au Batman Qui Rit (malgré le titre et la couverture du livre) mais on apprécie le fil rouge de l’amitié entre Batman et Superman, de même que leur interrogation face à leur morale et façon de faire (là aussi un petit côté déjà vu mais un brin modernisé).

Si les interludes sont clairement inégaux, ils ne perdent pas le lecteur en route et ne faiblissent pas le rythme de l’ensemble. Difficile d’être particulièrement enthousiaste tant on n’a pas trop l’impression « d’avancer » dans ce grand jeu métallique mais difficile aussi de ne pas être conquis par cette parenthèse appréciable, plutôt dédiée aux amoureux du binôme phare de DC Comics ! La première moitié de la BD est en tout cas très efficace, la seconde un peu moins…

La série principale (Batman/Superman) est dessinée par David Marquez, assisté d’Alejandro Sanchez à la colorisation. Si le style de l’artiste est moins atypique et reconnaissable que Jock (qui œuvrait en moyenne forme dans le volume précédent), Marquez n’a pas à rougir de son travail, bien au contraire ! Ses traits doux couplés à une colorisation ni trop criarde, ni trop réaliste, proposent une agréable vision très « comic-book » ! Voir les différentes illustrations de cette critique pour les apprécier. Les nombreux artistes qui diffèrent sur les interludes sont, à l’instar de leurs scénarios respectifs, également inégaux.

Comme toujours chez Urban Comics, une galerie de couvertures alternatives referme l’ouvrage. On en partage trois (toutes des variantes du premier chapitre de Batman/Superman) : celle de Clayton Crain (ci-dessous), peut-être plus « représentative » de l’histoire que celle choisie par l’éditeur, une double formant une jolie composition d’Alejandro Sanchez — qui aurait pu déboucher sur deux versions limitées en France par exemple — et une double éclatée de Nick Bradshaw, digne d’un poster horizontal délectable !

 

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 12 juin 2020.
Contient : Batman/Superman #1-5 + Black Adam: Year of The Villain #1 + The Infected: King Shazam + The Infected: Scarab + The Infected: Deathbringer + The Infected: The Commissioner + Supergirl Annual #2

Scénario : Joshua Williamson + collectif
Dessin : David Marquez + collectif
Couleurs : Alejandro Sanchez + collectif

Traduction : Mathieu Auverdin (Studio Makma)
Lettrage : MAKMA (Sabine Maddin, Michaël et Stphan Boschat)

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Le Batman Qui Rit

Batman & les Tortues Ninja [Tomes 1 & 2]

Fort du succès (surprise) des ventes des deux premiers tomes de Batman & les Tortues Ninja, Urban Comics les a réédités fin mai 2020 dans un volume en édition limitée, dans la collection DC Deluxe, agrémenté de nombreux bonus (près de 140 pages !). L’équivalent du tome 3 (Fusion), a également rejoint ce format avec une mise en vente deux semaines plus tard en juin 2020. En effet, Amère Pizza (le tome 1) et Venin sur l’Hudson (le 2) sont d’abord étrangement sortis (début 2017 puis fin 2018) dans la collection Urban Kids : un format souple et plus petit que les DC Deluxe (qui ne rendait pas forcément « honneur » au travail des artistes) et qui visait un public très jeune alors que de nombreux adolescents et adultes s’y retrouvaient aussi (d’autant plus surprenant que l’ensemble reste assez violent et comporte même quelques cases plutôt gores comme un corps décapité par exemple !). Critique donc de cette compilation de deux volumes grâce à cette réédition. Cowabunga !

    

(La couverture de gauche qui rassemble les deux tomes de droite — couvertures de leur ancienne collection.)

LIVRE I (anciennement Amère Pizza)

[Histoire]
Le clan des Foot, de terribles ninjas qui travaillent pour Shredder cambriolent des laboratoires scientifiques à Gotham City. Les Tortues Ninja et leur maîtres Splinter occupent les égouts de la ville pour tenter d’arrêter leur ennemi juré.

De son côté, Batman a vent de l’existence des tortues qu’il imagine être des mutants responsables des vols.

Killer Croc s’aventure aussi dans les égouts de la métropole pour désosser la Batmobile et revendre ses pièces !

Le Chevalier Noir va croiser le fer avec les célèbres Chevaliers d’écailles !

[Critique]
Cet improbable et génial crossover mêle habilement les genres et propose un parfait équilibre des meilleurs ingrédients d’un comic-book ! Le récit est extrêmement accessible, bien qu’il parlera évidemment davantage aux connaisseurs de l’univers de Batman et/ou de celui des fameuses Tortues. En effet, d’autres personnages populaires (en complément de ceux cités dans le résumé) s’ajoutent au fil des six chapitres : le Pingouin, Robin/Damian Wayne et Ra’s al Ghul (forcément, lui aussi étant ninja) côté Chevalier Noir, Splinter, Casey Jones et April O’Neil côté Chevaliers d’écailles. La galerie d’Arkham joue aussi un beau rôle, avec une forme étonnante et amusante vers la fin. Aussi bien le novice que le connaisseur sera agréablement servi !

L’histoire reste, in fine, assez simpliste : le monde des Tortues se retrouve dans celui de Batman (comme un multivers), les ninjas veulent retourner chez eux, Shredder a le pouvoir d’inverser leur mutagène pour les rendre animaux en restant à Gotham et, tant qu’à faire, autant bâtir un nouvel empire dans la ville de l’homme chauve-souris en s’alliant à un de ses pires ennemis : Ra’s al Ghul. L’exécution scénaristique est parfaite, elle enchaîne sans temps mort les séquences d’action et de réflexion. Les enjeux sont vite posés, quelques surprises sont bienvenues, on rigole (souvent), on s’émeut (un peu), on est divertit (tout le temps). Rien à redire. Pour l’anecdote, il est fait mention de L’An Zéro, ancrant donc la fiction dans l’univers New 52 et, surtout, la chronologie « récente » du Chevalier Noir (continuité logique puisque Damian Wayne est Robin ici).

Batman est autant mis en avant que les quatre tortues et leur maître. Chez ces derniers, on retrouve les figures classiques de leur caractère : Michelangelo apporte humour et légèreté, entre punchlines, situations absurdes et échanges amusants avec Alfred, Raphael reste fidèle à son côté taciturne, impulsif et plus sombre (donc proche de Batman), Donatello jubile devant les gadgets du justicier et son intelligence (on retrouve donc là aussi un côté similaire à Batman), Leonardo — curieusement un peu en retrait par rapport à ses camarades — et Splinter se partagent la tâche du mentor (une fois de plus, comme Batman envers Damian par exemple), de la stratégie des combats et rigueur des entraînements (et oui, encore une autre part du Chevalier Noir).

Le mélange fonctionne à merveille, on sent la folle passion qui anime autant James Tynion IV à l’écriture que Freddie E. Williams II aux dessins. Dans ce qui semble être un « rêve de fans » mutuel, chacun y propose un travail de qualité. Outre les dialogues ciselés et l’intrigue globale (qui apporte son lot d’originalité malgré son cheminement classique et un climax peut-être un brin expéditif), les planches sont un régal pour les rétines. Les affrontements sont extrêmement bien rendus, toutes les phases d’action sont fluides et violentes à la fois. Quand Williams II peut s’éclater sur une double page, il s’en donne à cœur joie, donnant lieu à des associations inédites et assez jouissives. On est séduite par les bandeaux de couleur des Tortues Ninja, chacun avec un style précis, le genre de détails plaisant. Les amateurs de véhicules et de tenues/costumes/armures de Batman seront aussi (sans doute) comblés.

L’artiste donne vie au monde très « fantastique » des Tortues mêlé à celui, plus terre-à-terre et « réaliste » de Batman avec un élégant style rendant crédible l’ensemble (bien que déjà favorisé par l’incursion d’un Killer Croc par exemple ou encore la thématique ninja, fortement présente à la base). Seul l’encrage un peu trop prononcé assombri parfois l’ensemble (c’est d’autant plus flagrant en voyant les crayonnés initiaux, fins et précis, du dessinateur dans les bonus en fin du recueil). Poses iconiques, premiers plans et corps mis davantage en relief, noirceur et jeux d’ombre pour quelques cases de toute beauté et, surtout, colorisation hors-pair — assurée par Jeremy Colwell — confèrent l’essence voire la quintessence d’un comic-book façon blockbuster. C’est beau, c’est vivant, c’est plein de tons différents, ça se lit d’une traite, c’est marquant, un véritable coup de cœur !

C’est donc (presque) un sans faute pour cette première « fusion » des deux univers de ces monuments de culture populaire. Une seule envie : en découvrir d’autres. Ça tombe bien, il en existe déjà deux suites !

LIVRE II (anciennement Venin sur l’Hudson)

[Histoire]
A New-York, dans le monde des Tortues cette fois, le quatuor combat toujours le clan Foot. Karai, imminente ninja (et fille adoptive de Shredder visiblement, avec qui elle est en conflit), s’allie plus ou moins aux Tortues Ninja.

A Gotham City, les assassins de la Ligue des Ombres veulent destituer Ra’s al Ghul — jugé trop faible après son alliance avec Shredder et sa défaite — et cherchent un puits de Lazare. Batman et Robin enquêtent et tombent sur… Bane.

De son côté, Donatello active la machine pour aller dans le monde du Chevalier Noir pour lui envoyer un message mais suite à une erreur, il s’y retrouve et Bane atterrit à New-York face au clan Foot !

[Critique]
Encore une réussite ! Peut-être un peu moins « plaisante » que la précédente histoire suite à un récit assez convenu et prévisible (et l’effet de surprise passé). Toutefois, le divertissement est toujours assuré, jouissant d’un excellent rythme (à nouveau), de dessins agréables et du plaisir de retrouver deux univers bien distincts pour un rendu « cool ». Cette fois (toujours en complément de ceux déjà cités dans le résumé), ce sont Batgirl et Nightwing qu’on voit un peu plus côté mythologie de Batman et les fameux Bebop et Rocksteady côté monde des Tortues.

Niveau humour, on peut toujours compter sur Michelangelo mais aussi… Damian Wayne. Involontairement, ce dernier créé plusieurs situations cocasses (sans surprise, son arrogance face aux Tortues fait des étincelles, particulièrement contre Raphael). Le trio des mentors fonctionne bien, à savoir Splinter, Leonardo et Batman qui sévissent ensemble brièvement.

L’anti-héros Bane est limite le personnage principal du récit avec Donatello (!). La stature imposante de Bane propose une alternative nettement plus dangereuse et inquiétante que dans l’histoire précédente (même si, bien sûr, on sait qu’il perdra à la fin). Les mondes sont d’ailleurs inversés : après la visite des Tortues Ninja à Gotham City, c’est désormais Batman et Robin qui se retrouvent dans le New-York des chevaliers d’écaille. Simple mais efficace.

Au milieu du récit se déroule un combat spectaculaire et grandiloquent, pendant presque un chapitre entier. Si là aussi on y retrouve une certaine violence et lisibilité graphique hors-pair, on déplore un petit peu les enjeux qui restent (dès le début de l’histoire) d’un extrême classicisme. A savoir Bane qui devient surpuissant, lève son armée et veut « gouverner » sa nouvelle cité. Cela fonctionne toujours mais perd un peu du charme de la découverte et surtout d’originalité. Néanmoins, la culpabilité (et mise en avant) de Donatello, responsable du fiasco, apparaît comme un fil narrative très secondaire appréciable.

Le travail graphique reste identique au précédent, avec encore plus de pages éclatées et parfois même au format vertical ! Donc il faut tourner le livre pour en apprécier certaines mises en scène singulière du genre. Outre les illustrations de cette chronique, trois planches sont proposées en fin d’article pour apprécier la mise en page et le rendu saisissant de certaines scènes.

En synthèse, les fans des deux univers seront comblés à nouveau quoiqu’il arrive. C’est toujours aussi prenant bien qu’un peu plus convenu, on s’étonne aussi (quand on connaît les Tortues Ninja) de voir Leonardo un peu sous-exploité, cela sera peut-être corrigé dans le tome suivant (Fusion). Dans tous les cas, on reste sur un « blockbuster comic-book » qui ravira les passionnés.

Conclusion de l’ensemble

Sans surprise, le mix de deux univers comics incontournables est à découvrir si on les aime déjà séparément. Si on ne connaît que l’un ou l’autre, on ne sera pas perdu mais pas sûr d’être entièrement conquis (chaque monde reste assez survolé finalement). Néanmoins pour le prix et la qualité il serait dommage de passer à côté de cette pépite soignée. Pas besoin d’ajouter d’autres arguments, les critiques viennent de les mentionner.

Parmi la tonne de bonus additionnel, on retient des notes d’intentions de James Tynion IV, qui évoquait pour le premier récit l’absence logique du Joker pour ne pas parasiter Shredder, l’influence des travaux de Frank Miller (qu’on peine à retrouver dans le résultat final) et en filigrane une certaine frustration du format mini-série obligeant à aller très vite et se cantonner à six chapitres uniquement. Freddie E. Williams II commente ensuite ses croquis et designs puis une impressionnante galerie de couvertures classiques et alternatives ferme la section de bonus. On y retrouve celles de Kevin Eastman, l’un des deux créateurs des Tortues Ninja (avec Peter Laird), avec son style atypique et anguleux.

Seul problème de cette compilation : quasiment introuvable peu de temps après sa sortie ! Impossible d’envisager un nouveau tirage — pire : pourquoi avoir imprimé une édition si limitée ? Seulement 2.000 exemplaires ont été mis en vente (là où le premier tome de l’édition précédente s’est écoulé à… près de 20.000 exemplaires). Le marché des comics reste un secteur de niche. Les volumes « simples » des Tortues Ninja (chez Hi Comics — qu’on recommande fortement) s’écoulent à peine à 1.000 exemplaires (il en faudrait 1.500 idéalement pour sécuriser et pérenniser et rythme de sortie de la série). Les Batman sont la locomotive d’Urban Comics (avec Watchmen et Harley Quinn visiblement), la première réunion pour ce crossover improbable a eu bonne presse ET bonne vente. Difficile de comprendre un tirage si peu élevé là où 5.000 exemplaires semblait plus juste et équilibré sans pris de risque pour le titre. C’est pour cela qu’il semble inimaginable de ne pas envisager une réimpression vu le succès. Ou, à minima, une édition sans les bonus, un chouilla moins onéreuse (22,50€ par exemple) dans ce format similaire, pour s’ajuster parfaitement à la suite (Fusion donc) et ne pas frustrer les collectionneurs et potentiels nouveaux venus.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 29 mai 2020

Scénario : James Tynion IV
Dessin : Freddie E. Williams IV
Couleur : Jeremy Colwell

Traduction : Xavier Hanart
Lettrage : Cromatik Ltée

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Harley Quinn – Tome 01 : Complètement Marteau

Souvent proposé en one-shot ou en opération spéciale à bas prix pour découvrir le personnage de Harley Quinn, ce (premier) tome est-il vraiment une porte d’entrée idéale dans l’univers déjantée de l’ancienne compagne du Joker ? Critique.

 

[Histoire]
Harley Quinn n’est plus avec le Joker, elle hérite d’un immeuble à Coney Island (un de ses anciens patients lui a légué) et démarre donc une nouvelle vie là-bas.

Très vite, l’ancienne docteur Quinzel doit trouver du travail pour payer toutes les taxes et impôts que nécessitent le statut de propriétaire d’un si grand bâtiment. Au rez-de-chaussée de celui-ci, une troupe d’artistes, au premier étage leurs appartements, au second du bazar et le troisième est le lieu de vie de Harley, entièrement à elle, avec accès au toit également. La belle vie !

Autre problème de taille : quelqu’un a mis la tête de Harley Quinn à prix… Heureusement, Poison Ivy pourra aider son amie.

[Critique]
Comme évoqué en début d’article, ce premier tome (sur six) est souvent mis en avant dans plusieurs éditions différentes. Il sera disponible en format souple à 4,90€ dans l’opération estivale à venir fin juin 2020, à l’instar d’une autre promotion (9,90€) remontant à 2016 par exemple. On le trouvait également la même année au prix dérisoire d’un euro lors des 24h de la BD ! Début 2020, c’est dans un bel écrin limité qu’on pouvait le découvrir, à l’occasion de la sortie du film Birds of Prey (qui pioche d’ailleurs un peu dans cette bande dessinée pour des éléments de son scénario) avec en couverture une version graphique de Margot Robbie qui incarne évidemment Harley Quinn à l’écran (depuis 2016), cf. l’illustration en haut de l’article — conçue par Tula Lotay (Lisa Wood de son vrai nom). Cette ultime version (qui ne mentionne ni le titre Complètement Marteau ni la numérotation « 1 ») coûte 19€, soit le prix de la version classique initialement parue en juillet 2015.

Il faut dire que cette entrée en matière est particulièrement efficace pour ceux qui aiment le personnage, qu’ils le connaissent déjà (à travers le culte Mad Love par exemple) ou qu’ils le découvrent au fur et à mesure (en complément du récent Harleen, déjà incontournable aussi). Est-ce que le titre se hisse au sommet de ceux-là ? Certainement pas. Est-il réussi quand même ? Tout à fait. Explications.

Le titre démarre sur les chapeaux de roue avec le chapitre #0 de la série (créé après le douzième mais qui s’intercale très bien en guise d’introduction) qui invite un dessinateur de renom par page pour croquer Harley Quinn pendant qu’elle commente en direct et approuve ou refuse l’artiste aux pinceaux ! On y retrouve du beau monde comme, entre autres, Tony S. Daniel, Jim Lee, Bruce Timm (co-créateur de Quinn avec Paul Dini), Sam Kieth, Darwyn Cooke et même Charlie Adlard (Walking Dead). Le duo de scénariste Amanda Conner et Jimmy Palmiotti, couple à la vie et également dessinateurs (Conner signe d’ailleurs toutes les couvertures des épisodes), dézingue d’entrée de jeu (à travers les paroles de Harley Quinn bien sûr) en vrac les bureaux de DC Comics, l’appropriation sexiste de leur personnage (annonçant le virage sur ce sujet et son émancipation), le salaire de Jim Lee, leurs propres autres séries qui ne se vendaient pas des masses (All-Star Western et Batwing — élégante auto-dérision donc) et taquinent leurs confrères pour savoir qui tiendra le rythme mensuel des planches à terminer dans les délais.

Cette étonnante et amusante ouverture est un vrai délice (trop proche d’un Deadpool dirons certains, il est vrai que les deux icônes populaires partagent plusieurs facettes, en brisant le quatrième mur par exemple ou encore en « osant » flinguer leurs employeurs, collègues ou adaptations transmédias). Néanmoins, cela reste drôle et original ! Le dessinateur Chad Hardin est ensuite l’artiste régulier qui donne vie à l’exubérante Harley, croquant avec un style agréable, des couleurs vives et un ensemble mi-mainstream, mi-indé.

La série conjugue aussi bien l’humour que la violence, tout en restant assez palpitante pour qu’on la suive assidument. Des déboires quotidiens de Harleey en passant par quelques combats bien sanglants (têtes décapitées…), l’ADN du protagoniste est retranscrit avec brio dans une situation totalement inédite : elle affronte désormais le monde « seule », sans être la faire-valoir du Joker ni un personnage secondaire. La réinvention du modèle super-héroïque est singulière puisque l’anti-héroïne se drape en défenseur des animaux ou en froide exécutrice, endossant la blouse de psychiatre le jour et le costume de mercenaire la nuit. On la suit durant huit chapitres (un neuvième montre ses origines bien connues) avec un plaisir non dissimulé et, surtout, un humour efficace. Ce dernier est parfois de simple jeux de mots, des parodies (la moins subtile étant une redite de Star Wars), des figurants au second plan, des scènes absurdes (du lancer d’excréments de chien en catapulte !), des dialogues ciselés ou des situations cocasses (cet homme en slip de bain qui se réveille dans l’appartement).

Entre sport de roller extrême, missions plus ou moins d’infiltration, banalité et amitié, ce premier tome avance habilement en posant ses enjeux sans temps mort. Inutile de rentrer dans les détails et résumés des chapitres pour ne pas gâcher les surprises. On rencontre au fil des épisodes de (nouveaux) alliés attachants comme Bernie la marmotte carbonisée, Big Tony et Sy Borgman. Très accessible pour les néophytes et nouveau terrain de jeu pour les connaisseurs, on ne peut que recommander la lecteur pour les amoureux d’Harley Quinn ou les curieux. Les fans de Batman uniquement ou de son univers bien sombre devraient passer leur chemin, le Chevalier Noir n’apparaît d’ailleurs absolument pas ici, de même que le Joker (voir réflexion en fin d’article). Seule Poison Ivy fait figure de tête familière échappée de la mythologie du Dark Knight. L’amitié entre Ivy et Quinn étant une constante depuis la naissance du personnage dans la série d’animation Batman (1992).

On l’a dit mais c’est un aspect fort appréciable : la défense des animaux est mise en avant plusieurs fois. Rien de très original bien sûr mais si on peut profiter d’un comic-book pour sensibiliser un petit peu dessus, autant le faire. De la même manière, le volume rabat les cartes de la jeune fille jolie, nunuche et sexy en étant (enfin) sous un prisme d’écriture « normal » voire (gentiment) féministe. A nouveau il ne s’agit pas d’un immense travail complexe, d’une œuvre engagée progressiste ou tout ce qu’on veut mais plutôt de quelques allusions ici et là, intéressantes.

On germe des graines, comme Poison Ivy quelque part, d’éveil de conscience à ce sujet important. Cela se traduit aussi pas l’absence de gros plans sur les poitrines et les fesses de Quinn et Ivy par exemple. C’est peut-être quelque chose qui passe inaperçu en lecture (sauf pour les lecteurs habitués chez qui ça devrait sauter aux yeux) mais c’est relativement plaisant de le constater dans une industrie qui a encore beaucoup à faire là-dessus. Il y a bien sûr quelques poses un peu sexy mais elles ne sont pas vulgaires et décalées/amusantes.

L’excellente série d’animation Harley Quinn (DC Universe) pioche dans ces travaux de Conner de Palmiotti, au même titre que le long-métrage Birds of Prey (et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn), renommé Birds of Prey : Harley Quinn. Les fans de ces fictions devraient donc sans trop de mal être conquis.

Pour chipoter, on peut trouver la couverture du tome un poil « mensongère », celle du dessin où elle saute au cou du Joker (celle avec Margot Robbie aussi dans une autre mesure si le potentiel acheteur n’y connaît absolument rien et pense y trouver soit une histoire en rapport avec le film Birds of Prey, soit une bande dessinée différente de celle publié cinq ans auparavant). D’une part, le Joker n’apparaît pas du tout au fil des chapitres, d’autre part cette image où elle l’enlace est une planche pleine page le criminel s’avère être… une statue de cire. C’est donc juste un gag qui devient gage d’annonce fièrement mis en avant. Un peu douteux, il est vrai…

Sans rejoindre les « coups de cœur » du site, ce premier tome (qui peut se lire comme un one-shot sans souci même si on a envie de lire la suite) est une œuvre plaisante aux nombreux atouts comme on l’a vu. Il rejoint aisément la liste des comics Par où commencer pour la section dédiée à Harley Quinn avec les incontournables Mad Love et Harleen.

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 3 juillet 2015.

Scénario : Amanda Conner & Jimmy Palmiotti
Dessin : Chad Hardin + collectif pour le #0
Encrage : Sandu Florea, Scott Williams
Couleur : collectif

Traduction : Benjamin Rivière
Lettrage : Moscow Eye

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