Archives de catégorie : Critique

[Manga] Batman & the Justice League – Tome 03

Après un deuxième volume plus réussi que le premier, que vaut le troisième ?

[Histoire]
Aquaman ramène son frère Orm, sous l’emprise des Ley Lines, à la raison et leur confrontation s’arrête.

Batman se retrouve face à Akurou, le mystérieux nouvel allié du Joker et de Lex Luthor qui semble manipuler une puissante vague sous forme de serpent, issue de sa haine grandissante.

Au Manoir Wayne, le jeune Rui et Wonder Woman font face à un nouvel ennemi : Sinestro ! Ce dernier est fortement intéressé (lui aussi) par la puissance des Ley Lines. Green Lantern n’est pas loin…

[Critique]
Le livre rassemble les chapitres 10 à 15 ainsi qu’une courte histoire bonus dédiée à Aquaman, le tout réparti sur environ 180 pages en noir et blanc. Il manque clairement une dimension épique dans sa première partie (correspondant au résumé ci-dessus) : aucune surprise, un ensemble un peu confus, pas forcément de cohérence, etc. Ces satanées « Ley Lines » sont au cœur du récit et, on l’avait déjà mentionné par le passé, c’est l’une des très mauvaises idées du scénario. Une facilité narrative paradoxalement compliquée puisqu’elles ne sont toujours pas expliquées. Il faut donc se référer à la définition (peu crédible) écrite dans le premier tome à travers une parole du Joker : « L’intelligence de tous les êtres vivants ou ayant existé forme un flot qui tourne autour de notre planète. C’est ce qu’on appelle les Ley Lines. » Deux volumes plus tard, cet alignement (traduction maladroite de « Ley Lines ») correspond désormais aux plus puissantes sources d’énergies (plutôt maléfiques) disponibles un peu partout sur Terre. Celles-ci attirent donc Sinestro mais aussi Lex Luthor et le Joker comme on le savait déjà (on ne sait pas trop pour Akurou qui reste bien mystérieux mais perd clairement de son aura énigmatique).

Passé ce premier bloc narratif peu entraînant, on arrive dans la seconde partie de l’ouvrage qui introduit les membres de l’Injustice League ! Sous l’égide de Luthor, Superman Cyborg, Néga-Flash, Arès et le Joker forment donc une équipe voulant créer un nouveau monde idéal (un objectif très… original). Orm (Ocean Master) devait évidemment les rejoindre mais c’est, in fine, Sinestro qui va plus ou moins se greffer à eux. L’on découvre ensuite que Rui et sa famille (notamment sa mère et sa grand-mère — qui connaissant Thomas Wayne) sont issus d’une lignée de chamanes et que le jeune adolescent japonais est choisi pour matérialiser les Ley Lines en en devenant l’hôte.

Si l’histoire avance plutôt bien, malgré ses invraisemblances et son faible intérêt, il faut se tourner vers le découpage dynamique et les graphismes pour trouver des qualités à ce nouveau tome. Les dessins sont soignés mais clairement inégaux ; on retient de belles séquences (celles de fin avec les cerisiers en fleurs ainsi que certains affrontements plus ou moins réussis) et d’autres très moyennes (toujours ces corps musclés disproportionnés). L’arrivée de Green Lantern fait du bien au récit, il ne restera que Flash et Cyborg a mettre en avant dans les prochains volumes. Aucun protagoniste ne bénéficie d’une exposition plus poussée qu’un autre, c’est à la fois bien (cela évite un déséquilibre flagrant) et en même temps moyen (personne ne sort réellement du lot). En synthèse, c’est un constat mitigé qui se dresse après lecture. Difficile d’être motivé à lire la suite mais les faibles prix de chaque livre et ce côté somme toute inventive (aux dessins en tout cas) et atypique (les codes narratifs du manga — en plus des styles graphiques — rencontrent ceux des comics) prennent le dessus. Reste une curiosité moyennement convaincante jusqu’ici…

Plus anecdotique, le manga voit sa couverture cartonnée nettement plus « solide » qu’auparavant. Une optimisation qui rend paradoxalement l’objet moins maniable et plus fragile, les couvertures « souples » étant plus facile à tenir pour la lecture (la quatrième de couverture risque d’être pliée durant la lecture). Dommage. Un autocollant bleu annonçant « un chapitre inédit sur Aquaman » en bonus est apposé sur le livre, lui-même sous scellé. On ignore si cette courte histoire, renommée « Aquaman – Justice League Origins » était prévue initialement pour compléter le manga ou si l’arrivée prochaine de son adaptation au cinéma a initié cette création de… 9 pages (!) pour séduire un fantasmé nouveau public.

[À propos]
Publié en France chez Dark Kana le 23 novembre 2018.
Scénario : Shiori Teshirogi sous la supervision américaine de DC Comics
Dessin & Encrage : Shiori Teshirogi
Traduit et adapté en français par Rodolphe Gicquel

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Batman – White Knight

Sean Murphy (Punk Rock Jesus, Tokyo Ghost…) écrit et dessine les huit chapitres de Batman – White Knight. Un one-shot publié en France le 26 octobre 2018 en trois éditions : une classique en couleur, la même mais en édition limitée avec une couverture inédite uniquement disponible en Fnac et, enfin, une luxueuse limitée (et plus onéreuse) en noir et blanc. Découverte de cette histoire singulière qu’Urban Comics a proposé pour inaugurer sa collection DC Black Label : « le versant adulte de l’univers DC ».

(Les couvertures des trois éditions différentes.)

[Histoire]
Toujours plus radical, Batman tabasse le Joker après une énième course-poursuite. Le justicier ne se soucie même plus des dommages collatéraux et son entourage (Batgirl et Nightwing notamment) peinent à le reconnaître et faire en sorte qu’il se ressaisisse. Le Joker cherche justement à convaincre le Dark Knight qu’ils forment un « couple » et que l’homme chauve-souris a autant besoin de lui que l’inverse. Il le met même au défi d’être guéri de sa folie pour lui prouver que même en étant « gentil », Batman désirera toujours le Clown du crime, d’une façon ou d’une autre…

Batman  est filmé à son insu dans un excès de violence contre le Joker (il l’achève même en lui enfonçant de force des pilules de guérison dans la bouche) et sous les yeux impassibles de Gordon et de policiers. Le justicier est sujet à débat politique et sociétal. Dans une ville où le GCPD ne semble pas assez efficace, les méthodes du Caped Crusader divisent les citoyens.

Peu après, aussi surprenant que cela puisse paraître, le Joker, alias Jack Napier semble guéri de sa folie. En recouvrant ses facultés mentales, il décide d’attaquer la ville en justice, ainsi que le GCPD et, bien sûr, Batman.

« J’aime Gotham et il est temps que je rembourse la dette du Joker.
Cette ville mérite mieux que vous, mieux que le Joker
et mieux que le Chevalier Noir.
Aussi, je serai son Chevalier Blanc. »

De son côté Bruce Wayne s’associe avec Mr. Freeze, travaillant ensemble sur les technologies pouvant d’un côté redonner vie à Nora, la compagne de Victor Fries, et d’un autre côté à… Alfred, apparemment dans le coma et mourant.

Jack Napier entame sa rédemption, aidé de son ancienne psychiatre et compagne Harleen Quinzel. L’homme souhaite aller de l’avant tout en combattant ses démons intérieurs — la folie du Joker rôde toujours — et on le sait responsable (à l’époque où il était encore le criminel redouté) de la disparition de Jason Todd, alias Robin.

Bon orateur, intelligent et charismatique, Napier bouleverse l’opinion publique au fur et à mesure qu’il gravit les échelons politiques.

[Critique]
Cela faisait très longtemps qu’une œuvre (récente) sur Batman n’était pas aussi proche de la perfection. N’ayons pas peur des mots : Batman – White Knight est un chef-d’œuvre. Un one-shot qui fera date et restera dans la postérité aux côtés des récits cultes de l’homme chauve-souris ! À la fois accessibles aux plus néophytes et aux fans ardus, les qualités ne manquent pas pour qualifier cette bande dessinée. Le scénario, habile par bien des aspects, surprend par sa crédibilité (cette inversion des rôles — le gentil Joker vs. le méchant Batman — a déjà eu lieu et elle apparaît, ici, comme un réel défi moderne et plausible). Cette approche contemporaine brasse divers thèmes comme les dégâts immobiliers causés par Batman remboursés par les frais du contribuable, les avis tranchés des médias sur le justicier, les technologies de l’homme chauve-souris non partagées avec les services de police (la répartition de ces ressources aurait pu sauver des vies), etc.

Batman était censé être une solution temporaire pour Gotham… [Jim Gordon]
Mais désormais, c’est une addiction.
Et nous voulons la même chose, Jim : une solution. [Jack Napier, ex-Joker]

En évoquant ces aspects plus ou moins « inédits » dans une aventure de Batman (certains sont souvent abordés mais rarement aussi brillamment développés comme ici), le scénariste (et dessinateur) Sean Murphy propose un récit mature et passionnant. Il en profite aussi pour ajuster quelques éléments iconiques de la mythologie du Chevalier Noir. Dans son White Knight, Batgirl ne connait pas Jason Todd par exemple. Ce dernier a disparu et il n’a pas été remplacé (par un troisième Robin). Il n’hésite pas non plus à reléguer Alfred à de la figuration, luxueuse certes, et a envoyer le célèbre majordome six pieds sous terre. Duke Thomas, personnage créé récemment dans la série de Scott Snyder, apparaît ici comme un grand gaillard musclé, qui porte certes les couleurs de Robin (un souhait de l’auteur, comme le confirme ses croquis de recherche en bonus en fin d’ouvrage) mais est loin de sa version classique.

En plus de revisiter à sa sauce Batman et Gotham, Sean Murphy créé aussi un nouvel ennemi, appelé « la néo-Joker ». Il s’agit en réalité de Harley Quinn mais attention, la « seconde » muse du Joker. Explications : la première Harley Quinn (la psychiatre Harleen Quinzel) existe bien mais s’était éloignée du Joker, qu’elle ne reconnaissait plus. Une citoyenne de Gotham, prise en otage lors d’un braquage de banque par le Clown du Crime, fut victime du syndrome de Stockholm et devint, plus ou moins à son insu, une nouvelle Harley Quinn. Si cela peut paraître ridicule sur le papier, c’est très intelligemment mis en scène dans le comic-book. Murphy tacle d’ailleurs le virage ultra commercial et sexué qu’a pris l’Harley Quinn de ces dernières années dans tous les médiums artistiques. Il balaie même, à raison, l’argument féministe évoqué en guise de justification. On retrouve du coup deux femmes amoureuses du même hommes mais aux deux facettes radicalement différentes : le Joker et sa version « gentille » Jack Napier. Qui plus est, sans en dévoiler davantage, Murphy offre un véritable « bon et solide » rôle à la muse, voire aux deux muses, du Joker. C’est peut-être elle(s ?) qui est la véritable héroïne de cette histoire !

La « neo-Joker », nouvelle ennemie donc, s’allie avec le Chapelier Fou, là aussi tourné en dérision par l’auteur — qui semble se moquer régulièrement de ce qu’il juge plutôt risible dans la mythologie de Batman et, encore une fois, souvent à raison — mais le réécrit habilement pour lui proposer un solide second rôle. Une aubaine pour Jervis Tetch, rarement mis en avant dans les comics sur le Caped Crusader. La plupart des ennemis habituels sont aussi de la partie, avec une mention honorable pour Gueule d’Argile. Hélas — et c’est l’un des rares tout petit reproche à White Knight — la galerie de vilain est maladroitement exploitée (ils sont manipulés, leur cerveau étant contrôlé à distance…) et, in fine, peu montrée ; ils se contente de bastonner de temps en temps.

Les (nombreuses) scènes d’action s’ajustent parfaitement avec les séquences de dialogues. Le dosage est très réussi et cet équilibre bienvenu fonctionne très bien. Entre les coups de sang, ou plutôt les coups de poing, d’un Batman enragé, le récit fait aussi la part belle aux véhicules du justicier. Une nouvelle Batmobile a été conçue par Sean Murphy. Il s’est aussi fait plaisir en incrustant quasiment toutes les autres versions de la célèbre voiture ! Celle de la série d’animation de Bruce Timm, celle des films de Tim Burton (dont Murphy conservera le nom de Jack Napier pour l’alias civil du Joker), celle de la trilogie de Christopher Nolan, celle de la série kitch des années 1960, etc. Une vraie parade qui ne pourra que plaire aux fans.

En autres (très) légers défauts, on peut évoquer la difficulté à se rendre compte de la temporalité. Apparemment plus d’un an s’écoule avec le Joker « sain » et cela n’est pas forcément bien rendu. Des mentions datées auraient peut-être été plus judicieuses. De la même manière, il est évident (surtout sur la fin du récit) que Jack/Joker rappelle… Double-Face. Une schizophrénie à la fois graphique et rédactionnelle qui intervient de façon pertinente lorsque Jack ne prend plus ses pilules de guérison. C’est peut-être pour cela que le vrai Double-Face est très en retrait (même si d’autres ennemis emblématiques le sont tout autant, comme le Pingouin, l’Homme-Mystère, Killer Croc, etc.).

Avec un rythme endiablé et sans temps mort, l’histoire de White Knight ne surprend pas forcément dans ses grandes lignes mais reste redoutablement efficace (parfois même émouvante sans tomber dans le pathos). On  y croise les figures connues de Gotham, comme Leslie Thompkins, Harvey Bullock… des allusions au passé des Wayne (et une curieuse alliance) rappellent les bons moments de la première saison du jeu vidéo de Telltale Game, etc. La dualité entre Batman et le Joker est évidemment au cœur du récit (avec cette rengaine du Je t’aime moi non plus… et de la création de l’un et de l’autre, du miroir amour-haine et ainsi de suite — déjà très bien traitée dans Killing Joke et Arkham Asylum par exemple). Le nihilisme de Batman est bien exploité, perdant ses repères sans le montrer — seule la voix de Batgirl le rappelle à l’ordre, tous les autres sont pessimistes et fatalistes sur le sujet, y compris Nightwing et Gordon, doutant petit à petit du combat de Batman. Le point d’orgue se situe lors de la mort d’Alfred, qui était « la boussole morale de Bruce », comme l’évoque délicatement Batgirl. Par cet incessant rappel au questionnement infini de justice alliée à la moralité et la légalité (un ensemble toujours aussi « complexe » mais abordé frontalement en continue durant tout le récit), White Knight se veut plus profond qu’une relecture de Batman contre le Joker, ici plus humain que jamais. Il interroge, il met en garde, il divertit…

À ce titre, il apparaît comme une étrange continuité du travail de Miller sur son Dark Knight Returns (par les mêmes questionnements thématiques, les violences radicales et les débats journalistiques qui parsèment la narration) mêlé au travail de Geoff Johns sur Batman : Terre-Un, qui est clairement un « nouvel univers » du Chevalier Noir. White Knight semble emprunter les meilleurs éléments de ces deux excellents titres pour accoucher d’un écrin graphique quasi-parfait.

Car en plus d’écrire, Sean Murphy dessine. On lui doit déjà l’excellent one-shot Punk Rock Jesus (fortement conseillé) et la série en deux tomes Tokyo Ghost. À l’instar de celle-ci, l’artiste est accompagné ici de Matt Hollingsworth aux couleurs et, toujours comme pour Tokyo Ghost, une version des crayonnés encrés en noir et blanc de sa bande dessinée fut également en vente. Si la version couleur de Batman – White Knight est sublime par ses palettes sombres pour un résultat « réaliste » et sinistre, la version noire et blanche apporte une ambiance polar (voire hard boiled) très efficace. Aucun bonus n’est inclus dedans en revanche et, paradoxalement, elle coûte plus cher (29€ au lieu de 22,50€). Difficile d’en conseiller une en particulier, les deux sont excellentes à leur manière !

Il faut compter 200 pages environ pour les huit chapitres et ajouter une petite trentaine de bonus (galerie de couvertures, recherches…). Un temps appelé, « Joker : White Knight of Gotham », le livre regorge de citations brillantes, nées de la plume de Murphy, à l’aise aussi bien à l’écriture qu’aux dessins. L’artiste a réussi là où Enrico Marini avait peut-être échoué dans son The Dark Prince Charming. Ce dernier s’était fendu d’une histoire simpliste (ce n’est pas un défaut) mais efficace ; ici Murphy n’hésite pas à complexifier son récit et à proposer de solides rôles féminins (ce qui manquait cruellement dans The Dark Prince Charming). Le traitement narratif sur les personnages et leurs évolutions sont un des atouts de Batman – White Knight. Étrangement, ces deux œuvres (celle de Marini et de Murphy) paraissent complémentaires malgré leurs différences (graphiques et qualitatives) évidentes.

Si White Knight est hors-continuité, on se plaît à imaginer un nouvel univers gravitant autour de celui-ci. La fin sonnant comme un nouveau départ, il n’est pas forcément impensable que l’auteur (ou d’autres) souhaitent s’approprier cette base de données — très riche — pour accoucher de nouvelles pépites similaires. MàJ novembre 2018 : Une suite est déjà prévue pour 2019 ! Sean Murphy travaille en effet sur « The Curse of White Knight » qui mettra en avant Azraël notamment, toujours autour de Batman et du Joker. Freeze aura également droit à un chapitre spécial.

« Je suis un sociopathe manipulateur, qui arrive à peine à se contenir.
Deux cachets de moins et je redeviens ton pire cauchemar. »
[Jack Napier, ex-Joker, à Harleen Quinzeel]

Instantanément culte, Batman – White Knight ne rejoint pas les « coups de cœur » du site mais… les « comics incontournables » sur le Chevalier Noir ! Une très courte liste (c’est le huitième titre dedans) qui propose une porte d’entrée mais aussi des récits qui passent aisément la postérité. Nul doute que ce sera le cas ici.

[À propos]
Publié en France chez Urban Comics le 26 octobre 2018. Aux États-Unis d’octobre 2017 à mai 2018.

Scénario et dessin : Sean Murphy
Couleurs : Matt Hollingsworth
Traduction : Benjamin Rivière (Studio Makma)
Lettrage : Stephan Boschat (Studio Makma)

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Quelques couvertures classiques ou « variant » de Batman – White Knight.

 

À lire également en complément : la critique de Neault — qui a beaucoup aimé aussi — sur le site UMAC (pour lequel je contribue de temps en temps).

Batman – The Dark Prince Charming 2/2

Après un premier tome plutôt original et haletant, que vaut ce deuxième et dernier volume de cette histoire inédite, imaginée par Enrico Marini et proposée dans un format de BD européenne ?

[Histoire]
Toujours à la recherche d’Alina, prétendue fille de Bruce Wayne, ce dernier rencontre le Joker qui lui confie la mission d’acheter un collier à 50 millions de dollars lors d’une vente aux enchères. Ainsi, le Clown du Crime pourra l’offrir à Harley Quinn et s’engage à libérer l’enfant en échange.

[Critique]
Nouvelle salve aussi réjouissante que la première : on ne tient pas tout à fait un chef-d’œuvre mais on s’en rapproche grâce à une histoire prenante, simple (ce n’est pas un défaut), joliment dessinée, bâtissant d’une certaine façon une nouvelle mythologie autour de Batman (on y reviendra plus tard) et mémorable (principalement grâce à son twist).

Le récit poursuit ce qui était mis en place dans le volume précédent avec un côté « classique et convenu » mais à nouveau efficace : un Batman de plus en plus violent, un Joker décidément terrifiant mais aussi amusant, une Catwoman fidèle à elle-même, bref on avance en terrain connu, dans un monde codifié et pas trop bousculé mais, on insiste, fortement plaisant grâce à la patte graphique de Marini. On retrouve le charme coloré (à l’aquarelle), aux tons pastel avec les prédominances cérémoniales de teintes sépias et bleutées avec, une fois de plus, un découpage particulièrement dynamique et fluide lors des scènes d’action, formant un ensemble très cinématographique. Les plans urbains (sur les toits, dans les rues, sur les ponts…) sont toujours aussi sublimes. Manque parfois un petit peu de finesse dans les visages lorsqu’ils ne sont pas en gros plans.

Peu à redire si ce n’est que Marini aurait pu être parfois un peu plus « original » plutôt que de proposer une intrigue de premier plan in fine trop convenue et traditionnelle chez Batman (voler des bijoux pour Harley Quinn, Catwoman attirée par les mêmes attributs de joaillerie, des courses-poursuites, etc.). On peut déplorer un traitement des personnages féminins très clichés également voire sexistes.  Toutefois, l’artiste fonde délicatement un nouvel univers Gothamien (attention aux révélations, allez au paragraphe suivant si vous comptez lire et découvrir par vous-même ce second tome). En effet, le scénariste et dessinateur italien n’hésite pas à suggérer une fille biologique du Joker (!) adoptée légalement par Bruce Wayne (!!) — et peut-être même le Joker au courant du secret de Bruce… Une situation totalement inédite qui mériterait d’être explorée plus longuement tant elle peut drainer de nouveaux chapitres peut-être plus fascinants. Pourquoi pas étalés sur des évènements futurs, avec des ellipses temporelles de plusieurs années, et relatés par d’autres grands noms européens de la bande dessinée, toujours dans ce même format ?

Batman – The Dark Prince Charming est une petite rareté (dans le monde du neuvième art) à savourer par et pour de multiples publics différents. Elle rejoint la sélection « coups de cœur » du site. Fera-t-elle date au sein de la mythologie de Batman ? C’est possible, l’ensemble n’est peut-être pas assez « puissant » (en terme de complexité d’écriture) pour marquer férocement les esprits mais les deux tomes (espérons une édition compilant les deux avec des bonus) offrent un divertissement plaisant, agréable et plutôt original. On aurait tort de s’en priver.

[À propos]

Publié en France chez Dargaud le 15 juin 2018

Scénario & dessins : Enrico Marini

Traduction : Jérôme Wicky
Lettrage : Eric Montésinos

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