Batman : Detective – Tome 1 : Mythologie

Après les sept tomes de la série Batman – Detective Comics et après trois histoires non publiées en librairie (mais en kiosque), la série se renouvelle avec une équipe artistique différente accueillant notamment Peter J. Tomasi à l’écriture (déjà à l’œuvre sur la sympathique Batman & Robin). Pas vraiment une suite directe, plutôt un éternel « nouveau départ », que vaut ce premier tome de Batman : Detective ?

[Résumé de l’éditeur]
Batman est appelé par le Commissaire Gordon sur la scène de crime la plus déroutante qu’il ait eu à analyser : la réplique macabre du propre meurtre de ses parents, Thomas et Martha Wayne ! Dérouté, le Chevalier Noir tente par tous les moyens de percer le mystère de cette mise en scène, tout en protégeant ses proches, Alfred Pennyworth et Leslie Thompkins, tous deux menacés.

[Début de l’histoire]
Batman est convoquée par Gordon. Un couple ressemblant aux parents de Bruce Wayne a été tué. Plusieurs détails macabres tendent à croire que le meurtrier connaissait aussi bien les Wayne que leur fils.

En parallèle, Leslie Thompkins est attaquée par une créature ressemblant à divers ennemis de Batman. Quand le Chevalier Noir arrive à la sauver, Thompkins est victime d’une toxine du Joker.

Au Manoir Wayne, c’est Alfred qui est la cible d’une attaque par un mystérieux personnage revêtant le costume de… Zorro !

Pour le justicier de Gotham il n’y a aucun doute : ces attaques sont dirigées par une personne qui connaît son identité. Il est temps d’aller voir d’anciens mentors au tour du monde et trouver qui se cache derrière cette sanglante croisade.

[Critique]
Une aventure/enquête si intense ne pouvait « que » mal se conclure… Quel dommage ! En effet, dans Mythologie, on est immédiatement happé par l’intrigue, géniale, sanglante et palpitante. Entre les meurtres copiés sur ceux des parents de Bruce et les attaques envers ses alliés qui connaissent son identité, à commencer bien sûr par Leslie et Alfred, le Chevalier Noir suit son instinct et ses pistes semblent vouées à l’échec. Qui se cache derrière ces meurtres ? Qui connaît Batman et joue avec lui ?

En renouant avec différents anciens mentors ou antagonistes, comme Henri Ducard, le maître d’arts martiaux Kirigi (peu connu parmi les relations du détective), Thaddeus Brown (le premier Mister Miracle), Hugo Strange, Jason Blood/Etrigan, Silas Stone… Batman entreprend un voyage mi-initatique mi-vengeur. Quand il comprend que ces suspects sont finalement des victimes aussi, rien ne va plus. Pour parler de la suite, il est obligatoire de révéler ce qui se trame derrière tout cela, passez donc au cinquième paragraphe de ce bloc pour éviter les spoilers.

Alors, qui se cache derrière cette étrange épopée funeste ? Si dans un premier temps, on pense à Damian Wayne (faute à un enfant revêtant le costume du Dark Knight), ce qui aurait été brillant, mais malheureusement il s’agit banalement et simplement de… Bruce/Batman lui-même ! Comment ? Pourquoi ? Simple : le justicier s’enferme dans une simulation à chaque anniversaire pour devenir encore plus fort, affronter de nouveaux traumatismes et ennemis… Tout ce qui a précédé la conclusion est donc issu de l’imagination du Chevalier Noir… Quelle tristesse !

On l’a évoqué plusieurs fois sur ce site, les récits et les justifications à base de contrôle mental, hypnotisation, lavage de cerveau, simulation dans une machine, rêve/cauchemar fonctionnent rarement, faute de conserver une certaine plausibilité importante pour la crédulité du lecteur. Ceux-ci sont parfois couplée à l’existence de créatures, démons, morts-vivants ou autres imaginaires issus du registre de l’horreur et se marient là aussi peu souvent d’une bonne façon avec la mythologie de Batman, désormais profondément encrée dans des thrillers « réalistes », flirtant parfois avec un peu de science-fiction ou du semi-fantastique. Il n’y a d’ailleurs quasiment pas de titres incontournables, indispensables ou incroyables qui auraient un de ces éléments dans leur contenu. Dans Mythologie, Leslie Thompkins n’est pas morte et personne n’a tué ce couple ressemblant aux Wayne… Tout ceci provient donc de l’imagination de Batman, cassant complètement les enjeux tragiques et ressorts dramatiques de la fiction pourtant bien emmenée.

L’auteur Peter J. Tomasi cède à une facilité déconcertante pour justifier son propos. C’est d’autant plus dommage que les retrouvailles avec un Batman solitaire offraient une pause bienvenue après la multitude d’alliés – anciens ou nouveaux – ajoutée ces derniers temps et dans la série précédente ; le run de James Tynion IV est à peine évoqué, on part bien sur de nouvelles bases, plus proches d’aventures « à l’ancienne » du justicier. Tomasi révèle d’ailleurs relire une fois par an Batman – Année Un, sommet du genre « pour se souvenir de la manière dont on peut raconter une histoire à la fois simple et efficace de Batman ». S’il y a quelques allusions pas du tout subtiles, l’auteur est très loin d’arriver à un résultat proche du titre incontournable de Miller. Certains pourraient saluer le propos vaguement introspectif de cette mise en scène macabre et réitération de l’ADN de Batman (la lutte contre lui-même, interminable, etc.) mais ce n’est pas assez bien écrit ni développé pour faire mouche.

On y trouve son compte malgré tout grâce aux chouettes dessins de Doug Mahnke, extrêmement inspiré, propulsant de multiples scènes iconiques avec Batman. Mahnke avait déjà collaboré avec Tomasi sur la série Batman & Robin, quelques segments de Batman Metal ou encore Joker – L’homme qui rit et L’Énigme de Red Hood. Ici, l’artiste magnifie les combats et envolées aériennes, s’amuse avec les affrontements titanesques ou plus terre-à-terre, profitant de la colorisation de David Baron, richement diversifiée. Clairement, toute la partie graphique est le point fort de la bande dessinée – même si ça ne suffit pas à la sauver – malgré les cinq encreurs différents qui officient dessus. Le court passage à Arkham est clairement jouissif, la mise en place de l’armure Hellbat également !

En plus de cette alléchante patte visuelle, – on le répète – on apprécie l’intrigue bien écrite qui tient en haleine mais dont la résolution est une aberration. Pétard mouillé donc, un peu comme les récits de Scott Snyder, partant d’une bonne idée pour se vautrer dans quelque chose d’assez plat, in fine (Le Deuil de la Famille en reste le meilleur exemple). Difficile donc de conseiller l’achat de ce premier tome de Batman : Detective tant cette parenthèse indépendante reste anecdotique au final.

Mais l’éditeur est malin ! L’ouvrage s’achève sur un des chapitres #1000 de la série Detective Comics (il y a eu une dizaine au total – cf. article récapitulatif à venir) qui est en fait le prologue du second tome, Médiéval ! En somme, il aurait tout à fait pu être placé dans le volume suivant mais en l’incorporant à la fin de ce premier opus, le complétiste se sentira, de facto, obligé de le prendre…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 13 septembre 2019.
Contient : Detective Comics #994-999 + extrait de Detective Comics #1000

Scénario : Peter J. Tomasi (orthographié ainsi dans Batman Bimestriel mais simplement Peter Tomasi dans la version libairie)
Dessin : Doug Mahnke
Encrage : Collectif
Couleur : David Baron

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : MAKMA (Stephan Boschat, Sarah Grassart)

Acheter sur amazon.frBatman : Detective – Tome 1 : Mythologie (17€)




Trois histoires de « Batman Detective Comics » publiés dans « Batman Bimestriel » en 2019

La série Batman Detective Comics compte (en France) sept tomes. La suite – indirecte – de la série du même titre a été publiée dans les magazines Batman Bimestriel à partir de juillet 2019 (avec bien évidemment d’autres séries comme Batman ou des récits complets, cf. l’Index de A à Z). Les trois premiers numéros ont accueillis trois histoires différentes de Detective Comics qui n’ont pas été rééditées dans des tomes en librairie.

Il s’agit de La malédiction de Gotham City ! en un chapitre (Detective Comics #982), À l’extérieur en cinq épisodes (DC #983-987) puis Perdre la face en six chapitres (DC #988-993). La suite de la série a été compilée en cinq volumes en librairie dans Batman Detective (en plus d’être également proposée dans les numéros suivants de Batman Bimestriel bien sûr).

Pour les anglophones, les deux premiers récits – bien que déconnectés entre eux – ont bénéficié d’une sortie aux États-Unis dans le volume 8 de Batman Detective Comics (On the outside) et la troisième histoire est dans le volume 9 (Defate the face). Découverte et critique de ces trois histoires !

 

La malédiction de Gotham City !Detective Comics #982
Scénario : Michael Moreci / Dessin et encrage : Sebastian Fiumara / Couleur : Dave Stewart
Publié dans Batman Bimestriel #1 en juillet 2019

[Histoire]
Batman recherche un enfant kidnappé dans les égouts de Gotham. Il tombe sur plusieurs créatures mystérieuses et des êtres humains en piteux états. Tous semblent obéir au diacre Blackfire.

[Critique]
Trop court pour être inoubliable, cet épisode offre une sorte d’épilogue au célèbre titre Batman – Le Culte. En effet, l’antagoniste de ce récit, le célèbre homme religieux Blackfire – qui avait constitué une véritable secte dans les souterrains de la ville – réapparaît ici (après être revenu dans Batman Eternal). Le Chevalier Noir s’interroge comme le lecteur : qu’est-ce qui est réel et ne l’est pas ? Sont-ce des fantômes ou des hommes ?

Les questions n’ont pas réellement de réponse (et ce n’est pas grave) puisque c’est avant tout le voyage onirique/cauchemardesque et, surtout, graphique qui séduit ici. On retrouve, comme dans Le Culte, « des formes effrayantes, spectrales ou horrifiques » mais un ensemble moins gore et sanglant qu’à l’époque (1988), la colorisation n’est pas non plus aussi psychédélique que la série mère, allant surtout dans des tonalités brunes.

En somme, La malédiction de Gotham City ! n’a d’intérêt que pour prolonger très éphémèrement le diacre Blackfire et montre un Batman perdu et tourmenté. Si Batman – Le Culte est réédité un jour dans la collection Black Label, nul doute que ce chapitre unique sera ajouté en segment pour fermer le comic.

À l’extérieurDetective Comics #983-987
Scénario : Bryan Hill / Dessin : Miguel Mendonça, Philippe Briones / Encrage : Diana Egea, Philippe Briones / Couleur : Adriano Lucas
Publié dans Batman Bimestriel #1 et #2 en juillet et septembre 2019

[Histoire]
Dans Gotham, un mystérieux nouvel ennemi, Karma, piège Le Signal (Duke Thomas) et le blesse sévèrement, arguant qu’il rend faible Batman.

Bruce Wayne reçoit la visite du Limier Martien car Superman n’est pas disponible. Le milliardaire lance une nouvelle équipe et souhaite que Jefferson Pierce, alias Éclair Noir (Black Lightning) le rejoigne.

Batman lui rend visite (ils s’étaient croisés dans le premier tome de Batman Metal) et lui propose de venir à Gotham. Un temps circonspect, Jefferson accepte et ses talents de professeur devraient permettre d’insuffler une pédagogie aux jeunes alliés de Batman, dont ce dernier manque probablement.

Karma continue de s’en prendre à la Bat-Family en s’attaquant à Orphan (Cassandra Cain).

[Critique]
Un ennemi inédit et original mais dont on n’arrive jamais à avoir peur, une équipe novatrice mais qui ne fonctionne qu’à moitié, un allié singulier et rare mais qui ne sert pas à grand chose… Beaucoup de paradoxes parsèment À l’extérieur, qui a tout de même le mérite de mettre en avant Éclair Noir (Black Lightning) dans une aventure du Chevalier Noir. Mieux : ce segment sonne comme une introduction à la création d’une nouvelle équipe, Batman et les Outsiders. Pour lire la suite de leurs aventures, il faudra se tourner vers deux récits proposés dans Batman Bimestriel #7 et #11, toujours écrits par Bryan Hill et contenant l’équivalent de deux tomes (sur trois) de cette série du même titre (Batman & the Outsiders).

Dans les cinq chapitres que nous avons ici, l’antagoniste Karma estime que les alliés de Batman sont ce qui l’affaiblit, ce qui n’est pas foncièrement faux – le détective de la nuit partage même ce constat. Qui se cache derrière le masque du mercenaire au sabre ? Une ancienne « victime » du Chevalier Noir (on le sait rapidement), qui veut banalement se venger (le karma donc…). C’est un peu maigre et vite oublié malgré un look alléchant et une opportunité narrative intéressante. De la même manière, propulser Éclair Noir en mentor d’Orphan (Cassandra Cain), Le Signal (Duke Thomas) et Oracle (Barbara Gordon) n’a aucun sens, surtout pour la dernière, déjà chevronnée à la vie de justicière nocturne. Ils n’ont pas besoin de conseils d’un professeur adoubé par Batman.

L’alchimie entre eux ne passe pas vraiment, on préfère celle entre Jefferson Pierce (le vrai nom d’Éclair Noir/Black Lightning) et… Bruce Wayne. En effet, le milliardaire apparaît beaucoup en civil, un aspect devenu rare en comics qui permet de renouer avec une certaine aisance plus « naturelle ». Il faut dire que Jefferson vient de Metropolis, connaît et épaule davantage Superman que Batman, donnant ainsi quelques échanges de visions et d’approches différentes pour l’encadrement des recrues. Néanmoins, si le capital sympathie de Jefferson fait mouche, il aurait pu être absent de la fiction que ça n’aurait pas changé grand chose, il évolue à la fois en retrait et se met en première ligne quand il y a besoin de ses pouvoirs (électriques, forcément).

Un ensemble graphiquement sympathique mais qui n’emporte jamais réellement le lecteur par ses frasques visuelles (alterné par Miguel Mendonça et Philippe Briones). La mort d’une journaliste ou la prise d’otages d’enfants ne font ni chaud ni froid ni plus. Bien que la lecture ne soit pas désagréable en soi, un brin dépaysante, on favorise plutôt l’idée d’une entrée en matière – celle des Outsiders donc – à prendre comme un tome zéro en attendant de lire la suite, qu’on espère plus palpitante.

Perdre la faceDetective Comics #988-993
Scénario : James Robinson / Dessin : Stephen Segovia, Carmine Di Giandomenico / Encrage : Stephen Segovia / Couleur : Ivan Plascencia
Publié dans Batman Bimestriel #2 et #3 en septembre et novembre 2019

[Histoire]
Batman revient aux fondamentaux. Plus apaisé, il renoue avec Gordon et enquête sur le meurtre de Karl Twist.

Sa piste l’amène face à Firefly – une nouvelle, Bridgit Pike – associé au Firefly initial (Ted Carson) puis aux jumeaux Tweed. Cette fréquence du chiffre « deux » le conduit à croiser le chemin de Double-Face.

L’ancien procureur Harvey Dent est toujours tiraillé entre ses personnalités. Étonnamment, Dent sauve même Gordon d’un assaut du GCPD par l’organisation Kobra.

Cette dernière semble cachée derrière les différentes attaques se déroulant à Gotham. Quel est leur but ?

[Critique]
En six épisodes plutôt bien rythmés et dessinés, l’auteur James Robinson surfe sur une certaine nostalgie. On retrouve l’ADN des premières enquêtes du Chevalier Noir : juste lui et Alfred d’un côté (très en forme sur l’humour pince-sans-rire) puis avec Gordon et… Harvey Dent/Double-Face ! Tout un chapitre se déroule d’ailleurs sur un toit entre les trois hommes, rappelant d’anciennes aventures (ou, évidemment, le film The Dark Knight).

Si les fausses pistes initiales permettent tout de même une réflexion pertinente sur la « hiérarchie » des ennemis (via Firefly, forcément), le discours global puis classique n’est pas très intéressant, à l’exception de ce qui tourne autour de Double-Face. Malheureusement la conclusion abrupte et peu claire gâche totalement ce qui était montré avant… Passons sur la fausse mort de Dent à laquelle on ne croit absolument pas.

C’est bien dommage car ce « retour en force » de Double-Face était particulièrement convaincant mais, in fine, n’apporte rien et reste une parenthèse anecdotique dans le parcours du Chevalier Noir et de son ennemi. Il subsiste bien sûr une certaine complicité entre Bruce/Batman et Harvey/Double-Face, plaisante à suivre, mais ça s’arrête là. À part pour les amoureux de Dent, on a donc tendance à déconseiller ce récit (privilégiez plutôt – parmi les titres les moins connus – Les tourments de Double-Face voire le premier tome d’All Star Batman, qui n’était déjà pas exceptionnel mais assumé dans son délire road trip).

Heureusement, les dessins sauvent plutôt l’ensemble, assurés par Stephen Segovia et Carmine Di Giandomenico à tour de rôle, colorisés par Ivan Plascencia. On retient quelques plans inspirés, entre les envolées nocturnes dans Gotham ou les scènes d’action épiques. C’est ce qui permet de passer une lecture plaisante et agréable, à défaut d’être mémorable et incontournable…

Conclusion de l’ensemble : On comprend aisément pourquoi ces trois titres n’ont pas bénéficié d’une autre édition en librairie. Le premier est évidemment trop court mais pourrait, comme déjà dit, être inclut dans une réédition de Batman – Le Culte. Le second sert plutôt d’introduction à une autre série (Batman & les Outsiders), publiée dans d’autres numéros – à voir une fois chroniqués si cela s’inscrit dans un run de l’auteur (Bryan Hill) qui vaudrait le détour, on en reparlera sur ce site. Le troisième et dernier est réservé aux inconditionnels d’Harvey Dent sans pour autant être un récit réellement marquant. En synthèse, aucun problème pour faire l’impasse sur ces trois histoires… La suite de la série Detective Comics (période Rebirth donc) a également été publiée dans les numéros suivants de Batman Bimestriel puis rééditée en cinq tomes — critiques bientôt en ligne (le quatrième étant connecté à Joker War).

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Suicide Squad – Get Joker !

Une prestigieuse équipe artistique (Brian Azzarello à l’écriture, Alex Maleev au dessin), un récit complet, une publication dans le Black Label… Suicide Squad – Get Joker ! partait avec beaucoup de qualités pour devenir un titre au pire singulier et une curiosité à lire, au mieux une future référence culte et incontournable. Malheureusement, après une excellente introduction, la fiction se vautre dans un exercice vulgaire et peu passionnant. Critique et explications.

[Résumé de l’éditeur]
Chargée de mettre un terme à la série de cadavres laissés dans le sillage du Clown Prince du Crime, la Suicide Squad d’Amanda Waller doit traquer le plus grand ennemi de Batman dans l’espoir de le mettre six pieds sous terre, une bonne fois pour toute. Par devoir, mais surtout par vengeance, l’ancien jeune prodige de Batman, Jason Todd, accepte de mener cette bande de criminels sur le terrain et de ne surtout faire confiance à personne. Et surtout pas à Harley Quinn

[Début de l’histoire]
Jason Todd
, alias Red Hood, est en prison. Amanda Waller lui rend visite et lui propose une vengeance idéale : tuer le Joker via une mission d’une nouvelle équipe de Suicide Squad.

L’ancien Robin accepte et prend donc la tête d’une bande de mercenaires atypiques composés d’autres prisonniers, méta-humains ou non, et bien sûr d’Harley Quinn, l’ancienne compagne du célèbre Clown Prince du Crime…

[Critique]
Quel dommage ! Le début de Suicide Squad – Get Joker ! est palpitant mais sa suite et fin particulièrement moyenne pour ne pas dire ratée (et décevante selon les attentes bien sûr). En trois chapitres (d’une cinquantaine de pages chacun), le récit va à l’essentiel : exposition (premier chapitre), action (deuxième), rebondissements et conclusion (troisième). Pas de temps mort donc, de quoi survoler l’entièreté de ses nombreux protagonistes à l’exception de Todd.

En effet, Jason Todd devient le leader d’une nouvelle équipe dirigée par Amanda Waller. Une énième Suicide Squad avec un objectif bien précis : tuer une bonne fois pour toute le Joker. Qui de mieux placé que l’ancien Robin assassiné par le célèbre Clown pour mener cette mission ? C’est sur cette idée originale (et étonnamment jamais proposée auparavant) que le scénariste Brian Azzarello invite son lectorat à assister à une succession d’action par une équipe atypique : Firefly, Silver Banshee, Pebbles, Miou Miou (! – Meow Meow en VO, Miaou Miaou aurait été plus adapté en français), Plastique, Wild Dog, Y es-tu (!! – Yonder Man en VO) et Harley Quinn. En somme, des méta-humains, mercenaires ou criminels de seconde voire troisième zone (à noter que Pebbles et Miou Miou sont des créations pour la bande dessinée).

Azzarello a déjà écrit pour Batman avec plus ou moins de réussite. On lui doit l’excellent Joker et sa très moyenne suite Damned. L’auteur avait également signé les sympathiques Cité brisée (et autres histoires…). Chez DC Comics, il s’est illustré sur l’excellente série 100 Bullets (disponible en cinq tomes intégrales) et plusieurs segments d’Hellblazer/Constantine. Son style cru et incisif, usant parfois gratuitement d’une certaine vulgarité ne fonctionne pas toujours. Get Joker ! n’y fait pas exception puisque les membres de la Suicide Squad sont assez grossiers et insultants. « On est baisés. » ou « J’te baise ! » reviennent plusieurs fois, y compris dans la bouche du Joker. Étrangement, d’autres termes vulgaires sont édulcorés dans leur traduction (« fuck/fucked/fuck you, pussies… »).

Tous ces mots fleuris n’apportent rien à la fiction, si deux ou trois font mouche, ils sont vite trop nombreux et on s’en lasse. C’est quelque chose qui fonctionne mieux au cinéma ou en série qu’en lecture concrète (romans ou bandes dessinées). Azzarello corrèle sa fiction à des faits réels, en évoquant l’attaque du Capitole par un des membres de la Suicide Squad et la suspicion envers les élites (médiatiques et politiques) à travers un personnage banalement « complotiste » sans aucune nuance (« on nous ment » / « on est oppressé »). Là aussi ça a du mal à prendre alors qu’il y avait des choses pertinentes à tirer de cette volonté d’encrer le récit dans une forme de populisme « séduisante ». Mais le traitement enchaîne les clichés et la réflexion n’est pas développée…

Si l’on comprend tout ce qui se déroule durant les trois épisodes, les deux derniers sont nettement moins bien écrits que le premier, qui emportait d’emblée le lecteur dans ce qui s’annonçait comme une aventure fascinante et fracassante. Impossible de ne pas penser à l’excellent film The Suicide Squad de James Gunn en voyant les membres d’autres teams de Suicide Squad ainsi que la façon dont ils sont mis en scène. Les mêmes costumes et look déstabilisent d’ailleurs – faut-il inclure ce comic book dans le canon des films ? Dans le prolongement du diptyque Joker/Damned ? Car si les connexions sont peu nombreuses, la scène de pole dance d’Harley Quinn fait écho à ces autres créations d’Azzarello. Quinn est très peu vêtue dans la seconde moitié du titre (pour une raison qui se « justifie » au début mais n’est pas très intéressante et aurait dû s’arrêter un moment).

Le look (et même « le caractère ») du Joker n’aide pas non plus. Taciturne, peu souriant, crâne rasé avec une crête et habillé comme Alex dans le film Orange Mécanique (les « droogies » sont mêmes nommés explicitement), on a du mal à avoir de l’empathie pour le célèbre Clown, rappelant un peu celui de La Guerre des Rires et des Énigmes – déjà peu apprécié. C’est aussi dans la seconde partie de Get Joker ! qu’on perd en fluidité de lecture, davantage cryptique, manquant d’une certaine synergie, en plus de la traduction étrange de la vulgarité et des noms de protagonistes (cf. exemples plus haut).

De la même manière, les dessins d’Alex Maleev sont de moins en moins bien… En effet, à l’instar du scénario, le début est particulièrement soigné, bien encré et colorisé, avec plusieurs détails en fond de cases et des visages expressifs. Plus on avance dans la BD, moins on a de décors et un côté brouillon ressort de l’ensemble. Quelques traits peu expressifs pour croquer des visages, un aplat de couleur en guise d’arrière-plan, etc. Un peu comme Jock lorsqu’il n’est pas en forme, cf. Le Batman Qui Rit. Heureusement, la colorisation assurée par Matt Hollingsworth accentue l’ambiance lugubre du titre, rappelant le même travail de l’artiste sur des titres récents comme White Knight et sa suite, ou des plus anciens comme Catwoman – Le Dernier Braquage. Il y a même une petite vibe Sean Murphy entre les traits de Maleev couplés aux couleur d’Hollingsworth – qui officie donc sur les créations de Murphy.

En synthèse, côté histoire, l’équipe de Suicide Squad court après un Joker peu empathique avant de s’allier avec lui puis tout se termine dans des affrontements soudains, pas forcément lisibles et une conclusion assez frustrante puisqu’on ne sait pas si le Joker a été tué ou non… Beaucoup de bonnes idées se succèdent mais aucune n’est exploitée correctement pour rendre le titre incontournable. L’ambiance graphique confère une patte singulière au comic mais s’avère beaucoup trop hétérogène pour être réussite. Il manque donc une constance visuelle dans les visages ou les poses iconiques pour avoir un équilibre entre le scénario bancal et les dessins qui, in fine, le sont aussi. Difficile donc de conseiller le titre, à la traduction parfois étrange aussi (c’est suffisamment rare pour être souligné – le traducteur n’étant pas un régulier chez Urban, ceci explique peut-être cela), peut-être pour les amoureux de Jason Todd ou les férus d’Azzarello…

[À propos]
Publié chez Urban Comics le
Contient : Suicide Squad : Get Joker #1-3

Scénario : Brian Azzarello
Dessin et encrage : Alex Maleev
Couleur : Matt Hollingsworth

Traduction : Julien Di Giacomo
Lettrage : MAKMA (Gaël Legeard et Stephan Boschat)

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