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Harley Quinn & les Sirènes de Gotham

Harley Quinn & les Sirènes de Gotham compile les dix premiers épisodes de la série (VO) Gotham City Sirens (qui en compta 26 au total), créée en 2009 par le scénariste Paul Dini (Mad Love, Paul Dini présente Batman) et le dessinateur (et parfois auteur) Guillem March (Catwoman, Joker Infinite…). Ce récit (complet au demeurant) a été publié en janvier 2020 chez Urban Comics, puis est ressorti dans un format souple un brin raccourci (deux épisodes en moins, conservant malgré tout un côté complet) en été 2021, lors d’une opération estivale à petit prix de l’éditeur (4,90 € !). Il se déroule juste après Le cœur de Silence (alias Paul Dini présente Batman – Tome 2 – dont ces Sirènes de Gotham sont quasiment un opus « 2.5 »).

 

[Résumé de l’éditeur]
Splendides, envoûtantes et dangereuses. Catwoman, Poison Ivy et Harley Quinn en ont assez de suivre les ordres, et elles sont prêtes à s’emparer d’une Gotham qui leur tend les bras depuis la disparition du Chevalier Noir, perdu dans les méandres du temps. C’est l’occasion pour elle de faire cause commune… mais pour combien de temps ?

[Début de l’histoire]
Catwoman se bat avec un malfrat de troisième zone vaguement dangereux mais ses récents problèmes au cœur la rendent très vulnérables. Secourue par Poison Ivy, cette dernière propose de cohabiter chez elle, ou plutôt chez le Sphinx dont elle squatte la résidence avec Harley Quinn.

Les trois femmes décident d’aménager ensemble et former une alliance éphémère. Quinn disparaît rapidement, obligeant Ivy et Catwoman à enquêter…

[Critique]
Les six premiers épisodes de ces Sirènes de Gotham (le « vrai » titre VO de la série, y avoir accoler Harley Quinn en prime n’est qu’un argument commercial, elle n’est pas davantage mise en avant que Catwoman ou Ivy) forment un ensemble très sympathique, qui fait la part belle à ce trio féminin d’antagonistes. Paul Dini y poursuit complètement ce qu’il avait instauré dans ces deux premiers tomes de Paul Dini présente Batman (La mort en cette cité puis Le cœur de Silence). Ainsi, l’histoire débute avec une Selina Kyle encore à peine remise de son opération au cœur et un Bruce Wayne qui n’est autre que Tommy Eliott (Silence) !

On peut arriver à comprendre tout ça si on n’est pas coutumier des précédents travaux de Dini mais c’est un peu rude, d’autant qu’étonnamment Urban Comics ne propose pas un accompagnement éditorial en avant-propos pour contextualiser la situation (le vrai Bruce Wayne a disparu, Dick le remplace en tant que Batman, Silence se fait passer pour Wayne, Damian apparaît pour ses premiers pas en tant que Robin, le Sphinx est un détective privé et non un criminel, etc.) – c’est d’autant plus surprenant que les Paul Dini présente Batman avaient déjà été publiés depuis plusieurs années par l’éditeur.

Passons. Dini reprend donc quelques éléments de son précédent run : on y croise le courtier, la charpentière et deux autres femmes « fortes » comme Zatanna (sur laquelle l’auteur avait excellé) et même Talia al Ghul. De quoi avoir une bande dessinée qui met (enfin) en avant des figures féminines plus ou moins familières pour une association séduisante (dans les deux sens) et qui fonctionne à peu près. En vrac (dans les six premiers chapitres donc) : le trio aménage ensemble puis Ivy et Catwoman se lance à la poursuite du kidnappeur d’Harley. Les choses se compliquent quand le Joker, très jaloux de l’émancipation récente d’Harley (personnage créé par Paul Dini justement, dans la série animée de 1992 et qu’il avait repris, entre autres, dans le chouette Mad Love), se met aussi en quête pour retrouver son amante.

Si Batman (Dick Grayson) apparaît furtivement, l’autre personnage majeur de ce volume est Le Sphinx ! Edward Nigma s’est repenti et reconverti en privé et aide ses alliées, à commencer par Catwoman avec qui il a toujours eu une relation particulière (Catwoman à Rome, Batman/Catwoman…). En résulte un titre où ces quatre habituels « vilain/es » gravitent dans Gotham. On apprécie surtout l’écriture sur Quinn, attachante et un peu perdue et Poison Ivy, qui n’en oublie pas ses convictions et son alliance « pragmatique » (elle n’estime pas que Selina et Harley sont ses amies mais uniquement des collègues).

Graphiquement, Guillem March s’en donne à cœur joie, rendant sexy chacune des sirènes, sans être jamais réellement vulgaire mais parfois trop gratuitement sans réel intérêt (il s’empirera – ou s’améliorera, c’est selon – quand il reprendra la série Catwoman version New52/Renaissance quelques années plus tard) – cf. quelques illustrations de cette critique ou la toute dernière image en bas en VO, admirez le fessier de Selina, la pose suggestive de Pamela (on vous épargne une personnage très très secondaire en string apparent et bas résilles déchirés apparents sans raisons logiques). Il officie sur ces six premiers chapitres (les meilleurs, nommés Union, Conversation entre filles, L’énigme du siècle ! (écrit par Scott Lobdell), Rencard, Le monstre du passé et Le dernier gag) et contribue à la lecture agréable de l’ensemble qui devrait ravir les fans d’Harley Quinn, Poison Ivy, Catwoman et/ou Le Sphinx, sans trop de difficultés.

Jose Villarrubia colorise avec toute une gamme riche et variée propre aux productions du genre, accentuant un côté « mainstream » bienvenu avec parfois Tomeu Morey ou March lui-même en remplacement. Si le titre est globalement accessible (passé le statu quo de départ singulier) et la lecture sympathique, l’ensemble est/sera vite oublié et, de facto, ne vaut peut-être pas les vingt-quatre euros demandés… On conseille davantage la version en bon plan qui se trouve régulièrement en occasion au prix initial voire moins cher (donc entre trois et cinq euros).

Dans cette version (ainsi que la normale), on a droit aux chapitres #7 et #8, le premier (Histoire de fêtes) est centré sur Quinn qui retrouve sa famille (dessiné par David Lopez – dans un style visuel moins abouti que March), le second (Vengeance verte) sur Ivy à son tour kidnappée (écrit et dessiné par March). En revanche, l’édition souple à bas prix ne contient pas les épisodes #9-10 (Les pièces du puzzle et Choisir son camp – Andres Guinaldo au dessin), tous deux se suivent et remettent le Sphinx au premier plan pour aider les Sirènes de Gotham à découvrir et déjouer un ennemi de troisième zone. Vous l’aurez compris, ces autres parties sont moins passionnantes.

En somme, Harley Quinn & les Sirènes de Gotham est une aventure suffisante pour les aficionados des trois anti-héroïnes ou même du Sphinx. Ceux souhaitant voir la suite de Paul Dini présente Batman devraient aussi y trouver leur compte. Sans jamais être trop « girly » (dans le sens péjoratif du terme) ni trop tomber dans le « male gaze », la fiction est sympathique avec un ou deux retournements de situation peu prévisible mais rendant l’ensemble moins épique que prévu. Dommage qu’Urban ne propose pas la suite même si les dix épisodes s’auto-suffisent.

[À propos]
Publié chez Urban Comics le 17 janvier 2020.
Contient : Gotham City Sirens #1-10 (#1-8 pour la version souple)
Nombre de pages : 256

Scénario : Paul Dini, Scott Lobdell, Guillem March
Dessin : Guillem March, David Lopez, Raul Fernandez
Encrage : Guillem March, Alvaro Lopez, Raul Fernandez
Couleur : José Villarrubia, Guillem March, Tomeu Morey, Ian Hannin

Traduction : Thomas Davier
Lettrage : Moscow Eye

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Batman – Année 100

Volume unique se déroulant dans un avenir lointain hypothétique (et non canonique, donc un elseworld), que vaut Année 100, sorte de réponse futuriste au célèbre Année Un ?

(Couverture d’Urban Comics à gauche et de l’ancienne édition de Panini Comics à droite)

 

[Histoire]
En 2039 à Gotham City, un agent fédéral est assassiné. Les soupçons se portent vers le Batman. Une vieille légende urbaine qui semble bien réelle…

Jim Gordon, petit-fils du célèbre commissaire, enquête dans un monde où la corruption est partout et où l’intimité n’existe plus du tout.

Bienvenue dans le futur.

[Critique]
Récompensé par deux prestigieux Eisner Award en 2007 (meilleure mini-série et meilleur scénariste/artiste), Année 100 est pourtant loin d’être une réussite à tous points de vue, au contraire ! Le récit écrit et dessiné par Paul Pope n’est guère passionnant. S’il veut rendre hommage à Année Un en proposant une aventure située un siècle après l’apparition du Chevalier Noir (1939), on déplore aussi bien son intrigue globale que ses illustrations…

Ces dernières sont la grosse part d’ombre de la bande dessinée : Pope a un style très particulier (il revendique dans ses influences Hergé, Hugo Pratt ou Jack Kirby pour les plus connus d’entre eux et « les films muets de Fritz Lang combinés avec le meilleur du cinéma d’action de Hong-Kong pour [faire sa version dystopique et] une bonne histoire de super-héros ») à la limite d’un certain surréalisme séquentiel, avec notamment des visages aux bouches et lèvres gonflées, conférant un aspect grotesque, quasiment batracien et presque difforme à l’ensemble. Les expressions faciales sont donc, au choix selon sa subjectivité sur ce sujet, un des gros points forts d’Année 100 ou son plus gros point faible (le second pour l’auteur de ces lignes) — les quelques exemples de cet article devraient convaincre (ou rebuter) les curieux.

 

S’il y a bien quelques passages où cet aspect graphique trouve une certaine démesure intéressante, il est difficile de l’apprécier sur plus de 250 pages. Cet univers visuel, épuré à merveille par les teintes sombres et parfois psychédéliques de José Villarrubia, ne laisse pas indifférent et si l’on ne l’apprécie pas, il sera compliqué d’aimer Année 100. Bien difficile en effet de dissocier les dessins pour se concentrer sur le scénario tant ce dernier n’est pas (non plus) à la hauteur.

Son histoire manque d’épaisseur à tous niveaux et ses personnages génèrent peu d’empathie, à part Gordon. L’ensemble est un peu confus, on ne sait pas qu’on se situe en 2039 si on se contente de lire uniquement les planches et non les résumés et annexes autour. On ne comprend pas non plus (dans l’immédiat) que Gordon est le petit-fils de celui qu’on connaît par exemple. Ce manque de contextualisation n’est pas forcément grave (au contraire, on se plaît au début à être volontairement un peu perdu). Malheureusement, au fil que l’enquête avance (avec un très bon rythme, on ne s’ennuie pas un instant), on se demande s’il va y a avoir un nouvel évènement (autre que celui de départ) plus palpitant. Pas vraiment, hélas… Qui plus est, les connexions à la mythologie de l’homme chauve-souris sont assez pauvres et si on espère tout au long de la lecture trouver une certaine surprise en fin d’ouvrage, il n’en sera (presque) rien.

Dans tout ce qu’il y avait à exploiter dans un futur lointain, Pope préfère ne plus laisser son lecteur en terrain familier, ce qui est une bonne chose évidemment, mais n’arrive pas non plus à s’en émanciper totalement avec des choses absurdes (des équivalents de personnages sont calqués sur Robin/Nightwing, Oracle et Gordon est le sosie de… Gordon…). C’est dommage, il pouvait repartir à zéro mais préfère livrer une citée peu moderne, où les influences de Wayne (ou Luthor pourquoi pas) semblent avoir disparues. Aucun héritage à ce qu’on connaît habituellement ne se distingue réellement. En 2039, à part quelques équivalents de drones et d’une forte présence des informations numériques, on n’a pas l’impression d’être si éloigné de notre monde actuel.

Là aussi c’est un contre-pied plus ou moins agaçant : la (non) originalité de ce futur inédit  réside dans une vision qui se refuse à assumer un tournant science-fiction plus prononcé ou une critique sociale et politique plus subtile et intelligible (le lourd héritage de The Dark Knight Returns et Batman Beyond est très ancré, délicat de s’en dissocier). Frank Miller a d’ailleurs dit à Paul Pope « Mince, moi qui croyais avoir bien amoché le bonhomme… tu ne l’as pas ménagé non plus ! ». Il est vrai que le justicier se fait dégommer tout le long, est blessé, essoufflé et ainsi de suite, le rendant très humain, mais cela ne suffit pas.

Reconnaissons un gros point fort de l’ouvrage en plus de son rythme endiablé : l’identité de nouveau Batman, conservant son masque quasiment tout le long et entraînant, de facto, une envie chez le lecteur de savoir qui se cache derrière. Son costume très artisanal renvoie aussi à ses premiers pas (dans Année Un une fois de plus ou en 1939 justement) et son masque (ainsi que sa fameuse bouche) presque à Adam West dans la série des années 1960. Quand il porte ses fausses dents pointues, l’aura monstrueuse de l’homme chauve-souris est accentuée et les quelques scènes d’action et de poursuite sont réussies.

Hélas, ces quelques éléments ne sauvent pas l’ensemble (sauf si, encore une fois et on le répète, vous êtes conquis par l’univers visuel atypique) et l’on est décontenancé par sa courte durée tant on a l’impression d’être dans l’introduction d’un nouveau monde qui ne demande qu’à être exploré plus longuement…

La première édition française de Panini Comics ne contenait qu’Année 100 sans aucun travail éditorial autour (comme souvent chez cet éditeur), Urban Comics l’a complété de trois autres récits signés Pope dans sa réédition en 2016. Batman Berlin (1997), L’ado acolyte (2005) et Nez Cassé (2000) s’ajoutent donc à l’ouvrage et permet ainsi — pour les fans de l’artiste — d’avoir tous ses travaux sur le Chevalier Noir par Pope en un seul volume, une aubaine donc. On retient surtout le premier, se déroulant en 1939 avec un Batman juif sous l’occupation nazie ! Cette fois, le trait de l’artiste sied mieux à l’œuvre, rappelant les premières ébauches de Bill Finger à l’époque. S’il y a (avait) un elseworld à explorer, c’est (c’était) celui-ci… Le deuxième s’attarde sur Robin et le Joker, le troisième est en noir et blanc (probablement dans les compilations Black & White sorties en France aussi depuis) et reste anecdotique. Des remarques et croquis de l’auteur/dessinateur concluent le volume (dont on préfère presque les trois bouts d’histoires bonus que la principale).

En synthèse, l’approche graphique si singulière de Paul Pope — avec son style inimitable qui séduit ou rebute d’emblée — sort le lecteur d’une potentielle zone de confort (ce qui est toujours bien) mais délivre une histoire peu originale malgré l’étendu des possibles (elseworld, futur lointain…).

[A propos]
Publié chez Urban Comics le 3 juin 2016

Scénario et dessin : Paul Pope
Couleurs : José Villarrubia

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